Leopold Andrian : Le Jardin de la connaissance. - VerdierErwin, un fils de prince autrichien, est un enfant solitaire mais. comblé.
"A cette époque-là, Erwin (il allait alors sur sa douzième année) était solitaire et se suffisant à lui-meme, comme jamais plus par la suite;
son corps et son ame vivaient mystérieusement, l' un contenant l' autre, d' une vie presque double ; les choses du monde extérieur avaient
pour lui la valeur qu' elles ont dans le reve."
Sa quete hors de la maison natale commence plutot bien pour lui, malgré sa nature duelle et sa sensibilité particulière.
Tout ce qu' il voit ou perçoit a de la sensibilité, de l' harmonie. Il éprouve de la curiosité pour les différences, pour la variété de
l' existence. Il se rend à Vienne et admire profondément les monuments, les fetes, les chevaux, l' art de vivre viennois.
Il apprécie la camaraderie, les plaisirs, les femmes, les jeunes hommes surtout.
Mais tout passe sans qu' il puisse rien retenir.
Le seul etre dont il est essentiellement proche, meme physiquement, est sa mère. Mais ces deux etres, si profondément semblables,
ne peuvent qu' échanger leur pessimisme quant au sens de l' existence. Ils se quittent malheureux faute de pouvoir s' entraider.
A la curiosité et au plaisir des premiers temps, succède un état qu' il nomme "désolation". L' impression de regarder dans le vide.
A vingt ans, il réalise qu' il n' a pas résolu l' énigme de la vie, en tout cas de la sienne.
Il finit par tomber malade. Fiévreux, il est hanté par des visons horribles et meurt "sans avoir atteint la connaissance."
Tel pourrait etre le résumé de cette histoire, mais Francis Claudon, l' auteur de la postface, apporte un éclairage très perspicace et juste.
"En réalité, l' interet du livre ne réside pas dans l' illustration d' une esthétique décadente que d' autres ont pu pousser plus loin.
Erwin ne sombre pas dans la folie, il ne connait pas la décomposition, ne sombre pas dans dans la drogue...
Erwin est un doux, presque un naif, mort trop tot pour avoir eu le temps de combattre ou d' adorer.
Pourtant la fascination narcissique de la mort qui sera la clé de Mort à Venise est en germe dans ce récit et dans cette méditation sur
l' étroite proximité du reve et de la mort.
Mais, et c' est là ce qui lui confère sa véritable importance et constitue son originalité la plus remarquable, Le Jardin comporte un trait impressionnant et essentiel : la capacité de demeurer dans le silence, cette intériorisation exacerbée en chaque personnage, un vrai
refus de la parole impliquant au fond l' idée que traduire c' est trahir, que s' exprimer est vain, qu' il est vain d' analyser...
Il y a là un point commun avec l' Elève Torless, avec le héros du Chateau, avec Malte Laurids Brigge et les personnages de Hofmansthal.
Dans le crépuscule de l' Autriche et chez les Autrichiens les meilleurs de ce temps (le début du 20e siècle), git, à vrai dire, la conviction
très moderne que les langage sont épuisés, qu' on n' arrive plus à exprimer ce dont ont vécu les siècles précédents.
Les artistes...n 'ont plus désormais le choix qu' entre le silence ou la révolte."
Et tel est ce récit -autobiographique- qui va au delà de ce qu' il raconte. Une écriture parfaite mais légère et exquise. Un état de grace insolite.
Un fragment de pur cristal.