L'autre jour, bien occupée à réparer (mal) une babiole, je regardais vaguement un documentaire sur les Orques. Ces grands cétacés appelés aussi épaulards sont les plus grands dauphins de la terre. Ils vivent dans et de différents lieux, et leurs territoires de chasse ou de cueillette sont très étendus.
Ils sont grands et on les définit généralement comme étant des « prédateurs féroces ».
Leur race est variée, la plupart des branches sont carnivores (nutrition : phoques, marsouins, tout cela assaisonné de quelques saumons et calmars, etc..
mais l'une d'elles ne mange que des algues et ne vit que sur un territoire, vaste certes, mais unique. (J'ai oublié l'endroit du monde exact où les Scientifiques ont examiné les façons d'être et de vivre de ce groupe exceptionnel. Désolée !).
Deux lignages d'Orques dans les mêmes eaux. .De grands poissons noirs et blancs pouvant dépasser les neuf mètres pour les mâles, qui se croisent, se voient, se perçoivent, et ne communiquent pas entre eux.
La question posée est de s'assurer du régime alimentaire des orques non carnivores (une seule troupe repérée dans ce documentaire) et d'être sûr que les deux souches de la même famille se rencontrent régulièrement en s'ignorant. Il s'agit d'un reportage de constations de faits, non explicatifs de faits.
La réponse est prouvée : oui, bien que identiques apparemment, ces deux branches de la même famille cohabitent en s'ignorant.
Certains scientifiques pensent que c'est le régime alimentaire qui empêche le métissage et qui les sépare, d'autres à une forme d'ostracisme animal.
J'ai alors une drôle de pensée un peu incongrue : les petit-boutistes et les grand-boutistes de Gulliver... Je ferais mieux d'être plus attentive, et apprécier cette recherche à sa juste valeur. Elle a le mérite d'essayer de comprendre. J'ignore si sa véritable motivation est l'amour intègre pour les animaux, la curiosité intellectuelle envers ce que l'on méconnaît, ou simplement l'envie de comprendre l'autre pour mieux se situer soi-même. Mais en tout état de cause, la vie des Orques m'intéresse, et les images sont magnifiques.
Des orques non carnivores, ce n'est pas dans l'ordre des choses : mais si en plus ces animaux puissants et immenses possèdent la connaissance de la « sagesse » (relative et aléatoire) et la réflexion face à une cohabitation sans heurts, ce sont la stupeur et l'admiration qui me submergent !
Leur vie sociale est puissante (communautés stables, fidélités, etc...), les liens qui les unissent sont forts et chaque groupe vit d'entraide (chasse en groupe) ; leur langage (ou langue*), fait de grincements et de cris de tonalités diverses, est reconnu par la race humaine comme étant assez sophistiquée.
Elles possèdent un système radar très subtil (écholocation) pour situer les obstacles ou les proies.
La même race possède assez de conscience et de fair-play pour s'ignorer sans se battre, et vivre (ou survivre ?) dans les mêmes eaux sans les ensanglanter de guerres ethniques.
Mais elles s'ignorent au point de ne pas se reproduire entre elles alors que leur physiologie et leur « culture », hormis leur alimentation, sont les mêmes, d'après tout ce qui a été examiné jusqu'à ce jour.
Diverses expériences et observations (je vous passe ce genre de détails qui ont pris des mois d'examens tout à fait sérieux et objectifs) finissent par convaincre et prouver que oui, ces deux ramifications vivent bien dans les mêmes endroits et se croisent en dédaignant toute relation. Sagesse ou mépris ?
Aucun hybride n'a été repéré à ce jour.
Une autre pensée, carrément indigne me soulève l'esprit et le cœur, celle de « la confrontation des castes ». Sans lutte en plus !...Quelle classe !
Quel « bon sens » leur a fait choisir l'ostracisme, que je ne défends pourtant pas et que j'exècre, d'avec le métissage, apparemment possible ?
Elles frayent dans les mêmes eaux et ont le discernement de se croiser sans se battre. Elles qui possèdent un langage élaboré à base de grincements et de cris très spécifiques, pourquoi ne « s'entendent-elles » pas ?
Elles se côtoient, mais s'ignorent.
Est-ce volonté de leur part ? Parti pris ? Décision irrévocable ? Protection naturelle ?
Elles sont obligées de sentir l'existence des autres mais la désavoue par une parfaite indifférence.
Mépris ? Ordre établi ? Protection ? Invisibilité des genres incorporée au système génétique ?
...Finalement je suis rassurée, nous ne sommes pas pires que les Bêtes.
Mais vaut-il mieux s'ignorer plutôt que s'entretuer, ou faire l'effort de se croiser en se reconnaissant, même si cela doit parfois malheureusement passer par un conflit irraisonné en attendant que la raison prenne le dessus ?
Ah ! Le pouvoir de la méfiance...
...Il me semble qu'une langue* possède une conjugaison, (notion du passé, du présent et de l'avenir) des règles syntaxiques (variations) et un vocabulaire pour être l'agent de communication formel qui permettra les échanges d'idées et de pensées sans ambiguïté.
Il est certain qu'ils vivent avec le concept du temps et des saisons, et même si cette connaissance (ou reconnaissance) est le fait d'un savoir ressenti physiologiquement et non intellectuel, ils l'ont.
Ils ont la mémoire des lieux et des temps et s'adaptent en fonction des saisons.
Ils ont le temps et l'envie d'éprouver de la compassion pour les membres de leur groupe, certains de leurs actes le prouvent. Cela reste encore fugace mais le geste est là. Et leur survie est tellement instinctive que leurs critères d'altruisme, quand ils apparaissent, sont forcément plus restrictifs que les nôtres.
Finalement...
...Comment nous voient-ils ? L'homme peut apprivoiser (ou forcer à vivre avec et par nous) des Orques puisqu'ils ne nous attaquent en principe pas.
Les signes, assimilables à la langue gestuelle des sourds et malentendants servent de pont entre terriens et marins. (Bien que très différents on s'en doute !)
Nous ne les voyons pas tous identiquement et nous avons besoin de la justification de la science pour poser des assurances.
Notre perception des choses doit-elle être tant tributaire de la juste science ?
Quelquefois, j'ai envie de ressentir, seulement ressentir les choses ; c'est aussi une forme de compréhension non ?
Mais j'admets que je suis heureuse également des avancées du progrès, et c'est bien la science qui en est en partie responsable.
Je vais relire Marx et Swift...
*Nul ne peut affirmer que la syntaxe est absente de leur langage ; quoiqu'il en soit, leur définition du mot langage, si elles l'ont, est sans doute éloignée de la nôtre, et fonction de notre milieu de vie, ou inversement. Leurs besoins communicatifs ne peuvent être comparables aux autres animaux que nous sommes. Ils sont des extra-terrestres pour nous, nous sommes des extra-aqua pour eux, s'ils nous ont repéré en tant qu'animal ; nos formes de vies divergent aussi selon les lieux de la terre et ses nombreuses configurations climatiques ou géologiques.
Cependant, nous ne pouvons pas vivre dans l'eau, et ignorons absolument tout des impératifs de survie qui y sont obligatoires, et tout ce qui en dérive, cela coule de source.
Ce qui est sur à présent, c'est qu'ils possèdent des « patois », et qu'il leur arrive fréquemment de discuter en réunions familiales.
Tout cela fait beaucoup de mots : peut-être ont-ils simplement un manque physiologique qui fait qu'ils ne digèrent pas la viande !
Sur mon vieux banc de pierre, nantie d'un café tonique, je vais rêver aux grands Orques, si loin, et de leur humanisme si animal...