Cristian Mungiu

darkanny a écrit:

En tous cas on ne doit pas s'ennuyer avec elle.

C'est une gourmande très malicieuse. Mais ses avis sont souvent imprévisibles. Elle peut adorer un film expérimental comme elle peut le dégommer. Mais elle est toujours spontanée et sincère. Le plaisir d'abord.

Au-delà des collines

Quel épreuve !…

Dans les choses positives, je vais retenir des images absolument magnifiques, cette froideur glacée de l'hiver qui est perpétuellement ressentie sanst être jamais nommée, ce petit couvent perdu dans une étrangeté désertique, enclave de despotisme naïf que le monde moderne ne fait qu'effleurer, pétri d'une religiosité absurde qui masque une inculture et un arriérisme fondamentaux…

Mais ce film m'a réellement insupportée, c'est la première fois depuis des années que j'ai envie de sortir au milieu d'un film. Je trouve cette caméra très lourdement démonstrative, l'alternance des scènes du travail des nonnes-fourmis courant de tous côtés, la lenteur et la lourdeur des scènes contemplatives (combien de secondes de plan fixe sur ce sac rouge ouvert ?), l'agitation maladive dans les scènes d'hystérie collective, où on a l’impression de se démener au sein d’une bassecour caquetante. Je comprend que c'est voulu, mais on ne peut pas dire que Mungiu soit le roi de l'ellipse. Si, entre la psychose de l'une et l’hystérie des autres, il voulait mettre le spectateur mal à l’aise, il a pleinement réussi

Je n'ai pas adhéré aux choix d’interprétation, cette façon qu'ont les personnages de montrer leur soi-disant calme intérieur en conversant sur des sujets aussi cruciaux pour eux et pour leur communauté comme s'ils échangeaient des fadaises autour d'une tasse de thé.

J'ai été finalement récompensée par le dernier quart d'heure, où j'ai assez aimé cette ambiguïté sur la mort de la jeune fille,

Spoiler:

le côté très terre à terre des personnages issus du monde dit normal, une façon de parler qui redevient normale, le coup de la cigarette et de l'essuie-glace

Donc, pour moi : trop long, maladivement excessif, intéressant quand même

On croit tout d’abord assister à des séparations… Et puis non, en fait, Alina et Voichita se retrouvent après une longue absence, alors qu’elles avaient été habituées à être toujours liées l’une à l’autre lors de leur enfance passée à l’orphelinat. Alina déborde de joie ; Voichita, elle, semble plus mesurée et presque gênée de voir que son amie se contrôle si mal. Le trajet jusqu’au monastère orthodoxe où Voichita vit depuis sa sortie de l’orphelinat semble se faire dans un silence un peu surpris…
Pendant que Voichita vivait ses premières années hors de l’orphelinat dans le monastère, ayant trouvé là un « Papa » et une « Maman » d’adoption religieuse, Alina avait préféré se tourner vers l’extérieur en intégrant une famille d’accueil, puis en partant pour l’Allemagne. Le retour d’Alina devait permettre à Voichita de quitter le monastère et de suivre son amie jusqu’en Allemagne pour travailler comme « serveuse sur un bateau ». Dans quel état d’esprit se trouvait Voichita lorsque, pour la première fois, elle avait accepté cette proposition d’Alina ? Maintenant que son amie est de retour pour concrétiser cette décision, Voichita semble hésiter… Elle en parle à Papa, qui condamne fermement tout éloignement du monastère : il ne faut jamais dévier de la voie que l’on a choisie, il ne faut jamais chercher à connaître le monde extérieur, car « ceux qui partent reviennent différents » (on croirait presque entendre Ignatius Reilly : « Seuls des dégénérés pratiquent le tourisme. Personnellement, je ne suis sorti de notre ville qu’une seule fois »). Il suffisait cette désapprobation de Papa pour convaincre définitivement Voichita de rester au couvent. Le plus dur reste de le faire comprendre à Alina qui n’arrive pas à accepter l’idée que son amie puisse avoir autant changé. A présent, que peut faire Alina ? Elle n’envisage pas de retourner en Allemagne sans Voichita, mais celle-ci refuse de la suivre… Alina renonce donc à sa vie en Allemagne et décide, coûte que coûte, de rester auprès de Voichita.


Au-delà des collines communique une foule d’idées sans jamais les exposer de manière explicite. Différents points de vue se confrontent sur le « cas Alina ». Que veulent dire ses crises et ses spasmes, ses hurlements, son agitation soudaine et imprévisible ? Pour les médecins, il s’agit d’une maladie qui se soigne avec l’administration de psychotropes ; pour les religieux du monastère, c’est la possession par le Malin ; pour Alina et Voichita, c’est le sentiment poussé à son extrême (jalousie ? colère ? désespoir ?). Les interprétations se croisent, se recoupent, se contredisent… Seule la dernière reste intime et ni le corps médical, ni le groupe religieux n’osent y faire allusion, bien que quelques signes laissent à croire qu’ils ont pu y songer, à un moment ou à un autre... La prise en charge d’Alina répond à ces différentes conceptions : pour les médecins, c’est la camisole chimique ; pour les religieux, c’est la camisole physique. A la fin du film, lorsque les nonnes et les médecins s’affrontent au-dessus du corps d’Alina et se défendent ou attaquent en affirmant la légitimité de leurs moyens d’actions, j’ai repensé à ce propos de Henri Laborit :



Et les modes de pensée d’une société schizophrène de s’exprimer lorsque l’ambulancier offre à Alina une cérémonie éclair, alors que la religion vient de la tuer…


Toujours centrés sur eux-mêmes, ni le corps médical, ni les religieux du monastère ne pensent une seconde à l’impact que Voichita a pu avoir sur le comportement incompréhensible d’Alina. Voichita s’en rend-elle compte, d’ailleurs ? Sa conversion totale et extrême à la religion n’a pas la foi pour origine, comme elle le prétend elle-même : il s’agit plutôt d’une solution de recours à un manque, bien visible lorsque Papa et Maman menacent de l’exclure du monastère : elle ne revendique alors plus sa foi ou son amour de Dieu, mais se demande quel sens elle pourra donner à sa vie si elle doit vivre à l’extérieur. Le discours de son adhésion religieuse ressemble alors de manière frappante au discours du malade souffrant de troubles de l’addiction : amour central et indépassable de Dieu (priorité de l’addiction sur tout le reste), rituels obligatoires, pénitences, pensée conditionnée, éloignement, perte des liens sociaux et des intérêts… Alina semblait l’avoir compris, qui demandait à Voichita si cet amour inconditionnel de Dieu ne correspondait pas à une peur de vivre.



Toutes ces réflexions se déroulent dans un climat inconfortable fait de déchéance, de misère sociale, de froid et d’insalubrité. Pourtant, certaines scènes se dégagent, la nuit, dans les intérieurs du monastère, évoquant les clair-obscur de Georges de La Tour.



Cristian Mungiu brille également à mêler l’anecdotique et le dramatique : les décisions les plus importantes, les choix les plus cruciaux, sont effectués en même temps qu’on évoque le divorce d’untel ou le rendez-vous à telle heure d’un docteur. L’impression de réalité est si accrue que je me suis sentie moi-même projetée dans le film. Cristian Mungiu devait se douter de l’effet que produirait son réalisme, surtout lorsque celui-ci s’éloigne des hauteurs du monastère pour investir les labeurs de la circulation en pleine ville, à la fin du film… La menace grandit, on s’attend à tout… à mon avis, une belle pirouette, à considérer comme une vanité qui aurait pu éviter bien des désastres aux personnages d’Au-delà des collines…

Avadoro a écrit:

Au-delà des collines

Les deux actrices se sont emparées de leur rôle avec une intensité fébrile. Mon seul reproche vient de leur caractérisation psychologique qui me semble trop schématique (l'obsession amoureuse possessive de l'une face au dévouement passif de l'autre), à la recherche d'une efficacité démonstrative.

Si on regarde bien, cette caractérisation n'apparaît pas tout de suite... il y a un enjouement d'Alina lors de ses retrouvailles avec Voichita au début, bien sûr, mais il se serait sans doute apaisé par la suite si toutes deux avaient retrouvé leur relation habituelle. Mais il me semble plutôt que c'est parce que Voichita est devenue inaccessible qu'Alina devient si acharnée.

eXPie a écrit:

C'est quand même un peu long, parfois, les crises...

Dans la dernière partie du film, c'est vrai qu'on tourne un peu en rond...

Marko a écrit:

L'histoire d'amour entre les deux filles est intéressante parce que l'une est dans une dépendance extrême qui traduit sa fragilité, l'autre moins impliquée parce que conditionnée et habitée par un amour qui se voudrait plus grand mais qui l'aveugle en partie.

C'est marrant parce que justement, je trouvais que la dépendance concernait plutôt Voichita avec son amour de Dieu...
La réaction d'Alina apparaît moins pathologique. Aurait-on réagi autrement qu'elle à sa place ? La seule personne qui compte vraiment pour elle s'est métamorphosée... si Alina ne s'acharnait pas, se serait accepter de retourner seule dans un monde hostile.
En fait, la seule différence c'est que l'une compte sur Dieu, et l'autre sur un être humain... serait-ce un triangle amoureux, avec Dieu qui entre en jeu ?!

colimasson a écrit:

Au-delà des collines (2012)

La prise en charge d’Alina répond à ces différentes conceptions : pour les médecins, c’est la camisole chimique ; pour les religieux, c’est la camisole physique. A la fin du film, lorsque les nonnes et les médecins s’affrontent au-dessus du corps d’Alina et se défendent ou attaquent en affirmant la légitimité de leurs moyens d’actions, j’ai repensé à ce propos de Henri Laborit :

[center]
« On me reproche parfois d’avoir inventé la camisole chimique. Mais on a sans doute oublié le temps où, médecin de garde dans la Marine, j’entrais dans le pavillon des agités avec un revolver et deux solides infirmiers parce que les malades crevaient dans des camisoles de force, transpirant et hurlant, ou bien, quand ils n’étaient pas dans une camisole de force, vous regardaient et vous tombaient dessus […]. »

Toujours centrés sur eux-mêmes, ni le corps médical, ni les religieux du monastère ne pensent une seconde à l’impact que Voichita a pu avoir sur le comportement incompréhensible d’Alina.

Je ne suis pas vraiment d'accord avec ton interprétation. Il n'est pas du tout question de camisole chimique côté médical... Alina est schizophrène et le traitement donné par le médecin (qui est attentif, empathique et lucide comme l'urgentiste à la fin qui comprend avec horreur ce qui vient de se passer) est adapté, moderne et de nature à l'aider à s'apaiser. Ce qui se passe d'ailleurs puisqu'elle va mieux le temps de son traitement. Le problème est que ces traitements ont un coût du fait d'une absence de couverture sociale comparable à la notre (à cette époque là encore récente). Lorsqu'elle n'a plus de traitement elle ne peut pas le continuer. Et au monastère on envisage sa maladie mentale comme une possession avec l'exorcisme archaïque et destructeur qui en découle. Le film ne renvoie pas dos à dos médecine et religion, il montre les dégâts d'une société encore marquée par la tradition et la superstition comme par le communisme. De la même façon que dans 4 semaines... il était question d'avortement clandestin pour des raisons de non légalisation et de manque d'argent. Le sujet récurrent de Mungiu est de montrer les ravages de cette société qui génère des inégalités et provoque des dérives dramatiques. C'est un monde dur, délabré, froid et violent que nous montre ce cinéaste qui a des comptes à régler avec son pays. Mais les personnages, eux, ne sont pas condamnés. Ils font comme ils peuvent et se débattent dans la tourmente. Heureusement depuis la chute du communisme la situation évolue et le système de sécurité sociale également.

Bien sûr ! Mon propos n'était pas de dire que Cristian Mungiu cherchait à opposer médecine et religion... au contraire, ça aurait été un message réducteur ! Il m'a semblé plutôt qu'il voulait ouvrir à la réflexion en lançant cette interrogation : comment définit-on les phénomènes en fonction du milieu auquel on appartient ? en fonction des connaissances qu'on détient ? ... Les hommes, qu'ils soient médecins ou religieux, sont ici soumis à l'obligation de donner du sens à ce qu'ils vivent, et ils donnent du sens en fonction de ce qu'ils ont déjà vécu... J'ai trouvé cette ouverture très stimulante dans Au-delà des collines !

C'est vrai. Il y a plein de pistes intéressantes dans ce film.

Toujours en retard..Vu Au delà des collines.
Beau film , un peu trop long peut être avec encore une fois , comme dans 4 mois , 3 semaines et 2 jours, un magnifique duo féminin.

On ne peut effectivement  pas reprocher au réalisateur de faire preuve de manichéisme. Ceux qui nous sont présentés croient vraiment faire le bien ,en fait ils font ce qu'ils  peuvent avec ce qu'ils sont,  et même si leur obscurantisme est flagrant, après tout, c'est surtout le problème économique , le défaut de prise en charge médicale et surtout sociale qui fait que finalement, cet obscurantisme aboutit à ce drame.
Je vous ai tous lus , mais il y a une chose sur laquelle je tique. C'est la qualification psychiatrique pour cette jeune fille. Pour moi, c'est avant tout une histoire d'amour, de passion. Développée lors des liens très fort créés à l'orphelinat. Il y a une seule scène où, poussée dans ses retranchements, elle dit vaguement au médecin avoir eu une fois une " vision".. Pour le reste, j'y ai vu une volonté farouche de rester avec celle qu'elle aime dont elle est très dépendante .

Marie a écrit:

Je vous ai tous lus , mais il y a une chose sur laquelle je tique. C'est la qualification psychiatrique pour cette jeune fille. Pour moi, c'est avant tout une histoire d'amour, de passion. Développée lors des liens très fort créés à l'orphelinat. Il y a une seule scène où, poussée dans ses retranchements, elle dit vaguement au médecin avoir eu une fois une " vision".. Pour le reste, j'y ai vu une volonté farouche de rester avec celle qu'elle aime dont elle est très dépendante .

Nous sommes peut-être trop déformés par l'air du temps...

colimasson a écrit:

Marie a écrit:

Je vous ai tous lus , mais il y a une chose sur laquelle je tique. C'est la qualification psychiatrique pour cette jeune fille. Pour moi, c'est avant tout une histoire d'amour, de passion. Développée lors des liens très fort créés à l'orphelinat. Il y a une seule scène où, poussée dans ses retranchements, elle dit vaguement au médecin avoir eu une fois une " vision".. Pour le reste, j'y ai vu une volonté farouche de rester avec celle qu'elle aime dont elle est très dépendante .

Nous sommes peut-être trop déformés par l'air du temps...

Non.. C'est sans doute moi qui veux y voir une histoire d'amour  

Marie a écrit:

colimasson a écrit:

Marie a écrit:

Je vous ai tous lus , mais il y a une chose sur laquelle je tique. C'est la qualification psychiatrique pour cette jeune fille. Pour moi, c'est avant tout une histoire d'amour, de passion. Développée lors des liens très fort créés à l'orphelinat. Il y a une seule scène où, poussée dans ses retranchements, elle dit vaguement au médecin avoir eu une fois une " vision".. Pour le reste, j'y ai vu une volonté farouche de rester avec celle qu'elle aime dont elle est très dépendante .

Nous sommes peut-être trop déformés par l'air du temps...

Non.. C'est sans doute moi qui veux y voir une histoire d'amour  

Parce que ça manque à l'air du temps

Baccalauréat / Cristian Mungiu

Eliza, la fille de Romeo a réussi à réussi à obtenir une bourse pour étudier dans une prestigieuse université britannique, à condition toutefois d'obtenir un excellent résultat à son bac. Or elle se fait agresser la veille de l'examen, traumatisée, le poignet droit luxé, pourra-t-elle donner le meilleur d'elle même ? Son père qui a tout investi dans sa fille se sent tout d'un coup prêt à tout pour forcer le destin...

C'est un très bon film, Cristian Mungiu, montre très bien le monde qui s'effondre progressivement autour de Romeo, mettant à nu les compromissions, mensonges, échecs, Et au-delà, l'impasse de toute une société. Malgré cela, je suis d'accord avec une grande partie de la critique qui considère que ce n'est pas le meilleur film de Mungiu, qui a fait plus subtil, complexe et mieux filmé auparavant. Et je préfère, également à Cannes et sur au final des thématiques proches, Sieranevada de Cristi Puiu, à cause de l'humour vache, de l'ouverture à autre chose que la Roumanie, et d'une façon virtuose de filmer une fuite hallucinante dans une petit appartement.

La sortie du film est prévue début décembre