Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Louis Ferdinand Céline

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colimasson
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 26 Fév 2015 - 21:40

Merci tous les deux pour vos propos personnels et au coeur de votre expérience.

Max, je comprends ce que tu ressens à la lecture de Céline et je le ressens aussi pour des écrivains bien précis, mais pas pour Céline. Encore une fois, idiosyncrasie...

Et pour le dernier paragraphe de ton message, tu cites Marie Bell et paf ! ça me ramène aussitôt à René Daumal, dans L'évidence absurde (lu il y a un mois ou deux, donc encore tout frais, et qui m'avait bien chamboulée) :

Citation :
« Je rêve ou me souviens d’une danse disant le retour éternel, motif profond, hors de la durée, de cette séculaire poursuite que nous dansions en rond dans les clairières, cette désespérée poursuite en rond des pieds sur la terre, des goudou-goudous dans le ventre, des chansons-sanglots hurlantes des femmes dans le cœur, de la mélodie en vrille des flûtes dans le nez, cette danse, cette danse que nous dansions dans toutes les forêts vierges, dans toutes les nuits tropicales, cette danse perdue.
[…]
Toujours tourne la ronde sauvage en couronne dans la mémoire de nos têtes ; toujours tourne le plus poignant des souvenirs de l’immémorable enfance, tourne le chant dans notre tête, et notre piétinement sur la piste des ancêtres, le chant de notre retour circulaire au centre unique et immobile de la ronde, le chant du savoir absurde que nous savons, le chant de notre amour, le chant, la danse de notre mort –toujours dans la mémoire de nos têtes.
… Pendant que les hommes que nous animons se livrent à des travaux obscurs. Nous avons semé la graine de la vieille Danse dans le champ du langage. La danse de tout notre corps s’est concentrée dans notre bouche et ne remue que les mots ; elle éclatera un jour, cette danse, avec nos hurlements, pour la purification cruelle de nos paroles […]. »

J'espère t'avoir bien compris content
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyVen 27 Fév 2015 - 20:16

Max a écrit:


Je crois que Céline bouleverse profondément notre façon de lire, d'abord parce que sa langue est brisée, mais surtout parce qu'il nous force à vivre les phrases "du dedans". Sans cet effort sur l'instant, improvisé, à vif, de notre part, on n'arrive pas à le suivre/lire... Mais dès lors qu'on parvient à se raccrocher à son rythme imposé, à sa transposition de tout instant, on finit tout naturellement, sans même s'en rendre compte, par suivre un autre rail, je ne sais pas, on finit par anticiper instinctivement toutes les embûches stylistiques que Céline nous impose. C'est comme une lecture "parallèle" dans notre tête. Sans compter les explosions émotives, cette vie réinjectée dans la phrase à tout moment qui crée une dynamique de lecture, j'ai envie de dire participative.
J'aimerais pouvoir m'exprimer avec des termes moins imagés et moins chiants  hs Ce que je veux dire, c'est qu'avec Céline, ce que l'on vit, ce n'est pas l'émotion que nous procure une scène. Ce que l'on on vit, et qui nous émeut, c'est, d'abord, sur l'instant, la structure elle-même de la phrase. C'est très étonnant d'y réfléchir après coup. J'y pense tout le temps. Ca me travaille beaucoup... Mais ça ne veut pas dire que Céline se résume à de la technique (et donc à du bluff), car cette structure "vécue" débouche, pour qui sait la pénétrer, donc secrètement, sur l'intimité d'un langage aux possibilités infinies... (avec comme accessoires, sa tendresse, ses haines, son humour, etc.), que je ne suis d'ailleurs pas apte à décrire bien...Louis Ferdinand Céline - Page 20 937463

Je suis de ton avis Max. Ce que tu analyses avec acuité c'est ce que je qualifie paresseusement sous le terme générique et facile de "style". Pour moi, le travail sur la phrase est une donnée essentielle dans la jouissance de la lecture. A vrai dire, je suis passé directement de la "Recherche" à Céline sans aucune difficulté. On ne peut rêver d'opposition plus grande entre ces deux auteurs, pourtant Proust et Céline sont à mon avis les deux grands magiciens de la langue française au XXe siècle. Après la trilogie allemande, j'ai lu "Soumission" de Houellebecq ; rien à voir avec Céline, pourtant la transition s'est faite sans problème, ce qui me fait penser que Houellebecq a tout de même du "coffre". En revanche, Emmanuel Carrère m'est tombé rapidement des mains, par cette absence justement de style. Et... et... je suis revenu à Céline : "Casse-Pipe". Il me restera ensuite à découvrir Guignol's band, Féerie pour une autre fois, les pamphlets (j'avais lu "Les Beaux draps" mais il y a longtemps) ainsi que le correspondance. Comme je suis un vieux bobo qui ne roule pas sur l'or mais qui n'a pas à se plaindre, j'ai la chance d'avoir ces ouvrages en Pléiade (d'occase mais qu'importe !) sauf les pamphlets bien entendu. Je suis donc loin d'en avoir fini avec l'univers célinien sourire Céline a déclaré dans je ne sais plus quel interview que le burlesque (ou un terme approchant, je n'ai malheureusement pas noté) était un genre peu exploité par la littérature française. On l'a souvent comparé à Rabelais ce qui est assez pertinent : utilisation de l'argot ou du parler populaire, rupture avec le style de narration "classique", recours au burlesque et à l'humour, présence d'une réflexion et du désir de secouer les méninges du lecteur. En littérature étrangère, Céline me fait parfois penser à Faulkner dans certains de ces romans (en notant que je n'ai pas lu ces derniers dans le texte d'origine). Voilà quelques réflexions totalement subjectives Very Happy
Un point que j'oubliais. Nous avons la chance de posséder plusieurs versions de certains romans de Céline qui montrent tout le travail que faisait l'auteur sur le texte pour trouver le mot juste, la phrase ou le membre e phrase le plus percutant (on comprend qu'il se soit énervé contre certains critiques qui déploraient son manque de style).
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyVen 27 Fév 2015 - 20:33

colimasson a écrit:

Citation :
« Je rêve ou me souviens d’une danse disant le retour éternel, motif profond, hors de la durée, de cette séculaire poursuite que nous dansions en rond dans les clairières, cette désespérée poursuite en rond des pieds sur la terre, des goudou-goudous dans le ventre, des chansons-sanglots hurlantes des femmes dans le cœur, de la mélodie en vrille des flûtes dans le nez, cette danse, cette danse que nous dansions dans toutes les forêts vierges, dans toutes les nuits tropicales, cette danse perdue.
[…]
Toujours tourne la ronde sauvage en couronne dans la mémoire de nos têtes ; toujours tourne le plus poignant des souvenirs de l’immémorable enfance, tourne le chant dans notre tête, et notre piétinement sur la piste des ancêtres, le chant de notre retour circulaire au centre unique et immobile de la ronde, le chant du savoir absurde que nous savons, le chant de notre amour, le chant, la danse de notre mort –toujours dans la mémoire de nos têtes.
… Pendant que les hommes que nous animons se livrent à des travaux obscurs. Nous avons semé la graine de la vieille Danse dans le champ du langage. La danse de tout notre corps s’est concentrée dans notre bouche et ne remue que les mots ; elle éclatera un jour, cette danse, avec nos hurlements, pour la purification cruelle de nos paroles […]. »
Ouah, c'est beau ! Il faudra que je lise un jour Daumal. Cela m'évoque "L'après-midi d'un faune" ou cette danse de séduction primitive et inquiétante de "Un soir un train", superbe film de Paul Delvaux (malheureusement non édité en DVD Crying or Very sad ) :

https://www.youtube.com/watch?v=2XmbzQygEbE
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptySam 28 Fév 2015 - 21:08

Parfaitement illustré ! très étrange en effet... et servi par une musique diablement entraînante Wink
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyDim 1 Mar 2015 - 21:34

colimasson a écrit:
Max, je comprends ce que tu ressens à la lecture de Céline et je le ressens aussi pour des écrivains bien précis, mais pas pour Céline.

Ah oui ? Lesquels ?  Surprised

colimasson a écrit:
Et pour le dernier paragraphe de ton message, tu cites Marie Bell et paf ! ça me ramène aussitôt à René Daumal, dans L'évidence absurde (lu il y a un mois ou deux, donc encore tout frais, et qui m'avait bien chamboulée) :

Citation :
« Je rêve ou me souviens d’une danse disant le retour éternel, motif profond, hors de la durée, de cette séculaire poursuite que nous dansions en rond dans les clairières, cette désespérée poursuite en rond des pieds sur la terre, des goudou-goudous dans le ventre, des chansons-sanglots hurlantes des femmes dans le cœur, de la mélodie en vrille des flûtes dans le nez, cette danse, cette danse que nous dansions dans toutes les forêts vierges, dans toutes les nuits tropicales, cette danse perdue.
[…]
Toujours tourne la ronde sauvage en couronne dans la mémoire de nos têtes ; toujours tourne le plus poignant des souvenirs de l’immémorable enfance, tourne le chant dans notre tête, et notre piétinement sur la piste des ancêtres, le chant de notre retour circulaire au centre unique et immobile de la ronde, le chant du savoir absurde que nous savons, le chant de notre amour, le chant, la danse de notre mort –toujours dans la mémoire de nos têtes.
… Pendant que les hommes que nous animons se livrent à des travaux obscurs. Nous avons semé la graine de la vieille Danse dans le champ du langage. La danse de tout notre corps s’est concentrée dans notre bouche et ne remue que les mots ; elle éclatera un jour, cette danse, avec nos hurlements, pour la purification cruelle de nos paroles […]. »
J'espère t'avoir bien compris content

Hmmm... c'est pas tout à fait comme ça que je vois la chose, mais pourquoi pas... oui un peu quand même.  content
Mais comme tu l'as dit, il s'agit d'impressions personnelles, hein. De sensations de lecture qui me préoccupent (beaucoup trop par moments...) et que j'essaye de déchiffrer péniblement, en m'aidant de confidences lâchées dans sa correspondance ou d'essais ici ou là.

Euh sinon, c'est pas Marie Bell que je cite sourire mais un mot que lui a adressé Céline (après l'avoir vue jouer dans une pièce de Cocteau, c'était en 43 je crois).

...

Faut que je trouve le temps de te répondre, Arensor. Pour le burlesque (je ne parviens pas à remettre la main sur une citation...) + quelques mots sur tes lectures prochaines...
D'accord pour les transitions. En effet, il faut avoir bien du coffre pour passer après Céline sans trop de casse.
Tu as l'air motivé en tout cas. C'est bon ça !
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyMar 3 Mar 2015 - 0:14

ArenSor a écrit:
Céline a déclaré dans je ne sais plus quel interview que le burlesque (ou un terme approchant, je n'ai malheureusement pas noté) était un genre peu exploité par la littérature française.

Tu parles de l'aspect burlesque chez Céline, et ça m'a fait penser à un passage des entretiens avec Robert Poulet. Tu sais, le Poulet de l'incipit de Rigodon ("je vois bien que Poulet me boude...")
Lors de ces entretiens, ils discutent à bâtons rompus, puis il est question à un moment de la mort, et Céline petit à petit en vient à parler de l'aspect burlesque qu'a à ses yeux la mort, puis à parler de l'esprit burlesques de nombreuses scènes de ses romans.
Céline :

Citation :
La mort m'est toujours présente. A chaque seconde ma vie, je l'ai vue et je la vois, en moi, en face de moi. Tout homme qui me parle est à mes yeux un mort ; un mort en sursis, si vous voulez ; un vivant par hasard et pour un instant. J'ai vu des milliers et des milliers de morts, notamment quand j'étais médecin de l'état-civil. Eprouver la rigidité d'un bras, soulever une paupière : pour moi, des gestes machinaux !...
Avec étonnement et ironie, je constate que la plupart des gens n'ont pas l'air de se douter qu'ils sont morts, ou tout comme. Morts depuis leur naissance. "Des ombres qui marchent" dit Shakespeare. Tous ces politiciens, tous ces savants, tous ces littérateurs, qui agissent et sentent comme s'ils vivaient vraiment, comme si le ver de la dissolution n'était pas déjà en eux, né à leur premier cri, je les trouve grotesques. Et pitoyables. Des aveugles vaniteux, qui marchent au bord d'un abîme...
A cette seconde où je vous parle, j'ai la cervelle occupée à la fois par les choses dont nous parlons et par la conviction que maintenant, tout de suite, je peux m'affaisser et rendre mon dernier souffle. Mais cette hantise ne m'attriste pas, ne me paralyse pas, comme tant de morts-vivants qui jouent à cache-cache avec la pourriture.
Moi, la mort m'habite. Et elle me fait rire !
Voilà ce qu'il ne faut pas oublier : que ma danse macabre m'amuse, comme une immense farce. Chaque fois que l'image du "fatal trépas" s'impose dans mes livres, on y entend des gens qui s'esclaffent. Ma camarde, c'est un effet comique. Et aussi la réalité d'où elle sort, qu'elle éclaire !... Une réalité cocassement agencée, avec mille détails encore plus burlesques que sinistres, et à la surface de laquelle s'agitent quelques milliards de nœuds d'atomes, qui à peine serrés commencent à se dénouer, après avoir crié vaniteusement leur nom d'hommes : y a-t-il rien de plus bouffon ?... Croyez-moi : le monde est drôle, la mort est drôle ; et c'est pour ça que mes livres sont drôles, et qu'au fond je suis gai.

Il confirmera tout ceci en écrivant un jour à Milton Hindus : "je ne me réjouis que dans le grotesque aux confins de la mort".
D'ailleurs, à propos de lettres, je te conseille de découvrir en premier la correspondance avec Hindus. C'est de loin la meilleure. Mais si j'ai bien compris, tu vas te faire l'anthologie en Pléiade  Wink


Et puis bon, question burlesque, tu vas être servi avec Guignol's band Very Happy ) Je ne t'en dis pas plus. Des sommets comiques en continu. A mon avis Céline était au sommet de son art en 1944, avec un "rendu émotif transposé" jamais égalé... nulle part ailleurs dans son œuvre.

N'oublie pas les Entretiens avec le professeur Y !

Une chose qui me vient en tête. On a tendance à distinguer deux cycles chez le Céline de la fin : d'un côté les Féeries, de l'autre la trilogie allemande.
Or, il me paraîtrait plus judicieux de rattacher Normance (Féerie II) à la trilogie allemande. C'est ce que rappelait très justement Philippe Muray. Pour lui, les quatre derniers romans formaient un seul et même cycle : la "tétralogie des bombes", qui avait en quelque sorte pour préface Féerie I.
C'est bien vu.
Tu verras que Normance est exactement dans la même veine que les trois derniers, tant dans le style (le renouveau stylistique final de Céline date de Normance) que dans les événements décrits (bombes, déchirements, monde en flammes, courses-poursuites, la mort aux trousses, etc.). On a également le même narrateur-pitre... Je crois même que Céline n'a jamais fait autant le clown, en tant que narrateur je veux dire, que dans Normance... C'est souvent très drôle et "con" ! Sauf qu'ici il n'y a pas d'histoires... 200 pages d'explosions... de valdingages à travers les murs... hurlements, bruits, rafales, couleurs, sensations diverses, l'écroulement d'un monde tout ça... C'est un roman assez... futuriste... (l'appréciation est de Dantec).

Féerie I est très difficile d'accès. Un long texte tassé de 200 pages, sans aucun saut de ligne (pas un seul). Composé principalement de hurlements, de cris outrés, d'interjections diverses. Son émotion est ici presque exclusivement vengeresse... Ca tourne à l'obsession. Céline tourne en boucle trois sujets : sa nouvelle position d'écrivain damné, son emprisonnement au Danemark, et Montmartre en 1944. Tout ceci agrémenté de souvenirs personnels, familiaux, professionnels, politiques, littéraires et esthétiques... On peut voir ça comme un long chant, à la manière antique (je n'ai aucune connaissance dans ce domaine, mais je me permets quand même le rapprochement... qui me plaît assez Cool ). Je repense d'ailleurs à la formule de Roger Nimier : "On accuse injustement Céline d'avoir écrit et inventé des gros mots pour le plaisir, quand il lançait seulement des invectives, au sens grec : exhortations au combat contre les puissantes néfastes de la vie."
Féerie I est un des livres qu'il a le plus retravaillé, je crois... Marcel Aymé, au début des années 50, annonçait un Châtiments de Céline à venir, mais hélas il n'en est point venu. A force de trop vouloir faire voltiger les mots, on finit par se casser la figure... Au final le livre est très difficile à lire, très violent (dans le sens rentre-dedans inapprochable).  

Tu me parlais de versions primitives. C'est l'occasion pour moi de te conseiller vivement la lecture de Maudits soupirs pour une autre fois. Ne vas pas croire parce que c'est une version antérieure qu'elle est moins intéressante. AU CONTRAIRE. Je préfère ce texte à Féerie I. Bien sûr, il y a des passages incomplets, d'autres pas toujours retravaillés un peu maladroits, des sauts dans le récit... mais on a parfois du grand Céline. Et, du reste, un Céline assez inattendu, car disons que cette version de Féerie est plus nostalgique, plus tendre aussi parfois, avec de violentes rancœurs bien sûr, m'enfin ça n'a rien à voir...
Enfin, certains passages n'ont pas été intégrés au Féerie définitif alors qu'ils étaient superbes ! (je pense par exemple à un assez long souvenir de sa convalescence en 1915, avec son compagnon Marcel, troufion salement amoché lui-aussi... C'est tout simplement magnifique... et à découvrir donc !).
En plus, l'avantage de Maudits soupirs, c'est qu'on y trouve à la fin une ébauche de ce qu'aurait dû être Féerie III sourire

...


Allez. Pour le plaisir.
Un extrait de Maudits soupirs pour une autre fois. Peut-être que ça te donnera envie de le lire aussi.

Citation :
C’est embêtant de parler de prison, enfin tout de même faut y venir, voici onze mois que ça dure, onze mois c'est long... chaque seconde de jour et de nuit... l'Ambassadeur des Ulbons m'a fait écrouer... arrêter revolver au poing, précipité cul de basse fosse aux oubliettes au Roi Christian. C'est petit l'Europe bien qu'on dise... la haine l'encapote tout entière... un coup de fil, un trait de plume, flouf ! vous êtes précipité jeu d'ombres ! on vous revoye plus ! L'article 75 a des ailes... il vole à la mort partout. Quel vampire l'Article 75 !... Je chanterai pas dans les supplices ! Y a que les Aèdes bien onguentés pagaf oh là ! là ! quelle énorme ! pour s'arracher des cris pareils, supplices et tata !  Je les entends hurler ici dans les dix cachots là tout jouxte, de jour et de nuit... c'est pas de plaisir vous assure ! Il me la copiera « les supplices » !... C'est long onze mois chaque seconde de jour et de nuit... Le vent de Baltique prend bien les plaintes, les moindres cris, vous enfle tout ça, hululule... Le chant des supplices ! saloperie, ah fourbe fiote ! Le vent mugit certes pour son compte... les énormes harpes du Nord... des branches jouent de sept heures à minuit... la lune ! On voit des harpes après minuit... c'est les hêtres géants d'en face... de l'autre côté des trois murailles... Nordre Faengsel, Prison du Nord... mille deux cent dix cellules, cinq étages... Je l'ai pas choisie... Je l'ai vu de ma cage l'après-midi : construite en 1915... l'année de ma première blessure... Qu'est-ce qu'ils foutaient ceux-là les vaches en 1915 ?... ça me regarde pas... Je me suis sacrifié pour tous... plus bas à présent encagé galeux suinteux que le dernier rat... Nordre Faengsel... mutilé 75 p. 100... Enfants de France soyez fiers, comme on traite un héros grand-père ! Merde !...

Bébert mon chat... il est dehors avec Lucette, elle le quitte pas... il a passé tout avec nous, toutes les rafales, déluges possibles... dans un sac il est, il se rend compte, voilà des mois qu'il bouge pas... en bandoulière... il fait juste pipi un petit peu, il mange juste un petit peu... lui qu'était si exigeant là-bas, impossible à contenter, le caprice fait animal... maintenant c'est autre chose comme greffe... il bouge plus, il remue jamais... il a peur c'est tout... Depuis qu'il a quitté Montmartre il a peur de tout... Lucette l'emmène avec elle partout fermé dans son sac... elle lui fait prendre l'air... ils attendent toute la semaine comme ça les dix minutes de visite. Voilà onze mois que ça dure. Elle suit les rues, elle va, elle vient, elle parle à personne, elle connaît personne... Bébert dans le sac... Des fois des jours à la visite, il me sort toc une toute furtive patte... ah vite ! du volet du sac... c'est sa façon de conversation... jamais il miaule. Personne voit le geste... pas le gardien, personne. Lucette l'amène à la visite... Le chat sur les genoux... personne croirait que c'est un chat... Lui qui restait pas une minute une seconde en place quand on avait notre domicile. Enfin n'est-ce pas l'âme animale, c'est averti des malheurs... Il aurait pu m'avertir ! greffu greffion ! quand on était encore chez nous... que j'avais un jeu atroce, que toutes mes cartes valaient mille morts... je serais jamais monté jusqu'ici. J'aurais fini rue Lepic pendu à l'arbre à Nonoze... C'eût été beaucoup moins souffrir... Prisonnier du Roi Oluf en caveau humide ! chirie ! c'est la honte d'être homme !
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 5 Mar 2015 - 20:15

Merci Max pour ces commentaires très détaillés sur Féerie sourire
Le passage que tu cites de "Maudits soupirs pour une autre fois" est du meilleur Céline. J'y retrouve cette référence à l'article 75 qui le hantait à cette époque où il était également attaqué par "l'agité du bocal". Le passage sur le chat Bébert, qui m'a accompagné tout au long de la trilogie, est émouvant. On retrouve ce profond amour de Céline pour les animaux. Il y a dans "D'un château l'autre" un très beau passage sur la mort de sa chienne. Certains diront que, comme Léautaud, Céline aimait plus les animaux que les hommes. Je n'en suis pas sûr ; sous ses côtés de misanthrope, je pense qu'il cultivait beaucoup d'amour pour les petites gens (il y a un très beau passage dans Mort à crédit sur un enfant qu'il tente, en vain, de sauver de la mort). Ceci n'excuse pas, bien sûr, ses diatribes antisémites.
En ce moment, j'ai du mal à entrer dans "Casse-pipe". Probablement, le besoin de faire une pause.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 5 Mar 2015 - 22:18

ArenSor a écrit:
On retrouve ce profond amour de Céline pour les animaux (...) Certains diront que, comme Léautaud, Céline aimait plus les animaux que les hommes.

Je te livre une lettre de Céline à ce sujet.
Désolé de toujours citer sans cesse. J'espère ne pas en "faire trop", je ne veux rien imposer. Mais ça me fait plaisir de glisser, de temps à autres, des citations pas toujours accessibles facilement.

Donc le journal L'oeuvre venait de publier entre mai et juin 1933 une série d'articles, dans lesquels deux journalistes s'indignaient du traitement réservé aux animaux "de foire", dressés sous le fouet pour l'exhibition.
A la grande surprise du journal, Céline leur envoie spontanément une lettre de remerciement. Le journal reproduira dans le numéro suivant la lettre de Céline, "chaleureuse [et qui] appuie d'une façon singulière la thèse d'humanité que nous défendons. On se plaît à y retrouver la brutale franchise et les accents excessifs de l'auteur de Voyage au bout de la nuit".

Citation :
Chère Madame,
Laissez-moi vous adresser mes plus sincères et chaleureux compliments pour votre article (...).
Vous ne saurez comprendre à quel point j'admire ce plaidoyer en faveur des fauves. Vous êtes là dans le lieu sensible même de toute notre immonde et sadique brutalité.
Une cité où de telles lâchetés sont applaudies doit être brûlée, massacrée, gazée, et le sera.
De tout cœur avec vous.
L.-F. Céline

...

A propos de Bessy et Bébert, voici deux photos où on peut les voir ensemble, en compagnie de Céline. Ca date bien sûr de l'exil danois.
Louis Ferdinand Céline - Page 20 Celine10
Louis Ferdinand Céline - Page 20 Cyline10

...

ArenSor a écrit:
sous ses côtés de misanthrope, je pense qu'il cultivait beaucoup d'amour pour les petites gens. Ceci n'excuse pas, bien sûr, ses diatribes antisémites.
Oui. Mais tu sais... la question de l'antisémitisme chez Céline, dans ses pamphlets je veux dire, est particulièrement complexe.
Et détrompe-toi, ses pamphlets regorgent d'humanité, aussi incroyable que cela puisse paraître. Ceux qui ne les ont pas lus ricaneront, outrés. Mais c'est ainsi.
J'en veux pour preuve, mais c'est un exemple parmi des centaines, ce passage de la critique de Poulet (tiens tiens !) de Bagatelles :
Citation :
C'est la timidité, la farouche retenue d'un cœur sauvage et pur, qui, par un étrange retour, provoquent ces explosions de grossièreté lyrique. Quand cet ennemi des Juifs semble appeler ses contemporains à la curée, chanter le los des proscriptions et des persécutions, c'est l'autre face de sa sensibilité qu'il faut considérer ; c'est l'amour secret de la vie et du sol, le sens de la douceur française, l'horreur des tueries gigantesques qui s'annoncent, le goût de la franchise et de la lucidité.
Ce que Poulet veut dire par là, c'est que c'est précisément dans ses accès de brutalité verbale les plus folles, lorsque Céline lance, avec une grande désinvolture humoristique, ses phrases les plus atroces, que s'exprime avec le plus d'émotion et d'authenticité, par un étrange retour, sa tendresse. Ce sont des invectives émues. C'est très spécial... En gros, dans Bagatelles, c'est quand Céline se fait le plus "ogre", le plus volontairement bestial, qu'on le sent le plus touché et ému, et j'ajouterais le plus alarmé. Cette impression se dégage nettement à la relecture, au calme, passé le scandale que provoque la première lecture. Bref, on est en droit, bien sûr, de trouver tout cela lamentable et inexcusable, etc. Mais il ne faut pas non plus juger sans comprendre certains "mécanismes" d'écriture propres à Céline. Sans compter qu'à tout ceci s'ajoutent des "données", pour ne pas dire retournements, biographiques et historiques, complexes comme nous le savons, qui compliquent davantage encore la compréhension de ces livres. Sachant en plus que ses trois pamphlets sont radicalement différents (fond, forme et contexte). Bagatelles et Les beaux draps se ressemblent à peu près autant qu'un éléphant et une pomme de terre...
Je dis ça en passant... et tu n'en es pas encore à ces lectures-là ! Tu verras bien...

ArenSor a écrit:
En ce moment, j'ai du mal à entrer dans "Casse-pipe". Probablement, le besoin de faire une pause.  
Oui...
Prends ton temps.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 12 Mar 2015 - 9:20

Une seule critique concernant Entretiens avec le professeur Y sur le fil. Je peux bien comprendre pourquoi j'ai pas sauté dessus avant... C'est un accomplissement dans ma «jeune» vie de lecteur, encore jeune, oui.

Être féru de genres littéraires divers, ça rapporte... entre l'essai littéraire, les entretiens, les dialogues sur la littérature et la poésie faite langage, il n'y a qu'un pas à franchir ici.

«L'agité du bocal» m'avait convaincu. Céline fait partie des grands polémistes et pamphlétaires. Dans Entretiens avec le Professeur Y, il reprend de plus belle. J'arrive bien à imaginer le parcours qui reste à faire.

En passant par les Bukowski, Laferrière, Gracq, Miller, Vila-Matas et compagnie, j'oubliais bien sûr Hubert Aquin dans la catégorie des «essayistes littéraires»... Céline représente un peu l'apothéose du dialogue.

Pour vous dire la force à propos de Céline, il faut surtout dire la facilité avec laquelle il se dégage de ses tirades outrancières. Il reprend sa pirouette, l'air de rien. C'est digne d'un grand talent littéraire. Je ne saurais dire que ce soit énervant, mais il en a du répondant le gars.

Gracq se réalise dans le roman. Céline se réalise à travers l'acte d'écrire et non pas en fonction d'un genre. Il s'en fout d'ce qui se passe, il va te dire drette là ce qu'il pense et avec la force d'évocation qui lui est reconnue de digne renommée.

La confrontation entre Jean-Paul Sartre et lui éclipse celles de Camus et Vian, quoi que Jean-Sol Partre... la violence verbale atteint le paroxysme et le choc retentit. Jean-Paul Sartre a davantage bénéficié des attaques à son endroit, c'est indéniable... dire qu'il tient Céline comme le plus grand écrivain du XXe siècle... l'écriture de Sartre est un pet à côté. C'est sur le plan du personnage littéraire et de la réplique cinglante que ce dernier en impose. Le fait demeure que Céline ne voulait pas être en reste.

Il y a une citation que je retiens et c'est celle à la page 24-25 à propos du romancier et du roman «rendu émotif». Elle est trop longue à citer. Lisez cet extrait de dialogue. Il en vaut d'autres mais le summum de Céline se trouve là.

Céline parle lui-même de métro émotif si je ne m'abuse... j'ai vu que quelqu'un a rapporté cette expression d'un autre auteur sur ce même fil... l'expression vient de Céline. Il en a contre la modernité, et il parle des aspirateurs pour décrier les travers de l'époque qu'il perçoit...

À aligner les écrivains à la brochette pour mieux les gifler, et ensuite les esquiver... et le coup retentit encore. Céline se livre au pugilat de la plume. Alors que d'autres choisiront les pas feutrés et les piques discrètes, Céline nous dit : «Arrangez-vous avec ce que je viens de dire à propos de tel auteur. Je l'ai ramassé, y'a pas à dire».

Lisez Céline, vous passez actuellement à côté d'un des événements littéraires qui retentiront encore pour les trois, quatre, cinq, six siècles prochains...
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shanidar
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 12 Mar 2015 - 9:48

Après un tel commentaire, on a envie de courir chez son libraire !! Merci jack !!
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyJeu 12 Mar 2015 - 18:10

Bel enthousiasme, Jack.

jack-hubert bukowski a écrit:
Céline parle lui-même de métro émotif si je ne m'abuse... j'ai vu que quelqu'un a rapporté cette expression d'un autre auteur sur ce même fil... l'expression vient de Céline
Oui oui... En fait, il parlait déjà de "métro émotif" dans sa correspondance, à plusieurs reprises, bien avant les Entretiens avec le professeur Y.

Trois lettres notamment me viennent à l'esprit dans lesquelles il en parle. Je t'en donne des extraits. Ces "révélations" de Céline complémentaires aux Entretiens pourront peut-être t'intéresser... J'ai laissé les mots soulignés par Céline.

A Milton Hindus, mai 1947 :
Citation :
Je me souviens qu’avant de me lancer dans le « Voyage au bout de la nuit » une idée m’est venue. Je me suis dit : il y a 2 façons de traverser Paris, l’une en surface, en auto, vélo, à pied, etc... alors on se cogne partout, on s’arrête partout, on est soumis à toutes les impressions, descriptions, etc. Et puis il y a l’autre façon qui consiste à prendre le métro — d’aller alors directement à son but par l’intimité même des choses... mais cela ne va pas sans imprimer à la pensée un certain tour mélodieux, mélodie, un rail... et n’en dériver, dérailler à aucun prix.
Il faut s’enfoncer dans le système nerveux, dans l’émotion et y demeurer jusqu’ à l’arrivée au but. J’aurais voulu qu’on retrouve dans les mots le chant de l’âme
Tout est dans l’intimité même de la langue ! dans le « rendu émotif » du style — Cela ne marche pas en traduction — Le truc c’est moi qui l’ai trouvé personne autre — C’est l’impressionnisme en somme. Il faut imprimer aux phrases une certaine déformation, un artifice tel que lorsque vous lisez le livre il semble que « l’on vous parle » — à l’oreille — Cela s’obtient par une transposition de chaque mot qui n’est jamais tout à fait celui qu’on attend... une menue surprise...
Cette distorsion est en vérité un petit tour de force harmonique. Nous sommes vous le voyez très loin de Miller et des « audaces verbales » ! Ces gens n’y comprennent rien du tout.

A Robert Brasillach, 1942 :
Citation :
Il me semblait avant le « Voyage », observant (par comparaison) le trafic de la rue, si incohérent — ces voitures, ces gens qui se butent, culbutent, se battent pour avancer, tout ce zigzag, cette incohérence des démarches absurdes et si gaspilleuses, si imbéciles, qu’il devrait y avoir tel le métro un chemin plus net, plus intime pour se rendre en un point sans tout ce gaspillage, sans toute cette fastidieuse incohérence —  dans la façon aussi de raconter des histoires.
Je vous énonce ainsi la difficulté simplement : passer dans l’intimité même du langage, à l’intérieur de l’émotion et du langage, à l’aveugle pour ainsi dire comme le métro sans se préoccuper des fastidieux incidents de l’extérieur. Une fois lancé de la sorte, arriver au bout d’émotion en émotion — au plus près toujours, au plus court, au plus juste, par le rythme et une sorte de musique intime une fois choisi, à l’économie, en évitant tout ce qui retombe dans l’objectif — le descriptif — et toujours dans la transposition. Le rythme me donne mes rails — et je n’en sors jamais. Je ne sors jamais de l’émotion non plus...

A Albert Paraz, septembre 1949 :
Citation :
Mes livres sont chansons nullement prose. Ils sont en tension transposée musicale extrême du premier mot au dernier sur 700 pages — pas une syllabe au hasard — Je me sers du langage parlé, je le recompose pour mon besoin — mais je le force en un rythme de chanson — Je demeure toujours en danse. Je ne marche pas. Un jour je me suis dit : pour aller de la gare Montparnasse à La Villette, il y a deux moyens ou bien y aller par les rues les trottoirs se faire rebuter bahuter retenir culbuter par les voitures, les cycles, les passants s’emmerder dans les encombrements ou s’y rendre directement par le métro — sous terre c’est-à-dire — ainsi du jaspinage, grifouillage — se perdre dans les analyses, incidentes, périodes et patati, analyses surfines, repentirs et patata ou foncer dans l’intimité des choses tout droit — Mais gafe ! sans perdre les rails, sans dérailler. Ces rails là créés par l’auteur — le rythme c’est lui qui le trouve — la certitude, la boussole des ténèbres — et yop petit ! Tout ça n’a rien à voir avec Faulkner, Zola, Machinchouet ! s’enfoncer comme dans le métro dans le dedans du sujet — (sans doute un peu ce qu’ont fait les peintres impressionnistes).
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyVen 13 Mar 2015 - 9:01

J'ai pris la liberté de reproduire un échange sur Céline sur le fil des lectures du mois de mars 2015 :

Max a écrit:
ArturoBandini a écrit:
jack-hubert bukowski a écrit:
J'ai lu Entretiens avec le professeur Y de L-F Céline. C'est super comme livre, assez court et près de ce que j'aimerais écrire, tiens... :)

J'en prends bonne note, j'ai lu et été époustouflé par Voyage au bout de la nuit, et Mort à crédit, je cherche d'autres titres pour continuer à lire l’œuvre de Céline. Il a un style qui influence définitivement mes écrits.

Tente un coup. Lis ces Entretiens, puis enchaîne avec Guignol's band (jeunesse à Londres 1915-1916). Les deux textes vont de pair. Car c'est dans Guignol's à mon avis qu'il met le mieux en application (et maîtrise vraiment à la perfection) ses "préceptes" des Entretiens : son "rendu émotif transposé" via son "métro émotif".

Jack, je te conseillerais de faire la même chose.

J'en prends bonne note. Tu me suggérerais quoi par après Guignol, Max? Féérie? C'est dur d'y aller selon le programme. Je pense être dû pour Casse-Pipe un moment donné, mais c'est difficile de trouver les points d'ancrage dans son oeuvre, mais tu viens déjà de débroussailler le terrain un peu, Max!
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyMer 15 Avr 2015 - 11:32

Ces dernières semaines, j'ai visionné sur le Net des vidéos, interviews, et autres documentaires consacrés à Céline, histoire de cerner un peu mieux le personnage, et tenter d'appréhender cet homme controversé.
Je suis dans la lecture des Entretiens avec le professeur Y, et j'ai l'impression de l'entendre directement comme dans une de ses interviews disponibles sur youtube, avec sa voix et ses expressions particulières, c'est assez étrange.
Je trouve ces entretiens géniaux, du pur Céline, qui tire de tous les côtés et livre avec beaucoup d'humour sa vision de l'écriture et de l'écrivain.

Je vais lire ce fil en entier pour compléter mon approche et suivre les conseils avisés des connaisseurs.

Edit:

J'ai fini les Entretiens et enchaîné avec Casse-pipe, qui est aussi un ovni, mais alors là il faut s'accrocher. Souvent on n'y comprend rien. 120 pages d'argot, de vociférations, de cris, pour un roman anti-militariste, dénonçant la brutalité et l'absurdité de la chose. Pas un livre pour découvrir l'auteur en tout cas, il faut avoir déjà été confronté à son écriture dans des romans plus accessibles pour en venir à bout.

Du coup, je me suis procuré tous ses pamphlets, introuvables aujourd'hui en édition, mais mis en ligne par une bonne âme. Je trouve ça important de pouvoir les lire et se faire sa propre opinion. Je vais certainement en ressortir dégoûté, pas certain que je parvienne à lire en entier Bagatelles pour un massacre, vu le pavé et les propos nauséabonds qui doivent y être, mais au moins je les aurais lus.

J'ai commencé par du plus soft, avec A l'agité du bocal (Sartre s'en prend une sacrée couche), et Mea Culpa, pamphlet anti-communiste. Celui-ci est vraiment à lire, il y a des passages incroyables, peut-être ce qu'il a écrit de plus fort, terriblement misanthropes, pleins de rage et de désespoir.
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyDim 19 Avr 2015 - 21:35

Je pense que tu entames le meilleur processus qu'il soit pour connaître vraiment cet écrivain.
Je n'ai pas encore fait cette démarche mais je me la réserve pour un temps où je serai un peu mieux préparée à affronter son langage (je me paume souvent moi aussi, me manquent beaucoup de références).
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MessageSujet: Re: Louis Ferdinand Céline   Louis Ferdinand Céline - Page 20 EmptyMer 20 Mai 2015 - 11:02

Guignol's band:

Je n'ai pas encore lu la trilogie allemande, ni Féerie pour une autre fois, mais j'ai l'impression que finalement le Voyage reste ce que Céline a écrit de plus accessible.
Guignol's band n'est pas une lecture facile, je crois que pour l'apprécier il faut être un lecteur assidu et passionné de l'auteur.
Je n'ai pas connu l'engouement décrit par Max plus haut dans les commentaires. Certes, c'est souvent drôle, complètement déjanté, il y a toute une galerie de personnages plus invraisemblables les uns que les autres, avec la palme pour l'illuminé Sosthène; mais j'ai trouvé le tout plutôt brouillon et beaucoup trop long. Au bout de 500 pages je me suis lassé, et j'ai fini la dernière partie en accéléré.
Je vais faire une petite pause avec cet auteur, après cette demi déception, peut-être que j'en attendais trop au vu des commentaires dithyrambiques.
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