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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Gudbergur Bergsson [Islande] Jeu 1 Aoû 2013 - 23:15
GudbergurBergsson
«GudbergurBergsson est un grand écrivain européen. Ce qui inspire son art en premier lieu, ce n’est pas une curiosité sociologique ou historique, encore moins géographique, mais une quête existentielle, un vrai acharnement existentiel, qui situent son livre au centre même de ce qu’on pourrait appeler, selon moi, la modernité du roman. » Milan Kundera (à propos de L’Aile du Cygne)
Gudbergur Bergson est né en 1932 dans une famille de pêcheurs de Grindavik en Islande. Après avoir exercé différents métiers, il part en 1956 s'installer en Espagne. Il deviendra le traducteur en islandais de Cervantès, Borges, Marquez, Rulfo, Sabato... Il a reçu à deux occasions le Prix National des Lettres islandaises.
Larousse: Avec le succès retentissant de son roman Tomas Jonsson (1966) il s'est imposé comme l'un des romanciers les plus originaux de sa génération. Dans ses nouvelles (Jouets du dégoût, 1964) et surtout dans sa trilogie Il dort dans les profondeurs (1973-1976), il décrit dans un style où se mêlent l'allégorie et le réalisme le plus violent, la société islandaise contemporaine, obsédée par les valeurs matérielles (Histoire d'Ari Frodason et de Hugborg sa femme, 1980)
Oeuvres: Músin sem læðist, 1961 Tómas Jónsson, metsölubók, 1966 Ástir samlyndra hjóna, 1967 Anna, 1968 Það sefur í djúpinu, 1973 Hermann og Dídí, 1974 Það rís úr djúpinu, 1976 Saga af manni sem fékk flugu í höfuðið, 1979 Sagan af Ara Fróðasyni og Hugborgu konu hans, 1980 Hjartað býr enn í helli sínum, 1982 Leitin að landinu fagra, 1985 Froskmaðurinn, 1985 Svanurinn, 1991 (L'aile du cygne) Sú kvalda ást sem hugarfylgsnin geyma, 1993 Ævinlega, 1994 Lömuðu kennslukonurnar, 2004 Leitin að barninu í gjánni - Barnasaga ekki ætluð börnum, 2008 Missir, 2010 (Deuil) Hin eilífa þrá, 2012
L'aile du cygne
Gallimard a écrit:
Une petite fille est envoyée à la campagne pour être remise dans le droit chemin. Une petite personne plutôt, qui cherche sa place dans l'univers. Quittant son village du bord de mer, elle va débarquer dans un monde inconnu et hostile. Pourtant, des liens immédiats très forts, charnels et métaphysiques à la fois, s'établissent entre elle et les éléments, la terre, les plantes et les bêtes. La petite va pressentir aussi l'infini de la souffrance humaine. Mais l'été qui s'écoule, entre averses et éclaircies, la verra durcir et forcir. Bientôt, dans le sillage du cygne fabuleux qui connaît la nature et la destinée des hommes, elle aussi prendra son essor souverain. Le regard énigmatique de l'auteur, ingénu et sarcastique à la fois, fait un sort à l'image de la vie rurale où tout est sensé respirer la simplicité, la bonté et l'innocence.
Un récit lumineux qui raconte l'éveil aux sens et à la compassion d'une petite fille de 9 ans dans une campagne âpre et hostile qui n'est jamais idéalisée même s'il y a de très belles descriptions de paysages et de la nature. Il y a une limpidité qui reste à distance du romantisme ou du symbolisme, même si la lisière est parfois proche, et qui trace son sillon ténu avec une justesse et une simplicité jamais mièvres. Toutes les scènes sont souvent proches d'états d'âme comme si le monde entrait en résonance avec le regard et la pensée de cette enfant souvent entre rêve et éveil. Elle découvre les désillusions des adultes et la souffrance animale avec beaucoup d'acuité, d'humour et de lucidité, parvenant à trouver son propre chemin et sa liberté. Cette histoire est sous-tendue par une légende ancestrale qui donne lieu à une magnifique dernière séquence qui pourrait évoquer l'univers de Vesaas. Une forme de récit d'apprentissage donc mais peu conventionnel (il y a par exemple une troublante relation quasi érotique avec un homme de ferme qui ne tombe jamais dans le scabreux). Je recommande cette lecture dont l'écriture et la singularité laissent une empreinte.
La montagne était sans doute plus haute qu'elle n'en avait l'air et son sommet était le plus souvent encapuchonné de nuages gris et blancs. Quand elle voulut en savoir plus sur ce sommet, elle n'obtint guère de réponse, mais on lui dit tout de même qu'il y avait un grand lac tout en haut, comme sur bien d'autres montagnes de l'intérieur du pays, parce qu'elles étaient reliées entre elles par des souterrains où coulent des rivières, qui permettent au Nykur de se déplacer entre les montagnes. Car selon la légende, il résiderait dans les profondeurs des lacs, et on le verrait parfois nager à leur surface sous la forme d'un cygne, dans le calme absolu et pétrifiant des hautes altitudes.
Deuil
Métaillé a écrit:
Quand on arrive au bout du chemin et qu’on n’a plus pour horizon que la disparition ou l’éternité, vers où se tourner ? Presque invariablement vers son passé. Dans la solitude de sa maison, témoin de tant de moments uniques, le héros de ce texte se souvient de sa vie, son veuvage précoce, sa relation très particulière avec les femmes, les enfants, les amis, les voisins, son travail. Le silence n’est troublé que par le sifflement de la bouilloire, la musique quotidienne d’adieu à un vieil homme solitaire et à sa vie. Un homme enchaîné à un destin inéluctable et qui sait que seul l’amour (ou le désamour) est capable de passer la frontière qui sépare la vie de la mort .L’auteur porte un regard provocant sur la vieillesse et sur la vie quotidienne, apparemment anodine, que chacun parcourt à sa façon
Un court roman à la fois implaccable et dur, mais en même temps avec quelques traits d'humour salvateurs, pour décrire l'état d'âme non plus d'une petite fille qui s'ouvre à la vie mais bien d'une vieil homme en deuil qui attend sa propre mort. Quelque chose du Amour de Haneke mais avec une générosité et une humanité qui illuminent ce qui reste malgré tout à l'arrivée un récit d'une sombre lucidité. Cet homme qui ne sait plus très bien dans quel espace temps il se situe (prémices probables d'un Alzheimer) s'attache à décrire ce qu'il observe de sa fenêtre puis raconte des bribes de son passé et de la maladie de sa femme décédée quelques temps auparavant. Il vit dans un quartier lui-même déserté par la jeunesse et partagé entre retraités et logements sociaux pour handicapés mentaux. Son propre deuil semble contaminer tout ce qu'il regarde. Il montre comment certains de ses voisins ont eux-mêmes affronté la vieillesse et la maladie avant de disparaïtre. Il y a des scènes touchantes comme cette histoire du chien Skuggi (ombre en islandais) recueilli par un ami veuf. Une solitude terrifiante habite tous ces personnages. Les relations de couple face à la maladie sont décrits avec un terrible humour noir. Et tout ce récit culmine dans une dernière séquence déchirante aux îles Féroé et dont la dernière phrase tombe comme un couperet. C'est un roman difficile mais incroyablement humain et vrai. Et durant tout ce récit une bouilloire dans la cuisine fait entendre les rares bruits qui rompent le silence et rythme sa progression. Cet auteur est fascinant et j'espère qu'Eric Boury continuera à le traduire (il aurait écrit une vingtaine de romans).
L'oncle considérait avoir souffert dans la vie, surtout à cause des violences invisibles infligées par ses épouses successives, ces violences ordinaires qui ne laissent ni bleus sur le corps ni oeil au beurre noir contrairement à celle, tout en dureté, et physique, qu'infligent les hommes. Mais en dépit de son air de chien battu qui n'échappait à personne, il n'a jamais recherché la compassion de quiconque; Parce qu'à la longue, la compassion devient également une torture pour celui qui la reçoit, par exemple, de la part de ses proches. En outre, celui qui se révèle trop à ses proches se rend la vie presque insupportable tout autant qu'il pourrit celle des autres. Ensuite, il lui est difficile de replonger dans sa souffrance pour supporter son calvaire avec résignation, et en silence. La souffrance est élastique. Elle enveloppe tout comme un filet de caoutchouc qui étouffe la joie, et pourtant elle exerce sur nous une étrange fascination, tout autant que le bonheur de vivre.
Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
Si tu lis Deuil un de ces jours j'aimerais beaucoup avoir ton avis.
C'est celui que j'ai noté en premier... Même si, vais-je oser , moi, je n'ai pas beaucoup aimé Amour de Haneke..que tu cites en parlant de ce texte. Mais, à te lire, cela me semble très différent.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Deuil traduit de l'islandais par Eric Boury Métailié
Difficile d'écrire quelque chose sur ce texte après toi, Marko..
Je ne dors jamais. Je ne veille pas non plus . Je me vois , allongé dans mon lit, quelque part entre le sommeil et la veille . L'eau chuchote dans la bouilloire.
L'eau va chuchoter dans cette bouilloire tout au long du récit. Jusqu'au moment où elle va bouillir . Et après, elle pourra refroidir.
Entretemps, l'espace de temps écoulé, nous ne le connaitrons pas. Le temps n'existe plus vraiment pour ceux qui ont vécu trop longtemps. Il subsiste quelques réflexes, aller voir le temps qu'il fait par exemple. Et puis une espèce de torpeur , entre rêve et semi conscience .
Ce qu'il voit est l' environnement dans lequel il vit depuis des dizaines d'années et, malgré cela, il ignore où il se trouve; Il lui faut longtemps pour le comprendre. Comprendre qu'en réalité , cela n'a aucune importance. Son unique perception se résume à cela: il est vide. Il ne ressent plus la faim. Il se sent vide à l'intérieur, en proie à un malaise d'origine imprécise. Tout se confond en apathie, somnolence et silence. En dépit de son épuisement, il n'a pas envie de mourir. Il souffre d'un entêtement à vivre qui tient plus de l'habitude que d'un véritable désir.
Cet état de fatigue extrême induit chez le personnage des signes de désorientation temporo-spatiale, mais la pensée est toujours là;. Ne croyez pas que ces vieilles personnes que l'on voit, couchées sur des lits de "maisons de retraites"(!) à longueur de journée , le regard fixe, ne pensent pas. Elles pensent et c'est là très bien décrit.
L'âge venant, on comprend beaucoup de choses qui nous échappaient jusqu'alors-pour peu que la mémoire ne flanche pas trop-, or souvent cette dernière déraille tellement qu'on entre dans la tombe aussi innocent et naïf qu'à la naissance.
Le personnage de ce livre n'a pas la mémoire qui flanche. Du tout. Mais les gens qui vivent trop longtemps sont entourés de fantômes. Tous ceux qu'ils ont connus sont morts, et ils ne comprennent pas bien pourquoi eux sont encore là. Ce sont ces fantômes qui meublent leur pensée.
Le passé est tellement présent en moi que je m'y replonge sans m'en rendre compte.
Alors il pense et raconte sa vie, surtout sa vie conjugale avec sa deuxième épouse , sa maladie, et sa mort. Peut être, oui, qu'on peut penser au film de Haneke, mais, comme tu le dis:
Citation :
mais avec une générosité et une humanité qui illuminent ce qui reste malgré tout à l'arrivée un récit d'une sombre lucidité.
Beaucoup moins froid. Quelquefois drôle d'ailleurs. Avec des détails très réalistes et des instants lumineux.D'amour ( je rajoute ce mot volontairement car je n'ai pas compris le titre du film de Haneke).
C'est un texte magnifique, dur certainement ,en tout cas d'une lucidité redoutable.
..Tu ne peux t'empêcher de te dire que la vie est aussi simple et aussi fascinante. Nous sommes des elfes sortis du pied d'une colline, en d'autres termes des crétins, nous installons notre campement sur la pente, nous nous agitons avant de disparaître à nouveau au creux de la colline où nous devenons des squelettes. Jamais tu n'auras le fin mot de l'histoire, même si la conclusion crève les yeux.
Sekotyn Envolée postale
Messages : 244 Inscription le : 13/08/2013 Localisation : Entre Rhône et Alpes
Merci de me faire connaitre cet auteur qui était resté sous ma ligne d'horizon. Voilà encore des achats en puissance.
Ce forum va me ruiner. Heureusement que j'aime les pâtes. A ce sujet vous savez bien sûr ce que sont les pâtes aux scouts ? "Les pâtes -trop cuites de préférence- sont aux scouts ce que l'herbe est à la vache".
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Super, Marie! Tu restitues toute la douloureuse et lucide beauté de ce roman. Pour le titre "Amour" chez Haneke il est manifeste qu'il l'associe à ce geste terrible et libératoire qui consiste à étouffer sa femme pour abréger son calvaire. Le geste le plus monstrueux et réprimé par la Loi qui devient la plus belle preuve d'amour. Le regard dérangeant de Haneke ne pouvait qu'associer ce mot si porteur d'espoir et de douceur avec la violence de la maladie et de la mort. Ironie qui serait pur sadisme si le film ne montrait effectivement l'amour à travers tous ces actes quotidiens qui unissent ce couple et les isolent presque égoïstement (mais surtout par nécessité) de tous ceux qui les entourent et tentent de faire intrusion. Il est dur Haneke mais il est juste je trouve. Pas de mièvrerie ou de sentimentalisme, pas de pathos, la dure réalité de ce que c'est qu'une fin de vie. Le roman de GudbergurBergsson va aussi dans ce sens mais il a un humour latent qui adoucit un peu le constat. Ceci dit le final est une sacrée baffe.
Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
Oui..je te lis, Marko, et j'ai lu ce que vous avez écrit sur ce film. Je crois que je l'aurais plutôt intitulé Possession, son film , justement à cause de l'exclusion complète des autres .Isolement nécessaire?Nécessaire à qui? Quant au mode d'euthanasie..je rejoins ce qu'eXPie avait écrit en spoiler. Je comprends parfaitement le geste, pas la façon d'agir. Dans ce livre que j'ai trouvé beaucoup plus dur( dans la description de la vieillesse) que le film d'Haneke , il est question aussi d'euthanasie. Je vais mettre le reste en spoiler.
Spoiler:
Il y a pensé, bien sûr, à tuer sa femme. Qui n'y pense pas dans de tels moments? Et personne n'aurait trouvé à y redire ..Et la description de l'agonie de cette femme( avec là aussi l'isolement qui est ici involontaire, les enfants se retirent, ils n'ont même pas la maladresse du personnage de la fille dans le film d'Haneke, qui est quand même très malheureuse, j'ai trouvé son père très injuste à son égard) est un monument d'écriture! Mais il ne l'a pas fait , il ne s'en explique pas. Par contre, il y a un moment d'amour magnifique, enfin à mon avis, c'est quand, après l'avoir ramenée à domicile puisqu'elle ne voulait pas mourir à l'hôpital, c'est ceci, que je recopie :
Les enfants ne pouvaient se résoudre à contempler ce spectacle dont il affirmait qu'il était partie intégrante de la vie. Pour finir, il décida de ne plus attendre. Et, même si c'était contraire au souhait qu'elle avait formulé, il eut honte de la laisser mourir seule dans le lit qu'avaient occupé les enfants les uns après les autres...il décida de la prendre avec lui une dernière fois. Il la souleva et la traîna jusqu'au lit conjugal , ainsi, il lui serait plus facile de veiller sur elle, même s'il aurait plus de difficultés à trouver le sommeil. Il ne voulait pas la trahir, pas plus qu'il ne voulait se trahir lui-même. Il souhaitait être le témoin de son décès et l'accompagner dans la mort aussi loin que le peut celui qui survit au défunt. Il ne pouvait pas faire plus.
Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
Sujet: Re: Gudbergur Bergsson [Islande] Sam 19 Oct 2013 - 8:49
Deuil
Marko, Marie qui nous lit j'espère, ne m'en veuillez pas; mais il parait que des avis contradictoires relancent la lecture. Quand je vous lis, j'ai l'impression d'être passée à côté de plein de choses, sans être assez motivée pour le relire.
Ou finalement peut-être que le livre est parfaitement réussi, oui, son but était sans doute de faire naître un malaise, et là, c'est gagné. J'ai lu une mort à petit feu qui se nourrit de petitesse, un homme qui se désagrège dans son corps, dans sa vie, dans sa pensée; c'était en soi un sujet palpitant, ce vide qui se nourrit du passé. Cet homme seul pour mourir, mais qui était déjà seul entouré des siens. Je n'ai pas vu d'amour, et le seul personnage sympathique était la théière.
D'accord pour la lucidité, mais j'ai trouvé ça totalement froid.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Gudbergur Bergsson [Islande] Sam 19 Oct 2013 - 14:35
Il y a quand même une forme d'humour désenchanté qui rend le personnage très humain. Mais ça reste d'une tristesse totale. Merci d'avoir tenté la lecture !
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Gudbergur Bergsson [Islande] Sam 19 Oct 2013 - 16:08
Marko a écrit:
Merci d'avoir tenté la lecture !
Ah mais c'était totalement égoïste, ce livre me tentait. et je n'ai aucun regret malgré mes réserves . Comment dire... c'est tellement réaliste cette fin de vie qui s'étiole, ces petits bouts de rien. Et tout en même temps. Ca n'a pas collé pour moi, mais j'y vois bien ce qui a pu vous plaire à tous les deux.