Paysages de la métropole de la mort
Originale de la première publication dans cette composition: Landscapes of the Metropolis of Death: Reflections on Memory and Imagination (2013)
Originale pour différentes parties du livre: Hébreux, 1984, 2009, 2013
Traduction : Pierre-Emmanuel Dauzat
CONTENU :
Otto Dov Kulka n'avait jamais jusqu ici évoqué sa propre déportation. Paysages de la métropole de la mort est constitué de dix chapitres tirés des enregistrements qu'il réalisa, entre 1991 et 2001, après une visite à Auschwitz, pour cerner les images et les souvenirs qu'il gardait de Theresienstadt, suivis par trois chapitres d'extraits de ses journaux intimes les plus récents.
Réflexion sur l’holocauste et la mémoire, tour à tour bouleversant dans sa description du « camp familial » d'Auschwitz, élégiaque et poétique, rythmé par des photos prises lors de son retour à Auschwitz, Paysages de la métropole de la mort est un texte hors-normes, qui cherche à rendre compte au plus près, et au plus intime, par différents procédés littéraires, de l horreur des camps telle qu'un garçon de neuf ans a pu la vivre et telle qu'un homme à la fin de sa vie, entre sa rigueur d'historien et la puissance de ses émotions d'enfant, peut s'en souvenir.
(Source : Description de l’ouvrage )
REMARQUES :
Le titre ainsi que le sous-titre dans les éditions en d’autres langues (par ailleurs ces publications se sont fait presque au même moment en différents pays) : « Réflexions sur la mémoire et l’imagination » indiquent déjà fortement un ton de cet ouvrage si personnel. Il s’agit pas d’un pur récit de souvenirs, ni d’une chronologie disatnte, aussi pas d’un livre autobiographique dans les termes classiques et certainement pas d’un roman. Toutes classifications échappent à une certaine unicité de ce livre de Kulka. Ceci sont des « réflexions, presque des méditations, des images » face à une expérience indélibile de l’enfance.
Dans le cadre d’une visite (de conférence) en Pologne en 1978 Dov Kulka retourne lors d’une journée libre à Auschwitz-Birkenau où il avait été dans le dit « camp familial », un lieu où »en ces temps-là et jusqu’à aujourd’hui il habite pour ainsi dire », comme un prisonnier à vie, enchainé pour toujours. Des images, des bribes de souvenirs (il va pas juste énumerer des horreurs), des associations, des rêves trouveront ici une expression. Cette première partie fut transcrite sur la base d’enregistrements audio que l’auteur avait fait personnellement, sans l’idée d’abord de les publier plus tard.
Donc, venant de Theresienstadt, ce camp spécial d’Auschwitz, dans l’ombre des crématoires, avait des proprietés et un fonctionnement «autre » : on voulait apparemment se préparer pour la visite éventuelle de la Croix Rouge. Ici les familles restaient ensemble et sous la direction d’un criminel (allemand) néanmoins il fut possible d’organiser des vrais cours d’instruction, spectacles etc. Les arrivants échappaient aux séléctions dans un premier temps, mais... l’ensemble du premier groupe fût exterminé après exactement une demie-année, et quand un deuxième groupe de 5000 étaient déjà arrivé. Donc, la certitude de la mort annoncée était si grande qu’il n’y avait aucun espoir, même minime.
Sa façon d’écrire est peut-être aussi si unique et autre parce que selon ses propres aveux il avait jamais lu aucun livre « témoignage » sur les camps, ni vu les grands films documentaires (Lanzmann etc). Donc, il est certainement un historien de la question juive dans l’Allemagne nazie et personnellement impliqué, et, au même moment, pas surchargé par un trop plein d’autres approches.
Dans son approche on ne trouve pas le fil principal (selon mon ressenti) en suivant une chronologie liniaire, mais plutôt on découvrant sur certains sujets des expressions qui ont nourries ce qu’il appelle la « mythologie personnelle ». Bien sûr on trouve des descriptions des souffrances subies, mais on pourrait aussi être étonné par certains approches presque « encerclant » un sujet, ou aussi quasimment littéraire (il va citer un Kafka, un W.G.Sebald). Une de ces expressions qui veulent souligner un ressenti intérieur est sans doute « la loi immuable de la mort », donc la certitude absolu de ne pas pouvoir échapper à la mort. Comment faire face ? Comment vivre avec ? Est-ce qu’on sera étonné que des fois les victimes se créent l’idée d’une espèce de justice (absurde) comme justement Kafka l’a décrit dans la « Colonie pénitentiaire » ? C’est un système absurde, autonome, complétement aliené de toute forme de compassion, plein de dégoût et de violence.
Un mélange d’une aliénation la plus totale ET d’un sentiment d’appartenance au milieu de cet environnement ! Idées de vengeance ET d’absence de ressentiments. On retient aussi le souffle quand Kulka évoque dans un langage poètique et fine, sans s’imposer ou imposer, la question de la présence/absence de Dieu dans les camps...
Oui, on pourrait parler et échanger autour de ce livre pendant des heures. Pourtant il est si « mince », mais quel épaisseur ! J’ai passé certainement deux, trois mois à lire lentement ces pages, et je compte de reprendre cette lecture encore une fois. J’ai jamais lu quelque chose de comparable sur la Shoah (malgré le nombre de livres lus sur ce sujet). Je ne peux que recommander ce livre à ceux qui se sentent interpeller. Par contre toute catégorisation avec des « étoiles » données me semblent inappropriée...