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| Pierre Loti | |
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Auteur | Message |
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Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 8 Aoû 2010 - 11:42 | |
| - coline a écrit:
- On connaît moins le dessinateur Pierre Loti (Julien Viaud )
Equipage:
L'Île de Pâque:
La maison où il vécut à Eyoub:
Sénégal:
Dakar:
Temple près de Nagazaki:
Je vais aller voir une expo à La Piscine de Roubaix sur ses dessins de voyages. Je suis impatient aussi de voir ce que la librairie de l'expo proposera... - Citation :
PIERRE LOTI DESSINATEUR La Piscine - musée d’art et d’industrie André Diligent - Roubaix . Exposition du 2 juillet au 12 septembre 2010 Le musée La Piscine- musée d’art et d’industrie André Diligent, rend hommage à Julien Viaud, officier de Marine, écrivain, voyageur et dessinateur né à Rochefort et plus connu sous le nom de Pierre Loti (1850-1923). C’est une invitation à découvrir les lointains de Pierre Loti à travers ses dessins toujours évocateurs et inspirés de ses innombrables voyages en Terre de Feu, sur l’île de Pâques, à Tahiti, au Brésil, en Amérique du Nord, mais aussi au Sénégal, au Maghreb, en Indochine ou au Japon, en passant bien sûr par son cher « Stamboul ». L’exposition présentée à La Piscine réunira environ 75 dessins inconnus ou méconnus de Pierre Loti, sous l’angle [du voyage, leur thème principal. Les voyages imaginaires de l’enfance (décors de théâtre), les années d’apprentissage en Charente Maritime auprès de sa sœur Marie Bon, puis les dessins de reportage exécutés sur le vif par l’officier de Marine, parcourent le globe en croquant sans cesse paysages, monuments, populations. Ainsi c’est tour à tour la Scandinavie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Afrique du Nord, la Chine, le Japon... que Julien Viaud d’abord, Pierre Loti ensuite, immortalise. Sans oublier l’Empire ottoman, particulièrement mis en exergue dans l’exposition, et notamment « Stamboul », ses mosquées, ses palais, ses cafés, ses scènes de rue, le Bosphore si chers à Loti. La technique de l’écrivain-dessinateur est très précise, elle va toujours au cœur du sujet. Encore largement méconnus, les croquis, dessins et aquarelles de Pierre Loti constituent une véritable oeuvre graphique et ethnographique. Les œuvres présentées à La Piscine transporteront le spectateur dans les multiples escales du jeune officier de Marine. Pour appréhender les voyages et la personnalité de Pierre Loti, le parcours de l’exposition présentera des photos de l’artiste le représentant à travers ses multiples visages et émerveillements.
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| | | bulle Zen littéraire
Messages : 7175 Inscription le : 02/07/2007 Age : 67 Localisation : Quelque part!
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 8 Aoû 2010 - 14:59 | |
| J'aime bien L'île de Pâques ainsi que les barques. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 8 Aoû 2010 - 16:04 | |
| Très agréable expo dans les cabines le long du bassin du musée. Tous les dessins postés par Coline y étaient et ont été soigneusement rassemblés dans un magnifique catalogue consultable mais épuisé à la librairie du musée. Heureusement il est disponible sur internet (et parfois moins cher...). | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 8 Aoû 2010 - 22:34 | |
| - Marko a écrit:
- Très agréable expo dans les cabines le long du bassin du musée. Tous les dessins postés par Coline y étaient et ont été soigneusement rassemblés dans un magnifique catalogue consultable mais épuisé à la librairie du musée. Heureusement il est disponible sur internet (et parfois moins cher...).
Ah!...ça y est!...L'expo est arrivée vers toi et tu es allée la voir!... J'ai plaisir à voir remonter ce fil...Il y a un an, j'étais, avec plaisir, dans Pierre Loti jusqu'au cou jusqu'à la fin de l'année... Des amis viennent de m'offrir le bel ouvrage dans lequel je n'avais pas investi car j'avais dû acheter tous les autres... | |
| | | SCOman Envolée postale
Messages : 102 Inscription le : 08/06/2012 Age : 38 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Pierre Loti Jeu 23 Aoû 2012 - 10:05 | |
| L'Inde & Mahé des Indes
Pendant toute sa vie (1850-1923), le capitaine de navire Pierre Loti, de son vrai nom Julien Viaud, a sillonné les mers et terres lointaines, en Inde, à Tahiti, en Turquie, au Sénégal... Une passion du voyage qui n’aura d’égale que sa soif d’écrire et de retranscrire, lui permettant d’être élu à l’Académie française en 1891. L’Inde (sans les Anglais) relate son voyage entrepris de décembre 1899 à mars 1900 à travers toute la péninsule indienne. À cheval sur deux siècles, il nous offre ainsi un regard inédit sur l’Inde brahmanique d’autrefois. Pierre Loti possède un style d’écriture chatoyant, et offre ici un très beau récit de voyages, rempli de lyrisme et de couleurs. J’en veux pour preuve cette peinture toute en nuances d’un crépuscule maritime : « L’horizon, rouge à la base, puis violet, puis vert, puis couleur d’acier, couleur de paon, est nuancé par bandes comme un arc-en-ciel. Les étoiles brillent tellement qu’on les dirait ce soir rapprochées de la terre et, du point où s’est couché le soleil, partent encore de grandes gerbes de rayons, très nets, très accusés, qui traversent toute la voûte immense, comme des zodiaques roses tracés dans une sphère bleu sombre. » (p.26). Mahé des Indes et L’Inde (sans les Anglais) fourmillent de panoramas spectaculaires, de recoins inexplorés et de rencontres surprenantes. Lecteurs allergiques aux longues et riches descriptions s’abstenir… Cet ouvrage nous transporte dans une atmosphère des plus dépaysantes, au cœur d’une Inde aux contrastes extraordinairement prononcés. Les miséreux et les indigents y côtoient les palais les plus luxueux, la luxuriance des forêts vierges tranche sur le rouge sang des tapis poussiéreux des régions désertiques. Pierre Loti remémore le charme suranné des anciennes colonies françaises. Il découvre d’antiques cités en ruines et visite à la lueur des bougies des temples sombres et insoupçonnés, creusés il y a de cela des siècles au cœur de roches ancestrales. Il s’enfonce peu à peu au sein d’une contrée régie par une religiosité omniprésente. L’Inde de 1900 ressemble de fait à une juxtaposition d’étranges cartes postales : cortèges de noce, brasiers funéraires, fakirs, temples interdits, kiosques chamarrés, femmes aux voiles arcs-en-ciel, marchands affairés, horreurs cadavériques, animaux sacrés et essences tropicales se bousculent et forment un tout indicible. Arrivé sur l’île de Ceylan en quête d’une nouvelle spiritualité, l’auteur clôt quatre mois de voyages initiatiques avec regrets, mais sans nouvelle certitude. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Pierre Loti Jeu 23 Aoû 2012 - 10:41 | |
| - SCOman a écrit:
- L'Inde & Mahé des Indes
Pendant toute sa vie (1850-1923), le capitaine de navire Pierre Loti, de son vrai nom Julien Viaud, a sillonné les mers et terres lointaines, en Inde, à Tahiti, en Turquie, au Sénégal... Une passion du voyage qui n’aura d’égale que sa soif d’écrire et de retranscrire, lui permettant d’être élu à l’Académie française en 1891. L’Inde (sans les Anglais) relate son voyage entrepris de décembre 1899 à mars 1900 à travers toute la péninsule indienne. À cheval sur deux siècles, il nous offre ainsi un regard inédit sur l’Inde brahmanique d’autrefois. Pierre Loti possède un style d’écriture chatoyant Comme ce qualificatif est fort justement choisi! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 17 Mar 2013 - 11:22 | |
| Lire Le Pèlerin d'Angkor avant, pendant puis après la visite du site a été une de mes plus émouvantes expériences de lecture. Je vais tenter un fil avec des photos (si je retrouve l'appareil oublié à l'aéroport) et des extraits de son texte. C'est d'une beauté d'écriture renversante (dans un registre presque décadent) et une belle réflexion presque proustienne sur le temps qui passe. Les descriptions sont géniales. J'y reviens avec ou sans les photos...
Dernière édition par Marko le Dim 17 Mar 2013 - 13:09, édité 1 fois | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 17 Mar 2013 - 11:46 | |
| - Marko a écrit:
- Lire Le Pèlerin d'Angkor avant, pendant puis après la visite du site a été une de mes plus émouvantes expériences de lecture. Je vais tenter un fil avec des photos (si je retrouve l'appareil oublié à l'aéroport) et des extraits de son texte. C'est d'une beauté d'écriture renversante (dans un registre presque décadent) et une belle réflexion presque proustienne sur le temps qui passe. Les descriptions sont géniales. J'y reviens avec ou sans les photos...
Oui...reviens... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 17 Mar 2013 - 13:02 | |
| Vraiment une lecture intense avec un final époustouflant dans sa montée en puissance et sa nostalgie tenace. ça m'a donné envie de lire tous ses carnets de voyages et de suivre son cheminement... | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Pierre Loti Jeu 8 Aoû 2013 - 7:33 | |
| jusqu'au 29 septembre L’installation consacrée à Pierre Loti au Quai Branly jusqu’au 29 septembre investit l’Atelier Martine Aublet, «cabinet de curiosités» situé sur la mezzanine centrale du plateau des collections, ce qui n’est pas sans rappeler le modèle inspiré par la maison de l’écrivain à Rochefort. La plupart des objets recueillis dans l’exposition «J’arrive, j’aime, je m’en vais», provient justement de la résidence natale du voyageur dans laquelle il collectionnait une multitude de souvenirs, photos, lettres, costumes, animaux empaillés, dessins, et qu’il a transformé en un véritable temple oriental. Aujourd’hui devenue un musée, la maison est actuellement fermée faute de moyens.
Si Pierre Loti – né Louis Marie Julien Viaud - est généralement célébré pour sa qualité d’écrivain, l’installation du Quai Branly conçue par le conservateur des musées municipaux de Rochefort, Claude Stéfani, entend bien redonner au personnage toute l’ambiguïté et la richesse de sa personnalité singulière. L’installation se présente en quatre parties, correspondant à quatre temps qui ponctuent le parcours de l’auteur. À l’entrée, le costume d’Osiris est dressé comme le symbole même de Pierre Loti, l’orientaliste, révélant le point d’honneur de l’exposition: le travestissement. À l’opposé se trouve celui du dignitaire chinois avec lequel il s’était fait photographier lors de son voyage à Pékin en 1900, voyage qui l’a conforté dans l’idée que les cultures étrangères ont été détruites par les puissances occidentales, et regrettant du même coup le déclin de civilisations très anciennes. Les costumes, révélateurs de ce goût pour le jeu, le déguisement, la frivolité et l’acculturation, démarquent les deux vitrines que l’on pourrait interpréter comme la distinction entre une période d’inspiration juvénile pour l’exotisme, et une période adulte qui confirme les intérêts originels de l’auteur pour l’ailleurs. Un temps de l’enfance où Pierre Loti fantasme le voyage, ramène à lui ce que lui semble être les terres exotiques, et un temps où il reconstitue chez lui ce qu’il a ramené de ses voyages, que ce soient des objets, de reliques, des écrits, des dessins et des coutumes.
La vocation « originelle » de Loti pour les pays lointains lui vient des échos que lui faisaient les rares hommes de sa famille – son grand-frère Gustave, et son cousin – de leurs missions militaires à l’étranger (dont des coquilles soigneusement répertoriées, des objets exotiques, …). Élevés dans un gynécée, ces contacts font naître en lui une certaine fascination à l’égard de la figure du matelot, ce jeune baroudeur issu du peuple et ancré au sein d’une communauté qui parcours les rives vers des contrées reculées, un personnage toujours en transition qui recommence une vie chaque fois qu’il pose les pieds sur un nouveau rivage. Le personnage de ses futurs romans. Parallèlement à cela, l’installation montre les premières manifestations de l’imagination débordante de Pierre Loti: alors qu’il avait créé à l’âge de 10 ans son premier cabinet de curiosités dans une petite pièce de la maison familiale, il s’amusait à construire des théâtres miniatures avec son amie Lucette et sa tante Claire où il mettait en scène l’histoire de peau d’âne. Un peu plus tard il modèle une série de figurines monstrueuses qui dévoilent déjà la facette angoissée du jeune Loti, sa peur de la mort, de la disparition. Son attirance pour l’étrange correspond à celle qu’il développe pour l’étranger. Aux côtés de ses premières créations sont disposés les dessins qu’il a réalisés au cours de sa première expédition en tant qu’officier de la marine dans le Pacifique au bord de la Flore, au cours de laquelle il découvre l’île de Pâques, les Marquises et Tahiti. Ce voyage est le point de départ d’une intuition qu’il confirmera au fil de ses excursions : la volonté de conserver sous la plume et le pinceau des civilisations que les Occidentaux tendent à altérer en imposant leurs modes de vie là où ils amarrent. Les images – dessins de Raharu, d’Ariinorre Moetia -, font oeuvre de matière première à l’écriture chez Loti, qui s’imprègne des couleurs et des mouvements de son environnement au crayon, au fusain ou à l’aquarelle. À Tahiti il rencontre la reine Pomaré qui lui donne son nom de plume à partir de 1876, «Loti» : «petite fleur tropicale».
Si Pierre Loti aimait à passer du temps avec l’équipage des navires qui l’emmenaient vers ces princesses lointaines, il n’en demeurait pas moins une sorte de dandy, un marginal qui fréquentait les milieux mondains, notamment à Paris avec son amie Juliette Adam grâce à qui il rencontre notamment Sarah Bernhardt, Alexandra de Grande-Bretagne, Marie Christine d’Espagne et Alice Heine dont les portraits sont, pour certaines, affichés dans l’exposition. Reconnu pour ses productions littéraires, il est élu à l’Académie française en 1891 face à Emile Zola, ce qui fait de lui le plus jeune académicien de l’époque et relève de la revanche sociale pour un homme issu d’un famille devenue modeste suite à une catastrophe financière provoquée par son père. Il avait alors écrit les célèbres Aziyadé, Le Mariage de Loti, Madame Chrysantème, Le livre de la pitié et de la mort… Mais le pays où il se sent le plus noble, le plus reconnu, c’est en Turquie, où il a laissé ses marques un peu partout dans la ville d’Istanbul: un lycée français et des cafés portent son nom. Il laissera aussi le magnifique roman Aziyadé qui relate une histoire d’amour entre un jeune officier de la marine européen et une jeune femme de Harem (histoire d’amour qu’il a par ailleurs vécu à Istanbul). Il est là-bas comme il ne peut pas être en France : un bourgeois. Il y développe des relations très fortes et s’imprègne de la culture turque tel un autochtone – il a même voulu devenir officier de la flotte impériale turque. En 1900, Loti part en Chine où il trouve un décor à sa démesure, mais où il ne parvient pas à apprécier la population contrairement à toutes les autres rencontrées au cours de ses voyages. Son séjour en Chine le conforte dans son «anticolonialisme» et dévoile en même temps les limites de l’acculturation auquel se frottait Loti en permanence (Les derniers jours à Pékin). Pour la première fois, il ne se retrouve pas dans l’autre. Son œuvre devient de moins en moins romanesque pour s’inscrire de plus en plus sur le mode du reportage. Il témoigne, il ramène tissus, objets et idées d’installation pour sa maison, et il ne dessine plus mais photographie. Ses derniers séjours en Asie et en Turquie seront marqués par un engagement politique fort, notamment contre le démantèlement de l’Empire Ottoman voulu par les puissances occidentales (La Turquie agonisante).
Mais Claude Stéfani rappelle que ce goût du voyage et cette horreur certaine pour l’orientalisme poussant à éteindre des civilisations, fait écho à ses angoisses de mort, à la perte de ce qui est et de ce qui a été. La carte postale éditée en 1909 de Pierre Loti aux côtés de Ramsès II momifié, marque le paroxysme de cette crainte extrême. Cette obsession de tout collectionner, répertorier, conserver, dénote une hantise du temps qui passe et de son caractère insaisissable, tout comme la littérature fixe la pensée, la peinture fixe les images, et sa maison fige les décors qu’il a rencontré le long de sa vie aventureuse. source | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Pierre Loti Dim 29 Sep 2013 - 8:18 | |
| Pierre Loti, mon frère Yves (NB: je ne l'ai pas lu dans la superbe édition de cette image, Calmann-Lévy 1938, illustrations D. Emilien-Duffour, qui atteint des sommets à la revente !). Ce livre vient assez tôt dans l'oeuvre de Loti. Il conte une amitié virile, une fraternité de gens de mer, on peut y voir un aveu à demi-mot de son homosexualité, à tout le moins y déceler une probable homosexualité latente entre le narrateur-protecteur en quête d'Yves Kermadec, l'homme-enfant. Vous vous reporterez aussi au très beau dessin de Loti "équipage", posté au moins à quatre reprises déjà dans ces pages (c'est le premier dessin sur le premier post de ce fil), du coup vous comprenez que j'hésite à le placer une fois de plus, pourtant il a toute sa place en illustration de cet ouvrage ! Livre apaisant en dépit des turpitudes des héros, sans doute parce qu'écrit avec un regard tout en candeur naïve, sans mièvrerie. C'est juste parfait pour cerner Yves Kermadec, chapeau bas, Monsieur Loti ! Loti, on le sait, fut un auteur très prisé en son temps. Sa plume est exquise et cèle de multiples splendeurs, en tous cas dans ce livre-là. Le style coulé, à chapitres brefs, nous berce tel un roulis régulier, le lecteur est parfaitement embarqué par le capitaine de midship Loti. Ses pages sur la vie à bord, sur la Bretagne, les petites gens, l'alcoolisme et la vie des femmes et familles de marins, la mer etc... sont de facture exceptionnelle. - Extraits:
- Chapitre L a écrit:
- 17 juin 1878.
De bonne heure, nous sommes debout pour aller dans les bois ramasser des luzes (petits fruits d'un noir bleu que l'on trouve dans les plus épais fourrés, sur des plantes qui ressemblent au gui de chêne). Anne ne portait plus son beau costume de fête : elle avait mis une grande collerette unie et une coiffe plus simple. Sa robe bretonne en drap bleu était ornée de broderies jaunes : sur chaque côté de son corsage, c'étaient des dessins imitant de ces rangées d'yeux comme en ont les papillons sur leurs ailes. Le long des sentiers creux, dans la nuit verte, nous rencontrions des femmes qui allaient à Toulven entendre la première messe du matin. Du fond de ces longs couloirs de verdure, on les voyait venir avec leurs collerettes, avec leurs hautes coiffes blanches, dont les pans retombaient symétriques sur leurs oreilles, comme des bonnets d'Egyptiens. Leur taille était très serrée dans des doubles corsages de drap bleu qui ressemblaient à des corselets d'insectes et sur lesquels étaient brodées toujours les mêmes bigarrures, les mêmes rangées d'yeux de papillon. Au passage, elles nous disaient bonjour en langue bretonne, et leur figure tranquille avait des expressions primitives. Et puis, sur les portes des chaumières antiques en granit gris qui étaient enfouies dans les arbres, nous trouvions des vieilles assises et gardant des petits enfants ; des vieilles aux longs cheveux blancs dépeignés, aux haillons de drap bleu coupés à la mode d'autrefois, avec des restes de broderies bretonnes et de rangées d'yeux : la misère et la sauvagerie du vieux temps.
Des fougères, des fougères, tout le long de ces chemins,—les espèces les plus découpées, les plus fines, les plus rares, agrandies là dans l'ombre humide, formant des gerbes et des tapis ;—et puis des digitales pourprées s'élançant comme des fusées roses, et, plus roses encore que les digitales, les silènes de Bretagne, semant sur toute cette verdure fraîche leurs petites étoiles d'une couleur de carmin. ...À nous peut-être la verdure semble plus verte, les bois plus silencieux, les senteurs plus pénétrants, à nous qui habitons les maisons de planches au milieu du bruit de la mer. «Moi, je trouve qu'on est très bien ici, disait Yves. Un peu plus tard, quand le petit Pierre sera seulement assez grand pour que je l'emmène par la main, nous nous en irons tous deux ramasser toute sorte de choses dans les bois,—et puis chasser. C'est cela, j'achèterai un fusil, dès que je serai un peu riche, pour tuer les loups. Il me semble à moi que je ne m'ennuierai jamais dans ce pays...» Je savais bien, hélas ! Qu'il s'y ennuierait à la longue ; mais c'était inutile de le lui dire et il fallait bien lui laisser sa joie, comme aux enfants. D'ailleurs, lui aussi allait partir ; deux jours après moi, il devait rejoindre Brest, pour s'embarquer de nouveau. Ce n'était qu'un tout petit repos dans notre vie, ce séjour en Toulven, qu'un petit entr'acte de Bretagne après lequel notre métier de mer nous attendait. ...Nous fûmes bientôt au milieu des bois ; plus de sentiers ni de chaumières ; rien que des collines se succédant au loin, couvertes de hêtres, de broussailles, de chênes et de bruyères. Et des fleurs, une profusion de fleurs ; tout ce pays était fleuri comme un éden : des chèvrefeuilles, de grands asphodèles en quenouilles blanches et des digitales en quenouilles roses. - Chapitre LXXVIII a écrit:
-
Un jour, le démon de l'alcool revint passer sur leur route. Yves rentra avec ce mauvais regard trouble dont Marie avait peur. C'était un dimanche d'octobre. Il arrivait du bord, où on l'avait mis aux fers, disait-il ; et il s'était échappé parce que c'était injuste. Il semblait très exaspéré ; son tricot bleu était déchiré et sa chemise ouverte. Elle essayait de lui parler bien doucement, de le calmer. C'était précisément une belle journée de dimanche ; il faisait un de ces temps rares d'arrière-automne qui ont une mélancolie paisible et exquise, qui sont comme un dernier repos du soleil avant l'hiver. Elle s'était habillée dans sa belle robe et sa collerette brodée, elle avait fait la grande toilette du petit Pierre, comptant qu'ils iraient tous les trois se promener ensemble à ce beau soleil doux. Dans la rue, des couples de gens du peuple passaient, endimanchés, s'en allant sur les routes et dans les bois comme au printemps. ...Mais non, rien n'y faisait ; Yves avait prononcé l'affreuse phrase de brute qu'elle connaissait si bien : «Je m'en vais retrouver mes amis.» C'était fini ! Alors, sentant sa pauvre tête s'en aller de douleur, elle avait voulu tenter un moyen extrême : pendant qu'il regardait dans la rue, elle avait fermé la porte à double tour et caché la clef dans son corsage. Mais lui, qui avait compris ce qu'elle venait de faire, se mit à dire, la tête baissée, les yeux sombres : «Ouvre !... ouvre !... M'entends-tu ? je te dis de m'ouvrir !» Il essaya de secouer cette porte sur ses ferrures ; quelque chose le retenait encore de la briser,—ce qu'il eût pu faire sans peine. Et puis, non, il voulait que sa femme, qui l'avait fermée, vînt elle-même la lui ouvrir. Et il tournait dans cette chambre, avec son air de grand fauve, répétant : «Ouvre !... M'entends-tu ? je te dis de m'ouvrir !» Les bruits joyeux du dimanche montaient dans la rue. Les femmes à grande coiffe passaient au bras de leurs maris ou de leurs amants. Le beau soleil d'automne les éclairait de sa lumière tranquille. Il frappait du pied et répétait cela à voix très basse : «Ouvre !... je te dis de m'ouvrir !» C'était la première fois qu'elle essayait de le retenir par force, et elle voyait que cela réussissait mal, et elle avait étrangement peur. Sans le regarder, elle s'était jetée à genoux dans un coin et disait des prières, tout haut et très vite, comme une insensée. Il lui semblait qu'elle touchait à un moment terrible, que ce qui allait arriver serait plus affreux que toutes les choses d'avant. Et petit Pierre, debout, ouvrait tout grands ses yeux profonds, ayant peur lui aussi, mais ne comprenant pas. «Non, tu ne veux pas m'ouvrir ?... Oh ! mais je l'arracherai alors ! Tu vas voir !» Une secousse ébranla le plancher, puis on entendit un grand bruit sourd, horrible. Yves venait de tomber de tout son haut. La poignée par laquelle il avait voulu prendre cette porte lui était restée dans la main, arrachée, et alors, lui, avait été jeté à la renverse sur son fils, dont la petite tête avait porté, dans la cheminée, contre l'angle d'un chenet de fer... Ah ! Ce fut un changement brusque. - chapitre XC a écrit:
- l y a rien d'faraud
Comme un matelot Qu'a lavé sa peau Dans cinq ou six eaux... Le lendemain matin, au lever du soleil. La brise était restée fraîche et vive. Le Primauguet filait très vite et se secouait dans sa course, avec ce déhanchement souple et vigoureux des grands coureurs. Sur l'avant du navire, les hommes de la bordée de quart faisaient en chantant leur première toilette. Nus, semblables à des antiques avec leurs bras forts, ils se lavaient à grande eau froide ; ils plongeaient de la tête et des épaules dans les bailles, couvraient leur poitrine d'une mousse blanche de savon, et puis s'associaient deux à deux, naïvement, pour se mieux frotter le dos. Tout à coup ils se rappelèrent le mort, et leur chanson gaie s'arrêta. D'ailleurs, ils venaient de voir les hommes de l'autre bordée qui montaient au commandement de l'officier de quart, et se rangeaient en ordre sur l'arrière, comme pour les inspections. Ils devinaient pourquoi et ils s'approchèrent tous. Une grande planche toute neuve était posée en travers sur les bastingages, débordant, faisant bascule au-dessus de la mer ; et on venait d'apporter d'en bas une chose sinistre qui semblait très lourde, une gaine de toile grise qui accusait une forme humaine... Quand Barazère fut couché sur la grande planche neuve, en porte-à-faux au-dessus des lames pleines d'écume, tous les bonnets des marins s'abaissèrent pour un salut suprême ; un timonier récita une prière, des mains firent des signes de croix,—et puis, à mon commandement, la planche bascula et on entendit le bruit sourd d'un grand remous dans les eaux. Le Primauguet continuait de courir, et le corps de Barazère était tombé dans ce gouffre, immense en profondeur et en étendue, qui est le Grand-Océan. Alors, tout bas, comme un reproche, je répétai à Yves qui était près de moi, la phrase de la veille : «Les hommes, c'est comme les bêtes : on en fait d'autres, mais... —Oh ! répondit-il, ce n'est pas moi qui ai dit cela ; c'est lui.» (Lui—c'est-à-dire Barrada,—l'entendit et tourna la tête vers nous. Il pleurait à chaudes larmes.) Cependant on regardait derrière avec inquiétude, dans le sillage : c'est qu'il arrive, quand le requin est là, qu'une tache de sang remonte à la surface de la mer. Mais non, rien ne reparut ; il était descendu en paix dans les profondeurs d'en dessous. Descente infinie, d'abord rapide comme une chute ; puis lente, lente, alanguie peu à peu dans les couches de plus en plus denses. Mystérieux voyage de plusieurs lieues dans des abîmes inconnus ; où le soleil qui s'obscurcit paraît semblable à une lune blême, puis verdit, tremble, s'efface. Et alors l'obscurité éternelle commence ; les eaux montent, montent, s'entassent au-dessus de la tête du voyageur mort comme une marée de déluge qui s'élèverait jusqu'aux astres. Mais, en bas, le cadavre tombé a perdu son horreur ; la matière n'est jamais immonde d'une façon absolue. Dans l'obscurité, les bêtes invisibles des eaux profondes vont venir l'entourer ; les madrépores mystérieux vont pousser sur lui leurs branches, le manger très lentement avec les mille petites bouches de leurs fleurs vivantes. Cette sépulture des marins n'est plus violable par aucune main humaine. Celui qui est descendu dormir si bas est plus mort qu'aucun autre mort ; jamais rien de lui ne remontera ; jamais il ne se mêlera plus à cette vieille poussière d'hommes qui, à la surface, se cherche et se recombine toujours dans un éternel effort pour revivre. - chapitre XCII a écrit:
- Les voix étaient belles et vibrantes dans les silences sonores de ces nuits.
Il y avait aussi un vieux maître qui contait toujours à un petit cercle attentif d'interminables histoires ; c'étaient des aventures très certainement arrivées autrefois à de beaux gabiers, que des princesses amoureuses avaient emmenés dans des châteaux. Il courait toujours, le Primauguet, traçant derrière lui, dans l'obscurité, une vague traînée blanche qui s'effaçait à mesure, comme une queue de météore. Il courait toutes les nuits, sans se reposer ni dormir ; seulement ses grandes ailes perdaient le soir leur blancheur de goéland, et, sur les lueurs diffuses du ciel, on les voyait tout à coup découper, en ombres chinoises, des pointes et des échancrures de chauve-souris. Mais il avait beau courir, il était toujours au milieu du même grand cercle qui semblait éternellement se reformer, s'étendre et le suivre. Quelquefois ce cercle était noir et dessinait nettement partout sa ligne inexorable qui s'arrêtait aux premières étoiles du ciel, ou bien l'immense contour était adouci par des vapeurs qui fondaient tout ensemble ; alors on se figurait courir dans une espèce de globe d'un bleu gris, très étoilé, dont on s'étonnait de ne jamais rencontrer les parois fuyantes. L'étendue était remplie des bruits légers de l'eau, l'étendue était toujours bruissante à l'infini, mais d'une manière contenue et presque silencieuse ; elle rendait un son puissant et insaisissable, comme ferait un orchestre de milliers de cordes que les archets frôleraient à peine et avec grand mystère. Par instants, les étoiles australes se mettaient à briller d'éclats très surprenants ; les grandes nébuleuses étincelaient comme une poussière de nacre, toutes les teintes de la nuit semblaient s'éclairer, par transparence, de lumières étranges, on se serait cru à ces moments des féeries où tout s'illumine pour quelque immense apothéose ; et on se disait : pourquoi est-ce que les choses resplendissent de cette manière, qu'est-ce qui va se passer, qu'est-ce qu'il y a ?... Eh ! Bien non, il n'y avait rien, jamais ; c'était simplement la région des tropiques qui était ainsi. Il n'y avait rien que les mers désertes, et toujours l'étendue circulaire, absolument vide... Ces nuits étaient bien d'exquises nuits d'été, douces, douces, plus que nos plus douces nuits de juin. Et elles troublaient un peu tous ces hommes dont les aînés n'avaient pas trente ans... Ces obscurités tièdes apportaient des idées d'amour dont on n'aurait pas voulu. On se voyait près de s'amollir encore dans des rêves troublants ; on sentait le besoin d'ouvrir ses bras à quelque forme humaine très désirée, de l'étreindre avec une tendresse fraîche et rude, infinie. Mais non, personne, rien... Il fallait se raidir, rester seul, se retourner sur les planches dures de ce pont de bois, puis penser à autre chose, se remettre à chanter... Et alors les belles chansons, gaies ou tristes, vibraient plus fort, dans le vide de la mer. Pourtant, on était bien sur ce gaillard d'avant pendant ces veillées du large ; on y recevait en pleine poitrine les souffles frais de la nuit, les brises vierges qui n'avaient jamais passé sur terre, qui n'apportaient aucun effluve vivant, qui n'avaient aucune senteur. Quand on était étendu là, on perdait peu à peu la notion de tout, excepté de la vitesse, qui est toujours une chose amusante, même quand on n'a pas de but et qu'on ne sait pas où l'on va. Ils n'avaient pas de but, les matelots, et ils ne savaient pas où ils allaient. Larguez les amarres ! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Pierre Loti Jeu 9 Jan 2014 - 16:26 | |
| Les trois dames de la KasbahRetour à Pierre Loti après ma lecture marquante de son récit de voyage à Angkor (lisez vraiment ce texte c'est une merveille!!). Cette longue nouvelle est remarquable et m'a frappé par son atmosphère qui en fait presque une sorte de conte fantastique même si ce qui est décrit est bien ancré dans la réalité. On découvre au départ en parallèle 3 femmes d'une petite habitation de la Kasbah d'Alger et un groupe de matelots bretons et corses plutôt éméchés. On comprend rapidement ce qui va rapprocher les uns et les autres... L'écriture est toujours aussi picturale, raffinée sans maniérisme, précise et très évocatrice. La chute de la nouvelle, que je ne révèlerai pas, justifie le climat morbide et délétère que Loti parvient à distiller de façon insidieuse. On en sort comme envoûté par quelque sortilège maléfique avec un sentiment un peu mélancolique. Loti évoque en même temps une certaine réalité sociale et les effets pervers (à double tranchant) de la colonisation. Une bonne lecture! | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Pierre Loti Ven 4 Avr 2014 - 11:13 | |
| Suleïma
L’histoire, présentée sous la forme d’un journal, débute dans un quartier d’Oran en Algérie. Le navire du jeune marin Pierre Loti fait relâche dans un port non loin de la ville. A terre, Pierre fait la connaissance d’un autochtone, pauvre vendeur à la sauvette, accompagné de sa fillette de six ans à laquelle le marin donne des morceaux de sucre comme on nourrirait un jeune singe pour s’amuser. Quelques heures plus tard, dans un djebel avoisinant, il ramasse une tortue terrestre à laquelle il décide de donner le prénom de la petite fille : Suleïma.
Dix ans plus tard, le marin est de retour à Oran. Par hasard il tombe nez à nez avec la fillette qui a grandi. Comme son père jadis, elle est vendeuse sur la voie publique : ses charmes sont sa seule marchandise. D’abord réticent, retenu par la pudeur et ses souvenirs de l’enfant, il finit pourtant par succomber à l’irrésistible beauté de Suleïma.
La troisième rencontre est la dernière : deux ans plus tard, Suleïma comparait au tribunal d’Alger pour avoir empoisonné ses trois époux successifs.
L’auteur enrobe cette histoire de nombreuses sensations. Son amour pour l’orient et son exotisme – au point de reconstituer chez lui, à Rochefort, une chambre turque. Cet orient qui l’appelle, l’accapare et l’entraine loin de son pays, de sa ville, des siens – dont sa mère – qu’il a le sentiment d’abandonner à chaque nouveau départ, sans savoir s’ils seront toujours là à son retour.
Il oppose les mœurs régulières de Suleïma la tortue (qu’il a rapporté chez lui) à celles plus dissolues de Suleïma la jeune femme. Il s’enivre du parfum de la belle, du parfum des buissons et des fleurs du Maghreb. De la lumière vive, du bleu du ciel algérien, du rose du sable et du rouge sombre du henné comparés aux verts et aux gris de sa campagne charentaise.
Une nouvelle qui se respire et se contemple tout aussi bien qu’elle se lit. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Pierre Loti Ven 4 Avr 2014 - 14:29 | |
| J'ai aimé beaucoup lire Pierre Loti. | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Pierre Loti Jeu 23 Oct 2014 - 21:30 | |
| Matelot 1893, roman, 140 pages environ, cinquante-quatre chapitres (ou brefs tableaux). Parfois orthographié "Le Matelot". On dit de ce roman qu'il est part d'une trilogie incluant " Pêcheur d'Islande" et " Mon frère Yves". Ce qui me semble un rien commodément capillotracté, il n'y a pas de continuité de parution ni d'écriture entre ces trois ouvrages, et, à mon avis, " Matelot" est beaucoup plus proche de " Mon frère Yves", " Pêcheur d'Islande" étant à situer ailleurs. En effet il y a une part autobiographique (son frère aîné Gustave et son ami de mer Léo "sont" ici Jean Berny, le héros). Tout comme Yves était Pierre, un autre ami de mer... Les peintures de vie en mer, bien que brillantes, sont plus retenues et moins nombreuses que dans " Mon frère Yves". Il y a dans " Matelot", d'une façon générale, moins de pittoresque. Travaillée, fine comme jamais, cristalline, d'apparence évidente, simple, l'écriture de Loti, si vous êtes un peu familier de l'auteur, risque de vous transporter, et pourtant tout est en sobriété. Loti était, de son vivant, un écrivain de premier plan, au niveau de la notoriété et du tirage de ses oeuvres, en un temps et sous des latitudes où le romancier était lui-même à la pointe de l'expression artistique dans à peu près tous les milieux. Ces petits chapitres courts, calibrés pour la lecture commune vespérale comme pour la parution en revue, se terminent la plupart du temps en points de suspension, et même en lignes entières de points de suspension, un peu à la façon d'un pianiste dont l'instrument émet encore une note presque sourde, qu'on distingue à grand'peine du silence, alors que déjà il ferme le capot sur le clavier. Je ne crois pas que ça "passerait" en édition aujourd'hui. Mais j'y vois un raffinement, une manière aussi d'imposer un silence, fût-il bref, au lecteur, lui enjoignant de s'abreuver de la gorgée littéraire en appréciant le nez, le bouquet, l'attaque, le palais et les finales en dégustateur et non en boit-sans-soif. Ce livre a paru dans un contexte qu'il n'est pas inintéressant de garder en mémoire, si vous en entreprenez la lecture. 7 avril 1892, pour sa troisième tentative, Pierre Loti est élu à l'Académie Française, par 18 voix contre 0 à Emile Zola. Le discours de réception est un exercice de style obligé et bien connu, consistant à faire l'apologie du défunt dont on va occuper le fauteuil. Loti succède à Octave Feuillet, et prononce ce discours. Zola, son adversaire malheureux, courageusement présent dans la salle, est battu à plate couture et, loin d'avoir le triomphe magnanime, Loti y place une charge contre le roman naturaliste ! - Citation :
- Les hommes à théories, – surtout ceux des couches nouvelles qui viennent au monde déjà tout bardés d’érudition, – longuement discutent avec gravité si le roman doit être romanesque ou documentaire, ou psychologique, ou je ne sais quoi encore ; s’il doit se borner au rôle d’amusette pour gens du monde, ou bien s’il lui est permis de soutenir quelque haute thèse de morale ou de philosophie Je suis forcé d’avouer que la portée un peu profonde de ces discussions m’échappe ; je les trouve même passablement vaines et puériles. Dans mon ingénuité de barbare éduqué en courant la mer, peu m’importe d’abord qu’un livre s’appelle roman ou s’intitule de tel autre nom qu’on voudra, – et la seule chose que je lui demande, c’est d’avoir la vie et d’avoir le charme.
Et, histoire de rhabiller définitivement Emile Zola: - Citation :
- Le Roman psychologique – je suis vraiment consterné d’avoir à prononcer ce mot pédant – a, lui aussi, de nos jours, mené grand bruit autour de sa personne et décrété, absolument du reste comme le Roman naturaliste, qu’en dehors de lui-même, rien ne valait Et pourtant, après les remarquables maîtres de cette école, dans quel indigeste pathos sont tombés les médiocres qui les ont suivis !
Autant dire que le roman suivant de Loti est attendu, et qu'il a intérêt à être à la hauteur ! Histoire de rajouter un peu de pression, Loti, écrivain alors valeur sûre pour un éditeur, signe, en se faisant avoir, avec l'éditeur Guillaume (belles éditions, illustrées, d'une certaine gamme) mais en signant également avec Calmann-Lévy, tout en espérant pouvoir faire paraître d'abord " Matelot" en revue, en périodiques (formule plus lucrative pour l'auteur), sans se rendre compte qu'il a opté exactement pour le contraire ! Au milieu de ce micmac, il s'attèle à l'écriture de " Matelot", celui-ci étant avancé au point d'avoir en mains quelques premières épreuves dès septembre. Il boucle définitivement le roman en janvier 1893, et il paraîtra pile un an après son élection à l'Académie Française, en avril 1893, chez Guillaume. Le mois suivant, il publie "L'Exilée", qu'il avait en réserve, mais il avait pour volonté que le grand coup qu'il était tenu de frapper après sa charge agressive du discours de l'élection à l'Académie soit " Matelot". Il n'eut ensuite de cesse de défendre ce livre-là en particulier, qui fut loin, très loin de rencontrer le succès de librairie à la " Ramuntcho" ou à la " Pêcheur d'Islande". Parler de flop ou de bide est peut-être exagéré, mais on est loin, très loin du grand coup que ce livre, dédaigné par le public (à l'aune du tirage coutumier de Loti), devait frapper ! La charge pathétique des derniers chapitres est énorme, et troussée avec un art consommé. Là est le Loti qu'on a envie de lire et relire, et de continuer à mettre en lumière, aujourd'hui, en 2014. Le maniérisme de sa vie contraste avec la sobriété et la subtilité de son art littéraire. Un régal, vraiment. Autres exemples, ce qu'il dit des rites, des liens filiaux, de la vie des gens simples, des scènes du logis de Brest dans le quartier de Recouvrance, et aussi bien sûr sa connaissance comportementale et sociétale du marin font de ce petit opus oublié qu'est " Matelot", considéré (mais pas par l'auteur !) souvent comme plutôt mineur dans sa biographie, un moment de littérature qui mérite découverte ou redécouverte. Gageons qu'il a encore largement le potentiel pour étonner, séduire nombre de lecteurs contemporains en particulier avec ce style, cette fraîcheur du trait, cette écriture gracile mais ferme. Je le tiens, en tout cas, pour de très belle qualité et le place haut dans l'oeuvre de Loti. | |
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