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| Ernst Jünger [Allemagne] | |
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Auteur | Message |
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Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Ven 2 Jan 2009 - 22:07 | |
| J'avais aussi aimé Héliopolis mais je ne vois aucun rapport avec Le rivage de Syrtes. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Ven 2 Jan 2009 - 22:23 | |
| - Arabella a écrit:
- J'avais aussi aimé Héliopolis mais je ne vois aucun rapport avec Le rivage de Syrtes.
Je pensais surtout à l'idée de cette ville de "nulle part" qui est une abstraction et qui m'a rappelé un peu la cité dans le rivage... Mais le récit, et le style, n'ont rien à voir c'est vrai! | |
| | | botany Posteur en quête
Messages : 80 Inscription le : 02/03/2008
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Dim 4 Jan 2009 - 19:50 | |
| J'ai beaucoup aimé "Sur les falaises de marbre".
Mais je ne suis jamais entré ni dans "Héliopolis" ni dans"Eumeszwil". | |
| | | SCOman Envolée postale
Messages : 102 Inscription le : 08/06/2012 Age : 38 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Jeu 23 Aoû 2012 - 16:08 | |
| Journaux de guerre (1914-1918)
Les Journaux de guerre d’Ernst Jünger sont une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle. Non seulement ils constituent un témoignage inestimable de la Première Guerre mondiale vécue depuis les tranchées, mais la force d’écriture d’Ernst Jünger permet de vivre au plus près cette véritable « expérience de chair et de sang ». Ernst Jünger choisit de publier ses notes de carnets non sous la forme de journaux mais sous celle de véritables récits de guerre. Il n’hésitera d’ailleurs pas à retravailler à de multiples reprises ses écrits, remaniant par exemple sept fois Orages d’acier lors des différentes publications échelonnées entre 1920 et 1978. Ce souci du mot juste et de l’intelligible description de la furie des combats nous transmettent, un siècle plus tard, « l’horreur, l’angoisse, l’anéantissement pressenti, la soif d’un déchaînement intégral dans la lutte » qui happèrent alors les belligérants.
Orages d’aciers est certainement le récit le plus connu de l’auteur. Il narre toute son expérience personnelle du conflit, de la mobilisation en 1914 jusqu’à la fin des combats en 1918. Voyageant sur les différentes lignes du front, le lecteur assiste à la lutte pour la survie effarante de cet officier allemand devenu héros de guerre, blessé à pas moins de quinze reprises, ce qui en fit le plus jeune récipiendaire de la plus haute distinction prussienne « Pour le mérite ». Le boqueteau 125 est la chronique de combats de tranchées auxquels prit part Jünger en 1918. Centrée sur les combats pour le contrôle dérisoire d’un simple boqueteau, elle raconte le quotidien mortifère du soldat, bringuebalé dans les dangereux entonnoirs des avant-postes de reconnaissance, au fond des tranchées de la première ligne ou mis en réserve sur les arrières, selon un calendrier réglé à la minute. Feu et sang relate l’épisode d’une grande bataille, celle de la tentative de percée du front britannique effectuée par les Allemands au début de l’année 1918. C’est le récit qui m’a le plus marqué, puisque l’auteur nous transporte au sein des groupes de choc, ces troupes d’assaut d’élite chargées de briser les premières lignes ennemies. La pression psychologique qui repose sur ces hommes est hallucinante, tout comme l’est la sauvagerie des combats à la grenade dans les tranchées prises d’assaut. Feu et sang est un texte fou, qui parvient à s’immiscer au cœur du mystère guerrier, telle une esthétisation de la guerre intrinsèquement liée à la sauvagerie intemporelle de l’homme. Le combat comme expérience intérieure décrypte les différents champs métaphysiques du guerrier : le sang, l’horreur, la bravoure, le contraste, le feu, l’angoisse, etc. On sent l’auteur écartelé entre son penchant pour l’héroïsation de la guerre et l’horreur éprouvée devant l’étendue de ses ravages. L’impératif de survie lui dicte une appréhension de la mort paradoxale, teintée d’amor fati : « Que l’on tue des hommes cela n’est rien, il faut bien qu’ils meurent un jour, mais on n’a pas le droit de les nier. Non, les nier, on n’en a pas le droit. » (p.579). D’autres écrits viennent s’ajouter au fort utile répertoire des termes militaires placé en fin d’ouvrage, qui apportent de nouveaux éclairages sur la Première Guerre mondiale. La déclaration de guerre de 1914 revient sur l’état d’esprit nationaliste des soldats à la mobilisation. Sturm s’avère être la première tentative de fiction de l’auteur. Reprenant certains éléments autobiographiques, elle décrit la fraternité entre combattants d’un même camp. Quant à Feu et mouvement, il s’agit d’une courte synthèse sur l’évolution de l’art militaire au début du XXe siècle, qui résume intelligemment comment apparurent les nouveaux concepts de tirs de barrage, de tirs d’anéantissement, de feu roulant, toutes ces nouvelles pratiques industrielles de la guerre qui reléguèrent l’individu au rôle de simple pantin désarticulé. Sans oublier, bien sûr, que cette densité inédite du feu fut accrue par l’utilisation des gaz asphyxiants. Je conclurai cette critique en soulignant que la bande-annonce de la traduction allemande de Capitaine Conan, en 1935, comportait un jugement d’Ernst Jünger. Il n’est pas étonnant de retrouver dans ce roman cette figure à la fois tragique et impitoyable du lansquenet à laquelle s’oppose l’idéalisme héroïque de Jünger. Les Journaux de guerre d’Ernst Jünger sont fondamentaux pour comprendre le fait que, de tous temps et à toutes époques, l’important n’est pas de saisir le pourquoi de la guerre, mais comment l’homme se bat. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Sam 1 Fév 2014 - 14:23 | |
| Heliopolis (1949) Il s'est passé quelque chose à Heliopolis, mais on ne saurait dire quoi. Heliopolis n'accueille pas tout le monde, et il manque à l'amateur, dont je fais partie, une exégèse qui permettrait de comprendre non seulement le déroulement factuel de l'histoire, mais aussi ce qui s'est passé dans l'évolution psychologique et spirituelle des personnages. Je ne saurais résumer sans tricher le motif d' Heliopolis. Cela se passe dans une société futuriste très dirigiste dans laquelle la population semble partagée en plusieurs castes relatives à leurs niveaux spirituels. La technologie émerge à peine -la probabilité de vivre entourés de téléphones portables est évoquée, traversant l'esprit de Jünger dès 1949- et paraît comme l'horizon d'une humanité progressant par paliers. Les personnages sont aussi indiscernables que l'intrigue qui les retient. Leurs statuts ne sont jamais clairement définis et laissés à l'appréhension du lecteur. Je pensais que leur rôle se résoberait ou s'éclaircirait au fil des pages, mais ce ne fut jamais le cas. Dans l'étroit mélange de philosophie et d'aventure qui constitue Heliopolis, les divagations spirituelles des personnages ne sont pas seulement de savoureux passages laissés à la délectation du lecteur. Ils semblent effectivement concourrir à la réalisation d'une fin compréhensible par les seuls lecteurs qui auront su passer suffisamment de temps à analyser les liens subtils et les menus détails des relations entre les personnages et leurs semblables, leur société, le temps historique et l'éternité spirituelle. Et Ernst Jünger ne nous facilite pas toujours la tache. Son texte n'est pas dense ni obtus, mais semble parfois extrêmement trivial, uniquement descriptif ; il capte si peu l'attention qu'on le survole en attendant de voir paraître les meilleurs moments -ceux où Ernst Jünger brille d'éloquence et d'érudition à travers l'histoire, la philosophie, la psychologie et la mystique. Sans doute a-t-il réussi à reproduire la trame de la réalité même, dispersant des éléments moteurs de la compréhension globale dans l'ensemble de son oeuvre, y compris dans le plus insignifiant. Sans doute faudrait-il revenir plusieurs fois sur cet Heliopolis pour mieux le comprendre. Je ne ferai pas de relecture. Bien que l'élégance de l'écriture soit grandiose et les anecdotes savoureuses, Ernst Jünger ne me semble pas particulièrement original -pas au point en tout cas de vouloir réfléchir à l'exégèse de son Heliopolis. Pour ceux qu'il illumine immédiatement, l'immersion héliopolienne sera certainement fabuleuse. Pour les autres, ce n'est peut-être pas le bon moment, si tant est qu'il y en ait un. - Citation :
- "Ces figures mythiques que tu te donnes tant de mal à dépister, ce sont des symboles du monde élémentaire. Ce que l'esprit naïf a pressenti, en des temps et des lieux reculés, est aujourd'hui le but de la conscience sévère, ordonnée, de la science. Nous avons appliqué des organes contre l'inconnu, et le contraignons à nous servir. Nous avons frappé de notre baguette le rocher inerte, et il jaillit du quartz un flot intarissable de puissance et de richesse."
Jünger ne nous laisse jamais en paix avec des certitudes... - Citation :
- "Or, imaginez-vous ceci : vous vous tenez en nombreuse compagnie dans cette chambre ou dans cette salle. On joue, on discute, on trafique, bref on fait ce qui est d'usage entre les humains. Pour les profanes, dans cette pièce, les choses et leurs conjonctions seront plus ou moins livrées au hasard. Aussi, aucun d'eux n'est en mesure de dire à coup sûr ce qu'amènera, ne fût-ce que la minute suivante. C'est ici le règne de l'imprévu, de la force aveugle.
Et maintenant, poursuivez cette fantasie: la salle est entourée d'une seconde enveloppe, aussi invisible qu'une atmosphère. Elle est presque sans extension, mais chargée de significations. Représentez-vous cette enveloppe comme une sorte de tapisserie qui cache dans ses dessins une écriture imaginée ou chiffrée, que l'on peut embrasser d'un coup d'oeil. Je vous ferai tomber les écailles des yeux, et, stupéfait, vous découvrirez que ces caractères sont la clé de toutes les scènes qui se jouent dans la salle. Vous étiez jusqu'à présent comme un homme qui suivait la course nocturne des astres, mais sans connaître l'astronomie. Vous voilà maintenant inité, et votre puissance est pareille à celle des vieux collèges de prêtres qui annonçaient les éclipses de soleil et de lune. Vous avez reçu l'ordination qui vous confère le principat de la magie." - Citation :
- "On voyait alors apparaître ces Calibans, en qui la masse reconnaissait, de prime abord, des incarnations et des idoles de la vie animale qui lui était restée. Elle les aimait dans leur faste, dans leur insolence, dans leur insatiable avidité. L'art, et surtout le film et le grand opéra, préparait le climat propice à l'épanouissement de ces types humains. Pour finir, il n'y avait plus d'ineptie, plus d'indécence, plus d'horreur qui ne déchaînât un ouragan d'enthousiasme. Alors que les ci-devant s'étaient encore cachés dans leurs résidences et leurs villas bien closes pour se livrer au luxe, au vice, à l'orgie, ces nouveaux maîtres de l'heure portaient toutes ces choses au marché et sur les places publiques, pour servir de spectacle au peuple et régaler ses yeux. Ils avaient découvert les sources de la popularité."
Une écriture sublime : - Citation :
- "Lorsque le soleil se posait sur eux, comme en cet instant même, il éveillait les reflets de rouilles chatoyantes, le velours violet des druses et la somnolence du cristal. De même que le charbon mire dans sa rougeur l'éclat d'étés que jamais oeil d'homme n'a vus, la vie d'âges oubliés du monde sortait ici de son sommeil, comme dans une grotte merveilleuse."
*peinture de Franz Radziwill | |
| | | Sullien Sage de la littérature
Messages : 1591 Inscription le : 23/10/2012
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Mar 23 Déc 2014 - 10:01 | |
| - Ernst Jünger a écrit:
Lentement l’automne arriva.
C’est alors que se produisit une chose totalement inattendue, que nous n’aurions jamais crue possible. Par une nuit de tempête, une pluie violente s’abattit sur les tranchées. Trempées et transies, les sentinelles, en plein vent, tentaient vainement de rallumer leurs pipes éteintes. L’eau ruisselait en gargouillant le long des parois des tranchées, jusqu’au fond de la semelle, l’un après l’autre les remparts de sac de sable, les traverses s’écroulaient comme des masses en une bouillie visqueuse. Couverts de boue, comme des bandes de rats chassés de leurs trous, les occupants s’extirpaient des abris où l’eau ne cessait de monter. Lorsque le matin se mit à poindre, lent et triste sous des voiles de pluie, nous découvrîmes qu’un véritable déluge s’était déversé sur nous. Pétrifiés et muets, nous nous blottissions sur les derniers ressauts qui commençaient eux-mêmes à s’effriter. Depuis longtemps le dernier juron s’était tu, très mauvais signe. Que faire ? Nous étions perdus. Les fusils encroûtés de boue. Impossible de rester sur place, et se montrer au-dessus du sol était la mort certaine. Nous le savions d’expérience mille fois répétée.
Tout à coup, un appel nous parvint de l’autre bord. Au-delà des barbelés surgirent des silhouettes en longues capotes jaunes, se détachant à peine sur le fond du désert glaiseux. Des Anglais, qui ne pouvaient pas plus que nous se maintenir dans leurs tranchées. Ce fut comme une délivrance, car nous étions à bout de forces. Nous marchâmes à leur rencontre.
Ce furent alors d’étranges sentiments qui s’éveillèrent en nous, si forts que la contrée s’évanouit à nos yeux en fumée, comme un rêve se dissipe. Il y avait si longtemps que nous nous terrions dans le sol qu’il nous semblait à peine croyable que l’on pût se mouvoir de jour en terrain découvert, que l’on pût se parler en langage des hommes et non par la bouche des mitrailleuses. Et voilà qu’une suprême et commune détresse démontrait la simplicité de cet événement tout naturel : se rencontrer en terrain découvert et se serrer la main. Nous étions debout parmi les cadavres qui jonchaient le no man’s land, étonnés de voir surgir de tous les coins du lacis de tranchées des foules toujours nouvelles. Nous n’avions pas la moindre notion des masses d’hommes qu’on avait tenues cachées dans ce terrain si vide et si mort.
Bientôt des groupes nombreux entrèrent en conversation animée, on échangeait des boutons d’uniformes, de l’eau de vie et du whisky, c’était du Fritz par-ci et Tommy par là. Le grand cimetière s’était mué en foirail, et dans cette détente inattendue, après des mois et des mois de combats acharnés, une vague idée se faisait jour en nous du bonheur et de la pureté qui se cachent dans le mot « paix ». Il ne semblait pas impensable qu’un jour les meilleurs éléments des peuples sortent des tranchées sous le coup d’une impulsion subite, d’une évidence morale, pour se tendre les mains et s’entendre une bonne fois, comme des enfants qui se sont longtemps querellés. Au même moment, le soleil émergea des pluies qui le voilaient, et chacun fut à même de ressentir à quelque degré le sentiment béatifique, la joie étrange que l’esprit échappé à la tension du vouloir, au fardeau d’une mission, trouve à s’abandonner à la jouissance de la vie.
Mais cette joie fut de courte durée, brisée nette par l’entrée en jeu brutale d’une mitrailleuse en batterie sur une colline proche. *
Jünger, La guerre comme expérience intérieure | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Ven 26 Déc 2014 - 21:16 | |
| Et c'est à nous de décrypter ce que tu en penses ? | |
| | | ArturoBandini Sage de la littérature
Messages : 2748 Inscription le : 05/03/2015 Age : 38 Localisation : Aix-en-Provence
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Dim 24 Jan 2016 - 21:40 | |
| Sur les falaises de marbre :
Une belle découverte que ce roman. Merci à Julien Gracq de l'avoir loué dans ses Entretiens. La traduction rend vraiment bien, car la langue est sublime. J'étais plongé dans un récit onirique, allégorique. On ne sait pas tellement ce qu'on lit, on se laisse bercer, on flotte entre rêveries et angoisses. Une dénonciation de la barbarie, de la montée du nazisme. Certainement, mais surtout une écriture qui ne peut laisser indifférent à mon avis. Le genre qui repousse ou qui amène à demander toujours plus. | |
| | | Diogène Envolée postale
Messages : 226 Inscription le : 25/11/2015 Age : 36 Localisation : Londres
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Dim 24 Jan 2016 - 22:32 | |
| Je n'ai lu qu'"Orages d'acier" de cet auteur, je rejoins ce qui a été dit et j'ajouterais, cela, selon moi " L'art français de la guerre" d'Alexis Jenni fait échos à Orages d'acier dans la mesure où pour moi les deux oeuvres ont en commun un constat: l'inanité de la lutte et qu'elles sont contre le discours " si on avait eu plus d'homme alors on gagnait". Après c'est personnel c'est peut être faux sur le plan littéraire. | |
| | | ArenSor Main aguerrie
Messages : 516 Inscription le : 16/11/2014
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Mar 26 Jan 2016 - 20:42 | |
| - SCOman a écrit:
- Journaux de guerre (1914-1918)
Les Journaux de guerre d’Ernst Jünger sont une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle. Non seulement ils constituent un témoignage inestimable de la Première Guerre mondiale vécue depuis les tranchées, mais la force d’écriture d’Ernst Jünger permet de vivre au plus près cette véritable « expérience de chair et de sang ». Ernst Jünger choisit de publier ses notes de carnets non sous la forme de journaux mais sous celle de véritables récits de guerre. Il n’hésitera d’ailleurs pas à retravailler à de multiples reprises ses écrits, remaniant par exemple sept fois Orages d’acier lors des différentes publications échelonnées entre 1920 et 1978. Ce souci du mot juste et de l’intelligible description de la furie des combats nous transmettent, un siècle plus tard, « l’horreur, l’angoisse, l’anéantissement pressenti, la soif d’un déchaînement intégral dans la lutte » qui happèrent alors les belligérants.
Orages d’aciers est certainement le récit le plus connu de l’auteur. Il narre toute son expérience personnelle du conflit, de la mobilisation en 1914 jusqu’à la fin des combats en 1918. Voyageant sur les différentes lignes du front, le lecteur assiste à la lutte pour la survie effarante de cet officier allemand devenu héros de guerre, blessé à pas moins de quinze reprises, ce qui en fit le plus jeune récipiendaire de la plus haute distinction prussienne « Pour le mérite ». Le boqueteau 125 est la chronique de combats de tranchées auxquels prit part Jünger en 1918. Centrée sur les combats pour le contrôle dérisoire d’un simple boqueteau, elle raconte le quotidien mortifère du soldat, bringuebalé dans les dangereux entonnoirs des avant-postes de reconnaissance, au fond des tranchées de la première ligne ou mis en réserve sur les arrières, selon un calendrier réglé à la minute. Feu et sang relate l’épisode d’une grande bataille, celle de la tentative de percée du front britannique effectuée par les Allemands au début de l’année 1918. C’est le récit qui m’a le plus marqué, puisque l’auteur nous transporte au sein des groupes de choc, ces troupes d’assaut d’élite chargées de briser les premières lignes ennemies. La pression psychologique qui repose sur ces hommes est hallucinante, tout comme l’est la sauvagerie des combats à la grenade dans les tranchées prises d’assaut. Feu et sang est un texte fou, qui parvient à s’immiscer au cœur du mystère guerrier, telle une esthétisation de la guerre intrinsèquement liée à la sauvagerie intemporelle de l’homme. Le combat comme expérience intérieure décrypte les différents champs métaphysiques du guerrier : le sang, l’horreur, la bravoure, le contraste, le feu, l’angoisse, etc. On sent l’auteur écartelé entre son penchant pour l’héroïsation de la guerre et l’horreur éprouvée devant l’étendue de ses ravages. L’impératif de survie lui dicte une appréhension de la mort paradoxale, teintée d’amor fati : « Que l’on tue des hommes cela n’est rien, il faut bien qu’ils meurent un jour, mais on n’a pas le droit de les nier. Non, les nier, on n’en a pas le droit. » (p.579). D’autres écrits viennent s’ajouter au fort utile répertoire des termes militaires placé en fin d’ouvrage, qui apportent de nouveaux éclairages sur la Première Guerre mondiale. La déclaration de guerre de 1914 revient sur l’état d’esprit nationaliste des soldats à la mobilisation. Sturm s’avère être la première tentative de fiction de l’auteur. Reprenant certains éléments autobiographiques, elle décrit la fraternité entre combattants d’un même camp. Quant à Feu et mouvement, il s’agit d’une courte synthèse sur l’évolution de l’art militaire au début du XXe siècle, qui résume intelligemment comment apparurent les nouveaux concepts de tirs de barrage, de tirs d’anéantissement, de feu roulant, toutes ces nouvelles pratiques industrielles de la guerre qui reléguèrent l’individu au rôle de simple pantin désarticulé. Sans oublier, bien sûr, que cette densité inédite du feu fut accrue par l’utilisation des gaz asphyxiants. Je conclurai cette critique en soulignant que la bande-annonce de la traduction allemande de Capitaine Conan, en 1935, comportait un jugement d’Ernst Jünger. Il n’est pas étonnant de retrouver dans ce roman cette figure à la fois tragique et impitoyable du lansquenet à laquelle s’oppose l’idéalisme héroïque de Jünger. Les Journaux de guerre d’Ernst Jünger sont fondamentaux pour comprendre le fait que, de tous temps et à toutes époques, l’important n’est pas de saisir le pourquoi de la guerre, mais comment l’homme se bat. Les textes de Jünger sont à mon avis l'un des témoignages les plus intéressants sur la guerre de 14 avec ceux de Genevoix. Le premier met en lumière l'industrialisation de la guerre devant laquelle individualité et héroïsme sont réduits à néant devant l'armement moderne, l'autre incarne la relation de fraternité entre les combattants. Les deux auteurs ont été mis souvent en parallèle, mais curieusement ne se sont jamais rencontrés - par la volonté de Maurice Genevoix, semble-t-il - pourtant, ces deux là auraient eu beaucoup de choses à se dire! Ce qui m'a toujours interrogé chez Jünger, c'est que nationaliste convaincu, membre des corps-francs pendant l'entre-deux-guerres, il a toujours refusé de se rallier au national-socialisme malgré les tentatives de ce parti pour s'accaparer ce héros de la Guerre. Preuve, à mon avis, d'un grand humanisme. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Mar 26 Jan 2016 - 22:27 | |
| Par contre les Journaux de guerre des années 40 montrent un esthète froid dont le témoignage d' une France occupée fait la part belle à l' ccupant et aux tristes intellos engoués par la "virilité" de l' officier. On n' y trouve aucune trace de compassion, de doute et on n' apprend vraiment pas grand chose sur la réalité de l' époque. J' ai lu le livre ne me bouchant le nez.
www.lexpress.fr/.../ernst-junger-un-occupant-si-korrekt_721403.html | |
| | | ArenSor Main aguerrie
Messages : 516 Inscription le : 16/11/2014
| Sujet: Re: Ernst Jünger [Allemagne] Mer 27 Jan 2016 - 21:20 | |
| - bix229 a écrit:
- Par contre les Journaux de guerre des années 40 montrent un esthète froid dont le témoignage d' une France occupée fait la part belle
à l' ccupant et aux tristes intellos engoués par la "virilité" de l' officier. On n' y trouve aucune trace de compassion, de doute et on n' apprend vraiment pas grand chose sur la réalité de l' époque. J' ai lu le livre ne me bouchant le nez.
www.lexpress.fr/.../ernst-junger-un-occupant-si-korrekt_721403.html De toute façon Jünger est une personnalité difficile à saisir. Je dois toujours lire le journaux de 1940 | |
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