Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Louis Ferdinand Céline

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jack-hubert bukowski
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyMar 20 Mai 2014 - 5:27

Soit dit en passant, je remercie Max de nous entretenir à propos de sa passion sur Céline. Pour ma part, j'ai l'impression que Godard serait pour moi sur un plan strictement littéraire. Je dois avouer que les aprioris à propos de la personnalité de Céline méritent davantage de nuances pour mieux comprendre les diverses dimensions du personnage qui est avant tout un écrivain et qui use d'une plume affectée.
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colimasson
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyJeu 22 Mai 2014 - 9:10

Max a écrit:

En fait il ne s'agit pas d'oralité, ni de parler populaire. Ca n'a vraiment rien à voir (même si ça en a l'apparence). C'est le grand malentendu entre Céline et les gens qui croient ne pas l'aimer (et ceux qui ne l'ont pas lu).

Je ne vais pas m'aventurer à définir son style... je n'en suis pas capable... mais disons, pour sortir un grand classique (mais tellement vrai) que c'est non pas le langage parlé mais L'EMOTION du langage parlé (une intonation, un soupir, une tournure émue, une détresse exprimée, une gorge serrée, un rire énorme qui jaillit, un épanchement amical sous-entendu dans un propos, enfin tout ce qui ne s'exprime pas directement avec des mots mais qui modifient leur portée) que Céline essaye de transposer de façon littéraire, musicale, dans la phrase.
Lettre à Marie Bell (avril 1943) : Tout devrait se rejoindre - voix et musique. Ne jamais oublier que l'Homme chantait avant de parler. Le chant est naturel, la parole est apprise. Les sources à poésie sont au chant, pas au bavardage.

Je crois que je vois ce que tu veux dire... Godard parlait de "métro émotif" il me semble ? Les dialogues des personnages de Céline ne m'ont jamais semblé pouvoir réellement exister. Je n'ai jamais entendu parler quiconque à la manière de ses personnages... il me semble qu'il s'agit plutôt d'un rêve de communication...
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyJeu 22 Mai 2014 - 12:12

J'ai toujours considéré Céline comme un illuminé, au sens noble du mot, avec des fulgurances géniales et un style assez particulier. Mais pas toujours facile à lire.
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Max
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 21:44

celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine-Louis-Ferdinand-Les-Cahiers-De-La-Nrf-Semmelweis-Et-Autres-Ecrits-Medicaux-Livre-878359563_ML


Ce livre regroupe tous les textes médicaux de Louis Destouches (entre 1924 et 1932). Avant qu’il ne devienne Céline, donc.

On l’oublie souvent mais il a eu une vie médicale intense. C’était pas juste un banal médecin de dispensaire, comme le certifie Alméras.
Les années 20 de Céline sont assez mal connues je crois, alors je vais m’amuser à les retracer.

Il y a tout d’abord sa période Rockefeller. Elle n’est pas mentionnée dans le livre (puisqu’il n’y a pas d’écrits datant de ces années) mais je la résume quand même vite fait.
Entre 1918 et 1919, Céline est conférencier pour la fondation Rockefeller dans le cadre d’une campagne contre la tuberculose en Bretagne. Il est engagé alors qu’il n’a aucune expérience médicale. Il fait avec son seul bagout, sa déjà très grande éloquence mais aussi une vocation médicale certaine.
Avec son "équipe" il sillonne toute la Bretagne dans une roulotte... Conférences sur l’hygiène pour tous ! Dans les écoles, avec distribution aux enfants de brochures et de cartes postales, chansons et pantomimes…  
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Carte_rockefeller_1
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Carte_rockefeller_2


Il se rend aussi dans les usines.
Puis il y a les conférences plus "cérémoniales", dans des lieux très divers (mairies, salles des fêtes, théâtres, cinémas) devant tous les notables de la région. Toutes les autorités départementales (civiles, religieuses, militaires) sont présentes pour venir écouter, entre autres, le jeune Destouches prôner toutes sortes de mesures hygiéniques, avec brochures, films, tableaux démonstratifs...
Les salles sont bondées. Il fait un tabac.
On en parle dans la presse régionale :

Citation :
Le causeur si attachant et déjà populaire qu’est l’hygiéniste Destouches...
(…)
M. Louis Destouches a parlé avec une grande science de la question et avec un art goûté des plus fins connaisseurs, un langage net et saisissant, toujours sur la brèche. M. Destouches se dépense sans compter. Il fut très applaudi comme il le méritait.

Il va jusque dans les coins les plus reculés de Bretagne, où la population paysanne ne comprend pas toujours ses explications... "Ils regardaient surtout les films..." Il devient vite une attraction pour les enfants. Partout où il passe, sillonnant tout dégingandé les bourgs, une pile de livres sous le bras, les enfants, amusés, "l’escortent", le suivent partout et ont souvent droit à une distribution de chewing-gum...

Quelques photos de sa "tournée hygiénique" en Bretagne en 1918
Tout à droite :
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Rennes

Deuxième à gauche :
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine0_louis-ferdinand-celine-rennes-1918


Puis il se marie en 1919 avec Edith Follet (plus tard illustratrice fameuse pour La Semaine de Suzette).
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 C_line2_louis-ferdinand-celine-edith-follet-quintin-mariage.1254586442

Edith Follet n’est rien d’autre que la fille du futur directeur de l’Ecole de médecine de Rennes... Athanase Follet, et la petite-fille d’une sommité médicale bretonne : Augustin Morvan (apparemment un hôpital porte aujourd’hui son nom à Brest).
C’est ainsi que pendant presque dix ans il va côtoyer la bonne vieille bourgeoisie provinciale... Salons, etc.

Revenons à 1919. Il passe son baccalauréat à Bordeaux à l’âge de 25 ans (Céline a quitté l’école à 13 ans) et se lance dans des études de médecine.
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 C_line4_louis-ferdinand-celine-mars-1918-rennes
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Rennes+vers+1920


Naissance de sa fille Colette en 1920
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine-raconte-par-sa-fille-Colette-Destouches_reference

Les années d’études se passent...
Sa thèse de médecine date de 1924. Elle est consacrée au médecin juif hongrois Semmelweis : La vie et l’œuvre de Semmelweis (1924). Ce n’est pas vraiment une thèse de médecine classique... On va dire que c’est une "biographie poétique". Semmelweis a étudié les causes de la fièvre puerpérale chez les femmes après l’accouchement et demeure le précurseur de l’antisepsie clinique. Mais il s’est rapidement heurté à l’incompréhension et à l’hostilité de ses confrères. Il finira dans un asile de fous...
Dans sa thèse, Céline fait de Semmelweis un martyr, carrément une figure christique... Au niveau du style, ce n’est pas encore tout à fait du Céline, mais d’un autre côté on sent déjà s’affirmer la colère, le dégoût de la société, l’injustice des hommes tout ça, le tout dans une plume déjà "chantée"... Un des membres du jury aurait dit "mais il est fait pour écrire, cet homme-là !".
Il existe de nombreuses passerelles (pas assez exploitées à mon goût) entre Céline et le Semmelweis fantasmé par le jeune Destouches.
Citation frappante de la thèse :

Citation :
Où Semmelweis s’est brisé, il fait peu de doute que la plupart d’entre nous auraient réussi par simple prudence, par d’élémentaires délicatesses. Il n’avait pas, ou négligeait, semble-t-il, le sens indispensable des lois futiles de son époque, de toutes les époques d’ailleurs, hors desquelles la bêtise est une force indomptable. Humainement c’était un maladroit. Si ces vérités n’étaient que trop urgentes, cependant il était puéril de les proclamer sous cette forme intolérable.

Je reste persuadé que Céline n’est que le double semmelweisien de Destouches. Un Semmelweis des Lettres.
Bref, ce texte est capital et surtout une œuvre littéraire à part entière. Il sera d’ailleurs réédité en 1936 en "face B" de son premier pamphlet, Mea culpa, avec la préface de Céline que voilà  :

Citation :
Voici la triste histoire de Philippe-Ignace Semmelweis.
Elle peut sembler un peu aride, rebuter au premier abord, à cause des détails et des chiffres, des explications minutieuses. Mais le lecteur intrépide sera bien vite récompensé. Elle vaut la peine et l’effort. J’aurais pu la reprendre du début, la fignoler, la rendre plus alerte. C’était facile, j’ai pas voulu. Je la donne donc pour ce qu’elle vaut (Thèse de Médecine à Paris, 1924.)
La forme n’a pas d’importance, c’est le fond qui compte. Il est riche à souhait, je suppose. Il nous démontre le danger de vouloir trop de bien aux hommes. C’est une vieille leçon toujours jeune.
Supposez qu’aujourd’hui, de même, il survienne un autre innocent qui se mette à guérir le cancer. Il sait pas quel genre de musique on lui ferait tout de suite danser ! Ca serait vraiment phénoménal ! Ah ! qu’il redouble de prudence ! Ah ! il vaut mieux qu’il soit prévenu. Qu’il se tienne vachement à carreau ! Ah ! il aurait bien plus d’afur à s’engager immédiatement dans une Légion étrangère ! Rien n’est gratuit en ce bas monde. Tout s’expie, le bien, comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément.


Dans la foulée (1925), il rédige un traité sur l’usage de la quinine en thérapeutique...

celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 La-quinine-en-therapeutique-de-docteur-louis-destouches-972331591_ML


Puis, et c’est là que ça commence à devenir passionnant, il est enrôlé à la SDN (l’ONU) au sein du Comité d’hygiène (l’actuelle Organisation Mondiale de la Santé).
Il parle formidablement bien de cette période de sa vie dans Bagatelles pour un massacre. C’est un des innombrables passages cultes du livre ("Par les circonstances de la vie...").
Il était sous la responsabilité directe du directeur, Ludwig Rajchman... qui sera plus tard un des fondateurs de l’UNICEF. Céline bosse donc à Genève et est plus ou moins le "secrétaire" de Rajchman. Les deux hommes s’appréciaient beaucoup ("Destouches, a very intelligent and enthusiastic man").

celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine%2Bgeneve

Céline est envoyé ensuite en missions "sanitaires" dans le monde entier entre 1925 et 1927. Voyages d’information médicale, campagnes de vaccination, surveillance et prévention des mesures sanitaires dans les hôpitaux, cliniques, mais aussi dans les usines, études de la médecine du travail, des conditions de travail des ouvriers, etc.
Au cours de ces missions, Céline "encadrait" des groupes de médecins internationaux et organisait les visites et les conférences. Puis il rédigeait des rapports de missions qu’il transmettait à Rajchman et qui mêlaient approche "technique" et analyses sociologiques et économiques. Les textes sont drôlement brillants... On a du mal à croire que c’est Céline qu’écrit. On va dire que c’est très académique... Pourtant les textes ne sont pas hyper techniques. Il raconte juste ses visites, sa rencontre avec des médecins étrangers, ses inspections d’hôpitaux, d’usines, avec toutes sortes  d’observations médico-sociologiques. Le fond pourrait se lire bien mais c’est la plume qu’est violemment sèche...  conférencière... mais en même temps ampoulée parfois,  chiadée à l’ancienne... (tout en faisant preuve parfois de libertés de ton surprenantes). Chelou.
Il en rigole d’ailleurs dans Bagatelles :

Citation :
A la fin il m’avait dressé, je rédigeais, super-malin, amphigourique comme un sous Proust, quart Giraudoux, para Claudel...  Je m’en allais circonlocutant, j’écrivais en juif, en bel esprit de nos jours à la mode...  dialecticulant...  elliptique, fragilement réticent, inerte, lycée, moulé, élégant comme toutes les belles merdes, les académies Frangoncourt et les fistules des Annales...


Il sillonne ainsi tous les Etats-Unis (avec notamment une (deux je crois) visite "phare" dans les usines Ford de Detroit), mais aussi le Canada et Cuba.

Trois photos de 1925.
On le voit ici à Toronto (deuxième à droite) :
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 TORONTO+Celine+avec+la+d%25C3%25A9l%25C3%25A9gation+SDN+1925


Ici la grosse tête en plein milieu :
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Groupe+de+m%C3%A9decins+latino-am%C3%A9ricains+avec+le+Dr+DESTOUCHES


Et là (quatrième à gauche) en Italie où la délégation est reçue par Mussolini en personne :
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine+SDN+mussolini-3-8-1925


Puis il est envoyé en mission sanitaire en Afrique (il connaissait déjà l’Afrique en fait, il y avait vécu un an, entre 1916 et 1917, c’est raconté dans Voyage au bout de la nuit). Pareil : visites, états des lieux dans plein de pays avec force propositions pour un développement sanitaire plus efficace (Sénégal, Nigéria, Sierra Leone, Soudan, Guinée, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo).

De retour à Genève au siège de la SDN, il rédige sa première pièce de théâtre, L’Eglise en 1926-1927. Elle fut publiée seulement en 1933 par Denoël, avec le bandeau génial "Bardamu à la S.D.N." qui, hélas, ne tient pas toutes ses promesses. En effet la pièce est dans l’ensemble ratée. Comme Céline le confiait lui-même : il n’y a pas de "nœud". C’est juste une succession de "tableaux". Et puis l’écriture est un peu plate... (mais ma critique n’est pas propre à la pièce de Céline, car je trouve le théâtre on va dire "réaliste" du début 20e  littérairement faible, plat, vulgaire, scénarique, et Céline n’y échappe pas – il faudrait toutefois que je relise la pièce !). A mon avis c’est une erreur grossière de la part de Denoël de l’avoir publiée dans la foulée du Voyage. Reste le troisième acte qui est une satire "bureaucratique" plutôt mordante où l’on voit les "pontes" de la S.D.N. tirer en coulisse diverses ficelles... dans un langage procéduriel piquant... "les chinoiseries des Commissions, la dialectique des compromis..."

Bref.
Il faut maintenant insister un peu sur le fait qu’une situation superbe attendait Céline à Rennes. Voie toute tracée. Confort bourgeois, clientèle de son beau-père, routine mondaine, postes futurs à briguer à la pelle, séminaires, chaussons, ronronneries, sous-cottardises, etc. Il n’était pour lui que de patienter un peu. L’appui de la belle-famille ferait le reste. Il a tout envoyé valser bien sûr.
Coup sur coup dans le désordre : il quitte la SDN (mais on l’a un peu aidé...), sa femme demande le divorce, retour en banlieue parisienne, travail en dispensaire, rencontre avec sa future muse Elisabeth Craig. Et surtout, il entreprend la rédaction de Voyage au bout de la nuit.

celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Celine2


Elisabeth Craig (la dédicataire du Voyage)
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Ecraig

Il soigne donc dans son dispensaire tous les déshérités des banlieues. Tout cela est raconté bien sûr dans son premier roman. Mais il en est aussi superbement question dans le final très poétique des Beaux draps, ainsi que dans sa préface de Bezons à travers les âges (1944) dont voici le célèbre début :

Citation :
Pauvre banlieue parisienne, paillasson devant la ville où chacun s’essuie les pieds, crache un bon coup, passe, qui songe à elle ? Personne. Abrutie d’usines, gavée d’épandages, dépecée, en loques, ce n’est plus qu’une terre sans âme, un camp de travail maudit, où le sourire est inutile, la peine perdue, terne la souffrance, Paris « le cœur de la France », quelle chanson ! quelle publicité ! La banlieue tout autour qui crève ! Calvaire à plat permanent, de faim, de travail, et sous bombes, qui s’en soucie ? Personne, bien sûr. Elle est vilaine et voilà tout. Les dernières années n’ont pas arrangé les choses. On s’en doute. Banlieue de hargne toujours vaguement mijotante d’une espèce de révolution que personne ne pousse ni n’achève, malade à mourir toujours et ne mourant pas. Il fallait une plume ardente, le don de vaillance et d’émoi, le talent de haute chronique pour ranimer ces pauvres sites, leurs fantômes, leurs joies évadées, leurs grandeurs, leurs marbres, leurs souffles à méchante haleine.

Il continue cependant jusqu’en 1932 ses "voyages médicaux". Il parcourt ainsi toute l’Europe et visite les dispensaires des grandes villes étrangères (Angleterre, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Suisse, Italie, Danemark, Suède, Norvège, Tchécoslovaquie...). Il "prend le pouls" des différentes politiques de santé publique en Europe, étudie le fonctionnement des cliniques, les pratiques d’hygiène sociales et publiques, les conditions sanitaires et alimentaires des ouvriers...
Lors de son séjour (incognito) à Leningrad en 1936, il ne manquera pas de visiter les hôpitaux de la ville, d’observer notamment les pratiques d’hygiène dans les services d’accouchement... (toujours l’ombre de Semmelweis...) Visites qu’il raconte dans Bagatelles pour un massacre et qui prennent dans le pamphlet un tour épique... des "morceaux" céliniens de haute volée, irrésistibles, avec notamment la visite guidée du service des examens gynécologiques par le médecin russe Toutvabienovitch... ("Tout va Très Bien !... Tous les malades vont Très Bien ! Nous sommes tous ici, Très Bien !...").

Pour revenir à ses voyages en Europe, il en tirera rapports, communications, travaux à propos "d’éducation médicale" et des différentes politiques de santé publique à mener, de la protection sociale des travailleurs, et plein d’autres trucs...  
Sa "marotte" c’était la médecine sociale, notamment la médecine du travail (elle n’existait pas encore en France, elle verra le jour sous Pétain en 1941). Il était un fervent partisan de la médecine en entreprise et a écrit pas mal sur ce sujet, interpellé nombre de ses confrères de la Société de médecine de Paris dans des "communiqués". Interventions qui, nous dit-on, eurent une certaine portée dans le milieu.
Il écrit par exemple en 1928 : "Il faut créer des cadres de médecins d’assurances-maladie "d’entreprise" qui auront la charge spéciale des assurés, sur le lieu même et pendant la durée du travail."


Mais son œuvre médicale majeure avec Semmelweis est sans conteste un "mémoire" de 1932, qu’on pourrait qualifier de "pamphlet médical", écrit suite à ses différents voyages en Europe dont j’ai parlé plus haut. C’est une sorte de "bilan" de ses années de médecine, dans lequel il fustige l’ignorance dans le milieu médical de la réalité sociale. Il s’insurge avant tout contre les entraves faites au progrès de l’hygiène sociale et au bon développement de la santé publique en France.
Ce texte est incroyablement passionnant à lire, bonnard en tous points (même si on ne s’intéresse pas au sujet). Il se lâche cette fois pour de bon au niveau de l’écriture, tout en restant très brillant. En fait voilà, il part en croisade contre la confrérie attentiste des hygiénistes français, massacre un peu tout ça, éclaire le tout de formules magnifiques, puis, après s’être fait la main dans ce "costaud" préambule, fait tout un tas de propositions, de mesures inédites pour redresser l’efficacité des mesures sanitaires en matière d’hygiène. Bref c’est magnifique et très intéressant.

Citation :
On agite bien pour la galerie, les grands problèmes comme on dit, tous les raseurs de ce monde fondent sur les grands problèmes comme les fourmis sur la langouste pourrie. Rien de tel qu’un grand problème pour dissimuler flatteusement une radicale inaptitude à saisir les humbles contingences de la réalité, les exigences de la vie même. C’est l’abri naturel de tous les fainéants profonds : les grandes questions. Les grands problèmes sont les cimetières ordinaires des hautes études. Un grand problème ça n’est jamais sérieux, un petit non plus d’ailleurs, c’est le sujet de la réalité qu’il faut saisir, c’est à ceci que se mesure l’homme.


Finalement (ouf ! et merci de m’avoir lu jusqu’au bout !) Voyage au bout de la nuit paraît fin 1932. L’aventure littéraire peut commencer.

celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Voyeo
celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 L.-F._C%C3%A9line_c_Meurisse_1932



...

A noter que ce recueil de textes médicaux contient aussi :
- ses communiqués à la Société de médecine de Paris concernant la protection sociale en France
- ses travaux de recherche au début des années 20 (notamment un sur les chenilles...)
- des prospectus pour des produits pharmaceutiques (Céline a écrit pour Sanogyl...)
- enfin il faut savoir que Céline a mis au point un médicament contre les règles douloureuses... (en vente en pharmacie jusqu’en 71). Véridique...

...



Finalement c’est sa période plus modeste de médecin de dispensaire en banlieue parisienne qui reste la plus connue. C’est dommage. Si elle est bien sûr capitale, elle n’occupe cependant, on vient de le voir, qu’une place assez minime dans sa vie médicale intense.


Voilà voilà.
Bon mais ce recueil s’adresse aux fans vraiment ultimes.
Néanmoins, la lecture de Semmelweis (toujours édité en poche, Imaginaire Gallimard) est vivement conseillée.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 22:00

pas de doute, tu sais aiguiser la curiosité. et merci pour le topo imagé !
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 22:03

Merci Max !
Très intéressant, je ne m'intéresse jamais à la vie des auteurs que je lis (et apprécie), pour différentes raisons, alors je ne connaissais presque rien de Céline pré-Céline. Quel éclairage parfaitement présenté.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 22:11

Max toujours passionné dans ses posts : j'aime ça !  sourire
Peut-être même que tu réussiras à me faire lire Céline un jour ....après MauriacWink
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Arabella
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 22:23

Très intéressant. Et cela montre bien à quel point c'était un homme complexe.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyLun 30 Juin 2014 - 23:28

C'est très intéressant, merci Max. Forcément, en novice que je suis, j'ai été frappée par le fait qu'il ait fait sa thèse sur un juif hongrois, un homme qu'il avait l'air d'admirer. Quand on connaît la suite, ça interpelle, ça ne colle pas avec l'image qu'on se fait de l'auteur de Bagatelle pour un massacre.
En sais-tu plus sur l'antisémitisme de Céline ? A t'il toujours été aussi radical ou bien cela s'est-il fait progressivement ?
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Max
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyMar 1 Juil 2014 - 17:19

Content que ça vous ait intéressés !  content J’ai mis le paquet mais de bon cœur.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, il n'y a pas quatre chemins : le premier tome de la biographie de François Gibault (Céline - Le temps des espérances, 1977). Indispensable. Vraiment très bien. A mon avis le meilleur des trois tomes. Ca concerne uniquement la période Destouches, et on peut tout à fait le lire à part.

Armor-Argoat, pour la "question juive" chez Céline, c'est assez complexe, avec plein de contradictions. Là je peux pas en parler comme ça pendant que je goûte, mais déjà, ce que je peux dire, c'est que Céline a côtoyé toute sa vie (et de façon intime) quantité de Juifs...
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyJeu 31 Juil 2014 - 11:04

J'ai terminé Voyage au bout de la nuit.
Je n'avais encore jamais lu un seul livre de Céline. D'ailleurs je ne connaissais pas encore grand chose de lui à part les qualificatifs de grand auteur et antisémite.
Mes impressions d'inculte :
Je n'ai pas été marquée profondément par le style. J'ai apprécié l'utilisation de l'argot et la manière dont le narrateur perçoit les choses.
Je trouve cette histoire bien pessimiste, rien ne peut être positif bien longtemps. Les temps d'accalmie, les moments de bonheur sont de courte durée. On s'attend toujours à ce que quelque chose arrive et mette fin à la quiétude, et c'est ce qui se passe.
Le début commence par la mobilisation de Ferdinand Bardamu qui se retrouve à combattre dans les tranchées lors de la première guerre mondiale. Il ne souhaite pas être un héros mais seulement sauver sa peau et selon lui, cela passe par la lâcheté, se faire oublier, fuir.
Puis toute sa vie, il fonctionnera sur ce mode là. Un souci, la fuite.
L'espèce humaine n'est pas belle. Tous les protagonistes ne pensent qu'à eux. Il y a très peu de solidarité mais beaucoup d'exploitation, de trahison.
Robinson et Ferdinand sont les deux personnages principaux qui vont se croiser de nombreuses fois au cours de leur vie. J'ai l'impression que ce sont des hommes qui se dégoûtent, qui ne sont pas fiers de ce qu'ils sont. Ils en ont conscience tout en sachant qu'ils ne pourront pas changer. C'est un peu comme si la guerre les avait détruits à tout jamais.

Voici un extrait qui reflète bien l'ambiance du livre, j'avoue que ça m'a mis une claque.

Robinson rejette une amoureuse :
Citation :
"Mais si ! qu'il lui a répondu. Que j'en ai du courage ! et sûrement bien autant que toi ! ... Seulement moi si tu veux tout savoir ... Tout absolument... Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi ! ... Tout !... L'amour surtout! ... Le tien aussi bien que celui des autres ... Les trucs aux sentiments aussi bien que celui des autres... Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? ça ressemble à faire l'amour dans des chiottes ! Tu me comprends-t-y à présent ? ... Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l'effet d'insultes si tu veux savoir ...Et tu t'en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante ! ... ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres ... Tu trouves ça régulier... ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours ... Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde ! ... Tu m'entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille ... leur dégueulasse d'amour ! ... Tu tombes de travers ! ...T'arrives trop tard ! ça prend plus, voilà tout ! ... Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères ! ... T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe ? ... De tout ce qu'on voit ? ... Ou bien c'est-y que tu vois rien ? ... Je crois plutôt que tu t'en fous ! ...Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une ... Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce tendresse ? ...ça passe alors ? ... Pas à moi ! ... Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que t'as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte ... Tu cherches à savoir ce qu'il y a entre toi et moi ? ... Eh bien entre toi et moi, y a toute la vie ... ça te suffit des fois ?"

En tout cas, j'ai bien envie de lire aussi Mort à crédit.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptySam 2 Aoû 2014 - 20:26

Je me demande finalement si ça t'a plu ou non... tu sembles à la fois effrayée et fascinée...

Pour ma part, je crois que l'extrait que tu as posté est un des passages du Voyage qui a trouvé le plus d'écho en moi. Je l'ai lu en pensant : tant de fois où j'aurais voulu le dire mais où je n'ai pas pu...
On aime sans doute le Voyage s'il répond à une expérience personnelle...
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyMer 13 Aoû 2014 - 15:49

colimasson a écrit:
Je me demande finalement si ça t'a plu ou non... tu sembles à la fois effrayée et fascinée...

Pour ma part, je crois que l'extrait que tu as posté est un des passages du Voyage qui a trouvé le plus d'écho en moi. Je l'ai lu en pensant : tant de fois où j'aurais voulu le dire mais où je n'ai pas pu...
On aime sans doute le Voyage s'il répond à une expérience personnelle...

En fait je ne sais pas vraiment si ça m'a plu ou non. Je n'ai pas dévoré le bouquin, je ne me suis pas sentie toute triste d'abandonner le livre, les personnages ... c'est un peu comme si je n'avais réussi à complétement entrer dans l'histoire.
Quant à l'extrait, il provient bien du livre Voyage au bout de la nuit. Je n'ai encore rien lu d'autre de Céline.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyVen 15 Aoû 2014 - 15:26

Et dire que je vais encore devoir étudier ce Voyage l'année prochaine... ça ne sera que la 4e fois au cours de ma scolarité... ça va que j'aime ce bouquin.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 EmptyVen 15 Aoû 2014 - 20:33

Intéressant, ton message, Menyne.
Perso ça me fait toujours plaisir de lire les commentaires d'un lecteur qui découvre Céline. Ca me file la bougeotte.
Tu nous diras pour Mort à crédit ? J'espère que tu aimeras. Il ne te laissera pas indifférent en tout cas...


Allez, pour te motiver davantage encore. Deux annonces publicitaires de Denoël de mai 36  content :

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celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Intran150536



colimasson a écrit:
Et dire que je vais encore devoir étudier ce Voyage l'année prochaine... ça ne sera que la 4e fois au cours de ma scolarité... ça va que j'aime ce bouquin.

Tiens, je serais très curieux de savoir quel sont les livres sur Céline qui t'ont été conseillés (j'ai ma petite idée...).
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   celine - Louis Ferdinand Céline - Page 16 Empty

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