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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
C’est moi qui suis le vrai charlatan, Le vrai charlatan à la fois homme et femme. N’ayez pas peur, ouvrez-moi vos mains, Je vous ferai dans mon miroir de flammes Pêcher les traits de vos futurs amants. Comme le poisson plonge dans l’eau, Comme l’oiseau monte à l’assaut Des cimes hautes de l’espace, A travers le cours de mes existences Le Temps m’a livré le mot de passe Qui sépare en deux le Présent. Mon esprit qui tourne en tout sens Voit l’infini sur ses deux faces, Je lis le destin comme dans une glace, Une beauté ridée suit les ans à la trace. Ainsi, il m’est donné de retrouver la trace De l’Avenir que je pourchasse Dans les arcanes du Présent. Sous la garde des sortilèges Dont l’escorte ne me quitte pas, Je m’aventure jusqu’au siège Plein de menaces du Sabbat. Je fais plus ; j’entre dans le cercle D’où le Magicien hors de lui Dirige son épée de neige Sur la tempête des Esprits ; Et le serpents qui le protègent, Réveillés, se jettent sur lui. Je sais replâtrer les virginités, Faire cocu l’époux infidèle, Suer d’amour le coeur rebelle Par mes charmes désarçonné. Toutes et tous, venez à moi, Quand je dévoile ce que je vois Dans le Miroir de la Fortune. Et tous et toutes, quand les années Sur vos têtes auront passé, Vérifierez la vérité Des prédictions à bon marché Que le charlatan homme et femme A devant vous dilapidées.
(Poème extrait de Le moine (de Lewis), chez Folio)
"Le Moine (The Monk) est un roman anglais de l'écrivain Matthew Gregory Lewis, publié en 1796. Cette œuvre de jeunesse, emblématique du roman gothique, aura une influence considérable et inspirera de nombreux imitateurs. Mathew Gregory Lewis a écrit ce roman en 10 mois dans le but de divertir sa mère. Il peut paraitre très subversif dans les thèmes abordés (viol, inceste, matricide, magie noire...) ou dans l'attitude de certains personnages (Elvira découpant certains passages de la Bible pour "protéger" sa fille Antonia ou le moine vendant son âme au diable). C'est pour cela que le roman fut censuré à son époque. Néanmoins, la morale reste ancrée dans les us et coutumes de la société. Antonia et Ambrosio sont voués dès le départ à une mort certaine car ils sont les enfants d'un mauvais mariage (un noble avec une roturière). Dans ce sens, Le Moine véhicule les peurs aristocratiques de l'effondrement de l'ordre hiérarchique social. De plus, si Béatrice et Agnès sont enfermées dans un caveau et doivent être confrontées à la mort (la leur ou celle de leur descendance) c'est parce qu'elles ont failli à leur devoir, rompant leurs voeux religieux pour des amours impurs. Ainsi, la raison doit soumettre la passion. Le Moine peut donc être vu comme un roman conventionnel. En France, en 1931, Antonin Artaud en publie une traduction très personnelle (Le moine, de Lewis, raconté par Antonin Artaud) et envisage de l'adapter au cinéma. Le livre est porté à l'écran en 1972 par Ado Kyrou, scénarisé par Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière puis par Dominik Moll avec Vincent Cassel." (Source Wikipedia)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Antonin Artaud Sam 1 Mai 2010 - 18:09
lekhan a écrit:
Pour en finir Artaud ne fait pas de POESIE!
D'ailleurs pourquoi Artaud est classé dans Poésie?
Comme tous les grands écrivains, Artaud ne se sentait pas à la hauteur d'écrire de la poésie, néanmoins cet art le fascinait et il ne se priva pas de s'y adonner ... Pourquoi pinailler ? Artaud est un immense poète.
La Nuit opère
Dans les outres de draps gonflés où la nuit entière respire, le poète sent ses cheveux grandir et se multiplier.
Sur tous les comptoirs de la terre montent des verres déracinés, le poète sent sa pensée et son sexe l'abandonner.
Car ici la vie est en cause et le ventre de la pensée; les bouteilles heurtent les crânes de l'aérienne assemblée.
Le Verbe pousse du sommeil comme une fleur ou comme un verre plein de formes et de fumées.
Le verre et le ventre se heurtent, la vie est claire dans les crânes vitrifiés.
L'aréopage ardent des poètes s'assemble autour du tapis vert le vide tourne.
La vie traverse la pensée du poète aux cheveux épais.
Dans la rue rien qu'une fenêtre, les cartes battent; dans la fenêtre la femme au sexe met son ventre en délibéré.
(Bilboquet, Poèmes inédits)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Antonin Artaud Dim 2 Mai 2010 - 21:20
Un bougeoir sur une chaise, un fauteuil de paille verte tressée, Un livre sur le fauteuil, Et voilà le drame éclairé. Qui va entrer ? Sera-ce Gauguin ou un autre fantôme ? Le bougeoir allumé sur le fauteuil de paille indique, paraît-il, la ligne de démarcation lumineuse qui sépare les deux individualités antagonistes de Van Gogh et de Gauguin. L’objet esthétique de leur dispute n’offrirait, si on le racontait, pas grand intérêt peut-être, mais il devait indiquer entre les deux natures de Van Gogh et de Gauguin une scission humaine de fond. Je crois que Gauguin pensait que l’artiste doit rechercher le symbole, le mythe, agrandir les choses de la vie jusqu’au mythe, alors que Van Gogh pensait qu’il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre-à-terre de la vie. En quoi je pense, moi, qu’il avait foutrement raison. Car la réalité est terriblement supérieure à toute histoire, à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité. Il suffit d’avoir le génie de savoir l’interpréter. Ce qu’aucun peintre avant le pauvre Van Gogh n’avait fait, ce qu’aucun peintre ne fera plus après lui, car je crois que cette fois-ci, aujourd’hui même, maintenant, en ce mois de février 1947, c’est la réalité même, le mythe de la réalité même, la réalité mythique elle-même, qui est en train de s’incorporer. Ainsi, nul depuis Van Gogh n’aura su remuer la grande cymbale, le timbre supra-humain, perpétuellement supra-humain suivant l’ordre refoulé duquel les objets de la vie réelle sonnent, lorsqu’on a su avoir l’oreille assez ouverte pour comprendre la levée de leur mascaret. C’est ainsi que la lumière du bougeoir sonne, que la lumière du bougeoir allumé sur le fauteuil de paille verte sonne comme la respiration d’un corps aimant devant le corps d’un malade endormi. Elle sonne comme une étrange critique, un profond et surprenant jugement dont il semble bien que Van Gogh puisse nous permettre de présumer la sentence plus tard, beaucoup plus tard, au jour où la lumière violette du fauteuil de paille aura achevé de submerger le tableau. Et on ne peut pas ne pas remarquer cette coupure de lumière lilas qui mange les barreaux du grand fauteuil torve, du vieux fauteuil écarquillé de paille verte, bien qu’on ne puisse pas tout de suite la remarquer. Car le foyer en est comme placé ailleurs et sa source étrangement obscure, comme un secret dont le seul Van Gogh aurait, sur lui-même, gardé la clef.
Van Gogh, c' est le livre que je préfère d' Artaud. Artaud s' est en partie identifié à Van Gogh, et c' est ainsi qu' on a un portrait sensible sinon ressemblant de Van Gogh et un autoportrait d' Artaud lui-meme en suicidé de la société...
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Antonin Artaud Lun 3 Mai 2010 - 16:08
Tout à fait, mais Artaud se reconnaissait également en Ucello, un autre frère de douleur. Ainsi comme le fit Marcel Schwob dans ses "Vies imaginaires", dans "L'ombilic des limbes", Artaud consacra un texte intitulé "Paul les oiseaux ou la place de l'amour", au peintre florentin du quattrocento Paolo Ucello (qui jeta les bases de la perspective), dont la folie créatrice inspira ensuite les surréalistes ...
Artaud et Ucello
Cependant, gardons en mémoire qu'Artaud vivait une altérité sélective, dont son ami et esclave, le poète Jacques Prevel qui l'a accompagné jusqu'à la mort, et qui a tenu un journal narrant son quotidien avec son Artaud (journal qui s'intitule " En compagnie D'Antonin Artaud") aurait certainement souhaité bénéficier ...
Marcelin Hogier Espoir postal
Messages : 41 Inscription le : 30/09/2009
Sujet: l Mer 4 Aoû 2010 - 9:05
Je termine en ce moment même L'affaire Artaud, Journal ethnographique, de Florence de Mèredieu (Fayard). Je ne connaissais d'Artaud que quelques textes de la période surréaliste et en avais l'image du poète fou. J'avais acheté ce pavé (600 et quelques pages) il y a longtemps et, l'été arrivé, je me lance, en ne sachant pas trop sur quoi j'allais tomber. Ce que raconte F. de Mèredieu est tout bonnement incroyable : prof de philo - esthétique - à Paris I, elle étudie notamment Artaud dans ses cours et dans les années 80, projette de publier un livre sur les dessins d'Artaud. Elle met ainsi le pied dans "l'affaire Artaud", qui a éclatée le jour de la mort de l'auteur, puisque ses amis vident sa chambre de tous les manuscrits. L'histoire de la publication des œuvres posthumes d'Artaud chez Gallimard est terrifiante : celle qui détient les manuscrits d'Artaud s'autorisant à recomposer les textes des années 1946-1948 (Artaud aura eu le temps de remplir plus de 500 cahiers d'écolier durant cette période, qui sont encore à plus de 95% inédits), en piochant d'un cahier à l'autre. C'est en tout cas une plongée dans la vie littéraire de la seconde moitié du XXe siècle à la fois passionnante et terrifiante. Sans doute que les aficionados d'Artaud connaissent l'histoire, mais personnellement, je suis tombé des nues. Pour ceux qu'Artaud intéresse, je vous conseille ce bouquin, parfois un peu redondant, mais comme le dit l'auteur, c'est parce que dans cette histoire, les choses se répètent inlassablement.
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Antonin Artaud Dim 21 Nov 2010 - 19:55
Van Gogh le suicidé de la société
Citation :
« Je vois à l'heure où j'écris ces lignes, le visage rouge sanglant du peintre venir à moi, dans une muraille de tournesols éventrés, Dans un formidable embrasement d'escarbilles d'hyacinthe opaque et d'herbages de lapis-lazuli. Tout cela, au milieu d'un bombardement comme météorique d'atomes qui se feraient voir grain à grain, Preuve que Van Gogh a pensé ses toiles comme un peintre, certes, et uniquement comme un peintre, mais qui serait, Par le fait même, Un formidable musicien. »
Dans Van Gogh le suicidé de la société, publié en 1947, quelques mois avant sa mort, Antonin Artaud frend au peintre un éblouissant hommage. Non Van Gogh n'était pas fou, martèle-t-il, ou alors il l'était au sens de cette authentique aliénation dont la société et les psychiatres ne veulent rien savoir. "Mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d'être soignés par d'authentiques vivants ?" (Aliénation et magie noire)
L'avant propos est légèrement inquiétant mais heureusement le texte lui même se révèle nettement plus lisible, même si le sens de certains passages mérite réflexion. Une écriture vivace d'apparence rageuse mais très douce, une sorte de grand écart démonstratif qui se resserre autour de plusieurs forme d'un même motif d'opposition du vrai et du tuant ? ... folie supposée et médecine improbable, réalité communément tangible et révélation de la peinture... la concrétisation, l'hommage donc, se fait dans la peinture mais ce motif pas loin d'être effrayant est comme la grande toile d'un cauchemar.
Je n'avais jamais lu Artaud et je connais peu Van Gogh que ce soit sa vie ou son œuvre qui me vient comme par à-coups... cette lecture m'a donc permis de découvrir une vision très précise et concrète de cette peinture, une peinture goûtée dans un absolu sans retenue, projetée hérissée de tous ses enjeux dans la plus parfaite actualité (le passage évoquant la tenue de l'exposition est très riche de sens). Il décrit ainsi la force vibrante et écorchée de l'inanimé, une transcendance de la simple peinture et du simple motif d'ailleurs choisis, et revient par ce chemin au sens et à une grandeur qui n'a plus vraiment de raison, une certaine normalité mais réalisée... L'attachement au peintre et à sa peinture est sincèrement poignant, pas tant dans la démesure qu'on peut trouver à la forme mais quelque chose de plus intime, face à de l'humain à nu presque étranger à une pudeur qui serait dévoilée grossière.
ça ébranle au fur et à mesure, après...
ça nécessite également de poursuivre vers cet auteur et regarder autrement la peinture.
très très grand merci à l'homme oiseau !
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Antonin Artaud Lun 22 Nov 2010 - 22:11
pas directement celui auquel je fais référence dans mon commentaire (il y a des échos dans le texte), mais extrait :
Citation :
Une exposition de tableaux de Van Gogh est toujours une date dans l'hitoire, non dans l'hitoire des choses peintes, mais dans l'histoire historique tout court. Car il n'y a pas de famine, d'épidémie, d'explosion de volcan, de tremblement de terre, de guerre, qui rebrousse les monades de l'air, qui torde le cou à la figure torve de fama fatum, le destin névrotique des choses, comme une peinture de Van Gogh, - sortie au jour, remise à même la vue, l'ouïe, le tact, l'arôme, sur les murs d'une exposition, - enfin lancée à neuf dans l'actualité courante, réintroduite dans la circulation. Il n'y a pas dans la dernière exposition Van Gogh, au Palais de l'Orangerie, toutes les très grandes toiles du malheureux peintre. Mais il y a parmi celles qui sont là, assez de défilés giratoires constellés de touffes de plantes de carmin, de chemins creux surmontés d'un if, de soleils violacés tournant sur des meules de blé d'or pur, de Père Tranquille et de portraits de Van Gogh par Van Gogh, pour rappeler de quelle sordide simplicité d'objets, de personnes, de matériaux, d'éléments, Van Gogh a tiré ces espèces de chants d'orgue, ces feux d'artifice, ces épiphanies atmosphériques, ce "Grand Œuvre" enfin d'une sempiternelle et intempestive transmutation.
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Antonin Artaud Mar 7 Déc 2010 - 22:15
Citation :
Invocation à la Momie
Ces narines d’os et de peau par où commencent les ténèbres de l’absolu, et la peinture de ces lèvres que tu fermes comme un rideau
Et cet or que te glisse en rêve la vie qui te dépouille d’os, et les fleurs de ce regard faux par où tu rejoins la lumière
Momie, et ces mains de fuseaux pour te retourner les entrailles, ces mains où l’ombre épouvantable prend la figure d’un oiseau
Tout cela dont s’orne la mort comme d’un rite aléatoire, ce papotage d’ombres, et l’or où nagent tes entrailles noires
C’est par là que je te rejoins, par la route calcinée des veines, et ton or est comme ma peine le pire et le plus sûr témoin.
Content pour toi, Animal, comme toute lecture partagée.
Personnellement, j' aimais Van Gogh avant d' avoir lu Artaud, mais la lecture d' Artaud m' a fait connaitre un Van Gogh que personne d' autre n' aurait pu me montrer. Question d' empathie comme on dit. Artistes tous les deux, mais bien au delà de la felure. Artaud dans sa vie malheureuse ne connut pas beaucoup de moments heureux.Et il était beaucoup trop souffrant et hérissé pour avoir beaucoup d' amis. Alors je pense qu' il a trouvé une parenté réelle avec Van Gogh.
J' ajoute, mais pas innocemment, que les Lettres à Théo de son frère Vincent éclairent aussi beaucoup l' oeuvre du peintre. Tiens un petit cadeau... meme pas cher, dans la collection l' Imaginaire !
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Antonin Artaud Dim 16 Jan 2011 - 21:53
jeté un œil dans L'Ombilic des Limbes... je ne sais pas bien ce qui peut qualifier l'impression : immédiateté, précision ? plus qu'une violence il y a une sorte de justesse instantanée qui frappe, qui réveille une prémonition.
Citation :
Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants
Monsieur le législateur,
Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con.
Ta loi ne sert qu’à embêtere la pharmacie mondiale sans profit pour l’étiage toxicomanique de la nation parce que
1° Le nombre des toxicomanes qui s’approvisionnent chez le pharmacien est infime ;
2° Les vrais toxicomanes ne s’approvisionnent pas chez le pharmacien ;
3° Les toxicomanes qui s’approvisionnent chez le pharmacien sont tous des malades ;
4° Le nombre des toxicomanes malades est infime par rapport à celui des toxicomanes voluptueux ;
5° Les restrictions pharmaceutiques de la drogue ne gêneront jamais les toxicomanes voluptueux et organisés ;
6° Il y aura toujours des fraudeurs ;
7° Il y aura toujours des toxicomanes par vice de forme, par passion ;
8° Les toxicomanes malades ont sur la saciété un droit imprescriptible, qui est celui qu’on leur foute la paix.
C’est avant tout une question de conscience.
La loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes : c’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun.
Tous les bêlements de la charte officielle sont sans pouvoir d’action contre ce fait de conscience : à savoir, que, plus encore de la mort, je suis le maître de ma douleur. Tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de la vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter.
Lucidité ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m’enlèvera jamais, c’est celle qui me dicte le sentiment de ma vie physique. Et si j’ai perdu ma lucidité, la médecine n’a qu’une chose à faire, c’est de me donner les substances qui me permettent de recouvrer l’usage de cette lucidité.
Messieurs les dictateurs de l’école pharmaceutique de France, vous êtes des cuistres rognés : il y a une chose que vous devriez mieux mesurer ; c’est que l’opium est cette imprescriptible et impérieuse substance qui permet de rentrer dans la vie de leur âme à ceux qui ont eu le malheur de l’avoir perdue.
Il y a un mal contre lequel l’opium est souverain et ce mal s’appelle l’Angoisse, dans sa forme mentale, médicale, physiologique, logique ou pharmaceutique, comme vous voudrez.
L’Angoisse qui fait les fous.
L’Angoisse qui fait les suicidés.
L’Angoisse qui fait les damnés.
L’Angoisse que la médecine ne connaît pas.
L’Angoisse que votre docteur n’entend pas.
L’Angoisse qui lèse la vie.
L’Angoisse qui pince la corde ombilicale de la vie.
Par votre loi inique vous mettez entre les mains de gens en qui je n’ai aucune espèce de confiance, cons en médecine, pharmaciens en fumier, juges en mal-façon, docteurs, sages-femmes, inspecteurs-doctoraux, le droit le disposer de mon angoisse, d’une angoisse ne moi aussi fine que les aiguilles de toutes les boussoles de l’enfer.
Tremblements du corps ou de l’âme, il n’existe pas de sismographe humain qui permette à qui me r’egarde d’arriver à une évaluation de ma douleur précise, de celle, foudroyante, de mon esprit !
Toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate que je puis avoir de mon être. Je suis seul juge de ce qui est en moi.
Rentrez dans vos greniers, médicales punaises, et toi aussi, Monsieur le Legislateur Moutonnier, ce n’est pas par amour des hommes que tu délires, c’est par tradition d’imbécillité. Ton igorance de ce que c’est un homme n’a ’égale que ta sottise à la limiter.
Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi.
Antonin Artaud était-il "fou" ? Il était malade en tout cas, il le savait et souffrait beaucoup. Il a pris délibérement de la drogue, non pas pour dérègler ses sens, mais simplement pour moins souffrir...
Il prenait notamment du laudanum, je ne sais pas exactement ce que c' était sinon que les toubibs de l' époque le prescrivaient. Peut etre un mélange de cocaine ou d' opium ?
Aiu Mexique, je crois qu' il a pris du peyotl... Ce qui explique peut etre sa vision si particulière de ce pays, déjà plutot hallucinant en soi ...
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Antonin Artaud Lun 23 Mai 2011 - 20:13
Témoignage d'Henri Thomas, extrait du documentaire sur Artaud, réalisé par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ...
Sujet: Re: Antonin Artaud Lun 20 Juin 2011 - 21:08
Un ventre fin. Un ventre de poudre ténue et comme en image. Au pied du ventre, une grenade éclatée. La grenade déploie une circulation floconneuse qui monte comme des langues de feu, un feu froid. La circulation prend le ventre et le retourne. Mais le ventre ne tourne pas. Ce sont des veines de sang vineux, de sang mêlé de safran et de soufre, mais d’un sang édulcoré d’eau. Au-dessus du ventre sont visibles des seins. Et plus haut, et en profondeur, mais sur un autre plan de l’esprit, un soleil brûle, mais de telle sorte que l’on pense que ce soit le sein qui brûle. Et au pied de la grenade, un oiseau. Le soleil a comme un regard. Mais un regard qui regarderait le soleil. Le regard est un cône qui se renverse sur le soleil. Et tout l’air est comme une musique figée, mais une vaste, profonde musique, bien maçonnée et secrète, et pleine de ramifications congelées. Et tout cela, maçonné de colonnes, et d’une espèce de lavis d’architecte qui rejoint le ventre avec la réalité. La toile est creuse et stratifiée. La peinture est bien enfermée dans la toile. Elle est comme un cercle fermé, une sorte d’abîme qui tourne, et se dédouble par le milieu. Elle est comme un esprit qui se voit et se creuse, elle est remalaxée et travaillée sans cesse par les mains crispées de l’esprit. Or, l’esprit sème son phosphore. L’esprit est sûr. Il a bien un pied dans le monde. La grenade, le ventre, les seins, sont comme des preuves attestatoires de la réalité. Il y a un oiseau mort, il y a des frondaisons de colonnes. L’air est plein de coups de crayon, des coups de crayons comme des coups de couteau, comme des stries d’ongle magique. L’air est suffisamment retourné. Et voici qu’il se dispose en cellules où pousse une graine d’irréalité. Les cellules se casent chacune à sa place, en éventail, autour du ventre, en avant du soleil, au-delà de l’oiseau, et autour de cette circulation d’eau soufrée. Mais l’architecture est indifférente aux cellules, elle sustente et ne parle pas. Chaque cellule porte un œuf où reluit quel germe ? Dans chaque cellule un œuf est né tout à coup. Il y a dans chacune un fourmillement inhumain mais limpide, les stratifications d’un univers arrêté. Chaque cellule porte bien son œuf et nous le propose ; mais il importe peu à l’œuf d’être choisi ou repoussé. Toutes les cellules ne portent pas d’œuf. Dans quelques-unes naît une spire. Et dans l’air une spire plus grosse pend, mais comme soufrée déjà ou encore de phosphore et enveloppée d’irréalité. Et cette spire a toute l’importance de la plus puissante pensée. Le ventre évoque la chirurgie et la Morgue, le chantier, la place publique et la table d’opération. Le corps du ventre semble fait de granit, ou de marbre, ou de plâtre durcifié. Il y a une case pour une montagne. L’écume du ciel fait à la montagne un cerne translucide et frais. L’air autour de la montagne est sonore, pieux, légendaire, interdit. La montagne a bien sa place dans l’âme. Elle est l’horizon d’un quelque chose qui recule sans cesse. Elle donne la sensation de l’horizon éternel. Et moi j’ai décrit cette peinture avec des larmes, car cette peinture me touche au cœur. J’y sens ma pensée se déployer comme dans un espace idéal, absolu, mais un espace qui aurait une forme introductible dans la réalité. J’y tombe du ciel. Et chacune de mes fibres s’entr’ouvre et trouve sa place dans des cases déterminées. J’y remonte comme à ma source, j’y sens la place et la disposition de mon esprit. Celui qui a peint ce tableau est le plus grand peintre du monde. A André Masson, ce qui lui revient.
( Extrait de "L’Ombilic des Limbes" (p. 65 à 66 ), suivi de Le Pèse-nerfs et autres textes/ NRF Poésie Gallimard)
Illustration : "Homme", toile d'André Masson qui inspira ce texte à Artaud, toile dont il fit l'acquisition.
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Antonin Artaud Mer 17 Aoû 2011 - 16:52
Texte d'introduction à L'Ombilic des Limbes :
Là où d'autres proposent des œuvres je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit. La vie est de brûler des questions. Je ne conçois pas d'oeuvre comme détachée de la vie. Je n'aime pas la création détachée. Je ne conçois pas non plus l'esprit comme détaché de lui-même. Chacune de mes oeuvres, chacun des plans de moi-même, chacune des floraisons glacières de mon âme intérieure bave sur moi. Je me retrouve autant dans une lettre écrite pour expliquer le rétrécissement intime de mon être et le châtrage insensé de ma vie, que dans un essai extérieur à moi-même, et qui m'apparaît comme une grossesse indifférente de mon esprit. Je souffre que l'Esprit ne soit pas dans la vie et que la vie ne soit pas l'Esprit, je souffre de l'Esprit-organe, de l'Esprit-traduction, ou de l'Esprit-intimidation-des-choses pour les faire entrer dans l'Esprit. Ce livre je le mets en suspension dans la vie, je veux qu'il soit mordu par les choses extérieures, et d'abord par tous les soubresauts en cisaille, toutes les cillations de mon moi à venir. Toutes ces pages traînent comme des glaçons dans l'esprit. Qu'on excuse ma liberté absolue. Je me refuse à faire de différence entre aucune des minutes de moi-même. Je ne reconnais pas l'esprit de plan. Il faut en finir avec l'Esprit comme avec la littérature. Je dis que l'Esprit et la vie communiquent à tous les degrés. Je voudrais faire un livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n'auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité. Et ceci n'est pas plus une préface à un livre, que les poèmes par exemple qui le jalonnent ou le dénombrement de toutes les rages du mal-être. Ceci n'est qu'un glaçon mal avalé.
(In L'Ombilic des Limbes suivi de Le Pèse-nerfs et autres textes/ Poésie Gallimard)