David Michôd

Vu en avion, en décembre dernier, j'avais été scotché par Animal Kingdom, même sur un écran minuscule et sans sous-titres. Il fallait que je le revois. Sans l'effet de surprise, j'ai quand même apprécié et plus que cela. Et j'avais oublié les dernières images. Un choc.

Citation :

Une rue anonyme dans la banlieue de Melbourne. C’est là que vit la famille Cody. Profession : criminels. L’irruption parmi eux de Joshua, un neveu éloigné, offre à la police le moyen de les infiltrer. Il ne reste plus à Joshua qu’à choisir son camp...

L'utilisation des ralentis est assez généralement un signe de faiblesse de mise en scène, une façon d'appuyer un effet, une coquetterie inutile et agaçante. Il y a des exceptions, évidemment, et leur fréquence dans Animal Kingdom ajoute encore à la sensation d'assister à une tragédie, grecque ou shakespearienne, comme on voudra. Pour son premier long-métrage, l'australien David Michôd fait très fort, dans un genre ultra visité, le film de gangsters, une histoire de famille dans la jungle de Melbourne des années 80, ville qui est au premier plan et qui partage la vedette avec l'effrayante "mamie", chef de clan (prestation hallucinante de la dénommée Jacki Weaver). Comme Michôd évolue sur un terrain loin d'être vierge, on va lui jeter au visage un certain nombre d'influences : le Scorsese des débuts, James Gray et, tiens, pourquoi pas, Peckinpah, pour la violence éruptive. Mais au diable les comparaisons, le réalisateur australien a son propre style, ce tempo faussement languissant, le "non-jeu" troublant de son héros, ces ralentis déjà évoqués et une mise en scène d'une sobre efficacité. Ajoutons à cela un sens de l'ellipse et du montage qui tue. Certains petits malins auront beau prétendre tout deviner à l'avance du dénouement, la scène finale est ébouriffante. Allez, fondu au noir, c'est le cas de le dire, et générique. Une heure cinquante au milieu des fauves, ça laisse des traces.

traversay a écrit:

L'utilisation des ralentis est assez généralement un signe de faiblesse de mise en scène, une façon d'appuyer un effet, une coquetterie inutile et agaçante. Il y a des exceptions, évidemment, et leur fréquence dans Animal Kingdom ajoute encore à la sensation d'assister à une tragédie, grecque ou shakespearienne, comme on voudra.
(...)
Une heure cinquante au milieu des fauves, ça laisse des traces.

Une descente en apesanteur dans la fosse aux lions. Ce film est d'une stupéfiante originalité formelle qui choisit un rythme solennel et hypnotique renforcé par une superbe musique synthétique planante pour créer effectivement le sentiment d'une sorte de drame existentiel et initiatique primordial là où la plupart des films de gangsters choisissent l'adrénaline et la chorégraphie. On est quelque part entre James Gray et Michael Mann version cinéma indépendant. Mais le réalisateur va dans une direction qui lui est propre et j'ai l'impression de n' avoir jamais vu ça sur un écran. L'ensemble serait insatisfaisant s'il n'était que formel mais le film propose en plus une troublante réflexion sur la porosité entre le bien et le mal à travers le cheminement de cet adolescent tiraillé entre plusieurs figures paternelles et une figure maternelle de chaque côté de la barrière. Qui choisir, où se situe sa juste place? Y a-t-il un choix moral possible dans un monde qui ne l'est pas? Tous les acteurs sont génialement dirigés et on n'oubliera pas cette mère mygale ou mante religieuse, émouvante et effrayante en même temps. Un film impressionnant et terriblement tendu qui est encore une formidable surprise après le récent Winter's bone.

A propos de Animal Kingdom je voulais revenir sur la phrase de Traversay concernant l'utilisation des "ralentis". En fait le film n'utilise pratiquement pas de ralentis, il adopte une façon de filmer presque contemplative avec une lenteur de déplacement de la caméra qui effectue des mouvements fluides et comme en apesanteur. ça donne un sentiment de flottement et de fatalité. Comme si on glissait inévitablement vers un gouffre. Mais l'action elle-même n'est pas ralentie. Et lorsque la violence surgit elle est distanciée, d'autant plus forte qu'elle peut surgir de façon inattendue (à l'image de la première séquence où on a l'impression de voir un garçon et sa mère en train de regarder la télévision alors qu'on se rend compte le plan suivant qu'elle vient de faire une overdose). La lenteur gestuelle et la rétention émotionnelle apparente de l'adolescent renforcent aussi ce contraste avec la violence de ses oncles qu'il contemple en observateur qui cherche sa place. La tension que ce procédé génère est très intense. Un petit côté "Elephant" parfois.

[quote="Marko"]

traversay a écrit:

Cela faisait un petit moment que je ne m'étais autant éclatée sur un film du genre. Hypnotique oui, intelligent et puissant, mais surtout très classe dans son refus de violence gratuite, ce film est un must à mon sens. D'entrée de jeu David Michôd impose cette distance (scène d'ouverture incroyable où Joshua continue de regarder la télé comme abruti par la dureté des faits) et nous tient éloigné pour mieux troubler le spectateur et le priver des repères habituels. Pas d'effusions, pas de sentiments révélés, tout est mesuré, en violence contenue ou subite, dans cet équilibre ténu juste avant l'implosion que l'on attend mais qui finit toujours par surprendre. Le jeu des acteurs va à fond dans ce sens et le questionnement de ce jeune piégé par les codes tentaculaires de ce milieu de fauves reste fortement intériorisé, nous laissant libres de toute réflexion.

Il faudra attendre la toute fin pour savoir s'il a trouvé sa place, et s'il a tiré sa propre morale de cette hallucinante descente aux enfers, mais on aura vu à quoi ressemble l'entre deux, ce visage à la fois retors et aimant de la mère toute puissante, inquiétante de perversité, prête à tout pour sauver les siens.
Un superbe moment, rendu encore plus intense par cette musique collée à cette atmosphère glaçante...Un des meilleurs films de l' année pour moi, je crois bien

aeriale a écrit:

Un superbe moment, rendu encore plus intense par cette musique collée à cette atmosphère glaçante...Un des meilleurs films de l' année pour moi, je crois bien

Pour moi aussi. J'ai envie de le revoir d'ailleurs. ça n'est pas si fréquent alors que suis à la traine pour pas mal d'autres. Et il est temps de lui faire un petit fil

Animal Kingdom.


C'est une surprise ce film. Comme vous le dites : aucune violence "gratuite", une lenteur et une distance très étrange, qui laisse le spectateur à une vraie place de spectateur. Pas d'empathie, pas de tire larmes, pas de vas-y fonce coco en plein dans l'action, pas d'esthétique usitée.

C'est même bizarre cette sensation d'être à part, de ne faire que voir, et de constater les faits au moment où il se passe. Tout de même, du coup, si j'admire le procédé, le jeu des acteurs, l'histoire, et la fin... Je n'étais pas happée. Et c'est troublant. C'est peut-être bien finalement. D'être confronté à une violence et une souffrance sans en être un peu l'acteur, trop impliquée, et du coup de pouvoir presque en tirer un avis impartial.

La musique est impressionnante. Plusieurs fois je me suis dit que sans elle, le film aurait eu un déséquilibre dans son rythme qui lui aurait joué des tours. Là, tout file, inexorablement, vers le pire. Sans qu'on s'ennuie, dans une certaine lenteur.

Les personnages sont assez terribles, tous un peu barrés, avec un truc qui coince, qui ne va pas. Ils sont en équilibre. Forts et extrêmement fragiles. Perturbés. La mère est un être Horrible. Une Mante religieuse, comme le dit Marko. Elle fait peur.

C'est un peu la mort définitive de l'innocence. Une sorte d'apprentissage pour l'ado. Son combat à lui, vers où il va pencher. Ça me fait penser un peu aux dilemmes Dostoïevskiens.

Queenie a écrit:

C'est un peu la mort définitive de l'innocence. Une sorte d'apprentissage pour l'ado. Son combat à lui, vers où il va pencher. Ça me fait penser un peu aux dilemmes Dostoïevskiens.

Un peu comme chez James Gray.

James Gray d'accoord, mais en plus intime, il n'a pas besin du coté "spectacle" pour valoriser son film.

Et, bien que je sois comme vous scotchée par ce film, un tout petit détail: il n'avait pas besoin de monterr le flic jouant avec sa petite fille mongolienne pour qu'on comprenne que c'est un "bon " flic. Tout petit détail , petit coté pathos et bien faisant qui ne change rien à la qualiyé et originalité du film (ma fille m'a dit: "heureusement qu'il y a ça, comme ça il pourra encore progresser")

Ah ouais... tellement inutile cette scène que je ne m'en souviens pas...

topocl a écrit:

Et, bien que je sois comme vous scotchée par ce film, un tout petit détail: il n'avait pas besoin de monterr le flic jouant avec sa petite fille mongolienne pour qu'on comprenne que c'est un "bon " flic. Tout petit détail , petit coté pathos et bien faisant qui ne change rien à la qualiyé et originalité du film (ma fille m'a dit: "heureusement qu'il y a ça, comme ça il pourra encore progresser")

Queenie a écrit:

Ah ouais... tellement inutile cette scène que je ne m'en souviens pas...

Idem mais je ne suis pas certain que le fait de jouer avec sa petite fille trisomique le réduise à l'image d'un "bon" flic. La frontière entre bien et mal est plus que ténue pour chacun de ces personnages, y compris pour le flic. Cela montre en tout cas qu'il peut y avoir au moins une part de bonté en lui (comme chez les autres sociopathes qui en témoignent également par instant dans le film). Et notre jeune héros a d'ailleurs bien du mal à choisir sa propre morale dans tout ça!

Découverte tardive...je rejoins beaucoup d'éléments des avis précédents. Un film percutant dès son ouverture, qui rend perceptible la sensation d'un étouffement et d'un emprisonnement au-delà même de l'expression d'une violence. La figure de la mère provoque en effet un malaise constant : elle maintient ses "garçons" dans un cocon qui protège et détruit à la fois.
Si les thèmes sont passionnants, je n'ai pas été autant marqué par la mise en scène. Cette impression de flottement, d'abord très intense, me semble perdre de sa valeur au fil des minutes. On frôle alors l'exercice de style, jusqu'à un final qui apparait presque comme une impasse.

La lenteur, le recul et le calme caractérisent cet Animal Kingdom qui, malgré la violence de la thématique abordée, refuse toujours de tomber dans une agressivité gratuite et facile.
Joshua, déjà secoué par la mort de sa mère, ne tarde pas à découvrir le versant malsain d’une famille qui lui avait été inconnue jusqu’alors. Et pour cause, cette famille ne regroupe en son sein que des délinquants qui vivent au jour le jour, aux dépens des autres, de ceux qu’ils pillent ou qu’ils dégomment. Jamais la moindre scène de crime ne nous sera montrée, et ces ellipses, que l’on parvient à restituer lors de quelques simulations de bon ton, font naître par leur silence toute une foule de visions. Malheureusement, à force d’user et d’abuser de ces indications implicites, de plus en plus d’ombres se portent sur cette famille. D’abord intrigante, celle-ci finit par devenir le simple reflet d’elle-même, un pion dans le dilemme qui est peut-être le seul enjeu de ce film : le choix que devra effectuer Joshua entre le bien (les flics, une autre vie, sa copine…) et le mal (sa famille). Evidemment, rien n’apparaît de façon aussi manichéenne dans le film, et une tentative de médiation apparaît lorsque la (future ?) belle-famille de Joshua accepte de l’héberger pour quelques jours. L’espoir, bien sûr, est de courte durée.
Lenteur, recul et calme, avais-je donc dit. Si ces caractéristiques surprennent agréablement au début de la visualisation d’Animal Kingdom, elles deviennent rapidement un frein au développement de l’intrigue. Alors que les enjeux prennent de l’importance, alors que la tension grandit au sein de la famille et au cœur-même de Joshua, les évènements sont toujours abordés d’une manière aussi détachée, aussi lointaine. On nous préserve peut-être de l’esbroufe, du pathétique ou du tape-à-l’œil, mais on nous condamne également à l’apathie et à l’ennui. Le détachement peut être une qualité mais lorsqu’il marque un film du début jusqu’à la fin, il donne l’impression d’un manque d’investissement. Toute cette mollesse se retrouve dans le personnage de Joshua. Pour son jeu, ses recommandations étaient les suivantes : « Ait l’air le plus crétin possible » et il s’est exécuté à la perfection. Jamais de répliques de plus d’une phrase, les yeux vides de l’abruti consanguin, les gestes lents et lourds… Lorsque le minimalisme s’approche du néant, aucune envie de différenciation, de la part d’un réalisateur, ne mérite que l’on s’y attarde. On frôle le vide de Gerry de Gus Van Sant, mais l’illustration du dilemme en la personne de Joshua sauve heureusement Animal Kingdom de ce qui aurait pu devenir une simple peinture abstraite, un enfilement d’images et de sons qui transforme un film en une rêverie moins dépaysante que celle qu’aurait pu faire chaque spectateur en se contentant seulement de fermer les yeux.

Citation :

J'ai envie de le revoir d'ailleurs.

Marko

Si tu le revois, et pour ceux qui verraient cet excellent film noir en DVD, il ne faut pas manquer le court métrage intitulé L'arbalète, que j'ai trouvé émouvant. La très brève histoire , dans le même contexte, d'un jeune que personne ne regarde..

Marie a écrit:

Citation :

J'ai envie de le revoir d'ailleurs.

Marko

Si tu le revois, et pour ceux qui verraient cet excellent film noir en DVD, il ne faut pas manquer le court métrage intitulé L'arbalète, que j'ai trouvé émouvant. La très brève histoire , dans le même contexte, d'un jeune que personne ne regarde..

Noté!

L'accroche de l'affiche prend finalement son sens dans la dernière image du film... road-movie post-apocalyptique (on pense à La Route, dans l'évocation d'un apocalypse dont on ne sait rien, mais qui laisse un monde plongé dans le chaos... Mad Max a beaucoup été évoqué. Sans doute parce qu'il y a la route. Et parce que c'est un film australien... pour le reste...    Au contraire de Mad Max, on est plus dans de l'anticipation finalement très réaliste, que dans la science-fiction...).

L'intrigue tient en une ligne, ou 2 : Eric (Guy Pierce) se fait voler sa voiture, et en voulant la récupérer à tout prix, il ramasse au passage Rey (Robert Pattinson), un délinquant un peu benêt, frère du voleur de sa voiture.
Mais le suspens nous accroche jusqu'au bout, à travers les paysages grandioses et désolés du bush australien, et cette galerie de personnages qui n'essaient même plus, à de rares exceptions près, d'être humains, mais juste de survivre.
Et à travers cette question : pourquoi faire tout ça pour une voiture ?... peut-être parce qu'elle contient ce qu'il restait de son humanité...