Luchino Visconti

Mordicus a écrit:

Spoiler:

Tout va bien!

Bon.. pour revenir un peu au sujet du fil - et pour en parler de ce film - je dois dire que je comprends les deux aspects - les uns qui aiment ce film et Mordicus qui n'aime pas
Je dois dire que je tente plutôt du côté de ne pas trop aimer - je ne le dirais pas avec les mots de Mordicus, mais cela ressemble un peu à cela - sauf que je peux nuancer : un film est aussi un témoin de son temps - et ce film est donc 'vieux' pour Mordicus - pour moi il est tourné dans les années 70 et se retrouve donc dans la 'langue des films' qu'on employait à ce moment..

Personnellement - je te conseillerais alors la lecture de ce roman, si tu ne le connais pas.
Moi en tout cas, j'ai d'abord vu le film et ne voulais plus lire le livre par après.. n'ayant pas trouvé le film si bon que tout le monde me disait, je pensais que le livre ne valait pas le détour. Et bien que non.. il reflète tout à fait ce que Bellonzo, Marko et les autres ont dit du film - et avec Thomas Mann tu ne peux pas suggérer qu'il va se le faire parce que là se trouve le destin de Thomas Mann qu'il n'a jamais pu s'avouer son côté homo-érotique - ce n'était pas dans son caractère, pas dans son éducation, pas dans le temps qu'il était né - là aussi il faut l'accepter et dire que lui était aussi un 'enfant' de son temps - tout comme ce film en est un…

Mais en tout cas - après la lecture j'ai pu voir le film aussi d'un autre point de vue.. et même si cela ne change pas qu'il devient un chef d'oevre pour moi - je peux comprendre que d'autres l'apprécient

Mordicus a écrit:

Admettons.

Qu'un jour.

Je tombe sur le livre *Pouf comme ça*. Je prendrai.

Parce que quand même. Après tout ce bazar.

...

en allemand environ une 100 de pages (cela ne va pas donner beaucoup plus en traduction) - tu l'auras plus vite lu que regardé le film

Tu as raison, Mordicus, les vieux films, comme les vieux textes d’ailleurs, possède un côté « chiant », décalé culturellement, surtout lorsque l’on est jeune dans une époque avide de vitesse…

Mais, je constate que malgré son côté « chiant », tu as regardé ce film jusqu’au bout et attentivement…c’est peut être à cela que l’on reconnaît l’art qui mérite son nom…à l’impact qu’il a sur nous, que sa résonance soit négatif ou positif…

Pour revenir à Visconti


Schifano Lauren, Visconti : Une vie exposée

Citation :

Présentation de l'éditeur
" Film, théâtre, musique... Je veux tout affronter. Absolument tout. Avec passion. Parce qu'il faut toujours brûler de passion quand on affronte quelque chose. Et d'ailleurs c'est pour cela que nous sommes ici. " Des multiples vies que l'auteur de Rocco et ses frères, du Guépard, de Mort à Venise, de Ludwig nous a donné à voir, la plus passionnée est sans doute la sienne. Artiste hors norme, il ne s'est pas contenté d'être l'héritier d'une des familles les plus anciennes et fortunées d'Italie. Il a inscrit sa destinée à travers ses amours, ses engagements, son travail de création. Allant, dans sa quête des extrêmes, jusqu'à imposer aux producteurs, au public, à ses collaborateurs même, les choix les plus risqués, et à s'y brûler les ailes. Revue et augmentée dans la nouvelle perspective ouverte par les archives et les entretiens avec des témoins tels que Bernardo Bertolucci et Olivier Assayas, cette biographie de Visconti trouve ici un relief tragique totalement inédit.

Sandra (Vaghe stelle dell'orsa, 1965)
Vu il y a fort longtemps et peu apprécié à ce moment-là. Une nouvelle vision s'imposait. Après la splendeur du Guépard, Visconti revient au noir et blanc et filme une histoire très sombre dans une villa toscane. Atmosphère morbide, tragédie grecque à base d'inceste, de trahison et de dégoût, Sandra exacerbe les défauts (moins voyants dans d'autres films) du cinéaste, en particulier un certain formalisme et un excès d'effets mélodramatiques. Il y a cependant quelque chose de fascinant dans ce ratage (pas d'accord avec certains viscontiens prétendent qu'il s'agit d'une de ses oeuvres majeures), comme un écho aux thèmes du film et à la personnalité trouble du personnage de Sandra, que Claudia Cardinale joue avec une sensualité, euh, troublante.

Palme d'or 1963

Je viens de voir cette version parfaitement restaurée du Guépard en salle et c'est éblouissant. 3h25 de classe absolue même si les reconstitutions de batailles font un peu sourire aujourd'hui et que certains jeux d'acteurs ou certains dialogues du début semblent parfois naïfs ou maladroits. Chaque plan est un tableau somptueux, notamment ces fabuleuses compositions familiales dans les salons du palais qui sont chorégraphiées à la perfection.




Les couleurs sont éclatantes, la vision de ce monde qui semble vivre ses dernières heures est fascinante et Burt Lancaster est majestueux dans ce rôle de Prince sicilien attaché à sa terre et ses traditions dont il incarne en quelque sorte l'âme meurtrie. Son regard est déchirant et ses déambulations solitaires au cours de ce bal inouï dans la dernière partie deviennent comme la marche du condamné à mort. Le plan final qui l'abandonne pénétrant dans une petite ruelle de ce village qu'il aimait tant nous laisse avec le sentiment d'avoir vu un authentique chef-doeuvre et un classique inépuisable. Mon seul regret est que la musique elle-même n'ait pas été restaurée. Mais il s'agit du son mono d'origine qui donne à l'orchestration de Nino Rota ce voile si caractéristique des films de cette époque.



Le roman de Lampedusa est respecté en grande partie et, même si on ne maitrise pas comme moi l'histoire de la Sicile et du parcours de Garibaldi visant l'unification du pays, on comprend parfaitement ce qui anime le personnage du Prince de Salina. Il sait que l'époque féodale s'achève et il anticipe l'avenir en laissant son neveu Tancrède épouser Angelica dont le père est un libéral. Ce qui donne droit à quelques courses poursuites séduisantes entre Alain Delon et Claudia Cardinale dans le labyrinthe des greniers du palais. La valse entre Lancaster et Cardinale est aussi un moment fort où on perçoit à la fois quel grand homme il a été et toute la jeunesse qui lui échappe. Superbe!



A défaut de le voir en salle, vous pouvez toujours vous rattraper avec le DVD de cette même copie entièrement restaurée:

Pour info, le tableau que regarde Burt Lancaster et qui anticipe sa propre mort symbolique est une oeuvre de Jean-Baptiste Greuze, le 2e volet de La Malédiction paternelle: Le Fils puni 1778

Un extrait de la version restaurée numériquement. On retrouve les couleurs vives du technicolor:

Marko a écrit:

Le plan final qui l'abandonne pénétrant dans une petite ruelle de ce village qu'il aimait tant nous laisse avec le sentiment d'avoir vu un authentique chef-d'œuvre et un classique inépuisable.

J'ai eu la même sensation. Je n'ai pas encore eu l'occasion de voir la version restaurée, qui doit ajoutée encore plus de valeur au film.

Je suis d'accord avec tout ce que tu dis, et notamment sur Lancaster. Il est l'âme meurtrie du monde bouleversé, et incarne cette grandeur déchue d'une manière saisissante.

Pour Greuze, je ne sais pas si Visconti connaissait toutes les connotations de ses tableaux. Car Greuze est lui aussi un annonciateur des bouleversements du monde, préférant peindre les sentiments filiaux du milieu bourgeois au moment où l'Ancien Régime est au bord de l'implosion, c'est-à-dire la seconde moitié du XVIIIe s. Il est d'ailleurs l'inspirateur des drames bourgeois de Diderot et Beaumarchais et de leur esthétique de tableau. Peut-on voir à travers la contemplation du tableau de Greuze par Salina une annonce du passage de la féodalité au libéralisme bourgeois? Je le crois. Et bien sûr au-delà de la juste interprétation que tu donnes de la contemplation de sa mort symbolique

Onuphrius a écrit:

Pour Greuze, je ne sais pas si Visconti connaissait toutes les connotations de ses tableaux. (...) Peut-on voir à travers la contemplation du tableau de Greuze par Salina une annonce du passage de la féodalité au libéralisme bourgeois? Je le crois.

Je suis certain que Visconti connaissait toute la signification de ce tableau. Il ne l'a évidemment pas choisi au hasard (et pas uniquement pour évoquer l'image de la mort d'un père). Je regarderai s'il y a des commentaires dans les bonus du DVD.

Rocco et ses frères


Il faut un sacrifice pour que la maison soit bien droite et solide
(Rocco s'adressant à sa mère vers la fin du film)

"Rocco et ses frères" est un peu la rencontre de Dostoïevski et du néoréalisme italien. Il y a beaucoup des frères Karamazov dans les relations entre Rocco, Simone et Ciro (les 2 autres frères Luca et Vincenzo étant moins en avant dans le film). Et il y a surtout beaucoup de Mychkine dans le personnage de Rocco, interprété par Alain Delon, par sa pureté et sa bonté qui le rendent tout aussi fragile que le tourmenté Simone. Ange et démon dont Ciro sera l'arbitre lors d'une séquence finale fabuleuse.

Pendant 2h50 Visconti nous fait découvrir le désenchantement de cette famille ayant quitté la campagne à la mort du père pour rejoindre le frère aîné à Milan et chercher du travail et de quoi survivre. Les premiers 3/4 d'heure ont un côté social presque documentaire et nous permettent de faire connaissance progressivement avec chaque personnage avant la rencontre avec Nadia, jeune prostituée à la dérive, interprétée génialement par Annie Girardot. Puis le drame se met en place et l'action s'intensifie pour exploser dans une dernière demi-heure sublime entre hystérie familiale et catharsis à forte dimension morale, permettant le passage de relai au jeune Luca, avenir en suspens de la famille.



J'ai beaucoup aimé le découpage par chapitres ainsi que l'atmosphère visuelle et sonore du film qui donnent un côté "nouveau roman" qui tranche avec l'aspect néoréaliste du départ. Ensuite on bascule dans la tragédie proche de Dostoïevski, le récit ayant une dimension de parabole montrant la cohésion du clan en même temps que la nécessité d'une victime expiatoire pour en assurer la pérennité.



Il y a des moments formidablement intenses de mise en scène comme la scène du terrain vague, celle sur le toit de la cathédrale de Milan, l'affrontement de Nadia et de Simone au bord de la rivière, ou cette fin libératoire et bouleversante. Les plans urbains sont parfaitement cadrés, la musique un peu jazzy de Nino Rota crée un contrepoint de modernité (pour l'époque), le noir et blanc joue des oppositions symboliques entre les deux frères sans appuyer le trait.



Une réussite de chaque instant même si le jeu de la mère peut paraître incroyablement théâtral jusqu'à la caricature, par exemple. Mais cela colle au personnage de mamma italienne possessive et excessive.

Alain Delon a rarement été aussi juste et touchant et Renato Salvatori est parfait dans ce rôle de damné autodestructeur.

Allez on ose encore le mot: Chef d'oeuvre!