Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Anna Seghers [Allemagne]

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GrandGousierGuerin
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Constance
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Constance
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MessageSujet: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyLun 30 Sep 2013 - 14:15

Anna Seghers [Allemagne] 0anna10 Anna Seghers (Mayence 1900- Berlin 1983)


Pseudonyme de Netty Radvany Reiling (choisi par admiration pour les œuvres du peintre et graveur néerlandais Hercules Seghers).
Née dans une famille de la bourgeoisie juive de Mayence, après des études d’histoire de l’art, elle se tourne vers la littérature, Prix Kleist en 1928 pour "La Révolte des pêcheurs de Sante-Barbara", elle adhère au Parti communiste allemand, puis à la Ligue des écrivains révolutionnaires-prolétariens.
Tout d'abord placée sous surveillance après l’accession de Hitler au pouvoir, elle est ensuite arrêtée par la Gestapo puis relâchée, mais ses livres sont interdits en Allemagne et brûlés.
Elle émigre en France, où pendant six ans elle participe activement au combat des intellectuels contre le fascisme, tout en poursuivant son œuvre de romancière.
En septembre 1940, fuyant Paris occupé, elle part pour les États-Unis puis de là vers le Mexique.  Rentrée à Berlin en 1947, elle devient en présidant l’Union des Écrivains de RDA, l’une des figures dirigeantes, l’une des voix les plus écoutées de la nouvelle culture socialiste.



Bibliographie :


Spoiler:



En 1944, Fred Zinnemann a mis en images "La septième croix" ( Das siebte Kreuz), avec Spencer Tracy dans le rôle Principal, film qui la rendit mondialement célèbre.  


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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyLun 30 Sep 2013 - 14:22

.

Anna Seghers [Allemagne] 0000_910


Quatrième de couverture :

Cette histoire écrite au Mexique en 1943 reprend le thème principal de "La septième croix" : le comportement de l'Allemand moyen sous le nazisme. Mais ce qui en fait l'irremplaçable qualité, c'est sa tonalité dominante, qui est celle de l'élégie. C'est un requiem aux amis écrasés, aux parents, à la propre jeunesse d'Anna Seghers, partie mélancoliquement à la recherche du temps perdu ...
Ces quinze jeunes filles en fleur ont succombé à la tragédie allemande : déportations, suicides, bombardements, tortures. Leni, Marianne, Nora, Gerda, Else, Elli, Sophie, Lotte... toutes disparues sans retour. La méthode narrative donne une force beaucoup plus impressionnante au drame : le récit couvre simultanément deux époques, qui entrent sans cesse en collision. L'idylle du passé, à peine éclose, est impitoyablement piétinée par la brutalité du présent. Davantage encore : l'idylle est obscurcie dès sa naissance, car l'ombre du destin ultérieur s'appesantit sur elle." (Claude Prévost)


Extrait de la postface de Jean Tailleur :

"Tout peuple, tout individu au sein du peuple, réagit de manière impitoyable à toute appréciation erronée du sentiment national.
Que l’on passe au-dessus de ce fait, et l’ennemi, le fascisme, apparaît pour occuper ce vide, exploiter à sa manière ce sentiment.
Qu’il l’escroque, qu’il abuse de ce sentiment, n’empêche pas celui-ci d’être foncièrement authentique. Car tous les hommes de notre temps, qu’ils en soient ou non conscients, participent à la solution de deux questions fondamentales : la question sociale et la question nationale."
(p.69)




Exilée dans un village mexicain aux confins du désert, Anna Seghers se remet lentement d'un accident de circulation qui l'a plongée dans le coma pendant un mois. Intriguée par une étrange bâtisse dont quiconque ne semble appréhender la réalité de son existence, Anna se décide à porter ses pas convalescents en ce lieu mystérieux.
Depuis longtemps, la vie s'est retirée de la maison délabrée "La barrière, depuis longtemps inutile et vermoulue, s'était détachée de l'entrée du portail", mais, ce portail franchi, d'anémique la végétation se fait efflorescente, et au couinement familier d'une escarpolette se mêle un cri "Netty !"
Sous une brume vaporeuse, de légères touches impressionnistes plantent peu à peu le décor "Bientôt quelques boutons-d'or se mirent à briller ... "pissenlits et géraniums cessèrent enfin de se confondre", où apparaissent Marianne et Leni, les meilleures camarades de classe d'Anna Seghers redevenue celle qui fut autrefois "Netty Reilling," qui jouent à la balançoire dans un jardin de Mayence ...

La jeune Netty nous fait alors revivre la pureté idyllique des scènes qui se déroulèrent lors d'une excursion, à la veille de la première guerre mondiale, mais le futur percute le passé, aux scènes de bonheur insouciant se superposent les révélations d'Anna Seghers, l'adulte, qui dévoile le destin tragique de Marianne, Leni, Nora, Lore, Ida, Gerda, Else, Lotte, Katharina, Lise, Sophie, mademoiselle Sichel, malmenées, emportées, broyées par le chaos de l'Histoire : la perte des premiers amours à la guerre 14-18, l'esprit de revanche, le chagrin, puis l'horreur du nazisme et son cortège de trahisons, de compromissions, de renoncements, et de morts violentes.  
Leni, la résistante, torturée par la Gestapo, morte dans un camp de concentration, trahie par son amie Marianne devenue pro-nazie qui elle-même périra sous les bombes alliées; le suicide de Lore pour échapper à la menace du camp de déportation; Ida, la revancharde, responsable de l'Organisation des infirmières nationales-socialistes, également morte en hiver 43 sous les bombes russes; le suicide au gaz de Gerda pour fuir la honte et le désespoir de voir accroché un drapeau à croix gammée à sa fenêtre; Sophie rendant son dernier souffle entre les bras de Mademoiselle Sichel dans un wagon plombé en route pour la Pologne ...
L'excursion s'achève, la traversée du Rhin se fait sur un bateau-vapeur, dès l'accostage, les jeunes filles s'égaillent dans la ville, mais Netty ne peut rentrer chez elle pour y rejoindre sa mère "la cage de l'escalier s'élargissait de tous côtés en une profondeur inaccessible comme un abîme." et "La rampe de l'escalier, en se tordant et en s'arrondissant, se transforma en une énorme clôture de cactus géants ..."
Les cactus mexicains déchirent le rêve éveillé de Netty et ramènent Anna Seghers à la réalité : sa mère est morte dans un concentration.


Anna Seghers rédigea ce récit pour demeurer fidèle à "la tâche dont m'avait chargée mon professeur : décrire avec soin l'excursion de notre classe".
Si la nouvelle est courte (59 pages), pourtant elle pèse par la profondeur du sujet, et les questions qu'il suscite; questions que se posent Anna Seghers - sans jamais porter de jugement moral - dans ce récit halluciné où se superposent subtilement scènes du passé et du futur, portées par une poésie mélancolique empreinte d'une tendre compassion pour ses amies qui auraient pu mener une existence peut-être banale mais heureuse si ..."cet essaim de jeunes filles tendrement appuyées les unes contre les autres, remontant le fleuve dans la lumière oblique du soir, était partie intégrante et essentielle de ce pays"
Mais l'impossible question demeure en suspens "Par quel processus, lâcheté, ambition, indifférence, tout un peuple a-t-il pu soutenir ou même simplement tolérer le crime commis en son nom ?"



Extraits :

"Le nuage de vapeur bleue qui montait du Rhin ou qui sortait toujours de mes yeux accablés de fatigue se changea en brouillard au-dessus des tables où se trouvaient les filles, si bien que je ne pouvais plus distinguer clairement les visages de Leni, de Marianne et des autres dont j'oublie le nom, de même qu'aucune corolle ne se détache plus dans un enchevêtrement de fleurs sauvages.[...] Le nuage vaporeux se dissipa devant mes yeux, et je reconnus netement Mademoiselle Sichel qui s'avançait dans une robe fraîche et claire comme celle de ses élèves. "(p.22)


"A notre table, toutes les autres filles se réjouissaient avec Nora d'être près de la jeune institutrice, sans se douter que plus tard elles cracheraient sur Mademoiselle Sichel et la couvriraient de sarcasmes en la traitant de sale juive." (p.23)



"A l'inverse de ce qui arrive d'habitude, le professeur vit mourir tous ses jeunes élèves les uns après les autres, au cours de la guerre qui suivit et de la guerre actuelle, qu’ils fussent dans les régiments noir-blanc-rouge ou dans les régiments à croix gammée." (p.39)


"Marianne appuyait toujours sa tête contre celle de Leni. Comment devait-il être possible, plus tard, que pénétrât dans ses pensées la folie mensongère qui leur fit croire, à elle et son mari, qu'ils détenaient le monopole de l'amour de ce pays et qu'ils pouvaient à bon droit mépriser et dénoncer la jeune fille contre laquelle en cet instant elle s'appuyait ?"
(p46-47)


Dernière édition par Constance le Mar 1 Oct 2013 - 22:58, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyLun 30 Sep 2013 - 18:11

La septième croix/Das siebte Kreuz
Originale: 1942

CONTENU:
Le roman joue en 1937 dans un camp de concentration allemande (plutôt alors des détenus politiques à l'époque), et la fuite de sept d'enre eux. L'action se déroule sur sept jours, au cours desquels six des fuyards sont repris et mis et exhibés sur des croix dans le camp. Seuement le septième, Georg Heisler, arrive à s'enfuir définitivement à l'étranger, grâce à l'aide d'amis, de membres de famille, de connaissances de hasard. C'est alors à cause de leur courage et leur résistance que la septième croix reste vide, et devient un signe, un symbol de l'espoir pour une paix et la justice.
(je me base sur une description du livre "Das Buch der 1000 Bücher", présentations de 1000 livres essentiels).

C'est sans conteste en Allemagne le livre le plus connu de l'auteur, aussi bien comme livre comme l'adaptation filmique. Si mes souvenirs sont bons, j'ai même vu le film la première fois en RDA quand j'étais petit: cette histoire fut pris comme signe de la resistance et a connu une très grande diffusion. La version allemand du roman a plus que 400 pages...
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyMar 1 Oct 2013 - 11:58

Merci Tom Léo. sourire  De fait, je suis venue à Anna Seghers, après avoir regardé un téléfilm sur Arte retraçant la vie de Marcel Reich-Ranicki (suivi d'un documentaire); téléfilm dans lequel il cite "La septième croix". Je me suis donc mise en quête de cet ouvrage, mais il est actuellement indisponible en langue française, aussi j'ai étendu mon champ de recherches à d'autres oeuvres de Seghers.
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyMar 1 Oct 2013 - 16:18

Constance a écrit:
De fait, je suis venue à Anna Seghers, après avoir regardé un téléfilm sur Arte retraçant la vie de Marcel Reich-Ranicki (suivi d'un documentaire)
en monde germanophone, personnage incontournable quand il s'agit de littérature... depuis... une éternité! Un petit homme combatif qui a toujours aimé prendre parole pour les bons livres... et en effet, cela ne m'étonne pas qu'il a mentionné Anna Seghers
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyMar 1 Oct 2013 - 22:56

kenavo a écrit:
Constance a écrit:
De fait, je suis venue à Anna Seghers, après avoir regardé un téléfilm sur Arte retraçant la vie de Marcel Reich-Ranicki (suivi d'un documentaire)
en monde germanophone, personnage incontournable quand il s'agit de littérature... depuis... une éternité! Un petit homme combatif qui a toujours aimé prendre parole pour les bons livres... et en effet, cela ne m'étonne pas qu'il a mentionné Anna Seghers
Marcel Reich-Ranicki  étant décédé le 18 septembre dernier, Arte avait bousculé ses programmes afin de lui rendre hommage.
Il cite Anna Seghers dans le téléfilm, et non dans le documentaire; documentaire qui m'a permis connaître son émission "Le quartet litteraire" dont plusieurs extraits ont été diffusés.
En France, à la TV, nous manquons de critiques littéraires qui osent réellement dire ce qu'ils pensent d'un ouvrage, comme le fit courageusement Reich-Ranicki quitte à se faire des ennemis dans le landerneau littéraire : chez nous, après avoir servi la soupe, c'est brosse à reluire et cirage de pompes . Very Happy
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyMer 2 Oct 2013 - 9:20

Constance a écrit:
kenavo a écrit:
Constance a écrit:
De fait, je suis venue à Anna Seghers, après avoir regardé un téléfilm sur Arte retraçant la vie de Marcel Reich-Ranicki (suivi d'un documentaire)
en monde germanophone, personnage incontournable quand il s'agit de littérature... depuis... une éternité! Un petit homme combatif qui a toujours aimé prendre parole pour les bons livres... et en effet, cela ne m'étonne pas qu'il a mentionné Anna Seghers
Marcel Reich-Ranicki  étant décédé le 18 septembre dernier, Arte avait bousculé ses programmes afin de lui rendre hommage.
Il cite Anna Seghers dans le téléfilm, et non dans le documentaire; documentaire qui m'a permis connaître son émission "Le quartet litteraire" dont plusieurs extraits ont été diffusés.
En France, à la TV, nous manquons de critiques littéraires qui osent réellement dire ce qu'ils pensent d'un ouvrage, comme le fit courageusement Reich-Ranicki quitte à se faire des ennemis dans le landerneau littéraire : chez nous, après avoir servi la soupe, c'est brosse à reluire et cirage de pompes . Very Happy
Je n’ai connu MRR que sur le tard, c.-à-d. après un grand éclat dans son émission littéraire à la télé à laquelle avait assistée une des participantes de mon club de livres.
Depuis j’ai pu mesurer la place que cet homme prenait pour l’édition allemande (c.-à-d. pour tout ce qui se publiait en allemand, y compris les traductions) ; il fut une institution littéraire à lui tout seul. Donc, sa mort est vue en Allemagne comme la fin d’un chapitre pas seulement de l’histoire de la littérature allemande mais de l’édition allemande.
Son importance se mesure aussi au grand nombre de caricatures qui le représentent, lui qui savait aussi manier l’humour juif et bien rire de lui-même.
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyJeu 3 Oct 2013 - 14:29

@ Maline


D'après ce que j'ai pu en voir, Ranicki pouvait avoir la dent dure, et le public allemand était friand de ses coups d'éclats. Il pouvait encenser l'oeuvre d'un écrivain et, plus tard, démolir une autre oeuvre de cet écrivain. Ce qui lui a valu certaines inimitiés, dont celle de Martin Walser qui s'est vengé de Ranicki dans son roman "Mort d'un critique".  
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyVen 18 Oct 2013 - 9:28

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Anna Seghers [Allemagne] 0_anna10



Quatrième de couverture :


Citation :
" Soudain Jans se mit à pleurer. Sans raison concrète, il sanglota et enfouit sa figure dans la jupe de Marie. Jansen avait ôté les mains de son visage et tambourinait des doigts sur la table. Les sanglots entrecoupés de Jans faisaient tressaillir son propre visage, et les faibles gémissements dont ils étaient suivis se propageaient dans
tout son corps. Marie jeta un coup d'œil méprisant à ce Martin qui tambourinait du bout des doigts sur la table, enveloppa l'enfant dans les plis de sa jupe et le berça de-ci de-là jusqu'à ce que ses pleurs cessent. Jans aurait aimé continuer à pleurer encore, cela faisait tant de bien d'évacuer ainsi tout l'ennui de cette journée morose et gâchée, mais sa tête se mit à lui faire mal, ce que ne compensa pas le bonheur de pleurer. "
Découvert en 1999, Jans va mourir est l'un des premiers écrits d'Anna Seghers. En véritable peintre, elle décrit le clair-obscur d'une vie qui s'éteint et nous fait entrer, grâce à la poésie de sa prose, dans l'intimité indicible de la souffrance.
De condition très modeste, Marie et Martin Jansen vivent chichement dans une unique "pièce nue, exigüe, à l'odeur de soupe et de linge lavé" sur le maigre salaire d'ouvrier de l'époux. Très vite désenchantée par leur morne quotidien, Marie - qui rêvait d'une romanesque passion amoureuse abritée en un coquet nid douillet - rumine sa rancoeur contre cet homme qui n'a pas su répondre à ses attentes; Martin, placide et taciturne, s'accommode avec philosophie de son caractère irritable. Pour le couple précocement désuni, la naissance de Jans éclaire leur avenir voué à la grisaille "Elle avait quelque chose à aimer, tous ses voeux s'étaient accomplis !" et "Pour lui ... l'espoir faisait son entrée dans son habit scintillant".
Aimé, choyé jusqu'à la sacralisation, Jans devient alors leur seul objet d'attention, mais aussi l'enjeu d'une lutte silencieuse, chacun projetant jalousement ses rêves les plus secrets sur l'enfant, afin de combler la vacuité intérieure d'une existence dépourvue d'espérance.        


Sept ans plus tard, sur un pont de la petite ville (très certainement Mayence) qui enjambe le fleuve (le Rhin) , des garçonnets se jouent de la mort : ils se laissent glisser le long du parapet, puis ils se faufilent sous le pont entre les poutrelles métalliques pour réapparaître de l'autre côté de la rive. Qui réussit cette épreuve initiatique, preuve de bravoure et de virilité, jouit du respect de la petite bande, conquiert un nouvel espace de liberté, et aborde un nouveau cycle de vie prometteur d'inconnu à explorer.
Mais "Nul ne sait si ce jour-là Jans Jansen fit une chute parce qu'il avait le vertige ou s'il fut pris de vertige parce qu'il avait fait une chute" alors qu'il se dirigeait vers le pont sur lequel, plus tard, assis sur la balustrade, il sera envahi par un indicible mal-être "Mais le pont, l'eau et les berges, tout était recouvert d'une fine poussière d'ennui", et envahi par l'impérieux, l'irraisonné désir de rentrer dans "son chez-lui".

Le soir, devant le refus de Jans de manger sa soupe - alors que Marie ne décèle pas de signes de changement chez l'enfant - d'instinct, Martin comprend avec certitude que "Jans va mourir". Sous la violence du choc, il intériorise aussitôt sa souffrance en cadenassant ses émotions.  

Dès lors, malgré les soins prodigués sur les conseils du médecin incapable de poser un diagnostic sur cette maladie inconnue, Jans s'affaiblit de jour en jour, il "s'étiole", il "se rabougrit" "ce petit visage vieux et ratatiné, à la bouche ouverte et aux yeux grands ouverts, qui pendant sept ans avait vibré sous l'effet des larmes et du rire, mais toujours de la vie et toujours ce que le vivant renferme de possibles; ce n'était maintenant qu'un objet de mépris et de dérision, un tout petit visage de vieillard d'où la vie s'était enfuie".
Pour faire face à cette maladie, les parents hier ennemis se rapprochent, et Marie met au monde une fille nommée Anna "couchée dans le berceau que Jans, huit ans auparavant avait occupé", et qui supplante Jans dans leur coeur. Jans devient alors encombrant " Un jour, le fauteuil de Jans fut transporté dans l'appartement d'à côté, chez des voisins, avec lui dedans, comme s'il n'était plus qu'un simple bouton de siège". Puis lassés de cette fin qui tarde à venir - et surtout dans la hâte de débuter une nouvelle vie - il faut la précipiter " Mais qu'arrivait-il à Jansen ? ... Hélas, ce petit Jans pour qui il avait tremblé, dont il avait désespéré, une nuit enfin il l'avait considéré comme perdu, et l'avait laissé partir depuis longtemps pour le cimetière du faubourg oh, la terrible pierre, définitive, sur sa tombe "

Dans le titre allemand "Jans MUß sterben", l'enfant DOIT mourir : Jans est donc condamné une seconde fois par la résignation de son père,  pourtant " parfois, ... dans le regard éteint de Jans une intention, une expression d'affliction, avec le pressentiment qu'il pourrait bien souffrir d'une tout autre maladie, bien plus mystérieuse que celle dont sa mère se cassait la tête à chercher le nom. "
Alors, Jans serait-il réellement condamné ou aurait-il des chances de survivre si son père croyait en lui ? Sa déchéance physique serait-elle simplement telle que la perçoivent ses parents ?


Durant les mois de son étrange maladie, malgré l'omniprésence de la souffrance physique vécue dans les affres de la solitude, jamais Jans ne se vit pas en victime résignée, il en profite pour développer une insoupçonnable vie intérieure dominée par ses propres perceptions des autres, et la conjugaison de l'imaginaire et de la réalité, clef d'accès à la poésie du monde. "Au creux de son lit, il n'avait qu'à fermer les yeux pour voir le pont et le fleuve, bleu et vert, les nuages et le soleil, et d'autres choses encore, bien différentes", " ... poussés par le vent, descendirent dans l'air trouble et lourd quelques flocons, légers et soyeux [...] Jans colla son visage à la vitre, et dorénavant il eut chaque jour dix mille compagnons, ces petits danseurs de n'importe où, et voilà qu'ils dansaient dans les cours et sur les rebords des fenêtres sur une musique que nul n'entendait."  
Puis, pour les parents, se produit l'impensable : peu à peu Jans recouvre un semblant de santé, mais il n'a plus sa place en son foyer, alors, en un ultime effort, il affrontera et réussira l'épreuve du pont jusqu'à en laisser ses dernières forces et en mourir.
Condamné à une existence déchue, stigmatisée par la désespérance, handicapé par sa santé devenue très fragile, Jans a déjoué le destin en choisissant de s'accomplir en une ultime affirmation de soi, et par la reconquête du respect de son ami "rouquin". Par cet acte de liberté, il a échappé à la fatalité en paix avec lui-même.  




Dans ce récit poignant d'une infinie tristesse, écrit d'une plume pudique et tout en finesse, d'où tout pathos est délibérément exclu, Anna Seghers sonde les douleurs intimes d'une famille face à la maladie. Mais elle suggère surtout que la maladie de l'enfant ne pourrait être qu'une crise existentielle, conséquence d'un lent travail de l'inconscient, métaphore du conflit destructeur qui mine ses parents. Dans la narration, tout fait sens, la disparition du langage qui laisse place aux silences, les regards qui se cherchent, s'accrochent, s'évitent, les gestes à peine esquissés pour masquer la violence du désespoir, du désarroi ... pourtant, par son courage face à la souffrance, et son choix final décidé en toute lucidité, l'enfant donne une magnifique leçon de vie en laissant une puissante trace de son bref passage sur terre, surtout dans la mémoire de son père pour qui son décès aura appris à libérer ses émotions, et, plus tard, par l'évocation de sa soeur d'un frère aîné portant un short "rouge" qu'elle n'aura pas connu mais dont on lui aura souvent parlé.




Extraits :



Citation :
"Il avait sept ans, portait une culotte rouge ..." (p.11)
Citation :
" Comment aurait-elle donc pu manifester autrement son amour que par un cartable en cuir de veau acheté à force d'épargne ... ou bien en choisissant ce rouge étonnant, qui attirait le regard, pour les culottes neuves de jans ? " (p.15)
Citation :
"Marie voulait se mettre à la fenêtre, clamer à la ronde son infortune. Mais elle secoua la tête. C'était une honte que Jans, son bel enfant resplendissant, soit malade, c'était une honte de montrer à des étrangers que son bonheur s'était altéré, dégradé. Mieux valait encore supporter cette honte toute seule, et elle prit dans sa main la menotte toute maigrichonne de Jans" (p.24)
Citation :

"Lorsque le soir Jansen rentrait à la maison, il montait en lui après le vide de la journée une inquiétude, une vague attente, celle de rencontrer derrière la porte quelque chose qui soit la fin, et qu'il leur soit enfin accordé de s'abandonner à la plus terrible et irrévocable douleur" (p.31)
Citation :
"D'une maison sortit un petit rouquin aux pieds nus ... L'année précédente, il avait été l'ami de Jans. il l'aperçut, l'examina de la tête aux pieds tandis que jusque sur son visage pointu et rieur passait une nuance d'embarras, fit rapidement volte-face et s'écria : "Jans aux culottes rouges, aux culottes rouges !" (p.44)
Citation :

"Jans continuait à ramper. L'eau clapotait, il s'arrêta un instant, surpris; aussitôt son corps devint si lourd que ses petits bras, tels des fils, ne pouvaient que se rompre. Mais les gamins au-dessus de sa tête grattaient et trépignaient, et à ce bruit Jans fut pris de folie. Il s'accrocha des dents aux barreaux, continua à progresser, il lui fallait absolument remonter de l'autre côté. Il ne pensait à rien d'autre, il avait oublié tout le reste. Il avait oublié ce qui appartenait au passé, il avait oublié l'hiver, et la chambre, et la fenêtre donnant sur la cour. Il avait oublié sa soeur dans son berceau, il avait oublié sa mère et sa poitrine, il l'avait oublié, lui, son père et tout le chagrin qu'il avait jamais éprouvé. Il n'avait qu'une seule idée en tête : traverser le pont en rampant par-dessous.[...] "Pas de doute, le voilà !" s'écria le rouquin en sautant d'un pied sur l'autre et en tapant dans ses mains" (p.52)


Dernière édition par Constance le Ven 18 Oct 2013 - 16:26, édité 1 fois
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GrandGousierGuerin
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyVen 18 Oct 2013 - 10:05

@Constance : Quel terrible commentaire ! Je ne sais si je pourrai le lire ... mais je le note en tout cas.
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyVen 18 Oct 2013 - 16:40

GrandGousierGuerin a écrit:
@Constance : Quel terrible commentaire ! Je ne sais si je pourrai le lire ... mais je le note en tout cas.


Je comprends que tu puisses être effrayé par ce sujet dramatique, dont le traitement exigeait d'authentiques qualités humaines mais, par la sobriété de son style, Anna Seghers a su éviter les écueils afférents à un tel récit. Enfin ... il est vrai que j'ai moi-même été ébranlée par la narration du destin de cet enfant attachant. Néanmoins, il est un sujet de réflexion sur notre attitude face à la maladie et la mort.
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyDim 12 Jan 2014 - 21:45

Quelqu'un sait où trouver La 7e croix? Il semble épuisé. Je vois que Tom Léo l'a lu mais je suppose en allemand...
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyDim 12 Jan 2014 - 22:10

Marko a écrit:
Quelqu'un sait où trouver La 7e croix? Il semble épuisé. Je vois que Tom Léo l'a lu mais je suppose en allemand...
Effectivement, il est marqué comme épuisé.
Mais il doit être disponible dans certaines bibliothèques, je suppose...
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyDim 12 Jan 2014 - 22:45

eXPie a écrit:
Marko a écrit:
Quelqu'un sait où trouver La 7e croix? Il semble épuisé. Je vois que Tom Léo l'a lu mais je suppose en allemand...
Effectivement, il est marqué comme épuisé.
Mais il doit être disponible dans certaines bibliothèques, je suppose...
En effet il est disponible à la médiathèque du côté de chez ma mère. Je le lirai aux prochaines vacances là-bas  Very Happy 
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titete
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] EmptyLun 13 Jan 2014 - 9:39

Le commentaire me donne très envie de lire Jans doit mourrir. Je le note.
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MessageSujet: Re: Anna Seghers [Allemagne]   Anna Seghers [Allemagne] Empty

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