Jean-Claude DenisNé le 1er janvier 1951 à Paris, J-C Denis fait ses études à l'Ecole nationale supérieur des Arts décoratifs en 1971. Trois ans plus tard, muni d'un diplôme en communication visuelle, il se met à réaliser des illustrations pour la publicité et des couvertures de livres. En 1978, il publie sa première BD, "André le Corbeau", d'abord dans la revue Pilote puis en album chez Dargaud. Suivront un conte illustré pour enfants, "Oncle Ernest et les Ravis" (avec Martin Veyron) et, en 1979, "Cours tout nu", édité par Futuropolis.
Mais ce n'est qu'à partir de 1981, avec la création de son personnage fétiche Luc Leroi, qui sera le héros d'une série d'histoires publiées dans la revue A SUIVRE, que J-C Denis trouve vraiment sa voie. La série compte aujourd'hui une demi-douzaine d'albums.
Quand il délaisse Luc Leroi, J-C Denis publie des albums autonomes (ou "one-shot") très influencés par la littérature, que ce soit dans les thèmes abordés ou la narration.
Marquées par une sorte de "réalisme poétique", ses histoires intimistes privilégient davantage les rapports psychologiques issus de rencontres fortuites que d' intrigues au sens strict. Le comportement humain est toujours au centre de toute son oeuvre, qu'elle soit humoristique (Luc Leroi) ou douce-amère.
Quelques albums :
Quelques mois à l'Amélie (2002)
Sa plus belle réussite dans le registre "sérieux". Une BD très littéraire, dont il existe d'ailleurs une version roman (illustré).
Aloys Clark, écrivain en panne d'inspiration, sillonne la France pour donner des conférences. A défaut de pouvoir écrire, il se retrouve dans la position frustrante pour un auteur de parler de littérature plutôt que d'en faire. Sa vie privée ne vaut guère mieux : relations sentimentales éphémères et mort d'un père dont il n'arrive pas à se remettre. Aloys Clark sombre peu à peu dans la dépression.
Un jour, il retrouve dans sa bibliothèque un petit livre qu'il n'a encore jamais lu et dont il avait complètement oublié l'existence. Ce livre, apparemment autobiographique, est une sorte d'antidote à son mal-être. Curieux et désoeuvré, il entreprend de suivre l'itinéraire décrit par l'auteur. Ce voyage guidé par le fantôme d'un confrère le mène à une petite localité en bord de mer, où il fait la connaissance d'une jeune femme. Pour Aloys, ce sera l'occasion d'une renaissance et d'un regain d'espoir.
Le danger de ce type de BD, c'est d'en arriver à reprocher à l'auteur d'avoir voulu faire du "littéraire", de la BD respectable dont pourrait parler le magazine LIRE ou Bernard Pivot (s'il présentait encore Apostrophes). Mais ce genre de considération est superflue : un bon livre reste un bon livre, que ce soit un roman ou une BD, et
Quelques mois à l'Amélie est tout simplemet un bon livre, quel que soit le public auquel il s'adresse. Et les raisons de cette réussite sont les mêmes pour tous les bons romans : une narration irréprochable , des personnages crédibles, une justesse de ton et d'émotions qui nous fait adhérer à chaque page, une sensation de nostalgie qui nous prend dès l'album achevé. Tous ces éléments ne trompent pas : voilà de la belle ouvrage.
L'ombre aux tableaux (1991)
Artiste-peintre sans le sou, Arthur Cornier se retrouve à la rue, avec sous le bras ce qui lui reste de plus précieux : ses toiles. Il fait la connaissance de Carlos, un clodo débrouillard mais qui ne s'embarrasse guère de morale, qui lui apprend toutes les combines pour survivre à cette situation. Un soir, les deux compagnons d'infortune croisent par hasard Ariane Duverny et son frère Albin, des marchands d'art. Sans consulter Arthur, Carlos vend ses toiles à la femme pour une somme dérisoire. Celle-ci ne tarde pas à populariser ces toiles (et à les vendre à des prix exhorbitants) en prétendant avoir découvert un peintre de génie qu'elle baptise Art Corner.
Ignorant de tout cela, Arthur Cornier ne peut supporter plus longtemps sa vie de SDF et meurt de froid, dans l'anonymat le plus complet. Mais il a la surprise de se retrouver à l'état de fantôme. Hors, par un concours de circonstance étrange, il s'aperçoit que seule Ariane Duverny est capable de le voir. Commence alors une relation amoureuse à la conclusion ironique.
Sous la plume d'un Marc Lévy, cette histoire aurait pu tomber dans la pire des guimauves mais J-C Denis n'est pas le genre d'auteur à aimer les sucreries. Sa préférence irait plutôt vers les denrées bien salées et
L'ombre aux tableaux n'en manque pas (de sel) que ce soit pour décrire le quotidien déshumanisant des SDF ou le monde de l'art avec ses acteurs prétentieux et superficiels et ses spéculateurs pour qui un tableau est avant tout une bonne affaire à réaliser. Un album beau et piquant.
Luc Leroi (commencée en 1981)
Dès les premières histoires (courtes) mettant en scène Luc Leroi, on retrouvait déjà tout ce qui allait faire le style de son auteur : un talent pour camper un quotidien rampant que son anti-héros s'efforce de redresser, une ironie permanente qui évite toutefois de sombrer dans le cynisme, un sens aigu de l'observation de ses contemporains dans leurs hauts faits comme dans leurs plus bas instincts.
Luc Leroi est l'anti-héros de BD par excellence, au même titre que les
Monsieur Jean ou
Jean-Claude Thergal. Ne payant pas de mine, petit, rouquin, en proie à toutes les vexations, il vit au jour le jour, n'ayant d'autre ambitions que d'en avoir le moins possible. Dragueur impénitent, aussi, qui collectionne les petites amourettes de passage quand il arrive néanmoins à "emballer". Bref, Luc Leroi, c'est un peu la quintessence du mâle qui, conscient de se situer à une position peu privilégiée de la pyramide sociale, fait avec ce qu'il peut. En évitant toutefois de se laisser gagner par l'amertume et affichant, au contraire, un optimisme inébranlable. Si ce Luc est effectivement un roi dans son genre, il est le roi de la philosophie de survie.
Une série drôle, caustique, pleine de fraîcheur, qui se lit comme du Margerin.
Bibliographie :
1978 : Oncle Ernest (avec Martin Veyron), éditions Casterman
1979 : Cours tout nu, Prix du Drugstore Opéra, éditions Futuropolis
1980 : Annie Mal (André le corbeau #1), éditions Dargaud
1980 : La saison des chaleurs (André le corbeau #2), éditions Dargaud
1981 : Luc Leroi déménage un peu (Luc Leroi #1), éditions Futuropolis
1981 : Le chalet perdu (Rup Bonchemin #1), éditions Casterman
1981 : Entre deux feux (Rup Bonchemin #2), éditions Casterman
1982 : Luc Leroi contre les forces du mal (Luc Leroi #2), éditions Futuropolis
1983 : Les 7 péchés capitaux, éditions Les Humanoïdes Associés
1983 : Gustave Guadeloupe (Rup Bonchemin #3), éditions Casterman
1984 : La fuite en avant (André le corbeau #3), éditions Dargaud
1985 : Luc Leroi remonte la pente (Luc Leroi #3), éditions Casterman
1986 : Le Nain jaune (Luc Leroi #4), Prix du Public en 1987 au Festival d'Angoulême, éditions Casterman
1990 : Des écureuils et des filles (Luc Leroi #5)
1991 : L'ombre aux tableaux, Prix des Libraires BD à Blois en 1991, éditions Albin Michel
1991 : Bonbon Piment, éditions Albin Michel
1994 : Le Pélican, éditions Albin Michel
1995 : Drôles d'oisifs ou le dernier des La Houpe, éditions Albin Michel
1998 : Un artiste chat (livre jeunesse)
1998 : Bandes d'individus (Luc Leroi #6), éditions Casterman
2000 : Tête de Mule (livre jeunesse)
2000 : Toutes les fleurs s’appellent Tiaré (Luc Leroi #7), éditions Casterman
2002 : Quelques mois à l'Amélie, Prix du dialogue et de l'écriture en 2003 au Festival d'Angoulême, éditions Dupuis (collection Aire Libre)
2004 : La Beauté à domicile, éditions Dupuis (collection Aire Libre)
2006 : Le Sommeil de Leo, éditions Futuropolis