Les Ténèbres d'un étéSuite de la discussion sur l'essai de
Mariko Ozaki, j'ai un peu réfléchi sur Kaïkô.
Qu'est-ce que je peux dire à propos de Kaïkô et ses "ténèbres d'un été" ?
Oui ! je m'en souviens !
J'ai eu brusquement envie de m'inscrire au Parfum de livres en lisant ces pages de Kaïkô.
On pourra dire aussi que
Jacques Lalloz n'aurait pas réussi à traduire certaine beauté de l'écriture de Kaïkô car l'écriture de cet auteur a beaucoup évolué après "
la muraille de Chine".
Pourtant je suis sûre que ce roman est un des meilleurs romans japonais de la seconde moitié de 20e siècle. Même si certains japonais ne veulent pas le mettre dans cinq meilleurs, on est obligé de le mettre certainement dans dix meilleurs, je crois.
Et puis je ne pense pas que la traduction était mauvaise, car j'ai participé à un cercle de lecture où tous les membres (5 ou 6 personnes) étaient très enthousiastes de discuter cette œuvre alors que je n'ai presque rien compris ce qu'ils disaient. C'était tout au début de mon séjour en France. Mais j'ai bien senti qu'ils l'ont vraiment aimé.
C'est vrai que le personnage principal dort tout le temps. Et ils parlent très (même trop) souvent de la nourriture dans ce roman.
Il ne fait rien. Il dort dort dort et papote un peu parce que l'auteur a eu l'inspiration de ce roman du célèbre "
Oblomov" (1859) d'
Ivan Aleksandrovitch Gontcharov (1812 - 1891).
Comment dire, je crois que c'est un roman de la fatigue d'être soi ou de la fatigue d'être un être humain ? Un roman sur la dépression ou le désespoir.
Comme il a vécu la fin de la seconde guerre en tant que adolescent, il ne pouvait plus croire aucune idéologie. Il a vu le pire état des hommes au moment où il était le plus sensible dans sa vie.
Puis en 1964, il est allé
au Viet-Nam comme journaliste où il a failli mourir. Il était parmi les 17 survivants dans une troupe de 200 personnes. Il y a une photo célèbre où il est à peine assis le dos contre un arbre dans une forêt où on se mitraille tous les sens. Et on y voit dans son visage vide qu'il croit mourir.
Et puis j'imagine aussi que la division de mouvement contre la guerre de Viet-Nam l'a beaucoup fatigué. Après cela, déçu, il a abandonné son engagement, son combat, et j'ai l'impression qu'il est devenu presque nihiliste car il ne faisait plus confiance ni à gauche ni à droite. Et il a commencé à parler
sur la pêche, l'alcool, la nourriture et la femme.
Comme il ne pouvait croire plus rien, il s'est concentré à élaborer son écriture à la beauté exceptionnelle (j'imagine comme ça).
Et il a atteint à un très haut niveau.
Alors pourquoi cet homme décide de retourner à Viet-Nam à la fin ?
Ce n'est plus pour contribuer à établir la paix, mais (je suppose) simplement il veut observer le vrai visage de la guerre.
A propos d'"
à la recherche du temps perdu",
Jean-Claude Carrière disait une chose intéressante à la télé (Grande Librairie ?).
- Citation :
- "Il faut au moins passer 40 ans pour bien apprécier ce roman de Proust. Pour comprendre certains romans, on a besoin d'être âgé".
Quelque chose comme ça.
J'ai envie de dire la même chose pour ce roman de Kaïkô. C'est un livre réservé
pour les adultes. Je le sens. D'ailleurs les membres avaient tous plus de 50 ans au cercle de lecture d'en haut.
On devrait accumuler la fatigue d'être soi pour apprécier certaines œuvres littéraires, non ?
On l'a comparé souvent avec
Oé car ils ont participé à la course du
prix Akutagawa en même temps (1958). Jeune, ils étaient assez proche, je crois. Ils sont allés voir
Mao, J. P. Sartre ensemble.
Mais ils ont finalement pris deux chemins assez opposés. Je pense que leur différence d'âge a joué un rôle dans cela. Quand la seconde guerre a fini, Kaïkô avait déjà 15 ans alors que Oé n'avait que 10.
Quand j'ai lu "
Under the Volcano" (Au-dessous du volcan) de
Malcolm Lowry, j'ai pensé que l'atmosphère de deux auteurs était assez proche. Mais je ne sais rien. Je ne sais pas beaucoup de choses sur Lowry.
Il voulait écrire
un triptyque des ténèbres, avec "
Les ténèbres brillantes" (1968) dont l'histoire passe carrément dans la guerre de Viet-Nam. Mais il n'a pas fini le troisième "
Les ténèbres de la fin de fleurs".
C'est très dommage que Editions Picquier ne l'a
pas ressorti en poche. Les éditeurs n'ont-ils pas vraiment aimé ce roman ?
Après une bonne impression de "
la muraille de Chine", Arabella attendait peut-être quelque chose très proche de "la muraille" ?
Je veux maintenant relire Ryûbô-ki (la muraille de Chine) que j'ai lu à mon adolescence.
Je crois que "
Romanée-Conti 1935" aurait au moins
6 ou 7 nouvelles dans la version originale. Il n'y a que deux en version française ?