Goulka (2015) :
Zéa Beaulieu-April a tendance à faire partie de l'actualité poétique brûlante. Son recueil en présente les prémisses. Il ne faut pas croire pour autant que le projet n'est pas bien songé. Après avoir animé une revue de grève,
Zéa Beaulieu-April s'est enrolée pour fonder une maison d'édition de type coopératif du nom de la Tournure.
Au jeu des comparaisons, lorsque nous connaissons les recueils de poésie québécoise et les forces émergentes, il est possible d'observer davantage de choses. Je ne saurais pas confirmer l'impression avec une exactitude brûlante, mais lorsque nous constatons le jeu de ses citations mises en exergue,
Zéa Beaulieu-April me semble faire un clin d'oeil à
Doctorak Go. En citant les
Geneviève Desrosiers et
François Guerrette, elle relève le standard de l'analyse littéraire à effectuer. À mon sens,
Zéa Beaulieu-April a également voulu souffler la référence de
L'oeuvre des glaciers d'
Emmanuel Simard. Le recueil en question avait été publié au premier trimestre de 2012, soit lors de la grève étudiante ou tout juste avant... ce recueil avait la propriété d'appartenir à la même maison d'édition -
Les Poètes de brousse - que celle de
François Guerrette en plus de citer
Geneviève Desrosiers. Nous y reviendrons plus tard.
Je vous chuchotais un peu plus haut la référence aux haïkus. Explorons un peu les coutures de sa plume dans ce recueil :
- Zéa Beaulieu-April, Goulka, 2015, Montréal : La Tournure, p. 12. a écrit:
- tendus pour l'accueillir
les bras enfreignent le rythme du fleuve
elle surgit
l'artère est habitée
une rage s'extirpe de la morsure
le rituel s'achève
nous reculons
La poésie de
Zéa Beaulieu-April est plutôt particulière. Il y a une telle fureur qui tend à vouloir irradier. Elle n'en garde pas moins contenance, maîtrise le code de la poésie sur le bout des doigts et file la nécessité de rester dans le silence. En personne, je l'ai trouvée plutôt particulière dans sa
persona. Elle se drape d'une aura de mystère. Elle est plutôt charmante, mais ne cherche pas à séduire. Il y a quand même quelque chose dans l'air... ses yeux ont tendance à parler, même si elle choisit soigneusement ses moments. Voilà ce que j'en ai tiré...
- Ibid., p. 19. a écrit:
- chaque nuit près de son mutisme
mes rêves de force s'habillent de fourrure
par sa grâce
j'ai la mémoire de l'époque où on naissait en riant
Il y a ce qu'on voit, et ce qu'on lit par la suite... j'ai eu la chance de connaître
Zéa Beaulieu-April dans cet ordre. Il faut comprendre que nous nous sommes trouvés à un moment charnière de l'histoire du Québec, un moment où tout apparaissait alors possible, même en dépit des pires atteintes à notre démocratie étudiante.
Zéa Beaulieu-April s'est mise sur le mode de la survivance en poésie. Elle se raccroche beaucoup aux figures de
Geneviève Desrosiers et
François Guerrette. Je dois quand même dire qu'elle va loin dans ce qu'elle parcourt :
- Ibid., p. 28. a écrit:
- au revoir pitié
le sol rit sous sa course
je me piétine endurcie
déchire les cordes
le gosier dilaté
vois : ici je règne
je m'aiguise à la pointe du mépris
l'excuse pour me limer les dents
je refais mon territoire
Par le jeu des citations, nous sentons que
Zéa Beaulieu-April est pugnace sous la surface des choses. Au moment de lire
Geneviève Desrosiers, elle cite :
Nombreux seront nos ennemis
Tu verras comme nous serons heureux.François Guerrette cite de cette dernière dans
Pleurer ne sauvera pas les étoiles :
Ils auront de quoi vivre;
nous aurons de quoi mourir.Geneviève DesrosiersZéa Beaulieu-April a le truc pour s'y prendre quand on s'y attend le moins :
- Ibid., p. 46. a écrit:
- survivants
nous avons le corps d’avant l’image
nous sommes gestes et actes avant apparition
il y eut la meute
nous restons proie volontaire
d’une espérance
ce qui rend vivant s’avère dangereux
À ce moment, je sens que l'influence de
Geneviève Desrosiers est très prégnante. J'y reviendrai encore. Je le précise ici : je fais une analyse des motifs et j'offre une interprétation possible du recueil. Ce n'est qu'une des interprétations possibles. Je pense que la portée peut mener encore plus loin.
- Ibid., p. 67. a écrit:
- je sors
mais il fait si froid dehors si froid
je cherche l'atteinte
me couvre de miettes
ce qui m'échappe
ce qui me fuit
je laisse tomber
Je dirais que, à la lecture de cet extrait,
Zéa Beaulieu-April est inspirée et puise à même les motifs autour des oeuvres de
Geneviève Desrosiers et
Hubert Aquin. Je reviens maintenant sur un extrait du texte en prose à la fin du recueil, «L'étreinte quémandée au coeur du texte» :
- Ibid., p. 74. a écrit:
- Le vieil esprit est un cancre, ma soeur. Regarde, tes pages sont comme des dorures, des draps minuscules pour envelopper sa petite caresse fiévreuse et mémorielle. Et tu te hisses contre lui : j'inhale brûlante étreinte. Les voilà tes larmes qui cherchent à le faire renaître, ce fantôme, détourne-t'en et accepte l'audace. Tes larmes maternelles, ma soeur, tout au long de tes joues s'écoulent comme des parvis de lumière. C'est l'horizon qui flambe, ne te retourne pas : nombreuses seront tes demeures.
Maintenant, relevons la citation d'
Emmanuel Simard tirée de
Geneviève Desrosiers dans
L'oeuvre des glaciers :
Ces jours où la destruction devient une paix.
On tuerait tout ce qui se tue.Je vous invite à lire l'analyse de l'
Estuaire sur le recueil
Goulka que la maison d'édition a fait publier sous forme de photo sur Facebook : https://www.facebook.com/LesEditionsDeLaTournureCoopDeSolidarite/photos/pcb.961461970559221/961461177225967/?type=3&theater