Rafael Chirbes [Espagne]

Sur le rivage

Difficile de parler de ce livre  très riche, complexe, totalement sombre et dépressogène que j'aurais aimé plus aimer.

La toile de fond, c'est l'Espagne de la crise économique, les entreprises qui ferment avec un effet domino, les chantiers abandonnés, les hommes licenciés qui traînent sur le canapé un verre de  bière à la main,  et tellement peu d'argent que les putes venues de l'Est en viendraient presque à chômer.

Entre la mer et les lotissements à la débâcle, des marécages, boueux, poisseux,et là, à un endroit où personne ne devrait les voir, deux cadavres abandonnés. Pour nous amener peu à peu à les identifier, Esteban, menuisier en faillite, déroule son histoire, le bonheur s'est arrêté avec l'enfance, la guerre civile et la réconciliation nationale ont pesé de tout leur poids sur les épaules marquant les amitiés et les destins. Il a cru que le travail permettait par  un certain confort, une certaine respectabilité, d'accepter la déception des amours partis, des parents vieillissants et des illusions envolées. Mais c'était compter sans la cupidité et la course à la consommation.
C'est l'écrasement d'un monde, la fin d'un homme.
Il nous livre ses déboires, ses déceptions, ses pensées, ses réflexions sur un monde qui a tourné fou et une vie vécue pour rien.


Parfois c' est un torrent foisonnant, à la vitalité dépoussiérante, mais  aussi, malheureusement, au fil des pages, cela devient une déferlante de boue qui peut asphyxier. Un peu trop de malheurs peut-être, il n'y a qu'un seul  personnage sympathique , je crois, c'est l'oncle Ramon. (Mais, pour ceux que cela intéresse, Chirbes aime les chiens). L'impression qu' Esteban se plaint d'un destin qui l'a malmené, certes, mais qu'il aurait pu lui même parfois infléchir, comme l'envie de le secouer, même s'il est trop tard pour le sortir de ce fatalisme…

L' ampleur de l'écriture de Chirbes donne tout à la fois son cachet et ses limites à son livre. La description du chaos est souvent brillante voire somptueuse, mais parfois confuse, il faut reprendre la phrase, le paragraphe , et même, cela ne suffit pas toujours... ouh la... qu'a t'il bien voulu dire ?
Et Chirbes n'a pas la clarté limpide d'un Jaume Cabre quand il change de personnage sans l'annoncer .

Malgré ces réserves, si l'on ne craint ni la lucidité ni la noirceur, on trouvera ici la dénonciation sans concession d'une société en perdition, le constat d'échec des petits face aux puissants avec  leur arrogance et leurs malversations, la constatation que la défaite des Républicains a été le creuset d'un monde mené par les  nantis, qui n'en ont pas fini d'écraser le peuple sans vergogne.

ah oui, Cabré à côté est plutôt soft...

merci pour ton commentaire, même avec tes réticences, cela va donner envie à d'autres de le lire... je l'espère en tous cas, Rafael Chirbes le mérite

topocl a écrit:

L' ampleur de l'écriture de Chirbes donne tout à la fois son cachet et ses limites à son livre. La description du chaos est souvent brillante voire somptueuse, mais parfois confuse, il faut reprendre la phrase, le paragraphe , et même, cela ne suffit pas toujours... ouh la... qu'a t'il bien voulu dire ?
Et Chirbes n'a pas la clarté limpide d'un Jaume Cabre quand il change de personnage sans l'annoncer .
.

Je vais donc éviter en ce moment , j'ai le cerveau suffisamment embrouillé comme ça !

kenavo a écrit:

ah oui, Cabré à côté est plutôt soft...

Soft, Cabre ?

en ce qui me concerne, oui... Cabré se lit comme du petit lait, tandis que Chirbes demande un peu plus d'efforts

Ah, mais tu parlais de l'écriture! je comprends mieux!

Le genre d'auteurs qui pourrait fortement me plaire ! Je note !

quel triste début de semaine...

Disparition de l’écrivain espagnol Rafael Chirbes

Citation :

A peine âgé de 66 ans, l’écrivain Rafael Chirbes vient de s’éteindre, emporté par un cancer du poumon foudroyant, rapporte Le Monde. Sur le rivage (En la orilla), son septième roman, était paru en français en janvier dernier aux éditions Rivages, à l’appui d’une traduction signée par Denise Laroutis.

Né en 1949, Rafael Chirbes passe son enfance dans des orphelinats à la suite de la mort de son père alors qu’il n’avait que quatre ans. Mais c’est déjà durant ses jeunes années qu’il prend la plume pour confier au papier ce qu’il a sur le cœur.

Passé à de multiples reprises par la France, il entama une carrière d’écrivain, tout en occupant les emplois de libraire, professeur, ou encore critique littéraire. Au cœur de son œuvre, on retrouve la grande désillusion politique qui a suivi la chute de Franco en Espagne. Loin du rêve d’une démocratie heureuse, on retrouve une description amère de la société mercantile actuelle.

source

J' avais aimé ses premiers livres où apparaissait la douleur d' avoir connu le franquisme et ses séaquelles.