Guy Goffette [Belgique]

Un été autour du cou

Que dire de ce roman qui n’en est pas tout à fait un puisqu’il est largement inspiré du réel ?…
Que j’ai été terriblement mal à l’aise, malheureuse à le lire…
Que je me suis trouvée, malgré la pudeur du récit, en position de voyeuse d’une histoire intime et douloureuse, d’autant plus douloureuse et déchirante qu’elle fut celle d’un enfant de onze ans.
Que j’ai haï le monstre qui a profité de la fragilité de l'enfant…
Que j’ai aimé cet enfant, Simon, tellement attachant, candide, rêveur, bon… mais si faible…
Que j’ai maudit ses parents de ne l’avoir pas protégé davantage. Ce père tyrannique et alcoolique qui tient l'épicerie-bar-tabac du village …Cette mère qui ne sort de sa cuisine que pour aller à l’église…
Et que c’est en lisant ces mots de Guy Goffette dans une interview que j’ai su pourquoi je m’étais fait le devoir et la violence de le lire jusqu’au bout :
« Chaque fois que quelqu’un reconnaît que Simon l’a touché, c’est comme s’il le prenait avec lui, qu’il le consolait. Cela me délivre d’un poids. J’aimerais qu’il soit aimé par des milliers de personnes, que ces milliers de personnes pensent que l’enfance est merveilleuse. »

Ce n’est qu’à 54 ans que Guy Goffette, poète reconnu, se décide à publier cette histoire. C’est son premier roman. Il avait tenté de le faire plus tôt puis avait renoncé :
..." En réalité, Un été autour du cou est un vieux premier roman. J'ai brûlé le manuscrit originel, rédigé dès 1978. Ce texte de 450 pages, achevé dans les années 1980, a disparu dans les flammes. Ensuite, malgré le bûcher, malgré mes efforts pour l'oublier, ce roman s'est toujours mis en travers de mon chemin dans la prose. Il m'a poursuivi. Je l'ai finalement réécrit parce que je ne pouvais pas faire autrement. Pour être honnête, j'ai failli le détruire une nouvelle fois. Je l'ai récupéré chez mon éditeur alors que le contrat était déjà rédigé. Le livre, qui aurait pu s'appeler Le Geai, est resté pendant six mois sur une poubelle : s'il était tombé au fond de la corbeille, il y serait encore. "On ne termine pas un poème, on l'abandonne", disait Paul Valéry. Un été autour du cou est l'un de ces survivants. » (Guy Goffette)

Guy Goffette affirme : « Je ne suis pas totalement Simon ».
« Certains traits de Simon sont les miens. Comme lui j’étais timide, réservé et j’aimais les livres. Et je vivais une même souffrance, mais que j’ai habillée. Le roman oblige à des contraintes de temps et d’espace, j’ai alors dû rassembler quelque chose qui s’est déroulé sur des années. Après la sortie d' Un été autour du cou, je l’ai tellement tenu à l'écart que c’est devenu une fabulation complète. Mais de nombreux souvenirs de ma vie se retrouvent dans ce livre. » (Guy Goffette)

« J'ai inventé... mais je souscris à la remarque de Paul Léautaud qui affirmait qu'on n'invente que ce que l'on porte déjà en soi. »(Guy Goffette)

« La rédaction de ce roman a été une nécessité du moment. Elle m'a soulagé du boulet que je traînais à mon pied. »(Guy Goffette)

De quoi s’agit-il ?
Presque tout est dit dans le premier chapitre qui tient en quelques lignes :
« La Monette avait tout, savait tout ; moi, rien.
Elle m’a pris sous son aile, m’a roulé dans ses draps puis dans la farine.
Puis foulé aux pieds,
Puis jeté dehors.
J’avais douze ans à peine ; elle, trente de plus. »

C’est un homme vieux qui parle et se souvient, un homme seul qui vit dans une caravane en forêt… Autour de son cou, un bas dérobé à la Monette …
« Je parle, je parle tout seul dans le noir, j’insulte la ténèbre, je me refais l’histoire de Simon, telle que je m’en souviens, telle que je l’ai oubliée, telle que je me la réinvente encore et encore comme un conte à la veillée d’hiver pour endormir la nuit et tous les loups. »

« Je fus cet enfant de onze ans, triste, timide et gauche, avec ses poches bourrées de billes de verre, ses soldats de plomb ; je fus cet enfant-là tout entier, chair et os et âme, avant qu’on me le vole, qu’on me l’enlève en m’obligeant à revêtir à mon cœur défendant un corps d’homme fait, un corps soudain qui pèse son poids d’ombre et de vertige. »

La Monette, une femme pulpeuse, "aux seins d'opéra" et "aux lèvres carmin", aux ongles peints, s’est jouée d’un gamin de onze ans dans un jeu dont il n’a pas tout de suite compris les règles.
Négligé par ses parents et souvent livré à lui-même, Simon ne demandait qu’à être aimé…Elle l’a initié violemment et avec perversité aux choses de l’amour. Elle lui a "jeté sa chair nue à la figure", le brisant à jamais.

« Si seulement cela avait été des bonbons roses, au lieu du bout cramoisi de ses seins ; si seulement elle me les avait montrés avec un brin de retenue, de la délicatesse, (...) au lieu de me les enfourner comme un paquet de linge sale dans la gorge.. »"

Ce petit roman est magnifiquement écrit. « J'étais dans cette langue qui a quelque chose à voir avec le poème. ». Une écriture simple pourtant… douloureuse mais jamais plaintive...
" Pour l'heure, j'ai, pardon, Simon a 11 ans..." … Au cours du récit, Guy Goffette balance constamment entre le "je" et le "il" : une façon pudique et terriblement émouvante de dire au lecteur qui, de toutes façons, ne peut l’oublier: « Cet enfant, c’était moi… »

Merci pour cet aperçu de ce livre - et les extraits d'interview me donnent aussi une autre approche pour son texte.. je vais retenter l'expérience

kenavo a écrit:

Merci pour cet aperçu de ce livre - et les extraits d'interview me donnent aussi une autre approche pour son texte.. je vais retenter l'expérience

Qu'est-ce qui t'avait arrêtée Kenavo?

coline a écrit:

kenavo a écrit:

Merci pour cet aperçu de ce livre - et les extraits d'interview me donnent aussi une autre approche pour son texte.. je vais retenter l'expérience

Qu'est-ce qui t'avait arrêtée Kenavo?

En fait je ne suis jamais trop bien rentrée... 11 ans m'est un peu trop jeune de parler d'un tel sujet.. et je me sentais pas trop sûre ce qui allait encore suivre..

kenavo a écrit:

coline a écrit:

Qu'est-ce qui t'avait arrêtée Kenavo?

En fait je ne suis jamais trop bien rentrée... 11 ans m'est un peu trop jeune de parler d'un tel sujet.. et je me sentais pas trop sûre ce qui allait encore suivre..

Je me doutais que tu allais me donner cette raison...Raison pour laquelle je me suis sentie moi aussi mal à l'aise...
Mais Guy Goffette n'en rajoute pas: c'est déjà tellement trop...Il s'agit d'un malheur qui a brisé une enfance et aussi une vie d'homme...

C'est pour ces mots-là (je les ai déjà cités) que je défendrai ce livre:
« Chaque fois que quelqu’un reconnaît que Simon l’a touché, c’est comme s’il le prenait avec lui, qu’il le consolait. Cela me délivre d’un poids. J’aimerais qu’il soit aimé par des milliers de personnes, que ces milliers de personnes pensent que l’enfance est merveilleuse. » (Guy Goffette)

coline a écrit:

C'est pour ces mots-là (je les ai déjà cités) que je défendrai ce livre:

chez moi, tu n'as pas besoin de défendre.. c'était justement que j'avais commencé à lire le livre.. me sentais pas trop bien avec le sujet.. mais à cause de Guy Goffette - je savais, je voulais continuer - mais depuis ce moment je n'ai pas encore trouvé de moment libre - mais définitivement après ton avis je sais que je vais arriver au bout avec ce livre

kenavo a écrit:

mais définitivement après ton avis je sais que je vais arriver au bout avec ce livre

Ce n'est pas le livre de Guy Goffette qui me laissera le meilleur souvenir...mais c'est à cause du sujet...L'écriture est toujours merveilleuse et j'aime la sensibilité extrême que l'on sent chez cet écrivain...

coline a écrit:

...L'écriture est toujours merveilleuse et j'aime la sensibilité extrême que l'on sent chez cet écrivain...

La lecture de son livre Elle, par bonheur et toujours nue date depuis trop longtemps.. j'ai envie de le re-découvrir

coline a écrit:

C'est pour ces mots-là (je les ai déjà cités) que je défendrai ce livre:
« Chaque fois que quelqu’un reconnaît que Simon l’a touché, c’est comme s’il le prenait avec lui, qu’il le consolait. Cela me délivre d’un poids. J’aimerais qu’il soit aimé par des milliers de personnes, que ces milliers de personnes pensent que l’enfance est merveilleuse. » (Guy Goffette)

Tu fais bien de les noter Coline car ils disent tout!
Rien que pour eux on a envie de connaître Simon et de partager ses peines... même si la lecture doit en être délicate voire plus.

Goffette a des mots qui touchent.

Pour ceux qui n'ont rien lu de Guy Goffette je conseillerais vivement de ne pas commencer par celui-là ...
Il me semble qu'il est supportable que si l'on aime déjà son auteur (mais je me trompe peut-être...je mets beaucoup d'affectif dans ma relation à la Littérature, non seulement avec le texte mais parfois aussi avec les auteurs)...
Les autres titres commentés sur ce fil apportent plus de bonheur au lecteur...La nostalgie étant tout de même un trait dominant chez Guy Goffette...La poésie aussi...Même en prose...

coline a écrit:

Pour ceux qui n'ont rien lu de Guy Goffette je conseillerais vivement de ne pas commencer par celui-là ...

Je pense commencer par Une enfance lingère avant Coline...
Bon choix, non?

aériale a écrit:

coline a écrit:

Pour ceux qui n'ont rien lu de Guy Goffette je conseillerais vivement de ne pas commencer par celui-là ...

Je pense commencer par Une enfance lingère avant Coline...
Bon choix, non?

Il m'attend aussi dans ma PAL...Moi j'ai commencé avec les poèmes, puis L'autre Verlaine, puis Verlaine d'ardoise et de pluie, puis Elle par bonheur et toujours nue...
J'attends beaucoup d' Une Enfance lingère...Ce sera ma prochaine lecture d'ailleurs...

Je pense que L'autre Verlaine sera un bon cadeau de fête des pères
Merci coline, aériale et chap, c'est en lisant vos commentaires que j'ai eu envie de l'acheter.

Fantaisie héroïque a écrit:

Je pense que L'autre Verlaine sera un bon cadeau de fête des pères
Merci coline, aériale et chap, c'est en lisant vos commentaires que j'ai eu envie de l'acheter.

ESt-ce que ton Papa est sensible à l'univers poétique?...Si oui...je pense que ce sera un cadeau apprécié...

Ah oui, tout à fait (et en plus il est prof de français, donc je pense qu'il appréciera l'écriture également )