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| Herman Melville | |
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Auteur | Message |
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coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Herman Melville Mer 11 Mar 2009 - 15:33 | |
| Une petite merveille d'album! | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Herman Melville Ven 3 Déc 2010 - 15:57 | |
| Je fais partie de ceux qui ont aimé Bartleby et je rejoins Marie et domreader. Bartleby est un homme très spécial, marqué par la vie sans que le lecteur sache de quoi il retourne. Il doit se contenter de constater les dégâts.
Nouvelle que j'ai trouvée insolite. Je ne dirai pas agréable car Bartleby est un personnage moralement mourant. Tout d'abord travailleur et consciencieux, il se met tout à coup à refuser les tâches qui lui sont assignées (Je préférerais ne rien faire / I would prefer not to). Pour finir par ne plus rien faire du tout. Il ne travaille plus, ne sort plus de l'étude où il dort, dans laquelle il vit. Il ne mange presque plus. Léthargie... J'imagine un pauvre diable qui tenterait vainement de remonter une pente savonneuse. Il s'échine, il s'échine sans parvenir au moindre résultat. Puis renonce, englué, glissant lui même, il attend la mort. Le récit de Melville commence à ce moment de résignation. Je pense qu'au moment ou Bartleby entre dans l'étude notariale il est déjà perdu. Cette histoire nous est contée par l'homme de loi, propriétaire de l'étude et dont on ne connait pas le nom. Cet homme se prend d'amitié et de compassion pour Bartleby. Il tente de l'aider. En vain. Tout en lisant ce livre, je m'imaginais un Fabrice Lucchini ou un Pierre Desproges, seul sur une scène brillante de sobriété et déclamant le texte de Melville.
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| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Herman Melville Ven 3 Déc 2010 - 17:01 | |
| Je dirai que Batleby est un etre de fiction et que, comme Wakefield d' Hawthorne, il est énigmatique et déconcertant. Tous deux échappent à l' analyse, à la raison. A tous ceux qui mettent partout des bornes, des normes, des limites, des grilles de lecture et des garde-fous. Aux interprétations psychologiques, psychanalytiques... Et au simple bon sens. Ils sont ce que nous sommes parfois et que nous ne comprenons pas. Et c' est pour cela qu' ils sont interessants ! Enrique Vila Matas, écrivain perspicace, en a très bine parlé de ces deux-là dans Bartleby et Cie. | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Herman Melville Lun 6 Déc 2010 - 14:47 | |
| La Vareuse blanche Egalement connu sous le titre anglais White Jacket. Un des bouquins les plus chiantissimes que j'ai eu l'occasion d'ouvrir. Je poste tout de même dessus pour vous prévenir. Le livre est un pavé de 580 pages. Il commence doucement par nous décrire longuement la vie à bord d'un navire de guerre de la marine à voile des Etats-Unis de la moitié du XIXe siècle. On apprend rapidement beaucoup de choses : le vocabulaire est riche et mieux vaut feuilleter un petit dictionnaire spécialisé en même temps. Puis, on avance, on avance... on avance. Et le récit ne démarre jamais. Herman Melville le dit clairement à la moitié du livre : son sujet unique, c'est justement de décrire la vie de marin sur la frégate le Neversink (l'insubmersible). Et c'est tout ! Se succèdent donc une litanie impressionnante de très courts chapitres (près de 95 en tout) qui sont autant de petites anecdotes concernant le bateau, de la cale aux huniers, du matelot au capitaine. Point : aucune autre finalité que ce catalogue indigeste, haché et sans liant. J'ai craqué quand Herman Melville s’est mis à détailler les principaux articles du code de la marine : j'ai terminé le bouquin tant bien que mal en sautant des chapitres entiers. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Herman Melville Lun 6 Déc 2010 - 17:52 | |
| Oui, pas mal de longueurs dans les "gros" livres de Melville : Mardi, Pierre ou les ambiguités et meme dans Moby Dick. Mais la plupard de ses contes sont parfaits, notamment Billy Bud, Benito Cereno et les Contes de la véranda. | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Herman Melville Mar 7 Déc 2010 - 9:18 | |
| - bix229 a écrit:
- Oui, pas mal de longueurs dans les "gros" livres de Melville : Mardi, Pierre ou les ambiguités et meme
dans Moby Dick. Mais la plupard de ses contes sont parfaits, notamment Billy Bud, Benito Cereno et les Contes de la véranda. Beaucoup de longueurs.... Un livre interminable. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Herman Melville Mar 7 Déc 2010 - 20:05 | |
| - Harelde a écrit:
- bix229 a écrit:
- Oui, pas mal de longueurs dans les "gros" livres de Melville : Mardi, Pierre ou les ambiguités et meme
dans Moby Dick. Mais la plupard de ses contes sont parfaits, notamment Billy Bud, Benito Cereno et les Contes de la véranda. Beaucoup de longueurs.... Un livre interminable. Oui, je lui ai trouvé également beaucoup de longueurs. J'aime beaucoup les deux ou trois dernière pages, par contre. - Citation :
- Melville cherche à impressionner par l'étendue de son érudition, prétendant citer toutes les autorités sur la question (il n'en avait en fait lu que quatre), coupe l'aventure de chapitres de zoologie, de géographie, d'étymologie, etc. Quant au sens, ou peut-être plutôt aux sens, le symbolisme est si dense et si subtil que les commentateurs n'ont pas fini d'en discuter.
(Jacques-Fernand Cahen, La Littérature américaine, Que Sais-je, page 36) | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Herman Melville Jeu 6 Oct 2011 - 12:08 | |
| Billy Budd, marin Longue nouvelle ou court roman, il s’agit d’un texte ramassé, d’une grande densité. Billy, enfant trouvé, se trouve enrôlé de force sur un navire de guerre britannique à l’époque de la révolution française. D’une beauté éclatante, ayant sur les autres une forte emprise, il s’attire la haine du maître d’arme du bateau, Claggart, en même temps qu’une grande sympathie du capitaine Vere. Claggart l’accuse de fomenter une mutinerie, ce qui en des temps troublés est pris très au sérieux. Mis en demeure de se justifier, il n’arrive pas à parler (il souffre dans des moments de tension d’une bégaiement) et tue Claggart d’un coup de poing. Il est condamné à mort et pendu. Le texte de Melville est très condensé, et va à l’essentiel. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations (les aspects homosexuels et christiques entre autres) mais Melville suggère et n’explicite pas, le récit a un côté objectif et factuel, un peu neutre, ce qui contribue à lui donner sa force. Les sentiments de Claggart et de Vere ne sont jamais abordés directement. Claggart a un côté très imperméable, le pourquoi de sa haine est laissé à la sagacité du lecteur. Quand à Vere, il a un côté sado-masochiste, le texte suggère à plusieurs reprises qu’il pourrait différer le jugement de Billy et le laisser se dérouler dans un climat plus serein, et il force quasiment la condamnation auprès de ses officiers, à cause d’un sentiment de devoir étrangement compris. Du coup les différences avec l’opéra de Britten sont sensibles. Chez Britten, les personnages ont des airs-monologues qui permettent d’appréhender leurs ressentis, Claggart et Vere en sont plus charnels et plus proches, cela donne une dimension plus lyrique et émotionnelle au récit. Les personnages Claggart et de Vere sont du coup différents, Claggart paraît plus facile à appréhender et Vere bien plus sympathique. Mais chacune des deux œuvres a sa logique et sa force, Forster et Crozier, les librettistes, se sont inspiré de Melville pour la trame générale, et sans trahir le sens de son œuvre, mais ont abordé cette histoire avec une sensibilité différente, qui donne sur une scène un impact émotionnel fort. Et le texte de Melville, moins explicite et en apparence plus objectif, est un superbe texte littéraire. Un exemple d’une adaptation réussie d’une belle œuvre littéraire. | |
| | | Igor Zen littéraire
Messages : 3524 Inscription le : 24/07/2010 Age : 71
| Sujet: Re: Herman Melville Mer 26 Oct 2011 - 11:32 | |
| Tourné la dernière page de "Moby Dick", lecture époustouflante de ce roman de dimension cosmique. De belles choses ont été dites au début de ce fil sur cette œuvre, et je serais bien incapable d'en rajouter. J'ai été frappé par l'humour récurent de Melville et aussi par son l'érudition constante où rien des détails de la "grande pêche" n'est omis. C'est parfois difficile à lire, l'approche du drame changeante d'un chapitre à l'autre peut être déroutante mais la force du récit est telle qu'il est impossible de poser le livre. Une expérience forte que cette lecture! | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Herman Melville Jeu 27 Oct 2011 - 1:06 | |
| - Igor a écrit:
- C'est parfois difficile à lire, l'approche du drame changeante d'un chapitre à l'autre peut être déroutante mais la force du récit est telle qu'il est impossible de poser le livre.
Une expérience forte que cette lecture! Oui, c'est hyper documenté, ou du moins ça se veut hyper documenté. Personnellement, j'ai eu un peu de mal (ça dépend peut-être de la traduction ? Ce n'était pas la traduction d'Armel Guerne, mais celle de Giono, revue et corrigée, mais probablement moins bonne). Par contre, j'ai beaucoup aimé les deux dernière pages. Je le relirai, ou au moins reparcourerai un jour. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Herman Melville Dim 19 Fév 2012 - 12:14 | |
| Moi et ma cheminée. Récits traduits en 1951 par Armel Guerne. 154 pages. Seuil. Dans sa préface, Armel Guerne par de Melville "qui fait en approchant de la quarantaine l'apprentissage de la solitude au milieu des siens et qui subit douloureusement ce retrait surnaturel immanquablement réservé, semble-t-il, aux grandes âmes les plus combatives" (page 11). Armel Guerne a écrit cette préface en 1951 ; il se retirera lui-même dans son moulin à vent de Tourtrès (Lot-et-Garonne) dix ans plus tard, lorsqu'il sera parvenu à la cinquantaine. Le retrait, c'est un peu le thème général de ce recueil, qui comporte trois textes écrits à la fin de la période productive de l'auteur (si l'on excepte les poésies). 1/ Moi et ma cheminée (1856). 78 pages. Le narrateur habite une grande maison à la campagne. Elle est visible de loin grâce à sa cheminée, si grande qu'elle structure pour ainsi dire la maison autour d'elle. - Citation :
- "Moi et ma cheminée, têtes grises et vieux fumeurs, nous habitons la campagne. J'ose même dire que nous y devenons d'authentique autochtones ; et particulièrement ma cheminée qui s'y enfonce un peu plus chaque jour." (page 21).
"Ma cheminée est le grand seigneur des lieux : le grandiose et unique édifice dominateur - non seulement dans le paysage, mais plus encore dans la maison. Tout le reste de la maison, ainsi qu'on le verra sous peu, est adapté à son architecture, non pas à mes propres besoins, mais à ceux de ma cheminée, qui occupe, entre autres, le centre même de la demeure, ne me laissant, à moi, que les coins et les recoins excentriques." (page 24). "Pour dire la vérité, ma femme, ainsi que le reste du monde, se soucie comme d'une guigne de mon éloquence philosophique. Et à défaut d'autre entourage philosophique, nous nous contentons, moi et ma cheminée, de fumer et philosopher ensemble. A rester, assis comme nous le faisons, veillant tard, c'est une épaisse fumée que nous produisons, en vieux fumeux philosophe que nous sommes. Mais mon épouse, qui apprécie la fumée de mon tabac à peu près autant qu'elle aime l'odeur de la suie, mène le combat de front contre nous deux. " (page 95). Des menaces pèsent donc sur cette cheminée, à commencer par la femme du narrateur, qui appelle son mari "vieil homme". Quant à elle, malgré son âge, elle déborde d'énergie. Avec ses filles, elles rêvent de supprimer cette cheminée immense, pour réaménager la maison et permettre, enfin, de recevoir les invités convenablement, au lieu de faire tours et détours entre la porte d'entrée pour parvenir à la salle à manger. Notre narrateur, qui n'aspire qu'à fumer et à papoter tranquillement avec sa cheminée, aura-t-il les ressources morales pour luter contre sa femme, ses filles, son voisin ? Très bonne nouvelle, au symbolisme transparent. 2/ Jimmy Rose (1855). 29 pages. Le narrateur, un vieil homme, quitte la campagne pour s'installer en ville, ayant fait un héritage. Il connaît la maison qu'il va habiter, car elle est liée à un souvenir, celui de Jimmy Rose, un homme qui fut très riche, fêté, avant de se trouver ruiné. C'est le type de nouvelle intéressante non pas tant pour son histoire, mais pour la psychologie originale du personnage principal, Jimmy Rose. Il se débrouille comme il le peut, tout en restant très digne. - Citation :
- "Car le mendiant qui marmonne au coin de la rue attend son pain moins avidement que le coeur vaniteux son compliment." (page 125).
Très bien. 3/ L'Heureuse faillite (1854). 24 pages. Nous sommes à la campagne. Le narrateur doit rencontre son vieil oncle près du fleuve. Il doit participer à une expérience susceptible de changer l'humanité, fruit d'années de travail de l'oncle. Bien sûr, tout n'ira pas comme prévu. - Citation :
- "Et si l'événement a fait de mon oncle, comme il l'avait dit, un bon vieillard, il a fait de moi un jeune sage. L'exemple a accompli en moi le travail de l'expérience." (page 153).
Petite nouvelle vraiment très sympathique. Un très bon recueil, au ton un peu amer : le mieux que l'on puisse faire, face au monde tel qu'il est, semble de se retirer dans un coin tranquille et de profiter du temps qui reste. | |
| | | tina Sage de la littérature
Messages : 2058 Inscription le : 12/11/2011 Localisation : Au milieu du volcan
| Sujet: Re: Herman Melville Sam 1 Sep 2012 - 13:55 | |
| Moby Dick : je suis en train de le finir et me trouve subjuguée par cette oeuvre "totale". Qui comprend une dimension métaphysique, mais aussi des considérations très concrètes, des portraits fabuleux (je pense au copain du narrateur, cet être "sauvage" et cannibale), une technicité de la pêche, une cruauté et pourtant une admiration des cétacés, bref, on y perd son latin, mais on a la sensation d'être sur la mer, sous un soleil éblouissant et comme dissolvant, d'être là-haut, posté au sommet du mât et de chercher le cachalot blanc. Parce que nous aussi, on succombe à la folie (?) d'Achab. On y est vraiment, tant est maitrisée l'écriture . C'est très impressionnant.
C'est un livre sur la nature humaine en proie à l'existence, ses vicissitudes et sa beauté. On oscille en permanence entre la grandeur du monde et sa bassesse.
Toutefois, je m'interroge sur ce cachalot blanc, que spontanément je prenais pour une allégorie. Des commentaires disent que Melville n'a surtout pas voulu en faire une allégorie.
Alors là, quelque chose m'échappe. Car si c'est cela, la moitié de l'intérêt du livre retombe. Je vais continuer mes recherches.
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| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Herman Melville Sam 1 Sep 2012 - 15:29 | |
| Le cachalot blanc, Tina, il n' y pas que toi qui t' interroges sur lui. Il y en a qui pensent que c' est Dieu, d' autres, - la plupart - que c' est le Mal... Bref des interprétations diverses et meme opposées. Moby Dick est un livre plein de symboles, de références à la Bible. Mais dans un livre "total", comme tu dis, il y a tout ou presque, en tout cas en ce qui concerne Melville. | |
| | | tina Sage de la littérature
Messages : 2058 Inscription le : 12/11/2011 Localisation : Au milieu du volcan
| Sujet: Re: Herman Melville Mer 5 Sep 2012 - 15:26 | |
| J'ai fini Moby Dick. En relisant mon précédent commentaire, je le trouve bien léger. Je ne peux que rebondir sur le post de Snarck, excellent. Surtout les citations, qui disent bien à quel point Achab veut déchirer le voile (symbolisé par le cétacé superpuissant). En quelque sorte démasquer l'invisible derrière le visible. Se battre, le vaincre ou mourir. Conquête infernale et pleine de sacrifices.
C'est existentiel, cosmique, avec un cadre biblique connu mais ambigu aussi. (Très honnêtement, à part Jonas, on a un peu de mal à situer Achab, Ismaël ou Rachel dans un raisonnement binaire de type : bien / mal). L'auteur semble quand même condamner Achar et son illusion de gagner sur le monstre marin, en rappelant que tout est vanité, TOUT, écrit-il, en lettres majuscules.
C'est un grand livre car Melville nous laisse libre d'interprétation. (Pythagore et la métempsychose sont aussi évoqués)
"Oh ! ne regarde pas trop dans la face du feu, toi, homme ! (...) ne te fie pas aux artifices du feu, dont la rouge lueur revêt les choses d'un aspect fantastique. Demain, sous le soleil de la nature, les cieux seront beaux et clairs; et ceux qui apparaissent tels des démons sous les flammes bifides, le matin te les montrera tout différents, sous un air à tout le moins plus fraternel, plus rassurant. Le glorieux, le tout doré, le bienheureux soleil est le seul luminaire; tous les autres ne sont que des menteurs." (484)
"Grandes peines et petit profit, voilà ce que récoltent ceux qui demandent au monde la solution des problèmes qui les concernent; il ne peut même pas résoudre les siens propres. (...) De tempête en tempête ! Qu'il en soit ainsi donc ! Enfanté dans la douleur, l'homme est fait pour vivre dans les tourments et mourir dans les transes. Qu'il en soit donc ainsi ! Mon étoffe est solide : excellente matière pour que tourmentes et tourments s'acharnent dessus. Donc, qu'il en soit ainsi." (492)
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| | | MezzaVoce Envolée postale
Messages : 290 Inscription le : 13/07/2012 Age : 59 Localisation : Lyon
| Sujet: Re: Herman Melville Mer 5 Sep 2012 - 21:30 | |
| Je me souviens de Bartleby le scribe : un grand moment ! Une phrase prononcée par je-ne-sais-plus-quel psychanalyste : « La meilleure résistance à nos sociétés obsessionnelles, ce n’est pas l’affrontement, c’est la mélancolie. »Et une savoureuse digression de Sandrine England & Gilles d'Elia : « Pouvoir des formule magiques ou formules magiques au pouvoir ? Sur Deleuze, Herman Melville, Bartleby ou la Formule », trouvée sur le site Résistance 2012 (je poste le texte en spoiler car l'article n'est plus accessible). - Spoiler:
À chaque demande, à chaque ordre qu'on lui donne, Bartleby répond par une formule obsessionnelle : "Je ne préférerais pas". On a glosé à l'infini sur ce petit texte, cherchant à savoir si Bartleby était fou, cynique, inconséquent ou révolté. De toutes ces interprétations, nous n'en retiendrons ni n'en rejetterons aucune. Car la nouvelle de Melville ne fait rien d'autre que dire ce qu'elle dit, littéralement et dans tous les sens. Et ce qu'elle dit, c'est qu'il existe des formules magiques. Que certaines formules magiques ont un pouvoir pour changer l'ordre des choses, tandis que d'autres, à l'inverse, sont les formules complices des pouvoirs pour renforcer cet ordre des choses.
Bartleby n'est absolument pas un personnage aliéné : au contraire, c'est le monde tout autour de lui qui est aliéné. Par sa seule formule "Je ne préférerais pas", il se libère de l'aliénation qui affecte pourtant tout son entourage. Et il se libère aussi, du même coup, de l'aliénation qui devrait l'affecter lui-même. Peu importe qu'il puisse modifier ou non la réalité - la seule chose qui compte, c'est son rapport à cette réalité : celui d'un homme encore libre de ne pas y adhérer. Libre de réserver sa réponse aux mots d'ordres, libre de sa distance critique (1). L'anti-management, si l'on veut.
La formule de Bartleby est donc une formule de puissance. Par le pouvoir du langage, il conjure l'impuissance par son contraire : il peut tout sur les choses, y compris en annihiler la valeur et la nécessité, il lui suffit simplement de prononcer sa formule magique : "Je ne préférerais pas".
Melville nous l'a prouvé : la littérature fonctionne, les formules magiques changent le rapport entre l'homme et le monde. L'essentiel est alors de comprendre quelle est la différence entre une formule magique de la puissance sur le réel et une formule magique de la soumission et de l'impuissance. En un temps où, pour reprendre la sentence de "l'historien" François Furet, "nous sommes condamnés à vivre dans le monde où nous vivons", nous devrions en connaître un rayon sur les formules magiques de l'impuissance. Mais nous ne cherchons pas ici un slogan, une phrase-choc ou une déclaration péremptoire comme celle de Furet. Nous cherchons au contraire l'imperceptible. Nous cherchons une formule magique de l'impuissance propre à notre temps, quelque chose qui ait pénétré le discours au point que nous ne l'entendions même pas, que nous n'ayons pas même conscience de son agissement ni de son pouvoir ensorceleur.
En voici une, de formule magique de l'impuissance. Une largement répandue et qui est dotée exactement du pouvoir de tout empêcher, de tout annuler, de paralyser toute surprise, toute générosité inattendue, toute rupture de l'ordre, toute action franche et singulière. En voici une, toute petite, mais symptomatique de notre mauvais temps : "J'allais tout de même pas..." Abracadabra : fini les miracles ! Il suffit de dire ça, et soudainement, sans même que l'on s'en rende compte, tout devient impossible.
Nicolas Sarkozy commence souvent ses phrases par "J'allais tout de même pas". "J'allais tout de même pas régulariser 100 000 sans papiers ! J'allais tout de même pas dire aux parents de la victime que je comprends les coupables ! Nous n'allions tout de même pas vexer nos amis américains..." Mais le Président n'a pas le monopole de la formule magique : elle se répand de droite à gauche, de haut en bas, dévastant toute possibilité, décourageant tout événement partout où elle passe. "Nous n'allions tout de même pas laisser la France être le mouton noir de l'Europe ! J'allais tout de même pas lui dire ce que je pensais ! J'allais tout de même pas faire 1 000 kilomètres pour te voir juste pendant quelques heures ! J'allais tout de même pas faire de la peine à ma femme pour faire plaisir à ma maîtresse ! J'allais tout de même pas donner la moyenne à cet élève, même s'il fait des efforts ! Vous n'allez tout de même pas oser guillotiner le Roi !"
J'ai vu il y a quelques jours un généreux passant donner une petite pièce à un mendiant, dans la rue. Et puis, une fois qu'il a continué son chemin, je l'ai entendu dire à sa femme : "J'allais tout de même pas lui donner deux euros !". Et pourquoi non ? Pourquoi se satisfaire de cette formule magique qui prévient toutes les audaces et toutes les révoltes, qui vaccine contre toute situation d'exception ? Pourquoi, alors que l'amitié, l'amour ou la création, une vie riche de sens en somme, ont besoin de ces miracles qu'une formule comme "j'allais tout de même pas..." a pour but de proscrire ?
Abracadabra : fini les miracles ! La différence avec Bartleby est fondamentale : "Je ne préférerais pas", c'était son talisman personnel, son arme de résistance bien à lui. Tout au contraire, la formule "j'allais tout de même pas..." se répand comme un virus qui incube le discours, la pensée et le désir pour finalement les contaminer par sa seule force d'inertie. Non seulement elle incube les discours, mais elle contamine aussi les esprits les uns après les autres, car la formule magique de l'impuissance n'est pas le programme d'un solitaire, d'un créateur, d'un pionnier, mais tout au contraire celle d'un fatalisme grégaire qui impose son triste uniforme à ses adeptes.
"Je ne préférerais pas", comme discours du maître égaré dans un monde d'esclaves, "j'allais tout de même pas..." comme discours de l'esclave résigné à son sort, voilà une dialectique que ne démentirait pas Nietzsche ! Nietzsche à propos duquel Gilles Deleuze écrivait : "On nous invite toujours à nous soumettre, à nous charger d'un poids, à reconnaître seulement les forces réactives de la vie, les formes accusatoires de la pensée. Quand nous ne voulons plus, quand nous ne pouvons plus nous charger des valeurs supérieures, on nous convie encore à assumer 'le Réel tel qu'il est' - mais ce Réel tel qu'il est, c'est précisément ce que les valeurs supérieures ont fait de la réalité ! (...) Nos maîtres sont des esclaves qui triomphent dans un devenir-esclave universel : l'homme européen, l'homme domestiqué, le bouffon... Nietzsche décrit les États modernes comme des fourmilières, où les chefs et les puissants l'emportent par leur bassesse, par la contagion de cette bassesse et de cette bouffonnerie." (2)
"J'allais tout de même pas" : mot d'ordre contagieux de la bouffonnerie ! Raccourci imperceptible de cette tyrannie de la réalité en laquelle Mona Chollet a diagnostiqué la maladie de notre temps ! (3) On ne peut vraiment compter que sur les gens qui ne sont pas fiables.
Restons encore un peu avec Gilles Deleuze, il a des choses essentielles à nous dire sur les formules magiques. Dans ses dialogues avec Claire Parnet, on peut lire ces lignes étonnantes : "Être traître à son propre règne, être traître à son sexe, à sa classe, à sa majorité - quelle autre raison d'écrire ? Et être traître à l'écriture. Il y a beaucoup de gens qui rêvent d'être traîtres. Ils y croient, ils croient y être. Ce ne sont pourtant que des petits tricheurs... C'est qu'être traître, c'est difficile, c'est créer. Il faut y perdre son identité, son visage. Il faut disparaître, devenir inconnu ... C'est ce que Fitzgerald appelait vraie rupture : la ligne de fuite, non pas le voyage dans les mers du Sud, mais l'acquisition d'une clandestinité (même si l'on doit devenir animal, devenir nègre ou femme). Être enfin inconnu, comme peu de gens le sont, c'est cela trahir." (4)
Voilà qui est dit : on ne peut vraiment compter que sur les gens qui ne sont pas fiables. Nous savons tous que Sarkozy ne se réveillera pas un matin avec comme projet de combattre l'injustice sociale : il est fiable , on ne peut pas compter sur lui. Nous savons tous que le prochain film de Steven Spielberg ne sera pas un film d'auteur risqué et audacieux sur la résistance palestinienne. Par contre, on a pu se fier à Debord, Méliès ou Jean Vigo pour faire des films qui ont trahi le cinéma. On pouvait se fier à James Joyce, car c'était un traître : il a trahi le roman. On peut se fier à Serge Halimi pour trahir son métier, le journalisme. On ne peut se fier qu'aux traîtres. Et les traîtres ne commencent jamais leurs phrases par des formules du genre : "j'allais tout de même pas". Oui, faire un film pour trahir le cinéma, écrire un roman pour trahir le roman, rédiger un article pour trahir le journalisme...
Le véritable risque (nous ne parlons pas ici du capital-risque ou du "risque de l'entrepreneur") dépend aussi d'un refus de penser dans les cadres étroits et mortifères des formules magiques de l'impuissance. Imagine-t-on John Cage dire : "j'allais tout de même pas composer une musique totalement silencieuse !" ; imagine-t-on Malevitch déclarer : "j'allais tout de même pas peindre un carré blanc sur fond blanc !". Cette formule, qui n'est autre chose qu'un garde-à-vous pour lâches devenu un pathétique automatisme, trace aussi une frontière, une ligne à franchir pour qui veut trouver sa dignité d'homme ou de femme.
Et la condition de cette dignité, c'est de pouvoir surprendre le monde. C'est à dire aussi d'être surpris par le monde. La formule "j'allais tout de même pas" a précisément le pouvoir de rendre cette dignité-là impossible, impensable : pas question d'agir sur le monde, ni d'être agi par lui. Plutôt renforcer par des formules tristement magiques les fils barbelés et les clôtures électriques, que de passer clandestinement cette frontière invisible qui sépare sans doute les "bons coups" des amours, les copains des amis, les faiseurs des créateurs, les mondains des artistes, les tricheurs des traîtres !
Car enfin, que cache cette sentence implacable ? Que signifie une formule du genre "j'allais tout de même pas" ? Pourquoi t'allais tout de même pas, dis ? La réponse est logique, tranchante comme un argument de caporal-chef : "j'allais tout de même pas faire ça car il ne faut pas le faire parce que ça ne se fait pas". L'ordre des choses et ceux qui en bénéficient ne sauraient rêver d'une maxime plus rassurante ! L'ordre policier viole la logique et se fait passer pour un ordre naturel : "j'allais tout de même pas car j'allais tout de même pas !" L'incongruité, mot de passe de ceux qui n'entendent rien, ne voient rien, se sentent rien et empêchent tout. "La loi c'est la loi", comme dit le procureur borné.
Cette logique de l'arbitraire, il ne suffit pas d'être un homme ou une femme de gauche pour la combattre. Ça ne veut plus rien dire ici, être un homme ou une femme de gauche. Il y a juste des gens qui collaborent avec leur "j'allais tout de même pas" et d'autres qui résistent avec leur "je ne préférerais pas". Ici la frontière n'est pas entre le rêve et la réalité, moins encore entre le rêve et le cauchemar. La vraie ligne de fuite, la vraie frontière, elle est entre le cauchemar et la réalité. On n'a pas le droit de déclarer : "j'allais tout de même pas décrocher la lune !". La lune, il nous la faut.
(1) François Cusset voit dans les années 1980 "le temps qui marqua surtout la fin de toute critique", il écrit dans La décennie, le cauchemar des années 80 (éditions La Découverte) : "Le nouveau terrorisme mis en place à la fin des années 1970, toujours en pleine vigueur aujourd'hui, a ainsi sa propre veine totalisatrice, qui inverse simplement celle contre laquelle il s'est forgé : elle consiste à restaurer les pouvoirs magiques du clerc-sorcier, du moraliste en chef, sur les ruines de la révolution, sur le cadavre de l'intellectuel critique." (2) Nietzsche, par Gilles Deleuze (p. 22 sq.), PUF, 1965. (3) Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, 2004. (4) Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues (p. 56/57), Champs Flammarion.
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