Renée Vivien
- Colette, Ces plaisirs...(1932) a écrit:
- Le charmant visage de Renée ne reflétait qu'une partie de [sa] puérilité, par la joue renflée et suave, duvetée, la lèvre supérieure naïve, relevée, à l'anglaise, sur quatre petites dents...Elle portait long ses beaux cheveux d'un blond d'argent, fins, plats, et les massait sur le haut de sa tête d'où ils se dénouaient brin à brin, comme une paille fine...[...] Son long corps sans épaisseur, penché, portait comme un lourd pavot la tête et les cheveux dorés, et de grands chapeaux chancelants.
Biographie:
Pauline Mary Tarn,
Renée Vivien en poésie, naquit à Londres le 11 juin 1877 et décéda à Paris le 18 novembre 1909.
Elle est née d'une alliance entre une Américaine et un Britannique fortuné (John Tarn), lequel mourut en 1886, la laissant à la tête d'un héritage la mettant à l'abri du besoin, durant presque -mais pas tout à fait- sa courte vie.
Pauline grandit d'abord en France, où son père réalisait l'essentiel de ses affaires (dans la décoration, l'architecture d'intérieur), puis en Grande-Bretagne. A sa majorité en 1899, elle choisit de regagner Paris (23 avenue du Bois de Boulogne, aujourd'hui avenue Foch, un somptueux rez-de-chaussée orné d'un jardin japonais).
Colette, entre autres, laissera quelques descriptions de ces surprenants lieux. Mais prenons plutôt celle d'une autre romancière, Marcelle Tynayre:
- Citation :
- Les murs, le plafond, le sol sont uniformément tendus d'étoffe couleur de nuit, couleur de ces sombres satins chinois où les mandarins taillent leurs robes. De grands panneaux brodés de soie et d'or cachent des niches obscures où chatoient, quand on soulève l'épaisse étoffe asiatique, des dieux assis sur des lotus, des déesses aux tempes larges, aux hanches étroites, aux pieds joints. L'Asie nocturne m'accueille avec le sourire éternel de ces divinités si paisibles, si graves, si ironiques; et je sens son haleine dans le parfum évaporé de l'encens.
Après la mort de Renée Vivien, les ayant-droits de la famille Tarn firent don de 77 œuvres d'art aux Musées de la Ville de Paris, dont une pagode mesurant 3,50 m. de haut !
Certaines, à ce qu'il paraît, peuvent encore se voir au
musée Cernuschi.
De sa base parisienne, elle entreprend de nombreux périples, tels le Japon, la Turquie, la Grèce (Mytilène...). Elle étudie aussi, solidement, le Grec ancien dans un
College renommé, aux Etats-Unis, du côté de Philadelphie.
Une amie de scolarité, Violet, fut sans doute son premier amour durable. S'ensuit une liaison avec Natalie Barney, tempétueuse, Pauline prend l'initiative de la rupture, lassée des trop fréquentes infidélités de Natalie. Sa vie durant, Natalie Barney tentera en vain de reconquérir Pauline, et laissera, outre quelques vers et missives, divers témoignages aujourd'hui précieux sur Renée Vivien.
Pauline vit ensuite une relation beaucoup plus stable et apaisée avec Hélène de Zuylen de Nyevelt de Haar (Hélène de Zuylen, née Hélène de Rothschild), cette dernière est mariée, mère de deux garçons, et très posée.
En outre, Pauline et Hélène évoluent avec aisance, par éducation, étiquette et naissance, dans la haute société, avec tout ce que cela peut comporter de respect, de tact et de distance de la part d'autrui au quotidien. Elle fréquente, du coup, le haut du panier littéraire et artistique en général, dans un Paris 1900 encore en pointe mondialement.
Sans éléments de preuve, il est en particulier possible que Renée Vivien ait côtoyé Marcel Proust, puisqu'ils fréquentèrent la même société huppée et furent publiés de façon concomitante dans les mêmes périodiques.
C'est la période littérairement parlant la plus féconde pour Renée Vivien. Il semble même que Pauline et Hélène aient collaboré en matière d'écriture, en ce qui concerne les publications effectuées sous le pseudonyme
Paule Riversdale, aujourd'hui à peu près unanimement attribuées à Renée Vivien.
Puis, une correspondance suivie naît entre Renée Vivien et Kérimé Turkhan Pacha, épouse d'un haut diplomate Turc (qui deviendra plus tard Ministre des Affaires Etrangères de Turquie), à l'initiative de cette dernière, admirative de ses écrits.
De suivi, cet échange épistolaire devient passionné.
C'est la période orientalisante de Renée Vivien. S'ensuit un amour, au physique, de rendez-vous clandestins ne se signalant pas par leur fréquence, mais virant au brûlant entre encre et papier.
Liaison achevée avant le départ de Kérimé Turkhan Pacha, qui suit son mari, muté en Russie, par une rupture de la part de Kérimé, la laissant tomber pour une autre amante.
De cette rupture de 1907, Pauline ne se relèvera jamais. Elle tente l'oubli dans le voyage (Hawaï, le Japon...) en compagnie de sa mère.
Puis Pauline sombre dans l'alcoolisme, les drogues dures aussi, et, affaiblie, commence à cumuler les maladies et les pépins de santé, tout en se sous-alimentant, histoire de ne rien arranger. Elle se découvre aussi criblée de dettes.
La suite de la descente passe par deux tentatives de suicide, une dépression en règle et prolongée, et s'achève au trépas, à 32 ans seulement, diagnostic du médecin légiste: congestion pulmonaire.
Bibliographie:
Études et préludes (1901), recueil de poèmes.
Cendres et poussières (1902), recueil de poèmes.
Brumes de Fjords (1902), prose poétique.
Évocations (1903), recueil de poèmes.
Sapho (1903), recueil de traductions et d’adaptations des textes de la poétesse grecque antique Sappho.
Du vert au violet (1903), prose poétique, première signature Renée Vivien.
Une femme m’apparut (1904), roman autobiographique.
La Dame à la louve (1904), nouvelles, réédité aux éditions Gallimard en 2007.
Les Kitharèdes (1904), traductions modernes de huit poétesses grecques.
La Vénus des aveugles (1904), recueil de poèmes.
Une femme m’apparut (1905), nouvelle version de son roman autobiographique.
À l’heure des mains jointes (1906), recueil de poèmes.
Flambeaux éteints (1907), recueil de poèmes.
Chansons pour mon ombre (1907), anthologie poétique publiée sous le nom de Pauline M. Tarn.
Plusieurs
proses ironiques et satiriques (1907).
L’Album de Sylvestre (1908), volume d’aphorismes.
Sillages (1908), recueil de poèmes et de prose poétique.
Anne Boleyn (1909), biographie.
Anthologie de ses poèmes en prose après remaniement (1909).
Œuvres intimes inédites :
Le papillon de l'âme, publication posthume en 2011.
Dans un coin de violettes recueil posthume de poèmes.
Le Vent des vaisseaux recueil posthume de poèmes.
Haillons recueil posthume de poèmes.
Renée Vivien aurait également entrepris plus de dix ouvrages sous le pseudonyme de Paule Riversdale, sans doute en collaboration, mais dans quelle mesure (?) avec Hélène de Zuylen de Nyevelt de Haar (voir biographie). Quatre, suffisamment achevés, donnèrent lieu à des publications, en 1903 et 1904:
Deux recueils de poèmes:
Vers l'amour (1903)
Echos et reflets (1903)
Et deux ouvrages en prose:
L'être double (Roman ? Poésie en prose ?) (1904)
Netsuké (contes) (1904)
L'œuvre poétique de Renée Vivien a été republiée dans sa quasi intégralité chez ErosOnyx en 4 volumes :
Études et Préludes, Cendres et Poussières, Sapho (2007).
Les Kitharèdes avec le texte grec (2008).
Sapho avec le texte grec (2009).
Poèmes 1901-1910 (2009).
Autres rééditions :
Œuvres poétiques, 1901-1903 (2007) aux éditions Paléo (contient, en fait
Études et préludes, Cendres et poussières).
Du vert au violet (2009),
Brumes de Fjords (2010),
Chansons pour mon ombre (2010), aux éditions du Livre unique.
Un site internet:
Académie Renée VivienMon avis:
Inventivité, vers ciselés, métrique ajustée, rythme, facilité à jouer de l'évocation des quatre sens, raffinement, érudition solide, habileté à rayonner aussi en prose poétique voire en art romanesque, et émérite en traduction:
Renée Vivien, voilà. Rien que ça !
Sans doute le XXème siècle (trop de violences, trop de factions, trop de dogmes, trop de camps...) n'avait que faire de Renée Vivien ? Peut-être...
Sans compter que le
corpus féministe traditionnel a tenu sa postérité à l'écart, bien qu'elle ait publié très tôt dans des revues féministes, alors de première avant-garde, peut-être à cause de sa situation de mondaine fortunée, jugée rédhibitoire (?): je m'abstiens, en tous cas, de reproduire ici une sentence bien revêche de Simone de Beauvoir à l'encontre de Renée.
A moins que ce ne soit sa conversion au catholicisme à l'approche du soir de sa vie, incompatible avec la
doxa du XXème, à la suite d'un élan mystique (comme Paul Verlaine, Germain Nouveau, Francis Jammes, etc., pour faire court et pas trop éloigné de son temps), qui lui valut cette absence de relais en notoriété (re-?).
Quoi qu'il en soit:
J'ai trouvé délectable sa traduction de l'Aède de Lesbos,
"Sapho" (sic) sans être en mesure de vous assurer si c'est là une référence en la matière, atteignant très vite si ce n'est d'emblée mon seuil d'incompétence.
A propos, son surnom
Sapho 1900 lui aurait sans aucun doute déplu, elle qui traduisait ce nom-là
Psappha "conformément à quelque orthographe primitive, on rencontre aussi
Psapphô chez les Anciens, le
a long étant la particularité du dialecte éolien là où d'autres dialectes employaient le
ô" nous dit-on dans la préface presque anonyme (signée:
l'éditeur) de
Sapho.
Ce dernier, tout en indiquant cela, a tout de même préféré titrer la traduction
Sapho, dans un pur souci commercial à ce que j'interprète, du coup (?).
Je suis sans mot devant sa production littéraire, énorme à l'aune de la brièveté de son passage terrestre, et de grande qualité, pas vraiment inégale. Il faut briser le mythe de la mondaine aisée, s'adonnant à l'écriture par dérivatif. Plus je lis Renée Vivien, plus je suis convaincu qu'il y a un bourreau de travail acharné derrière tout cela.
Mettons en exergue le charme légèrement ensorcelant de ses écrits, j'insiste sur l'extrême intérêt de ceux-ci hors tout contexte, Renée Vivien mérite mieux qu'une vague position iconique aujourd'hui.
Pour
personnage que soit Renée Vivien, sans faire du
Contre Sainte-Beuve à l'académie distinguée du bon Marcel, est-il possible de formuler le souhait que le lecteur reçoive ces lectures brutes, les lise pour elles-mêmes, sans aller regarder si l'auteur est listée dans les anthologies, les manuels, les critiques, si elle suscite beaucoup de travaux universitaires, ou encore si elle est citée fréquemment par ses pairs, ou enfin quel est son tirage ?
Cet aujourd'hui pourrait être le temps de l'habilitation
- Spoiler:
puisque, pour qu'elle soit réhabilitée, il eût fallu qu'elle fusse habilitée une première fois, ce qui n'est pas vraiment le cas.
Touchant comme un Saxe brisé, pour citer un extrait du
Sonnet de porcelaine, son art poétique aux allitérations souvent délicates atteint, très juste et très frais, nos cœurs contemporains:
Que dire de ce
Désir (1902, recueil
Cendres et poussières) somptueux, achevé, entêtant, balancé à merveille ?
Amour, certes, mais on est, désolé pour l'évidence, dans
Eros et non dans
Philia ou
Agapê. Et un
Eros aux limites, il y a du dégoût exprimé, du nauséeux -disons- ce n'est pas la fête du corps et de l'union, la jouissance, le lecteur, qui a pu s'accrocher à un
"volupté" central par sa disposition (deuxième vers de la quatrième strophe !), s'y trouve suspendu d'une main dans le vide.
Le rendu, à rimes croisées et à métrique d'horlogerie (paire à douze pieds), est stupéfiant d'animalité, de suggestion. Les mots
brisés, agonie, atroce, horreur, morte, sinistre etc... chargent d'un signifiant faix ces vers que je ne trouve pas si symbolistes que ça, non que
symboliste soit un défaut, mais histoire de laisser entrevoir que, pour Renée Vivien comme tant d'autres auteurs, la code-barrisation commode est une courte-vue.
Désir Elle est lasse, après tant d’épuisantes luxures.
Le parfum émané de ses membres meurtris
Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.
La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.
Et la fièvre des nuits avidement rêvées
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.
Ses attitudes ont des langueurs énervées.
Mais voici que l’Amante aux cruels ongles longs
Soudain la ressaisit, et l’étreint, et l’embrasse
D’une ardeur si sauvage et si douce à la fois,
Que le beau corps brisé s’offre, en demandant grâce,
Dans un râle d’amour, de désirs et d’effrois.
Et le sanglot qui monte avec monotonie,
S’exaspérant enfin de trop de volupté,
Hurle comme l’on hurle aux moments d’agonie,
Sans espoir d’attendrir l’immense surdité.
Puis, l’atroce silence, et l’horreur qu’il apporte,
Le brusque étouffement de la plaintive voix,
Et sur le cou, pareil à quelque tige morte,
Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.