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| Claude Simon | |
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Auteur | Message |
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lekhan Main aguerrie
Messages : 324 Inscription le : 20/08/2007 Age : 35 Localisation : Poitiers-Biarritz
| Sujet: Claude Simon Lun 17 Mar 2008 - 14:22 | |
| Le moment Evene: - Citation :
- Claude Simon:
Né à Tananarive le 10 octobre 1913 Décédé à Paris le 09 juillet 2005
Bien qu'il ait d'abord songé à être peintre, Claude Simon deviendra romancier. Soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, il assiste à la victoire des troupes Allemandes, et se retrouve prisonnier dans un camp dont il s'enfuit. Son expérience des combats est à l'origine de l'écriture de 'La route des Flandres'. Écrivain singulier, réputé difficile, Claude Simon est, avec Nathalie Sarraute et Michel Butor, une figure emblématique du Nouveau Roman. C'est d'ailleurs Alain Robbe-Grillet qui, recevant un manuscrit aux Éditions de Minuit, décide de le publier. Après le Prix Médicis pour 'Histoire', il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1985 pour l'ensemble de son oeuvre. Je ne sais jamais parler des auteurs alors je vais mettre quelques présentations d'éditeur: Le Tramway (son dernier roman): - Citation :
- Un tramway relie une ville de province à la plage voisine, distante d’une quinzaine de kilomètres. Aux heures matinales, il fait accessoirement office de ramassage scolaire. Ses allées et venues d’un terminus à l’autre entre les ondulations des vignes ponctuent le cours des vies, avec leurs menus ou cruels événements. Les lieux où se déroule l’action sont principalement le bord de mer, une maison de campagne, la ville qui peu à peu se modernise, un court de tennis. Dans sa fragilité, la vie s’acharne par ailleurs à poursuivre son cours à travers les dédales des couloirs et des pavillons d’un hôpital, et d’infimes coïncidences amènent parfois les deux trajets à se confondre.
La Route des Flandres (le classique): - Citation :
- Le capitaine de Reixach, abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? Un de ses cousins. Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité. Aidé de Blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. Après la guerre, il finit par retrouver Corinne, la jeune veuve du capitaine...
Pour moi Simon a une écriture faite de traits, d'ombres, de contours et de couleurs. On voit défiler des paysages, des espaces, des mouvements, des personnages, des sentiments. On observe le texte, on s'arrête pour le regarder. L'image est forte dans la tête. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Claude Simon Ven 22 Mar 2013 - 22:30 | |
| La route des FlandresUn cavalier se remémore la défaite de 40 et la disparition soudaine et quasi totale de son unité. Une insistance sur la mort du capitaine de Reixach, un parent. Mais aussi le camp de prisonnier, des temps morts, des flottements. Et surtout une femme, la jeune femme de de Reixach, leurs relations avec Iglésia, jockey et lui aussi cavalier avec eux en 40. Et la reconstitution de ce tissu d'histoires à travers les spéculatives et imaginatives discussions avec l'autre, Blum, lui aussi rescapé, prisonnier puis disparu. Comme ça serait un peu simple il faut rappeler qu'il existe des miroirs dans ce récit, l'ancêtre suicidé d'un tableau après une défaite, un père des livres, des paysans... Tout ce récit de mémoire composite gravite avec ses descriptions imbriquées et presque sans fin autour d'un certain dégoût, d'une rupture, d'une déroute qui n'est pas que celle militaire et du soldat. L'effondrement est plus grand. Le questionnement aussi. Cette assez description est assez sommaire mais passons. Il y a beaucoup d'éléments qui peuvent tenir à distance le lecteur. Plus que les ruptures de temps et de contexte, presque de sujet, ce sont des éléments d'atmosphère d'une certaine décadence, l'omniprésence des chevaux, d'une sexualité trouble et parfois ambigüe, presque des déguisements de la pensée qui pourront dérouter. En effet ce récit éclaté aux dilutions permanentes et mesurées reste étonnamment lisible. Il y a cette impression que rien de nouveau n'apparait, rien d'important ne se déroule, ne s'explique, ne s'articule, l'impression qu'on pourrait passer des pages ou paragraphes (ce qui peut revenir au même) et pourtant ça avance. ça avance et rétrospectivement j'y trouverai une certaines addiction. Sans jamais franchement décollé ou me sentir complètement dérouté (ça reste très lisible) je crois qu'il faut reconnaitre que dans ce qui est aussi un exercice littéraire et pas seulement largement autobiographique il y a derrière les qualités et les défauts ce qui est peut-être plus intéressant et qui l'impulsion, la démarche de composer autrement. Ce n'est pas qu'on ne peut pas trouver ailleurs des approches différentes et parfois différentes avec des ressemblances, c'est que le chassé croisé incertain forme un ensemble, avec ses cohérences et que ce qui dérange ou pourrait se trouver dire imparfait est tout de même une manière structurée et choisie de dire l'ensemble. Tiré par les cheveux, schématique, d'autres choses encore, froid, cassant... ça n'empêche que ça tient et implique plus que pour la forme mais pour le fond un regard sur quelque chose d'ouvertement autre. Le fond de l'individu plus que d'une réflexion développée et argumentée. Il y a des idées mais à travers du sensitif et des ambiguïtés encore. Donc il faut voir, il faut lire... J'y reviendrai certainement. La cassure exprimée à plusieurs niveaux m'intéresse, lire une écriture composite, spatiale (variante du picturale) m'intéresse aussi. La perçue comme trop forte intellectualisation à sa manière aussi (dans le plaisir immédiat de lecture ça amoindri mais à l'arrivée la part de succès pas obligatoire est intéressante, elle aussi). Pour rassurer ou motiver les sceptiques je rappellerai que c'est très ancré dans le réel, les descriptions sont très concrètes et si la structure ou les structures du récits ne sont pas tout à fait linéaires et très simples c'est nettement moins "différent" de quelque chose comme du Blanchot (qui coupe les repères physiques habituels avec une rare efficacité). Ce petit avis est loin de tout dire. Le bouquin qu'on trouve (collection Double des éditions de Minuit) fait suivre une petite étude pas inintéressante mais surtout pour les références et quelques explications plutôt que pour l'explication de la forme et des ruptures avec une "littérature conventionnelle", l'explication des effets des effets si on peut dire. Pour ne pas le perdre tout de suite je reprends dans le spoiler ci-dessous un petit échange "en cours" du fil des lectures du mois : - Spoiler:
- shanidar a écrit:
- eXPie a écrit:
- Arabella a écrit:
- Je ne crois pas que ce sont les conditions idéales pour ce livre, je ne sais pas si tu l'as ouvert, mais tu verras c'est difficile de trouver un endroit où arrêter la lecture.
C'est vrai. Mais, en même temps, même si on loupe un mot, une phrase, et peut-être même une page (et plus ?), on ne perd pas grand chose. Je n'ai pas compris l'intérêt de faire des descriptions aussi détaillées, aussi minutieuses (est-ce signifiant ?), et en même temps faire exprès de ne pas respecter la ponctuation. Enfin, parfois. Parce que parfois, elle est là. Pourquoi ? Mystère. Je tâcherai de jeter un oeil dans l'édition Pléiade, voir un peu ce qu'ils disent. Pour l'instant, le texte ronronne... pas vraiment passionnant... Peut-être la sauce va-t-elle finir par prendre, qui sait ?
- animal a écrit:
et en même temps faire exprès de ne pas respecter la ponctuation et en même temps faire exprès de ne pas respecter la
Pour l'instant, le texte ronronne... pas vraiment passionnant... Peut-être la sauce va-t-elle finir par prendre, qui sait ?
Pour l'instant, le Peut-être la, qui sait ?
il est bien évident que la forme compte (parce qu'elle est inhabituelle) mais il faut aussi tenter d'entendre ce qui est dit : la guerre et son absurdité, le temps et son espace, sa flèche ou ses imbrications, le sexe, l'honneur, l'animal qui est en toi. Pas que de la forme, donc, mais aussi une manière d'amener à questionner l'engagement, la virilité, la loyauté. Des thèmes qui sont loins d'être obsolètes en ces temps de crises et de guerres et de questionnement du vivant. Et qui soulèvent aussi la question de notre position de lecteur (ici, très insolite et pas toujours simple) et notre capacité à accepter la nouveauté, le difficile, le différent. Une façon d'interroger la littérature et ce qu'on en attend qui ne laisse pas indifférent. (je réagis parce que je ne crois pas que Claude Simon cherchait à faire des 'effets de style', cette guerre il l'a connue, éprouvée et cela est profondément tangible, et même si sa manière est particulère elle a le mérite de retracer cette expérience unique, isolée, personnelle mieux que toute reconstitution postérieure). - shanidar a écrit:
- animal a écrit:
- moui mais il y a le pendant du sens de la forme qui l'imbrication du sens ou des sens dans cette forme et c'est ce qui a l'air parfois unidimensionnel et à côté de ces choix de forme, toujours semblant précéder le choix des parallèles, ou du rapport à la littérature (les références à Rousseau ?) pour dire aussi quelque chose sur la forme. Son expérience et ce qu'il décide d'en relater cohabite avec un discours qui est lié mais n'est pas que cette expérience. L'expérience ne se conteste pas vraiment et le reste, les choix qui s'ajoutent, peut amener des réflexions mais aussi de la distance ou des doutes. Et on sent souvent une tension entre la reconstruction du discours et l'expérience, c'est intéressant et dérangeant à la fois.
A force je pense un peu aussi à Quignard (en phase qui développe), c'est cohérent et relativement (relativement) dense mais on a une impression de possibilité de démultiplication a peu près sans limite. Donc pourquoi pas effet de style? ce qui peut être mieux que rien du tout mais comporte aussi une possibilité que ça n'aille pas complètement ? oui mais finalement c'est ce que tout (bon) auteur fait (parler en la sublimant, déformant, subsumant) de son expérience. Relater à sa manière une réalité (Malraux, Sarraute ou Montaigne l'ont fait à leur manière, immensément personnelle mais parfois en totale adéquation avec l'attente du lecteur ou pas du tout). Et en effet Simon interroge la forme du récit et la bouscule. Je comprends bien que si le lecteur n'adhère pas a minima à cette forme il est directement éjecté de la lecture mais si par un petit effort, lié à un petit intérêt pour la forme de la narration, le lecteur accepte de larguer les amarres, de renoncer à son emprise (toujours factice mais pourtant bien réelle dans son esprit) sur le texte alors, il me semble, qu'il peut atteindre une certaine forme de 'jubilation'. Dès que j'aurais fini ma longue lecture de Drood de D. Simmons (et malgré ma grande envie de lire Korwolf de Egolf) je prends mon exemplaire de La Route des flandres pour revenir en forme et en style reparler de tout ça ! héhé. me reste une bonne cinquantaine de pages à lire. Des trucs qui m'intéressent, d'autres moins, certains qui m'amusent (en les considérant hors contexte si je puis dire, comme le message plus haut avec les phrases interrompues avant leur objet qui est ou serait quand même là). C'est la jubilation sensuelle de la lecture ou intellectuelle (malgré une curiosité stimulée) qui n'est pas là. Trop sérieux ? ce soir je suis allé lire cette interview (en anglais) : clic, qui explique des choses, est intéressante et donne un peu la même image (en un peu plus cassant). - Citation :
- The composition of my books gives me great problems. While working on The Flanders Road, I gave a color to each of the themes and characters. Doing this, I could visualize the whole, modify it, improve the placement of the fade-ins, the alterations of scenes, the rehearsals, the curtain calls. One day the composer Pierre Boulez told me that my biggest problem must be that of periodicity, which in music is the frequency of repetitions of one theme or refrain in a composition, often subject to variations or changes of tone. Boulez was exactly right. He did not find too many repetitions in my books, but understood that one of my problems was arranging them well.
En tout cas Route des Flandres ou Route des Flandres plus interview il est très probable que j'y retourne.
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Claude Simon Dim 24 Mar 2013 - 20:14 | |
| Merci animal de nous avoir écrit sur un auteur du Nouveau Roman. Ça me rappelle qu'il me tarde toujours de me familiariser encore plus sur les auteurs liés à ce courant. J'avais essayé avec Nathalie Sarraute l'été dernier et l'effet de lecture ne m'avait pas marqué a priori. Il y avait une rude compétition : L'étranger de Camus et Si c'est un homme, de Primo Levi. Toutefois, Marguerite Duras me raccroche à cet univers. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Claude Simon Lun 25 Mar 2013 - 12:03 | |
| Un petit extrait ? - Citation :
L'imaginant donc, le voyant en train de lire consciencieusement l'un après l'autre chacun des vingt-trois volumes de prose larmoyante, idyllique et fumeuse, ingurgitant pêle-mêle les filandreuses et genevoises leçons d'harmonie, de solfège, d'éducation, de niaiserie, d'effusion et de génie, cet incendiaire bavardage de vagabond touche-à-tout, musicien, exhibitionniste et pleurard qui, à la fin, lui ferait appliquer contre sa tempe la bouche sinistre et glacée de ce... (et alors la voix de Blum disant : "Bien! Donc il a trouvé le moyen de trouver ce qu'on appelle une mort glorieuse. Dans la tradition de sa famille, dis-tu. Répétant, refaisant ce que cent cinquante ans plus tôt un autre de Reixach (qui s'appelle si je comprends bien Reixach tout court puisque, par un surcroît de noblesse, de chic, d'élégance, il avait laissé tomber cette particule que ses descendants ont été par la suite ramasser et re-suspendre devant leur nom après l'avoir fait astiquer par une armée de domestiques - ou d'ordonnances - en livrées - ou uniformes - Restauration), ce qu'un autre Reixach avait déjà fait en se tirant volontairement une balle dans la tête (à moins que cela ne lui soit tout bêtement arrivé en nettoyant son pistolet, ce qui se produit couramment, mais dans ce cas il n'y aurait pas d'histoire, du moins d'histoire suffisamment sensationnelle pour que ta mère t'en ait rebattu les oreilles et celles de ses invités, alors admettons, admettons que ce fût ainsi) parce qu'il s'était pour ainsi dire fait cocu lui-même, c'est à dire trompé : cocufié, donc, non par une perfide créature féminine comme son lointain descendant mais en quelque sorte par son propre cerveau, ses idées - ou à défaut celles des autres - qui lui avaient joué ce sale tour comme si, faute de femme (mais ne m'as-tu pas dit aussi que, par-dessus le marché, il y en avait une et qu'elle aussi...), donc plutôt : comme si non content d'avoir une femme à supporter il s'était encore embarrassé, encombré d'idées, de pensées, ce qui évidemment, pour un gentleman-farmer du Tarn, constitue, comme pour n'importe qui, un risque encore plus grand que le mariage...", et Georges : "Bien sûr. Bien sûr. Bien sûr. Mais comment savoir ?...") | |
| | | Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
| Sujet: Re: Claude Simon Lun 25 Mar 2013 - 12:36 | |
| Combien de pages ?
(Rien ne me parle dans l'histoire - de guerre - et le style... mais comme c'est un "classique", peut-être que) | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Claude Simon Lun 25 Mar 2013 - 12:45 | |
| un petit 350 pages mais j'insiste c'est en pratique vraiment "lisible". | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Claude Simon Lun 25 Mar 2013 - 21:57 | |
| Pour donner envie (!?!) à Queenie et tout plein d'autres :
en 1996 : je découvre La Route des Flandres et j'en sors bouleversée.
en 2013 : avant de relire La Route des Flandres, je me demande ce qu'il m'en reste. D'abord : l'une des scènes de sexe les plus hot que j'ai pu lire, ensuite une scène sidérante avec un cheval mourant qui sert à la fois de refuge et de symbole (de l'absurdité des guerres, des morts, de cette virilité absconse qui donne à certains le sentiment d'exister alors qu'ils ne font que se nier).
Après avoir dévoré la première partie : je suis complètement sidérée par le propos de Simon, à la fois moderne et historique, extraordinairement vivant, lucide et ironique ; poétique, scrupuleux et désenchanté. Regard sans concession sur une humanité vendue au consumérisme et à son esclavage, désincarnée, vieille et sans lucidité, pourrie, grise et déliquescente. Vision sublimée (heureusement) grâce à une écriture mouvante, mouvementée et inspirée !
(à suivre pour un vrai commentaire...). | |
| | | Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 26 Mar 2013 - 8:35 | |
| Ça fonctionne, ça titille. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 10:43 | |
| Le voilà !
La Route des Flandres
Au-delà du parti pris stylistique, de la manière de traiter la matière même du livre, de l'expression, de son architecture et de sa temporalité, je crois que La Route des Flandres est avant tout un livre charnière, un livre qui montre la césure, irrémédiable, entre deux mondes, entre deux temps, deux époques, deux visions. D'un côté ce qui relève de l'hippique, la noblesse, le nom, la cavalerie, une certaine idée de la guerre et de l'autre le basculement vers le commerce (et aussi d'ailleurs le commerce qu'est la guerre), la machine, la voiture, le char, le compartiment à bestiaux qui devient compartiment à prisonniers, humiliation, occultation de l'humain, déshumanisation de l'homme par l'homme, annonce de la bestialité des temps futurs.
Ce que dit Simon du passage d'une ère à l'autre, c'est ce que vivent ces soldats d'une autre époque, juchés sur de simples canassons, chairs à canons en décomposition avant même d'être précipité dans la boue, chair damnée de l'exode (quelles pages immensément douloureuses, révélatrices et acides que celles sur l'errance des restes d'un escadron fuyant les vainqueurs). Chair vaincue, humiliée, réduite à ses plus simples désirs : manger, humer, lécher la crème irradiante d'un corps immaculé de femme.
Car ce que dit aussi Simon dans ce texte c'est l'incroyable force de l'instinct, de l'idée fixe qui sauve de la sauvagerie, du renoncement, de l'abrutissement lié à l'emprisonnement. La chair est ici matière, odeur, sensation qui rejoint à l'autre bout de la chaine des sensations infinies l'attachement à la bête, au fameux canasson qui porte, supporte, qui sauve et qui fait ici le lien indestructible entre l'homme et sa sauvagerie, son animalité, sa substance intrinsèque. Le cheval vu comme métaphore ultime d'un attachement, d'une présence vivante qui aide à surmonter les misères, les peurs, les impuissances.
Vision puissamment désespérée que celle de Simon et en même temps emprunte d'un puissant instinct de survie et d'entraide qui donne de l'homme une image à la fois antique et ambitieuse, déguenillée et malade, misérable et sublime.
Livre de transition et aussi livre qui rappelle que parfois les hommes lorsqu'ils sont confrontés à des situations extrêmes (débâcle, enfermement, sévices physiques et tortures psychiques) n'ont pour se sauver qu'un seul moyen : continuer à imaginer, ressasser insatiablement les mêmes scènes rêvées, fantasmées, inventées, réinventées. Pour ne pas mourir l'imaginaire et son corollaire le plus sur : le désir, prennent le relais et offrent une minuscule lucarne par laquelle la vie peut se poursuivre.
Enfin il m'est impossible de finir sans parler de l'éblouissement que crée la lecture de Simon. Cet ovni, cet indicible dit, cet emballement du narratif comme une course de chevaux dont les galops se superposent, résonnent infiniment dans l'air et dans les corps, sur le gazon et dans la tête. De cet enchevêtrement toujours logique qui va d'enchainements en déchainements incroyables, inouïs, je retiens à jamais dans ma vie de lectrice cette scène torride d'amour fol mélangé à l'odeur de cheval, scène qui a durablement marqué mon esprit au point d'avoir le sentiment de pouvoir la revivre, dans ses cavalcades, ses ruades, son inextinguible désir juste en fermant les yeux. Rien que pour ce moment-là, Simon est un maître incontestable. | |
| | | Sullien Sage de la littérature
Messages : 1591 Inscription le : 23/10/2012
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 11:29 | |
| Superbe commentaire, shanidar ! Tu me donnes envie de me replonger une énième fois dans cette oeuvre qui est, décidément, celle qui m'émeut le plus... - shanidar a écrit:
- D'un côté ce qui relève de l'hippique, la noblesse, le nom, la cavalerie, une certaine idée de la guerre et de l'autre le basculement vers le commerce (et aussi d'ailleurs le commerce qu'est la guerre), la machine, la voiture, le char, le compartiment à bestiaux qui devient compartiment à prisonniers, humiliation, occultation de l'humain, déshumanisation de l'homme par l'homme, annonce de la bestialité des temps futurs.
Oui, une césure précipitée par l'horreur inouïe et presque fantasmagorique d'une guerre qui rend caduque toute forme d'élégance. Et le tour de force de Claude Simon, c'est de parvenir à une poésie qui n'ait rien d'artificiel ou de discordant. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 11:44 | |
| oh oui l'émotion ! c'est un livre qui submerge...
j'ai eu plus de mal avec L'Herbe, peut-être tenté trop vite après la Route des Flandres... J'attends le commentaire d'animal pour voir ce qu'il en dit. | |
| | | Sullien Sage de la littérature
Messages : 1591 Inscription le : 23/10/2012
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 11:46 | |
| Je savais qu'en le relisant l'an dernier, j'en avais laissé quelque trace ici... - Citation :
- Et, pour me consoler, j'ai ressorti La route des Flandres que je goûte avec autant de plaisir que la première fois : quelle joie de retrouver cette narration erratique, qui défie toute linéarité historique, et s'affranchit pour ainsi dire des carcans de la temporalité propre au récit (car au fond, la question qui se pose et s'impose à un des narrateurs, c'est bien de savoir si l'expérience traumatique de cette guerre peut se lire autrement que dans la fulgurance de moments isolés qui ne renouent que difficilement, et comme après-coup, à une cohérence dont on peut toujours se demander si elle n'est pas l'artifice du ou des lecteurs - qu'ils appartiennent ou non au roman) ; dès lors, dans l'écriture rétrospective, qui est moins une écriture de l'expérience vécue que de l'expérience telle qu'elle se présente*, dans cette écriture, donc ouvre un espace où la langue se délie en un flux apparemment désordonné de pensées qui semble refuser, repousser âcrement le lecteur. Des romans que j'ai lus, c'est un des rares à faire sens autant par le dire que par le dit, sans que l'un ne vienne jamais gêner l'autre.
- Sullien a écrit:
- animal a écrit:
- ça avance sur La route des Flandres... toujours un peu artificiel et exercice de style mais pas sans succès, à se demander si le plus dérangeant n'est pas dans la tendance négative (ce qui peut se comprendre), la cassure, le dépit, la chronique passée par l'histoire d'une obsolescence ? Étrange, c'est toujours très égale (dans les dilutions) et pourtant ça avance précisément.
Je suis bien d'accord avec tout ça, si ce n'est pour le côté artificiel ou exercice de style, bien moins sensible chez C. Simon que dans certaines tentatives aventureuses de la génération Nouveau Roman... Lors de mes deux lectures, j'ai été, comme toi, assez intrigué par ce paradoxe d'une temporalité brisée (conformément à cette esthétique du collage) , comme une trame dont les fils s’effilocheraient, mais qui ne brise pas pour autant le sentiment d'une progression (qui est davantage une trouée qu'une marche en avant), atteignant presque la limite de la narration, mais sans jamais l'outrepasser et prendre le risque de ne pas laisser sa place au lecteur. Toujours mes phrases trop longues et mes idées trop brumeuses ! | |
| | | Ariane SHOYUSKI Sage de la littérature
Messages : 2372 Inscription le : 17/04/2014
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 16:03 | |
| Merci shanidar, Sullien. C'est très intéressant ce que vous dites sur lui. " La route des Flandres" est bien appréciée aussi au Japon. D'ailleurs pourquoi ne l'ai-je pas lu alors que je l'ai depuis longtemps dans mon étagère ? Parce que je suis gênée de le lire en version japonaise, peut-être. Et quelqu'un a lu " Les Géorgiques" ou " l'Acacia" ? Ces deux ont l'air bien, non ? J'ai déjà entendu plusieurs fois de bonne réputation surtout des "Georgiques". | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 16:16 | |
| Quel lyrisme Shanidar ! Je sens que tu vas créer des envies.... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Claude Simon Mar 8 Juil 2014 - 19:52 | |
| La Route des Flandres a été et reste un livre fétiche pour moi, je serai donc très heureuse si je pouvais faire passer ce bonheur-là. Et pour répondre à Ariane, je n'ai pas lu les deux livres que tu cites mais cela me donne des idées. | |
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| | | | Claude Simon | |
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