Un anniversaire de pommes-de-terre
Mélanie est une petite fille aux multiples qualités: elle est aimable, gentille, serviable, travaille bien à l'école, apprend sans rechigner ses leçons, fait ses devoirs sans râler. Bref, en un mot comme en mille,
Mélanie est une petite fille formidable! D'ailleurs, n'a-t-elle pas décidé, pour ses 9 ans, d'inviter toute sa classe à la maison?! Certes, nous ne sommes qu'au début de l'année et il se passera bien des semaines avant que le grand jour n'arrive, il coulera beaucoup d'eau sous les ponts au gré des chamailleries d'enfants, des disputes de récréation!
Mélanie a malgré tout un petit défaut: elle adore recevoir des cadeaux! Dès qu'il y a du papier et un ruban noué, les objets ainsi cachés l'intriguent et aiguisent sa curiosité ainsi que sa faim inextinguible de surprise.
"Elle est toujours ravie lorsqu'on lui offre un cornet surprise. Peu importe qu'elle soit toujours déçue par le contenu. Peu importe le cadeau. Ce qui compte, c'est l'attente, la pile de boîtes voilées, le moment de les ouvrir, le saut vers l'inconnu! Une fois, on lui a offert des boîtes gigognes, une douzaine de boîtes les unes dans les autres jusqu'à la minuscule dernière boîte vide. Quel cadeau astucieux!" (p 13)
Comme beaucoup d'enfants qui ne manquent de rien,
Mélanie serait bien embarassée de dire ce qui lui ferait vraiment plaisir: elle n'a besoin de rien en particulier. Elle compte les mois, les semaines, les jours, les heures et mêmes les minutes qui la séparent du jour de son anniversaire: c'est que pour elle ce jour est très important et que cette année, elle veut inviter tous ses camarades de classe, sans leur dire (sauf aux meilleures copines) que c'est son anniversaire (quelle abnégation!!!)! Ses parents refusent la présence des petits frères ou petites soeurs ou autre membre de la famille....
Mélanie angoisse un peu à mesure que le grand jour arrive: et si la fête ne se déroulait pas bien? Et si personne ne venait? et si, et si et si... En attendant, avec l'aide de sa grande soeur,
Mélanie prépare une liste de jeux pour égayer la journée, elle pense à sa tenue, ni trop sophistiquée, ni trop simple, et apprend, au fil des jours, quelques désistements (ah! les rendez-vous chez le médecin ou le dentiste, les entraînements de foot...).
Le fameux jour, tant attendu, arrive: les premiers invités arrivent (
Olivia et son petit frère
Olivier, pourtant on avait dit sans les petits!) avec sous le bras, non pas un joli cadeau enrubanné mais deux splendides
poireaux du jardin de leur pépé! Les suivants apportent (eh non toujours pas de cadeaux!) qui des
carottes, qui des
navets, qui de belles
pommes-de-terre, qui des
oignons, qui un
bouquet garni, qui le
céléri. La pauvre
Mélanie se doute bien qu'il y a eu complot mais comme elle est une petite fille
"bien sous tout rapport" (on ne refuse jamais un cadeau) elle ne pleure pas malgré son envie immense de verser des larmes. A mesure qu'elle pose les légumes sur la table de la cuisine,
Mélanie les regarde d'un autre oeil: ces légumes ont des couleurs, des odeurs, des touchers plus agréables et beaux les uns que les autres, ils en deviennent beaux!
"En les prenant, elle ne peut s'empêcher d'observer comment c'est fait, un poireau. Elle enlève les rubans et la cellophane et elle se met à étudier cette plante toute en longueur. Ses yeux s'attardent sur la base du poireau avec sa queue velue composée de fils blancs et roses entrelacés pareils à des spaghettis à peine cuits, à la fois souples et rigides comme s'ils s'étaient battus avant de se séparer de la terre. Elle s'amuse à les peigner avec les doigts écartés(...) Ses doigts quittent cette barbiche pour tâter le corps du poireau. Ce n'est pas tout à fait blanc mais plutôt blanc teinté de jaune et de vert avant de devenir subitement vert clair puis d'un vert indiscutable au sommet. Elle trouve que le feuillage ressemble à une tresse en train de se défaire. Elle aime le sentir dans sa main fermée parce que c'est lisse et modestement luisant, à la fois ferme et souple. C'est comme si le poireau vivait." (p 22 et 24)
Le dernier invité apporte, lui, un énorme paquet:
Mélanie est ravie et s'empresse de le déballer. La boîte contient une très grande casserole transparente et à l'intérieur se trouve une recette. Une recette? Mais de quoi? Quoi, vous n'avez pas deviné? Que peut-on faire, après avoir trouvé de la bonne viande dans le réfrigérateur, avec des poireaux, oignons, céléri, persil, carottes, navets et pommes-de-terre? Un indice: ça cuit doucement longtemps, longtemps.
Susie Morgenstern, avec sa verve et son humour habituels, nous décline une bien jolie recette d'un plat que l'on aime concocter pour et avec des amis. Toute la chaleur du don s'égrenne au fil des cadeaux fleurant bon le jardin, toute la futilité des cadeaux s'évanouit devant l'aspect plus qu'appétissant des légumes frais cueillis. La plume de
Susie Morgenstern virevolte sous les fragances potagères multiples de ce qui mijotera dans le
pot-au-feu de
Mélanie et ses amis: le lecteur entend le babillage des enfants en train d'éplucher les légumes, le doux bouillotement de l'eau où mijotent les ingrédients. Fermez les yeux, ouvrez vos oreilles et sentez ce
pot-au-feu extraordinaire qui fait aimer les légumes à Mélanie!
Albert Giordan a illustré ce roman amusant de photos des légumes cités et de la splendide casserole...un seul regret: qu'elles ne soient pas en couleurs et qu'elles ne libèrent aucun parfum.