Au fil de nos lectures

Au détour d'une conversation dans Rabbit en paix, ce cher John Updike vient nous égratigner:

Citation :

Laissez- moi présenter la chose ainsi. Un ordinateur c'est comme un Français. Tant qu'on ignore la langue, il vous paraît intelligent. Une fois qu'on connaît la langue, on se rend compte qu'il est foutrement stupide. Rapide, ça oui. Mais rapide et intelligent, ça fait deux.

Pas mal !

Mais il restera toujours trop d’Alberts en ce monde. Quel est l’homme sensible qui n’a pas le sien, avec lequel il est obligé de vivre, et contre lequel les épanchements de l’âme, les douces émotions du cœur et les élans de l’imagination vont se briser comme les flots sur les rochers ? Heureux celui qui trouve un ami dont le cœur et l’esprit lui conviennent ; un ami qui s’unisse à lui par une conformité de goûts, de sentiments et de connaissances ; un ami qui ne soit pas tourmenté par l’ambition ou l’intérêt ; – qui préfère l’ombre d’un arbre à la pompe d’une cour ! Heureux celui qui possède un ami!

Et celle-là pour mon propre plaisir. Il parle de son chien.

Et pourquoi refuserais-je mon affection à cet être caressant qui n’a jamais cessé de m’aimer depuis l’époque où nous avons commencé de vivre ensemble ? Ma mémoire ne suffirait pas à faire l’énumération des personnes qui se sont intéressées à moi et qui m’ont oublié. J’ai eu quelques amis, plusieurs maîtresses, une foule de liaisons, encore plus de connaissances ; – et maintenant je ne suis plus rien pour tout ce monde, qui a oublié jusqu’à mon nom. Que de protestations, que d’offres de services ! Je pouvais compter sur leur fortune, sur une amitié éternelle et sans réserve ! Ma chère Rosine, qui ne m’a point offert de service, me rend le plus grand service qu’on puisse rendre à l’humanité : elle m’aimait jadis, et m’aime encore aujourd’hui. Aussi, je ne crains point de le dire, je l’aime avec une portion du même sentiment que j’accorde à mes amis. Qu’on en dise ce qu’on voudra!

Voyage autour de ma chambre de Xaivier de Maistre.

Belle définition de l'amitié

Amitié rêvée !

Joseph Conrad, Le miroir de la mer:

Joseph Conrad a écrit:

En fait, l'amour est rare, - l'amour des hommes, des choses, des idées, l'amour d'une habileté accomplie. Car l'amour est l'ennemi de la hâte : il tient compte des jours qui passent, des hommes qui disparaissent, d'un bel art lentement mûri dans le cours des années et condamné lui aussi en peu de temps à disparaître, à n'être plus. L'amour et le regret vont la main dans la main en ce monde de changements plus brusques que le passage des nuages qui se reflètent dans le miroir de la mer.

ArturoBandini a écrit:

Joseph Conrad, Le miroir de la mer:

Joseph Conrad a écrit:

En fait, l'amour est rare, - l'amour des hommes, des choses, des idées, l'amour d'une habileté accomplie. Car l'amour est l'ennemi de la hâte : il tient compte des jours qui passent, des hommes qui disparaissent, d'un bel art lentement mûri dans le cours des années et condamné lui aussi en peu de temps à disparaître, à n'être plus. L'amour et le regret vont la main dans la main en ce monde de changements plus brusques que le passage des nuages qui se reflètent dans le miroir de la mer.

Ah oui!

Oui, laissons le loup en dehors, qui lui est un agneau en comparaison de l'homme.

Une sortie d'entretien d'embauche façon William Gibson au sortir d'une boite/bar à l'inspiration kafkaïenne ?

Citation :

Laney et Yamazaki se levèrent à leur tour et suivirent Blackwell, sortirent du Cube Mortel K et quittèrent le Ça alors. Débouchant d'une lumière cafardeuse dans le ravin à chromes et néons de Roppongi Dori. Un relent de poisson de fruits pourris même dans la nuit fraîche et humide, quelque peu tempéré par la douceur sucrée de l'essence chinoise des voitures vrombissant sur la voie express. Mais il y avait quelque chose de réconfortant dans la voix monotone de la circulation, et Laney se sentit mieux du simple fait d'être debout et en mouvement.

(extrait de Idoru).

A propos du Journal de Nijinski


"Rien de plus émouvant dans le journal de Nijinski que les comptes rendus de ses promenades. Elles rappellent l' exaltation solitaire
qui s' empare de Robert Walser dans la neige... La race des promeneurs extatiques -esprits mélancoliques.
Nietzsche à Sils-Maria, Hölderlin à Tübingen. Lenz dans la montagne. Georg  Trakl dans les villages noirs.
Kaspar Hauser en route vers Nuremberg...
La culbute dans l' instabilité visionaire, dans l' abime de l' ainsaisissabiité visible offerte à l' esprit humain par un monde privé de
signification...
Une multitude de métaphores philosophiques -c' est frappant chez Nietzsche- proviennent de choses vues au cours d' une promenade.
Chez Nijinski, la nature devient le miroir de ses aberrations, mais comme elles sont rafraichissantes, incroyablement proches des
choses...

"Ma petite fille chante maintenant : Ah, ah, ah !"  Je ne sais pas ce que cela signifie,  mais je sens qu' elle veut dire.
Elle veut dire que tout - Ah, ah - n' est affreux, mais plein de joie."
 Ce sont les derniers mots de Nijinski, le 4 mars 1919.
Quelques jours plus tard il part pour Zurich, convaincu qu' il y trouvera un éditeur pour son journal.
En réalité sa femme le conduit chez le psychiatre Eugen Bleuler, qui l' enverra à son tour dans la clinique psychiatrique où ses halluciantions ne feront que commencer pour de bon. Il vivra encore jusqu' en 1950 dans la folie, presu' aussi longtemps que Hölderlin." 

Stefan Hertman : Le Paradoxe de Francesco. - Le Castor astral, 2 004

A propos de la guerre américaine contre les Talibans :

"Il existait une distance toute moderne vis à vis des choses, une distance toute contemporaine terrifiante, en vertu de laquelle les
combattants et ceux qui les suivaient sur le terrain n' étaient ni assez proches pour se livrer à une tuerie intime à coups de sabres
et de dents, où ils auraient distingué les traits de l' ennemi, senti sa sueur et entendu  ses halètements, ni aussi éloignés du front
que ne l' était  leur foyer, au pays.
Suffisamment près pour voir, pas assez pour savoir. Plus les guerres et le monde devenaient "intelligents", plus le combat visant à
entretenir l' ignorance se faisait acharné. Plus le monde était plein et proche, plus la lutte pour préserver une distance se faisait
rude."

James Meek : Nous commençons notre descente, p. 209

Cette notion de distance est une donnée de la guerre moderne, dès lors que la guerre peut se dérouler loin des combattants, hors de
vue et de portée de l' ennemi.
Et dont l' aboutissement logique réside notamment dans  les missiles et les drones et le téléguidage par informatique. Tel fut le
déroulement de la Première guerre du Golfe qui fut gagnée sans véritables combats au sol.
En décapitant des otages devant des caméras et en diffusant les images sur Internet, Daech a aboli -semble avoir aboli- cette distance.
Et le résultat est  terrifiant pour ceux qui les voient.
Mais à terme, cette stratégie risque de se retourner contre eux. Parce que ces images terribles démentent la propagande qu' ils diffusent
par ailleurs à l' intention de ceux qu' ils veulent convaincre et convertir à leur cause.

Utopie d'un homme qui est fatigué a écrit:

- Personne ne peut lire deux mille livres. Depuis quatre siècles que je vis je n'ai pas dû en lire plus d'une demi-douzaine. D'ailleurs ce qui importe ce n'est pas de lire mais de relire. L'imprimerie, maintenant abolie, a été l'un des pires fléaux de l'humanité, car elle a tendu à multiplier jusqu'au vertige des textes inutiles.
- De mon temps à moi, hier encore, répondis-je, triomphait la superstition que du jour au lendemain il se passait des événements qu'on aurait eu honte d'ignorer. La planète était peuplée de spectres collectifs : le Canada, le Brésil, le Congo suisse et le Marché commun. Personne ou presque ne connaissait l'histoire préalable de ces entités platoniques, mais on n'ignorait rien par contre du dernier congrès de pédagogues, de l'imminente rupture des relations entre présidents et des messages qu'ils s'adressaient, rédigés par le secrétaire du secrétaire avec cette prudente imprécision qui caractérisait les documents de ce genre.

Jorge Luis Borges, Le livre de sable

Tout ça pour nous remonter le moral, animal?

oui, parce que sorti de son contexte ça n'a l'air que de pas grand chose mais au milieu de quelques pages bien arrangées ça ne fait pas de mal non plus !