Henri Thomas

Au cœur de chaque roman de Thomas, existe une béance ; et de cette béance nait la poésie de ses livres ; et de son écriture, légère, précise et sinueuse. C’est un chemin qui serpente, proche du vide, sur les flancs d’une montagne, dans le brouillard des sommets.

Il est surtout reconnu pour ses traductions de Jünger, Goethe, Hölderlin et autres grands écrivains… Ses propres publications restent confidentielles, elles sont estimées mais n’atteignent pas le grand public. Il a écrit une vingtaine de romans, des nouvelles et de la poésie.

Biographie (wikipédia)

Henri Thomas est né le 7 décembre 1912 à Anglemont dans les Vosges, et mort le 3 novembre 1993 à Paris.

Il étudie au collège de Saint-Dié puis au lycée Henri-IV à Paris, en lettres et en philosophie où il a Alain comme professeur et Emmanuel Peillet comme condisciple. En 1934, il renonce à se présenter au concours d’entrée à l’École normale supérieure ; il rencontre André Gide et publie ses premiers poèmes en 1938 dans la revue Mesures.

En 1942, il épouse une jeune comédienne, Colette Gibert, désormais Colette Thomas, qui, par son entremise, devient une proche d'Antonin Artaud, avec lequel Henri Thomas correspondait.

En 1945, il est secrétaire de l'hebdomadaire Terre des Hommes créé par Pierre Herbart.
Thomas vit dix ans à Londres jusqu'en 1958 en travaillant comme traducteur à la B.B.C. et deux ans aux États-Unis où il donne des cours de littérature à l'université de Brandeis. À partir de 1950, il vit avec Jacqueline le Béguec, qu’il épouse en 1957.

Il fonde, en 1978, la revue Obsidiane dont François Boddaert assure la direction.

Il a été président d'honneur de la Société des lecteurs de Jean Paulhan en 1992 et 1993.

La Vie Ensemble

Quatrième de couverture :

Un soir de l'été de 1939, quelques jeunes gens se trouvent réunis au logis de l'un d'eux, et, dînant, buvant surtout, leur conversation les entraîne assez loin d'eux-mêmes pour que la vie ne leur apparaisse plus tout à fait sous le même jour. Le jour ancien (et qui menace à chaque instant de reparaître), c'est la solitude. Chacun de ces jeunes gens sort d'un isolement particulier, par des chemins singuliers, noués de replis, incertains. Cette soirée qui les réunit va-t-elle abolir le doute, montrer à chacun sa place dans une libre alliance, créer enfin la vie ensemble, source d'une active joie ?

Quelques extraits pour vous donner une idée du style d'Henri Thomas :

"Les mots quittaient ses lèvres comme des brins de paille qui s'envolent quand le vent souffle, et il en venait tojours d'autres ; il accélérait le mouvement pour en finir, mais il était infesté de mots, et les mêmes revenaient toujours ; il aurait fallu jeter le sac d'un seul coup :
- Mais le sac, c'est moi."

"Elle est gentille ; elle lui offre le silence comme elle disposerait un oreiller sous sa tête. Il ne faudrait pas accepter cela si lâchement, s'enfonçant comme pour une fuite dans le silence qu'on lui ouvre... Mais cette délicatesse se penche sur lui de trop haut ; il ne distingue pas très bien ce qu'elle lui veut; il gît dans un creux où les paroles sont endormies."

"Depuis près d'un an, il guettait, sa mémoire s'était chargée de spectacles inexplicables, il n'avait plus été que poursuite, patience, don de soi-même à ceux qui vivaient autour de lui ; et que restait-il de cet immense travail? Il était léger, lucide et juste, mais le labeur restait le même."Et un peu plus loin, "La tête commençait à lui brûler un peu, très doucement ; jamais l'été ne produirait une sécheresse approchant de celle qu'il sentait s'établir en lui. Les gens ne pouvaient rien lui livrer, pétris par cette lente fatalité à laquelle il les voyait dociles. En vérité sa situation de vivant était intenable, si tout devait se réduire à ce bilan d'impossibilités ; il ne lui resterait plus qu'à s'affaler n'importe où, dans le premier bistrot venu, ou à s'accrocher à qui voudrait de lui, à s'user n'importe comment jusqu'à la mort."

Voilà un fil qui m'interpelle, car j'avais l'intention de prochainement me plonger dans l'oeuvre d'Henri Thomas
Merci pour les extraits ...


Dans l'ouvrage "En compagnie d'Antonin Artaud" (Jacques Prevel / Ed. Flammarion), on découvre les liens étroits entre Henri Thomas et Artaud ... quant à son épouse, la comédienne Colette Thomas, qui a terminé son existence dans un hôpital psychiatrique ... quelle fin tragique !

Sinon, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont réalisé "La véritable histoire d'Artaud le Mômo", avec Sami Frey dans le rôle d'Artaud, film documentaire dans lequel témoigne Henri Thomas ... on peut trouver ce coffret, qui comporte également la fiction "En compagnie d'Antonin Artaud" (très fidèle à l'ouvrage paru chez Gallimard) chez Arte Vidéo, pour la modique somme de 19,95 euros ...

Henri Thomas était un homme humble et discret (les meilleurs sont souvent ainsi).
Mais il était reconnu par ses pairs.

Je vais aussi le lire...

merci pour les infos Constance, tu ne devrais pas être déçue avec Henri Thomas, toi non plus Bix.

Le Parjure

"Une sensibilité comme celle de Stéphane Chalier ne s'acquiert pas, même par un grand dépaysement et par une vie aussi étrange que celle qu'il a menée longtemps (et qu'il mène toujours, mais je ne sais plus) ; depuis l'enfance, il est familier avec ce que vous appelleriez une indifférence coupable." Extrait de la page 73.

Ce livre tourne autour de Stéphane Chalier, professeur de littérature parti en Amérique pour écrire une thèse sur Hölderlin. On le découvre au fur et à mesure du livre, on ne le comprend pas toujours ; il est insaisissable et incasable. Il cherche - et nous avec lui, à travers lui - quelque chose d'essentiel et semble n'attachait d'importance à rien d'autre ; à rien d'autre qu'à l'essentiel, autant dire à presque rien.

"J'ai besoin de toute mon attention pour distinguer ce qui sépare ce presque rien de rien."

J'ai commandé "Le seau à charbon", son premier roman ...

ça tombe bien, je ne l'ai pas encore lu celui-ci!

Le seau à charbon

Un pensionnat. Des élèves, des profs, un Principal, des rêves, des éblouissements, des exaltations et l'engourdissement. Chaque chapitre est consacré à un personnage différent et forme un tout pour illustrer la vie de ce pensionnat de Saint-Romont (une bourgade des Vosges). Il fait gris, les hommes se saoulent ou fantasment sur les femmes (presque totalement absentes du roman en dehors de Julia qui sert d'aiguillon à la tentation de certains et qui plonge son compagnon dans l'hébétude), les élèves mentent, fument des Lucky, font des rêves de réussite. Quelque chose doit sans doute se passer, mais je ne saurais dire quoi. Je crois ne pas avoir compris l'argument de l'auteur : voulait-il parler des bouillonnements de la jeunesse et des alanguissements de l'âge adulte ? Dans ce cas, il manque juste un grain de sel pour créer l'aventure.

Le roman ressemble à une chronique sans grandes joies, ni grosses peines, une narration du soubresaut suivi d'une fatigue, narration du quotidien, des perversions secrètes, des ruades lentes des esprits. Il se dégage de cette lecture un sentiment d'inachevé, j'attendais un ultime bouleversement et il n'est pas venu...

mais l'écriture, très simple, très humaine me donne envie de découvrir un autre livre de cet auteur...

Je n'en ai pas pas fait la même lecture que toi, Shanidar ... dans ce roman, Henri Thomas pose la question du choix de vie : doit-on se soumettre à la réalité en acceptant de s'inscrire dans une vie sociale d'apparence respectable, faite de renoncements, de frustrations, fondée sur l'unique valeur travail et de mesquines et hypocrites relations humaines, ou se rebeller contre un destin tout tracé, et décider de vivre libre, et ce, quelles qu'en soient les conséquences ... ?

A la fin du roman, de retour après sa fugue de 48 heures, refusant cette morne destinée, le jeune Souvrault, épris de poésie et de liberté, rebelle à toute autorité, opte pour cette révolte tranquille contre la médiocrité. (tres certainement Henri Thomas, puisque ce roman est essentiellement autobiographique)

Citation :

La grande hypocrisie commençait pour lui; mais ses espérances étaient sauves; les souvenirs de la terrible marche de jour et de nuit faite pour traverser la montagne nourrissaient déjà le regret d'être rentré.

Sinon le titre "Le seau à charbon" ramène justement à la déchéance d'un homme qui, privé du travail qu'il imaginait faire sa respectabilité, sombre dans la déchéance alcoolique (de mémoire, il est le seul personnage du roman à s'enivrer), jusqu'à chuter dans un escalier et en mourir ... ce qui ne semble d'ailleurs guère émouvoir les occupants du collège ... aussi, se pose également la question de la valeur dérisoire de notre propre existence, et de savoir ce que l'on décide d'en faire ...

J'ai plutôt lu un livre sur l'inachèvement et le renoncement, sur le passage à l'âge adulte quand l'adolescent renonce à vivre ses rêves et commence à rêver sa vie, comme le Principal qui n'invitera jamais une jeune femme dans la chambre obscure, comme l'élève Tessier qui finit pas succomber à l'appel d'une étrange rédemption, comme Souvrault qui après sa fugue plonge dans l'hypocrisie, comme Klaus (le prof de gym, anarchiste et provocateur) qui au moment de porter le coup de grâce au pauvre commis de cuisine renonce par lassitude, par fatigue extrême, comme Dumont qui ne sera jamais un grand historien et continuera à gratter ses plaques d'eczéma. Tous les personnages renoncent à leurs velléités d'émancipation, de liberté, à leurs pulsions, leurs bouffées d'exaltation (même le Surveillant général qui ne donne pas l'alerte et sombre dans l'apathie après la découverte du départ de Souvrault) pour retomber dans une sorte d'atonie débilitante ; bien sur c'est le lot de tous, mais je ne crois pas qu'on puisse écrire un chef-d'oeuvre en se contentant de la lâcheté qui est la notre.
Thomas se plait à relater les misères de chacun, il en est l'artisan précis mais j'espère juste trouver plus d'ampleur dans une future lecture.

Bien que ton point de vue ait sensiblement évolué, notre lecture de ce roman diffère toujours sur des points essentiels, Shanidar ...
Je souhaiterais formuler ma réponse en étayant mon propos par des extraits de l'ouvrage mais, faute de temps à y consacrer aujourd'hui, j'y reviendrai plus tard ... très certainement demain ...

euh non mon avis n'a pas évolué, j'ai juste voulu argumenter... mais j'attends ton point de vue avec intérêt, la richesse des interprétations est toujours une grande source de reflexion.

Après avoir synthétisé l'histoire de ce roman, je vais tenter de ne pas me paraphraser ... si, au premier abord, ce roman pourrait apparaître telle la chronique quotidienne d'un collège où se croisent, s'entrecroisent les destins d'adultes "ratés" et, par effet miroir, d'adolescents futurs "ratés", je pense qu'il narre surtout l'histoire de la prise de conscience de l'exercice du libre arbitre par le personnage central Thomas / Souvrault, dont on suit le parcours mental tout au long du roman, jusqu'à la résolution finale de ne pas céder à la médiocratie panurgiste de tous les autres protagonistes ... cette conclusion n'étant pas un inachèvement, mais un commencement, puisque nous assistons à la naissance d'un homme qui se libère des contraintes sociales, et de ses contingences mortifères ...

Citation :

A travers la buée des vitre, Souvrault apercevait les silhouettes des choses, engourdies et décolorées : ces mêmes maisons qui étaient si belles la nuit. Les coudes posés sur la table de chaque côté de son bol vide, il avait les mains sur ses oreilles et n'entendait plus le chahut du réfectoire que comme un bourdonnement lointain; dans la tête protégée du bruit, revenaient comme un refrain les paroles de Rimbaud :


J'ai tant fait patience
qu'à jamais j'oublie ...



[ ...] La pureté qu'il avait jalousement défendue en lui depuis plus d'une semaine, il la sentait comme quelque chose d'inattaquable, et qui appelait les épreuves, loin de les craindre. Il avait aperçu récemment un vieux vagabond; ce type portait trois manteaux l'un sur l'autre, dont les déchirures superposées laissaient voir par endroit une peau hideuse, noire de crasse.
Telle était la mort, et il n'en avait pas peur; ou bien pareille aux maisons engourdies dans le gris du jour; puis il y avait des hasards ... L'important était de rester silencieux et de ne se laisser retenir par rien. Qu'est-ce qu'il y a au bout de cette route indéfinie, la mort, la poésie, ou quelle vie ? Il ne sait; mais il ne peut avoir ni doute, ni regret. (p 55)

Citation :

[...] Mais il avait dit adieu; rien ne le concernait plus ici. Debout parmi les autres, il sentit distinctement que la chute terrifiée prenait fin. Il regarda monsieur Dumont, comprit le trouble du professeur, et se mit à expliquer, d'une voix calme qui n'était plus la sienne.
- Je n'ai pas fait le devoir parce qu'il ne m'intéressait pas.
- Et à quoi vous intéressez-vous ? dit monsieur Dumont [...]
- A moi, dit souvrault.

[ ...]

- Après un tel incident, je ne puis vous garder ici, Souvrault; prenez vos livres et sortez.

[...]

Souvrault, ses livres sous le bras, était sorti sans hâte, refermant silencieusement la porte derrière lui; on l'avait entendu descendre résolument l'escalier, comme s'il savait où aller. (p.80-81)

Citation :

- Je me fous bien de ton salon de coiffure, dit Souvrault; je vais entrer dans la marine.
On s'était tu autour de lui, à ces mots. La marine ou l'aviation étaient le rêve de tout le collège, sauf peut-être de Souvrault. (p.106)



Il leur avait menti, avec son histoire de partir dans la marine et son cousin timonier, parce qu'il s'était senti faible et désespéré devant quelqu'un qui gagnait sa vie et devant tant d'autres qui gagneraient bientôt la leur.[ ... ]
Je ne m'engagerai pas; je ne resterai pas non plus à la maison. Je refuse tout cela.
Mais se trouver d'un coup face aux autres qui travaillent, qui travailleront, auxquels on ne peut rien expliquer, et qui vous demandent ce que vous ferez, voilà ce qui bouleverse et qui épouvante. (p 107-108)

Quant au prof de gym, peut-être est-il provocateur, mais il est surtout un pervers narcissique, élément caractéristique de tout manipulateur ... de plus, il n'est pas anarchiste, mais marxiste, deux idéologies essentiellement différentes ... ce qui n'est pas anecdotique dans le contexte du roman ...

Citation :

[...] Il lui fallait même écarter le marxisme dont il voulait parfois endoctriner Julia. (p.123)

Je crois que toutes les lectures d' un livre sont également valables. Elles résultent de notre subjectivité
profonde, de notre imaginaire et du moment.