La Ruche (2012)
Impression ou réalité ? Avec le temps et les publications, Charles Burns semble vouloir se montrer de plus en plus obscur. Les prophètes de l’an 0 s’exprimaient par allégories orales, ceux du troisième millénaire utilisent le biais de la bande dessinée. Si Charles Burns n’a tout de même pas pour ambition de délivrer les fondements d’une nouvelle religion, les moyens qu’il emploie pour nous raconter ses histoires sont aussi alambiqués que s’il cherchait à nous transmettre le message crypté de la transmutation.
La Ruche est le deuxième volume d’une série qui avait commencé avec
Toxic. Doug se trouvait alors empêtré dans une situation dont il ne se souvenait plus de rien et nous, pas plus avancés que lui, ne pouvions pas faire grand-chose pour l’aider à élucider ce mystère qui l’avait amené à se trouver plongé dans un univers parallèle sordide, peuplé de nains à la face écrasé, de lézards impulsifs et braillards, de gestatrices alitées et de nourriture anthropomorphe. Bien contents d’ouvrir la
Ruche dans l’espoir d’éclaircir notre champ de vision, il faudra peu de temps pour réaliser que cette fois encore, Charles Burns n’a pas envie d’éclairer notre lanterne. L’univers qu’il a inventé lui convient et la part de mystère qu’il a réussi à instaurer ne semble pas devoir être morcelée de sitôt. Pour tout dire, la
Ruche nous embrouillera encore davantage que
Toxic, emmêlant les différents niveaux de lectures et strates chronologiques. Le vaisseau temporel dans lequel nous embarquons s’appelle « mémoire » et, de souvenirs en souvenirs, Doug se souvient de sa dernière petite amie en date, de son passé avec Sarah, ce grand amour même à qui il avait pu se confier sur la déchéance mystérieuse et cruelle de son père. Un seul lien unit ces différentes strates : la lecture de bandes dessinées à l’eau de rose, support de connivence implicite entre Doug et les jeunes femmes qu’il aime.
La
Ruche est une lecture atmosphérique agréable si on accepte de ne pas tout comprendre –comme souvent avec Charles Burns. D’ailleurs, pour peu que l’on commence à connaître l’auteur, on devrait savoir que celui-ci se plaît dans l’énigme et le mystère. N’est-ce pas pour ses dessins glauques et ses atmosphères maladives qu’on se réjouit de chacune de ses nouvelles publications ? Pour le reste, il suffit de laisser sa rationalité de côté, et de se dire que si l’on n’a rien compris, c’est que Charles Burns a fait du bon boulot. Une question se pose toutefois : jusqu’à quand supportera-t-on la frustration qui découle de ce sentiment de passer à côté d’une intrigue qui aurait pu être géniale, si elle ne se complaisait pas autant dans l’occulte ?
- Citation :
- - Suzy ? Tu veux dire une de ces gestatrices pour qui tu travailles ? Tu te fous de moi ?
- Elle est super gentille. Je crois qu’elle m’aime bien.
- Mais c’est une gestatrice ! Elles ne sont pas comme les autres… Je veux dire, elles n’a pas le même équipement !
- C’est pas grave. Je veux juste la rendre heureuse.