Laszlo Nemes

Laszlo Nemes

Citation :

Fils du réalisateur András Jeles titulaire du prix Kossuth, il vit à Budapest, puis entre 1989 et 2003 à Paris, et au cours de ses études universitaires il étudie l'histoire, la littérature, les relations internationales et l'écriture de scénarios.

Il s'intéresse tôt à la réalisation de films, tournant dès l'âge de 13 ans des films d'horreur dans sa cave à Paris. Ses réalisateurs préférés sont Antonioni, Tarkovski, Kubrick, Ingmar Bergman et Terrence Malick.

Depuis 2001, il est réalisateur et producteur assistant de plusieurs courts et longs métrages en Hongrie et en France. En 2005, il est premier assistant pour le court métrage Before Dawn de Bálint Kenyeres, puis travaille deux ans comme second assistant de Béla Tarr dans son film L'Homme de Londres.

En 2006, il réalise en format 35 mm le court métrage Türelem (With a Little Patience), pour lequel il remporte en février 2007 « pour le traitement inhabituel de ce sujet délicat » le prix du meilleur court métrage au 38e Magyar Filmszemle (de), est invité au programme de la Mostra de Venise, puis nominé au prix du meilleur court métrage de l'Académie européenne du cinéma. Son deuxième court métrage, The Counterpart de 2008 est également présenté à de nombreux festivals, et obtient entre autres un prix à Bucarest, Bergame et Valence. Ces deux courts métrages ainsi que Az úr elköszön (The Gentleman Takes His Leave) participent en tout à plus d'une centaine de festivals internationaux et remportent plus de trente prix.

À partir de septembre 2006, il étudie la réalisation à la Tisch School of the Arts de l'université de New York.

À partir de mars 2011, il passe cinq mois à Paris avec une bourse de la « Résidence » de la Cinéfondation (sous l'égide du Festival de Cannes), dans le cadre de laquelle il peut développer avec la scénariste française Clara Royer le scénario de son film Le Fils de Saul (Saul fia).

Il est membre depuis septembre 2008 de l'Académie européenne du cinéma (Prix UIP).

Grand Prix, Cannes 2015

Laszlo Nemes a choisi pour son premier long métrage de s'inspirer des écrits des Sonderkommandos retrouvés sur le site d'Auschwitz-Birkenau. Témoignages de ces prisonniers obligés de participer aux différentes étapes de la solution finale et condamnés eux-mêmes à plus ou moins brève échéance tout en le sachant. Donc des individus déjà morts, comme le dit Saul dans le film, aussi bien de par leur destinée fatale annoncée que par le fait d'être les témoins et acteurs involontaires de la déshumanisation et de l'extermination des leurs. Des hommes soumis à des violences inouïes et des traumatismes constants dans cette usine de la mort dont ils ont pu témoigner du vacarme incessant et de la barbarie.



Laszlo Nemes a donc choisi de nous immerger de façon quasi organique et sensorielle dans cet enfer en adoptant le point de vue de Saul. J'ai parfois pensé au dispositif du film d'Alexeï Guerman, "Il est difficile d'être un dieu", qui utilisait le même procédé pour faire de nous,  plus que des observateurs, des acteurs, corps et âme, de l'expérience d'un monde à la fois connu d'un point de vue livresque mais finalement complètement étranger du point de vue de l'expérience (le moyen-âge futuriste chez Guerman, les camps d'extermination nazis chez Nemes). Rejet de la représentation traditionnelle illustrative et décorative, du sensationnalisme et de tout ce qui serait de nature à rassurer le spectateur par une narration traditionnelle faite de rédemption, d'évasion ou d'héroïsme. Dans ces camps de concentration on souffre, on meurt et on abandonne tout espoir.

La beauté et la force incroyable de ce film, outre des choix de représentation quasi irréprochables (un travail visuel et sonore sidérant), est d'avoir dépassé le réalisme documentaire en hissant cette histoire vers la parabole et l'universalité. Car cet homme (Saül comme le premier roi d'Israël et Ausländer comme l'étranger) qui est en train de perdre son humanité dans un monde dément et absurde, n'a de cesse que de sortir de l'anonymat (de la négation) et d'offrir une sépulture (donc un nom, une filiation même virtuelle, une histoire) à un enfant retrouvé agonisant après avoir pénétré la chambre à gaz (et achevé par un médecin nazi). La sépulture étant probablement le fondement même de la civilisation, de l'humanité, de l'art, de la spiritualité… Sa quête folle devient un acte d'une humanité sublime qui culmine dans une dernière séquence à la fois déchirante et ouverte.

Je suis sorti de cette expérience assez traumatisante avec le sentiment d'avoir vu quelque chose d'essentiel et d'unique. Comment ont-ils fait pour donner la palme d'or à Deephan et pas à ce Fils de Saul qui marquera l'histoire du cinéma pour longtemps?

Tu fais bien d'en parler, je vais tâcher de le voir ce weekend plutôt que de laisser passer l'occasion.

Marko a écrit:

Comment ont-ils fait pour donner la palme d'or à Deephan et pas à ce Fils de Saul qui marquera l'histoire du cinéma pour longtemps?

Certains disaient que comme ça, à son âge (38 ans) il a encore un objectif : l'obtenir, cette palme.

Il travaille à son prochain film, je crois qu'il se déroulera juste avant la première guerre mondiale (du genre : polar dans un monde finissant... il a dit qu'il s'intéressait aux mondes finissant).

eXPie a écrit:

Il travaille à son prochain film, je crois qu'il se déroulera juste avant la première guerre mondiale (du genre : polar dans un monde finissant... il a dit qu'il s'intéressait aux mondes finissant).

A suivre donc! Je l'ai entendu en interview. Il parle un français parfait. Et ce qu'il dit est d'une rare intelligence.

animal a écrit:

Tu fais bien d'en parler, je vais tâcher de le voir ce weekend plutôt que de laisser passer l'occasion.

Je pense que tu devrais y trouver ton compte

Je suis bien partagée avec ce film. Car en fait j'en ai vu deux, de films, dans un même temps...

L'un pour lequel je partage tout à fait l'avis de Marko. Un travail formel sublime, avec des partis pris incroyablement audacieux et qui fonctionnent terriblement : le format (très étonnant), le cadrage resserré sur Saul (notamment lorsqu'il est comme accroché à son dos... et cette croix rouge...), les arrière-plans (quasiment toujours flous et pourtant rigoureusement travaillés), le travail sonore, le rythme... La plongée dans cette univers industriel est terrifiante de froide barbarie.

Un bémol cependant... Avec le travail sur les champs/contre-champs, les clairs obscurs et les couleurs, un mot m'est venu à l'esprit : beauté. Car formellement, ce film est bel et bien "beau". Et j'avoue que ce mot, survenant dans cet enfer, me pose question. Peut-on réaliser du "beau" avec ce genre de tragédie ? Vaste question. Maintenant, que ce "beau" soit finalement consubstantiel au sentiment d'étouffement et d'horreur qui m'envahissait peu à peu, je trouve ça intéressant : la banalité du mal, Homo demens, les élans esthétisants du système nazi (et de quelques autres), tout ça tout ça... mais ça demande quand même une sacrée prise de distance.

Mais le "second" film, je n'ai pas réussi à y entrer et il m'a même gâché le "premier". Histoire à laquelle je n'ai pas cru, je n'ai pas accroché, qui m'a fait l'effet d'un roman de gare, avec son suspens, ses rebondissements, ses "running gags". C'est vraiment ce que j'ai ressenti et ça a fini par me mettre très mal à l'aise par rapport au propos du film : pas un malaise qui a du sens, qui perturbe, mais bel et bien de l'ennui. De ce point de vue, j'ai trouvé la deuxième partie ratée.

Je reste convaincue que ce film est vraiment à voir. Mais je pense aussi que László Nemes est passé à côté d'un film exceptionnel alors qu'il en prenait bien le chemin. Trop ambitieux pour un premier long métrage ?

Le film ne me semble pas "beau". Il est cauchemardesque et son esthétique évoque les 4 photos d'Alex retrouvées sur place (l'anecdote est évoquée dans le film) qui sont elles-mêmes entre lumière et obscurité, flou et netteté, folie et réalité. Le parti pris plastique  est plus organique qu'esthétique. Mais je comprends ton point de vue. L'image est travaillée et la bande son encore plus. Ceci dit on est loin de l'image propre et lisse du Spielberg par exemple. Ou de n'importe quel film classique. C'est en tout cas un objet d'art c'est certain.

Pour la 2ème partie ce n'est pas une histoire d'évasion classique. C'est une parabole quasi biblique qui tire le film vers le conte moral et métaphysique. L'enjeu n'est pas de savoir s'ils vont "s'en sortir" (Saul nous a déjà fait comprendre qu'ils sont de toute façon déjà morts). Mais il s'agit bien de vouloir s'inventer une continuité, une filiation symbolique et un ailleurs au moins mental ou spirituel à travers cette quête de sépulture pour cet enfant. Un geste sacré qui n'a rien de réaliste. Un geste artistique en même temps qui a une vraie nécessité en même temps qu'une fabuleuse inspiration.

Je te conseille de lire le petit ouvrage (40 pages) de Didi-Uberman qui montre à quel point ce film est important et réussi.



"Roman de gare" ça me semble super injuste.

J'espère qu'il va passer chez moi .......
Je veux le voir .

Marko a écrit:

"Roman de gare" ça me semble super injuste.

Oui, j'en conviens. C'est que ça m'a vraiment agacée de décrocher à ce point après un début aussi enlevé. En fait, ce n'est pas le contenu de l'histoire qui m'a posé problème, au contraire, mais les procédés narratifs : un aspect trop répétitif de certaines actions/propos, quelques passages que j'ai trouvés peu crédibles aussi... Difficile de donner plus de détails sans trop déflorer le film. Car je suis d'accord avec toi sur le fait que c'est réellement une œuvre d'art qui ouvre vers de nouvelles formes de représentation de ce moment crucial de notre histoire.

Marko a écrit:

Je te conseille de lire le petit ouvrage (40 pages) de Didi-Uberman qui montre à quel point ce film est important et réussi.

Oh, un grand merci ! Ce livre a l'air d'être un petit trésor. Et puis j'aime bien les dialogues vivants entre différentes disciplines.

je vais voir s'il passe dans ma ville, Merci...

Mouaip. Ben ça m'est passé complètement à côté. le flou en arrière plan et le brouhaha derrière les oreilles c'est très répétitif et fatigue ou pas (j'ai piqué du nez dans la première demi-heure) j'ai bien l'impression que je n'aurais jamais accroché. Le plus intéressant restant de savoir comment on peut sincèrement passé si près du complet désintérêt avec un sujet pareil ? La désincarnation radicale pourrait être un point d'intérêt, le comment on peut rester hermétique à tous ces corps en arrière plan, mais le film esquive à mon avis un peu trop cette confrontation (pour rester visible probablement mais ?).

Franchement je suis très déçu et pas loin de m'être fait ch... à cent sous de l'heure.


(Et esthétiquement vraiment pas subjugué).

Chez moi, ce sera uniquement à partir du 25. Faudra patienter.

Animal : tu t'es trompé de salle

si seulement !

Moi aussi j'ai trouvé le film réussi, dans le sens où les choix esthétiques et de cadrages rendaient bien la sensation d'étouffement, de désespoir et d'horreur absurde...
D'ailleurs, au fond, l'histoire elle-même contient une part d'absurdité dans le sens où Saul s'accroche à quelque chose qui n'a pas forcément de sens en terme de "survie" (je veux dire, vouloir enterrer le cadavre de son fils qui n'est pas son fils plutôt que penser sa situation plus que désespérée) pour ne pas devenir complètement fou et garder sa part d'humanité.