J'avais savouré, lorsque j'étais encore sur les bancs universitaires, que dis-je, je m'étais délectée de
« Pastiches et mélanges » de
Marcel Proust; aussi est-ce avec une joie sans fard que je me suis lancée dans la lecture de
« La soupe de Kafka ».
Comment parler d'un livre de recettes original et délectable? Comment parvenir à le résumer ou à le commenter sans en déflorer la saveur? Difficile exercice que celui-là!
J'ai lu la plupart des auteurs pastichés par
Mark Crick mais
Irvine Welsh, Harold Pinter et
Geoffrey Chaucer me sont encore inconnus...d'ailleurs leur recette m'ont donné envie d'aller y lire de plus près ce qu'il se passe dans leurs histoires.
J'ai apprécié plus particulièrement
« Les oeufs à l'estragon à Jane Austen »: un grand moment...
Crick se met vraiment dans la peau et la tête de
Jane Austen et on se croirait au coeur de la bonne société provinciale anglaise où fleurent bon la mesquinerie et les ambitions sociales à peine masquées.
J'ai littéralement craqué pour
« La soupe miso rapide à la Kafka » où les affres intérieurs du cuisinier côtoient le déroulement placide de la recette et
« Le gâteau au chocolat à la Irvine Welsh » qui m'a fait penser, en plus déjanté bien entendu, aux situations incroyables de
« La reine des pommes » ou
« Couché dans le pain » de
Chester Hime. Les scènes trashs sont succulentes dans l'ignoble, parfois on se croirait dans un épisode des
« Sopranos »!
Bien entendu, je n'ai pu lire qu'avec délectation
« Tiramisu à la Marcel Proust ». Non seulement ce pastiche me renvoyait à ces deux étés consacrés à la lecture de
« A la recherche du temps perdu » au cours desquels le temps, justement, s'étirait d'une étrange manière (je ne voulais pas arriver trop vite aux dernières phrases); mais aussi me ramenait-il à cette semaine passée à Rome pendant laquelle je goûtai différentes recettes de tiramisu (à croire qu'il existe autant de recettes de tiramisu que de familles romaines).
J'ai retrouvé (ce qui prouve la maestria de
Crick) le souffle épique des écrits d'
Homère avec
« Fenkata à la Homère »: les querelles bruyantes et inutiles des Achille, Agamemnon et autre Ménélas soutenues ou combattues par Pallas Athena ou Apollon. D'un coup, le lecteur se retrouve sous les remparts troyens, autour du feu à contempler les discordes royales et sentir la présence ethérée mais efficiente des dieux de l'Olympe. Ulysse apparaît tel un sage plein de ruse et d'adresse verbale, le diplomate retors apportant toujours la meilleure des solutions pour tous mais surtout pour lui.
J'ai aimé la manière dont la mise en oeuvre des recettes était subtilement indiquée dans les divers récits telle un souffle venu des oeuvres de ces auteurs pastichés. Le pire dans tout cela? D'une part, l'envie furieuse de relire ou lire ces auteurs s'empare du lecteur et d'autre part survient une terrible démangeaison: celle de réaliser sur le champ ces recettes, simples mais transcendées fabuleusement par le pastiche!
Je suis certaine que si on met en pratique ces recettes, elles n'auront pas du tout la même saveur que celles piochées dans un banal livre de recettes!
Il faut souligner également le choix judicieux des illustrations de chaque recette: elles sont réalisées par
Mark Crick himself, « à la manière de... » ou inspirées de l'univers de l'auteur pastiché et elles sont jubilatoires! Quant à la traduction, les recettes sont traduites chacune par un écrivain différent....ce qui contribue grandement à leur saveur!
Un agréable moment de lecture que l'on aime prolonger en lisant au compte-goutte ces délicieuses recettes qui mettent diablement en appétit (tant littéraire que gustatif)! Au fait, où le ranger? Dans le placard de la cuisine, avec les divers livres de recettes, ou dans la bibliothèque, au milieu des policiers, des romans, des nouvelles et autres oeuvres littéraires?
Roman traduit de l'anglais (GB) par Patrick Reynal, Geneviève Brisac, Eliette Abécassis, Alain Defossé, Claude Durand, Frédéric Jacques Temple, Patricia Reznikov, Gérard de Cortanze, Patrice de Méritens, Anne Freyer-Mauthner, Isabelle D.Philippe, Alain Malraux, François Rivière, Jean Pavans et André Crépin[b]