William Marx : Vie du lettré

Vie du lettré de William Marx.



L’auteur :
Normalien, professeur de littérature française et comparée à l'université d'Orléans, après avoir enseigné notamment aux Etats-Unis et au Japon, William Marx s'était déjà distingué en dissertant sur Les Arrière-gardes au XXe siècle (PUF, 2004) ou en déclarant L'Adieu à la littérature (Minuit, 2005), qui se serait autodétruite au XIXe siècle en s'autonomisant et se repliant sur elle-même.
Son dernier essai : Vie du lettré (Editions de Minuit)

Vie du lettré

Je commence par ce passage qui parlera sans doute à chaque Parfumé. Sans la prétention bien sûr d’appartenir au monde des lettrés tels que les définit William Marx, ils pourront se trouver en terrain connu de par la fréquentation qu’ils ont des livres, et forcément, par eux, des lettrés qui les ont écrits :

"La vie du lettré est nécessairement une vie lettrée, différente de la vie ordinaire : il y a tant de livres à lire et à commenter, tant de livres à écrire aussi, qu'une existence peut en être facilement occupée - et débordée. A elle seule, une bibliothèque vaut bien une famille, tracas compris. Bon an, mal an, l'enfant grandit tout seul; il ne sait que croître: c'est sa nature. Mais la nature du livre est de mourir à chaque page pour renaître, si le veut le lecteur ou l'auteur, à la page ou la phrase suivante. Lire exige temps, effort, application : c'est transcrire en son esprit ce qu'un autre a écrit sur du papier, fournir sa propre vie à la parole d'autrui, regonfler de son propre souffle des mots expirés. Contrairement à un lieu trop commun, on ne dévore pas les livres : ils vous dévorent, vous vampirisent, se nourrissent de votre être et de votre énergie, vous coupent du monde, vous transportent dans le leur, mangent votre espace et votre temps, débordent de vos étagères, raccourcissent vos nuits et vos journées, rétrécissent votre maison et votre appartement, vous ruinent tout en vous enrichissant, vous font leurs quand vous croyez les faire vôtres."

Le sujet peut paraître austère mais cet essai se dévore…Ah zut ! Je ne dois pas dire cela puisque « Contrairement à un lieu trop commun, on ne dévore pas les livres. »

Truffé de références érudites aux lettrés de toutes les époques, en Orient et en Occident, mais aussi d'anecdotes, cet essai est très agréable à lire. On y croise Confucius, Barthes, Cicéron, Pétrarque, Freud, Émilie du Châtelet, Sei Shônagon, Montaigne, Hegel, Kant pour n’en citer que quelques uns…Ils sont à table ou dans leur jardin, à leur bureau ou avec leurs animaux, face à la religion ou à la mort, face à l’amour ou à la mélancolie…
William Marx nous dit à quoi ressemble une vie et même un quotidien aussi, de lettré.

Mais qu’est-ce qu’un lettré ?

« Quelqu’un dont l’existence physique et intellectuelle s’ordonne autour des textes et des livres : vivant parmi eux, vivant d’eux, employant sa propre vie à les faire vivre et en particulier à les lire ».

« Ils lisent des textes, les rassemblent, les éditent, les commentent, les transmettent aux générations futures, produisent à leur tour d'autres textes : ce sont les lettrés, apparus parmi nous voici déjà quelques millénaires. Voués à l"écrit, ils forment le socle d’une civilisation, en garantissent la continuité, mais participent aussi à sa contestation. Le plus souvent invisibles ou méconnus, ils composent une communauté secrète, reliée à travers les temps et les lieux par des rites partagés, des habitudes analogues, des affinités mystérieuses. »

Tous les lettrés ne sont pas écrivains. William Marx voit en eux d’abord des lecteurs tournés vers les textes du passé.
« Le passé ne se transmet pas de lui-même, il faut l'y aider ».
Alors le lettré écrit sur ces textes pour les transmettre, les expliquer, les commenter...
« Le lettré jette des ponts par-dessus les époques ; il rend accessible le passé ; il le reconfigure à la lumière des exigences du présent. »
« Il est celui qui veut savoir et sacrifiera pour cela, s'il le faut, le temps de son sommeil. »

Le lettré a aussi des défauts, n’en faisons pas un saint…Il en est même qui sont carrément fous…

Ne prenons pas ce livre pour un essai scientifiquement rigoureux...mais rendons hommage au lettré William Marx !

Coline je viens de lire cet article et je crois comprendre ton grand intérêt pour lui.

C'est très intéressant, en effet. Ça donne envie de le lire, cet essai