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 Dambudzo Marechera [Zimbabwe]

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bix229
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MessageSujet: Dambudzo Marechera [Zimbabwe]   Dambudzo Marechera [Zimbabwe] EmptyVen 6 Nov 2015 - 15:43

Dambudzo Marechera [Zimbabwe] Marech10
Dambudzo Marechera


"Le mot de l’éditeur accompagnant le livre évoquait un « petit bijou d’un auteur absolument à découvrir ». Mais le nom de l’auteur, Dambudzo Marechera, mort il y a plus de 25 ans, n’était pas pour moi un inconnu, bien au contraire...

Dambudzo Marechera, un écrivain et poète zimbabwéen, a été un moment de fulgurance éphémère dans la littérature de langue anglaise. Remarqué en Grande-Bretagne, il a été porté aux nues avant de s’autodétruire dans l’alcool, et de mourir du sida en 1987, à l’age de 35 ans.

"Je me trouvais à Harare, la capitale du Zimbabwe, en 1985, en reportage pour Libération, lorsque le service culture du journal, à Paris, me demanda d’appeler cet écrivain pour qu’il réponde à une simple mais vaste question : « Pourquoi écrivez-vous ? » thème d’un hors-série de Libé resté dans les annales.

Le moment du bouclage approchait, et la rédaction s’inquiétait de son absence de réponse. Elle tenait à avoir, dans la longue liste de 400 auteurs du monde entier interrogés, ce jeune Zimbabwéen, lauréat d’un prix littéraire du quotidien The Guardian, et considéré comme un auteur prometteur.

J’appelai Marechera qui me donna rendez-vous dans un bar du centre d’Harare en fin de journée. J’arrivai et trouvai un homme chaleureux, mais ivre mort, incapable d’avoir une discussion cohérente. Echec.

Je lui extorquai un rendez-vous chez lui le lendemain matin, dernière chance de recueillir ses propos avant le bouclage du numéro spécial. J’arrivais à l’heure dite dans son appartement bordélique. Il m’ouvrit avec une gueule de bois monumentale, dans un état semi-comateux.
Sous la douche et un café !

Je n’avais plus qu’un seul choix : le mettre sous la douche, et lui préparer un café très fort. Trente minutes plus tard, il s’asseyait en face de moi et de mon magnétophone, et je lui posais la question : « Pourquoi écrivez-vous ? »...

Je découvris alors un personnage hors du commun, ayant vécu en accéléré plusieurs vies en une. Il parla sans s’arrêter pendant une heure, et je dus en tirer une vingtaine de lignes seulement, l’espace qui restait au retardataire...

Dambudzo Marechera est né en 1952 dans une colonie britannique, la Rhodésie, qui deviendra vite une colonie « rebelle » contre la couronne, instaurant, pendant deux décennies, une sorte d’apartheid proche du système de sa voisine sud-africaine.

Issu d’un milieu très pauvre (sa mère était femme de ménage, son père employé d’une morgue, mort dans un accident), il fut éduqué par des missionnaires catholiques (comme Robert Mugabe, enfant des jésuites...), avant d’entrer à l’université de Rhodésie et de s’en faire expulser très vite, pour insoumission à l’ordre colonial après une manifestation d’étudiants.

Ses ennuis ne s’arrêtèrent pas là. Exilé en Grande-Bretagne, il parvint à intégrer la prestigieuse université d’Oxford, avec l’aide d’une bourse, mais s’en fit, là aussi, expulser pour comportement anarchique... Un pasteur anglican qui l’avait observé écrivit à son « parrain » à Londres :

   « Je doute qu’il reste vivant encore longtemps, il mange à peine et passe son temps à boire. »

Mais Dambudzo Merechera surprit son monde en obtenant en 1979 le prix du premier roman décerné par The Guardian, et devint le premier auteur africain à remporter ce prix prestigieux avec « The House of Hunger » (en français : « La Maison de la faim », éd. Dapper, 1999), un récit autobiographique sans concession sur l’univers colonial rhodésien.

Il avait écrit ce roman après avoir été expulsé d’Oxford, avoir passé trois mois en prison pour détention de cannabis, et erré en SDF, techniquement devenu un immigré sans papiers, dans les rues de Londres.

Un écrivain était né, mais cela ne le fit pas pour autant rentrer dans le rang, comme avaient pu le constater les participants à la cérémonie de remise du prix du Guardian, où il détruisit une partie de la vaisselle après avoir trop bu. Dambudzo Marechera demeura anarchique, provocateur, destructeur.

Son deuxième livre, « Black Sunlight », qui est sorti cette année en France sous le titre « Soleil noir », a été publié en Grande-Bretagne en 1980, alors que le nihilisme de Dambudzo Marechera lui avait déjà aliéné tous ses soutiens.

1980, c’est aussi l’année de l’indépendance du Zimbabwe, sous la direction de Robert Mugabe, le chef de guérilla élu en libérateur par la majorité noire. Le jeune écrivain exilé rentra dans son pays en 1982, auréolé de son succès littéraire, et fut invité dans l’intimité du libérateur en passe de se transformer en despote, toujours au pouvoir trois décennies plus tard, et un pays ruiné.
« Ecris sur des sujets positifs ! »

Mais à l’époque, dans l’euphorie des premières années de l’indépendance, Dambudzo Marechera fut l’un des premiers à déchanter. Cet homme déjà usé, aux dreadlocks touffus, me raconta, devant ce café matinal de 1985, comment il s’était trouvé confronté à des dirigeants, endurcis par des années de brousse et de sang, qui lui disaient d’écrire des choses « positives » sur le pays, alors qu’il s’intéressait aux prostituées, aux marginaux, aux exclus...

Il dénonçait l’émergence d’une bourgeoisie noire qui avait su bénéficier des fruits de l’indépendance, tandis que les anciens guérilleros de la guerre d’indépendance restaient aux portes de la belle société.

Signe de cette incompréhension, « Soleil noir » fut interdit au Zimbabwe, trop radical, trop anarchiste, trop incompréhensible pour ces dirigeants qui, à l’instar de Robert Mugabe, avaient fait une synthèse bâtarde de leur éducation jésuite et d’une culture marxiste mal digérée.

L’alcool était devenu son refuge, et ce foutu sida, fléau de l’Afrique australe, eut progressivement raison de lui. Dambudzo Marechera mourut en 1987 d’une maladie liée au virus. Mais l’esquisse de sa fulgurance littéraire en fait un personnage mythique, qui fascine encore."

Rue 89

J' ai  choisi cette présentation longue parce que la vie de Dambudzo Marechera se situe dans le contexte d' un pays -la Rhodésie-  aux prises avec une dictature aux abois du pouvoir colonisateur, celle de Ian Smith. Peu avant l' indépendance du pays qui prendra le nom de Zimbabwe.
Son œuvre et sa vie seraient incompréhensibles hors de ce contexte. B


Dernière édition par bix229 le Ven 6 Nov 2015 - 18:36, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Dambudzo Marechera [Zimbabwe]   Dambudzo Marechera [Zimbabwe] EmptyVen 6 Nov 2015 - 18:32

Dambudzo Marechera [Zimbabwe] Marech11

L' essentiel ayant été dit sur l' auteur et le livre, je me contenterai d' illustrer par quelques exemples la beauté du style d' un lyrisme
sombre, incandescent, brutal, mais totalement maitrisé.
Meme quand il s' agit de visions psychédéliques aussi  concrètes et précises que celles d' un Michaux sous mescaline.
Le rythme funambulesque semble parfois à la limite de la tension et de la chute. Mais non, l' équilibre subsiste.
Le ton lui-même est partagé entre le désespoir quasiment absolu et l' ironie la plus sèche et mordante.
Jamais d' auto apitoiement, guère plus d' illusions politiques sur l' avenir de son pays.

La métaphore de la "maison de la faim" concerne le township où l' auteur/narrateur vit, mais aussi le pays et la condition de toute
une génération condamnée.


"La vie s' étendait devant nous, comme une série de taudis ravagés par la faim, s' alignant à l' infini vers l' horizon.
Nos esprits devinrent des pièces sinistres, des toiles d' araignées poussiéreuses dans lesquelles les minuscules squelettes de nos
enfances étaient pour toujours sous l' emprise arachnéenne de la vie qui englobait non seulement les pierres sur lesquelles nous
marchions mais aussi les étoiles qui scintillaient vaguement au dessus de la puanteur de nos vies." P. 13

"J' avais froid ; je n' ai jamais eu aussi froid de ma vie. Le contact de cette glace brulait jusqu' à mes pensées ; ma voix s' est brisée
et son timbre inhabituel me faisait sursauter d' irritation. Quelque chose semblait prendre possession de mon corps ; les images  et
les symboles que depuis si longtemps considérés comme acquis avaient pris une coloration étrange.
Je perdais le contrôle de mes propos. Je me suis mis à parler sans suite de façon incohérente et débridée. J' étais coupé de ma
propre voix.
Elle me revenait comme une petite voix venue des profondeurs lointaines de l' esprit. Il y avait autre chose : l' anglais est ma seconde
langue, le shona a première. Quand je parlais, cela prenait la forme d' une interminable dispute entre deux partis, dont l' un ' exprimait
en anglais et l' autre en shona.
J' avais par ailleurs conscience d' etre quelque chose d' indistinct mais partagé entre deux cultures." P. 54

"L' eau se mit à tomber à seaux sur l' école. C' était un déluge à nous rendre fous. Son martèlement résonnait jusque dans nos esprits...
Le déchainement des éléments était comme un furoncle qui qui éclate et qui éclabousse tout de ses acides noirs.
Les cieux mauvais bombardaient l' école de blocs de pluie au point que c' était notre santé mentale elle-même qui était soumise à
un siège en règle." P. 56
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