Accouplementtraduit de l'anglais ( Etats-Unis) par Marianne Véron
Editions Fayard
Norman Rush est un écrivain dont le premier roman tardif, Accouplement , a reçu le prestigieux National Book Award, en 1991. Quinze ans plus tard, le livre a été sélectionné par un jury d'écrivains fameux (dans la « Book Review » du New York Times) comme l'un des ouvrages de fiction le plus remarquable du dernier quart de siècle. Regarder le monde, les choses, les gens, les sentiments de plus en plus près, de plus en plus attentivement,voilà ce qui l’intéresse.
Ce n’est pas par hasard si l’histoire est racontée par une jeune anthropologue américaine venue préparer au Bostwana
une thèse dont le sujet est la corrélation entre le taux de fertilité des femmes et les périodes de cueillette. Le problème est que les cueillettes, il n‘y en a guère, les populations sont depuis longtemps nourries par l'aide alimentaire mondiale et ses conserves.
Le lieu, le Bostwana, n’est pas un hasard non plus, car c’est un pays où Norman Rush a vécu longtemps et qu’il a eu tout loisir d’étudier. Il faut préciser que ce roman est paru en 1991, et que donc l’action se situe avant la chute de l’apartheid en Afrique du sud.
L'Afrique..
Le livre commence ainsi:
En Afrique, on veut plus, je pense.
Les gens y sont pris d'avidité. Cet emportement peut emprunter diverses formes selon le tempérament, mais personne n'y échappe après un certain temps. Et cette avidité peut vous saisir soudainement. Je n'ai pas échappé à la règle.
Bien entendu, je parle ici des Blancs d'Afrique, et non des noirs africains. Le noir africain moyen est confronté au problème inverse: il ne veut jamais assez. Il existe une profession, l'Animation rurale, toute entière consacrée à inciter les villageois à vouloir plus, et à travailler davantage pour l'obtenir. Les Africains sont particulièrement peu avides- à l'exception des élites, naturellement. Les élites sont les élites.Le personnage principal de ce roman va, elle, tout vouloir.
Elle entend parler d’une expérience menée dans le Kalahari, loin de tout regard curieux, par un certain Nelson Denoon. Sa rencontre avec lui lors d’une fête lui donne l’envie de le rejoindre, lui qu’elle surnomme «le démocrate solaire», à Tsau, au cœur du Kalahari, dans ces retranchements où l‘on rencontre peu de blancs.. Surmontant des difficultés diverses, traversant le désert seule avec deux ânes, elle parvient à le retrouver..
Là commence le cœur de ce roman, la description d’une société matriarcale , conçue par un homme quand même, en quête de la réalisation d’une utopie : un village de femmes, où les hommes sont minoritaires dans tous les sens du terme, et où toutes les tâches sont partagées. Où tout est minutieusement réfléchi et organisé . Un homme dont on ne saura jamais vraiment qui il est , un gourou illuminé, un utopiste sincère ou un manipulateur un peu pervers. Un peu tout cela, bien sûr.
C’est de cet homme que l’héroïne de l’histoire va tomber amoureuse , mais, en bonne anthropologue , de la même façon qu’elle étudie le fonctionnement de la structure dans laquelle elle tente de s’insérer ( et essaie d’y concilier des éléments de sa culture..), elle va aussi analyser , presque au jour le jour , ce qu’elle éprouve, ce qui donne à lire des pages très intéressantes sur le sentiment amoureux , et même la passion , ce qu’ils entraînent dans la reconstruction d’une identité..En gros, à quoi renonce-t-on de soi même quand on aime, jusqu’à quel compromis est-on prêt à aller, etc. Et ceci, vu et décrit par une universitaire anthropologue qui s’observe et dissèque en permanence ses émotions et ce que celles -ci l’entraînent à faire est souvent assez drôle. Car cette féministe convaincue se retrouve bien sûr complètement en porte à faux et est constamment obligée de négocier avec ses grands principes idéologiques pour garder à ses yeux une certaine cohérence. C’est une lutte permanente pour tenter d’allier plus ou moins sereinement culturel et biologique , et comme toute lutte, elle est épuisante et a une fin. L’utopie de l’amour parfait- comme celle de la société parfaite- n’est pas viable au long cours , on le sait et c’est décrit de long en large dans ce roman.
De long en large car le problème, pour moi, a été là. Que de longueurs, de développements didactiques assez interminables..
Ce qui n’empêche pas la richesse et l’intelligence du regard de Norman Rush et son don certain pour saisir et décrire les ambivalences humaines .
Un bon roman, d'une originalité certaine, fin, intelligent , mais très, très long...