Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Maurice Chappaz [Suisse]

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rivela
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MessageSujet: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptySam 17 Jan 2009 - 11:52

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Maurice Chappaz: 21 décembre 1916 - 15 janvier 2009

Maurice Chappaz est né le 21 décembre 1916 à Lausanne. Aîné d’une famille de dix enfants, il passe son jeune âge en Valais, entre Martigny et le Châble. Il obtient une maturité classique (latin-grec) au Collège de Saint-Maurice et entame des études de droit à l’Université de Lausanne. Il les interrompt deux ans plus tard pour suivre les cours de la Faculté des lettres de l’université de Genève. Fin 1939, il publie son premier texte dans la revue Suisse romande et se voit encouragé à persévérer dans l’écriture par Gustave Roud et Charles-Ferdinand Ramuz.

En 1940, la guerre interrompt ses études ; il est mobilisé aux frontières, ce qui est pour lui l’occasion de découvrir le pays et de publier plusieurs textes dans la revue Lettres (édités plus tard chez Mermod à Lausanne).

Entre 1943 et 1947, il séjourne à Geesch (Haut-Valais) et voyage en France. Il rencontre Corinna Bille qui devient sa femme en 1947. Avec Éric Genevay, il traduit alors Théocrite (1951) et Virgile (1954). Sans profession régulière, il est correspondant occasionnel dans la presse (Treize étoiles et la Gazette de Lausanne), dirige le domaine viticole de son oncle et travaille comme aide-géomètre au barrage de la Grande-Dixence.

À la mort de Corinna Bille en 1979, il s’établit dans l’Abbaye maternelle du Val de Bagnes et se consacre à la publication des œuvres inédites de son épouse. Il publie également des poèmes qui oscillent entre burlesque et ton funèbre. C’est aussi à cette époque qu’il commence un Journal personnel (qu’il tiendra sans interruption de 1981 à 1987) et qu’il rédige des proses poétiques sur le thème du deuil.

En 1997, il obtient le Grand Prix Schiller et la Bourse Goncourt de la poésie. À l’automne 2001 paraît chez Gallimard Évangile selon Judas, un récit de fiction théologique. Au printemps 2003, il publie trois ouvrages aux éditions Monographic de Sierre : Tu rapporteras l’Orient à Sion, À-Dieu-vat ! et Que le ciel et la terre se balancent. En automne 2008, un dernier ouvrage paraît de son vivant : La pipe qui prie & fume.

Maurice Chappaz décède le 15 janvier 2009 à l’hôpital de Martigny. Il avait nonante-deux ans.

En mars 2005, il explique au journal Coopération ses débuts dans l’écriture poétique :

Votre premier texte Un homme qui vivait couché sur un banc paraissait en 1940. Commençait une vie dans l’écriture...

« Vous voyez, après être sorti du collège de Saint-Maurice, au moment où il faut choisir une profession, j’ai été très embarrassé... Je pensais bien qu’il fallait gagner sa vie, mais je ne voulais aucune profession. Il me semblait qu’il fallait uniquement vivre à cause de la poésie. Voilà : quelle profession choisir ? Il y avait le droit, mon père était avocat, et je me rappelle, c’était en 1936, après deux ans de droit à l’Université et un stage chez un avocat pour apprendre à faire des actes, on pouvait devenir notaire. Et comme notaire, gagner sa vie... »

Et les Lettres ?

« Surtout pas ça ! Je me suis dit, si je m’intéresse à la poésie, il faut surtout pas qu’on me l’enseigne, il faut surtout pas qu’on m’en parle... La poésie est une chose qui se trouve, elle ne s’apprend pas. »

Mon désir d'elle
la fait ressembler à une carafe d'eau glacée
qui circule en plein midi
à la terrasse d'un café.

Mon désir d'elle la pose sur la table
telle une cathédrale claire et fragile,
le litre et le verre.

Mais mes lèvres balbutient de soif
et cette transparence est pour mon esprit
une nuit au milieu du jour.


* Grand Prix Académie Rhodanienne, 1948
* Prix Eugène Rambert, 1953
* Prix de la Ville de Martigny, 1966
* Prix de l'État du Valais, 1985
* Grand Prix Schiller, 1997
* Bourse Goncourt de la poésie, 1997
* Grand Prix du Salon du livre de Montagne, Passy (France), 2000

“On dirait l'odeur du foin qui se réveille en hiver, voici 50 ans, les poèmes s'approchaient de moi. J'étais un jeune homme solitaire avec de vrais amis. On filait, on gagnait le large. Ce qui attire maintenant l'homme qui s'engage dans la vieillesse avec sa plume, c'est une ligne invisible, une frontière, celle de sa propre mort. J'ai vu, j'ai passé tant de cols qui varient, je me suis exercé à un chant ! Que voilà tous les chemins aujourd'hui mènent à l'intérieur, où devrait naître, où est déjà né tout ce que j'ai aimé. Et tous ces êtres deviendront moi-même. Ma vie les a écrits. Une angoisse, l'extrémité d'une feuille frémit mais je craindrais de ne pas mourir. »

J’ai retrouvé ma pipe absente depuis l’autre nuit mais je trébuche, je frissonne. Je risque de nouveau de perdre ce qui va et vient dans mes poches, en longeant les parois du chalet. Je me déshabille et me rhabille pour me mettre au lit. Je ne suis qu’un poète de passage. Ce lit hérité de très loin, signé d’un ou deux caractères illisibles, haut sur pattes et qui ne passe plus les portes est un revenant. Les draps sont les pages blanches où je disparais.
Où je disparaîtrai une ultime fois pour être écrit.
Et si, me dis-je, au moment de fermer l’œil, le vingt et unième siècle héritier de tout ce que je déteste était acculé à un grand acte mystique ?
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptySam 17 Jan 2009 - 12:12

Ce Monsieur est donc décédé tout récemment bonjour
Merci pour ce fil de présentation rivela, je ne connaissais d'ailleurs pas du tout cet auteur.
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptySam 17 Jan 2009 - 13:59

c'est parce que il est mort que j'ai pensé à lui, sinon j'ai rien lu de lui.
Mais il parait qu'il si connaissait en poésie et qu'il avait une belle écriture.
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyVen 30 Mai 2014 - 22:38

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Chant de la Grande Dixence suivi de Le Valais au gosier de grive

Les deux textes sont en lien avec la construction de la Grande Dixence (version courte : Les eaux de 35 glaciers sont captées et remplissent les ouvrages d'accumulation. Le bassin hydrologique mesure 375 km2.). Chappaz, poète, à néanmoins travailler deux ans sur ces chantiers et les nombreux kilomètres de mines/tunnels qui sillonnent l'intérieur de la montagne pour détourner les nombreux cours d'eaux.

Le Valais au gosier de grive a initialement été publié en premier mais a en fait été rédigé après le Chant de la Grande Dixence. L'édition Babel/Actes Sud les propose donc dans l'ordre d'écriture et le choix est assez pertinent pour le lecteur égaré.

La Grande Dixence j'avais entendu parlé et entrevu des images des tunnels surtout et je savais que c'était immense. Chappaz j'avais entendu parlé, je savais qu'il était poète et écrivain suisse connu... mais je pensais en trouver plus facilement. Toujours est-il que ces deux textes seront ma porte d'entrée.

Et difficile d'accès. Chant de la Grande Dixence, réflexion en prose aux multiples références bibliques et culturelles locales à de quoi déstabiliser. Ramuz j'arrive un peu à suivre, un certain contexte valaisan de la terre rude, de la pauvreté, de la religion et des immigrations aussi, le reste plus difficile. Et la prose justement ne facilite pas la tâche. Travaillée mais avec des évocations qui restent muettes, presque trop imagée. Lecture difficile. Les nombreux thèmes resserrés vers un sens peuvent aussi entrainer au vertige humain, culturel, politique, artistique intimement lié à un engagement profond. Chappaz néanmoins déroule son hymne méditatif aux hommes, les travailleurs fous et parfois sacrifiés de cette entreprise plus grande que l'homme, plus grande que la montagne, plus grande que... et hymne au pays, au sol, à la nature, aux femmes. C'est emmêlé. Brut. La confrontation d'une réflexion ouvrière avec une dimension mystique qu'on doit pouvoir dire résolument catholique.

Par là le vertige d'une deuxième naissance moderne. L'homme qui a tout dépassé, et reste perdu et sacrifié (accidents et maladies respiratoires dues au travail dans les galeries), renait cependant, une sorte d'impossible seconde naissance d'après la mort d'un pays en tant que tel (un Valais agricole avec ses richesses particulières et son milieu irremplaçable).

On sent mais on ne sait pas. Et on redoute un peu le passage au Valais au gosier de grive. Que peut-il se passer avec ce surplus d'images, cette abondance, ne risque-t-on pas le trop, l'excès. Et en arrière plan cette question de la place de Chappaz comme grand homme des lettres suisses. Lui qui raconte sa redécouverte, que l'on découvre par cette redécouverte...

Dans Valais au gosier de grive encore des images et références nombreuses qui m'échappent... mais quelle force, et quelle précision. Avec une direction plus précise, cette méditation musculeuse semble s'épurer, les images s'imposent. Une force célébrée. Pas celle de la montagne, pas celle du travailleur, pas celle du paysan, mais la force d'un tout et d'une croyance, et avec cette notion de perte sans retour possible à l'ancien. Très particulier avec une sans doute rare question de la foi nouée ainsi avec la modernité, ou l'après de cette modernité, l'après de son accomplissement. Troublant. Sublime aussi sans doute. Presque tout s'articule dans ce chant de l'infime simplicité et de l'infime amour à la dimension "biblique" (quelque chose d'un rapport au temps repris à sa source "maintenant" malgré sa linéarité connue).

Il y a des défauts aussi qui sont racontés, pas tous avec tendresse d'ailleurs, mais les plus importants, les plus simples ne sont pas rejetés. Et ce sentiment de renaissance possible. Énigmatique, puissant, enivrant... Marquant, singulier. Et je ne m'y attendais pas. Pas de cette façon et pas sous cette forme que je ne soupçonnais pas pouvoir être aussi forte.

Bien embêté de passer en néophyte égaré sur ce fil (dont on peut toujours rêver qu'il s'étoffe un jour). Je suis impressionné et tellement "incapable". Si vous lisez ces textes il ne faudra sans doute pas avoir d'attentes et vous aurez de toute façon autre chose.

Je serai curieux d'impressions de gens du coin...  innocent  ou de Marko ou Tom Leo par exemple.

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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyVen 30 Mai 2014 - 23:22

Et un entretien "global" à lire : culturactif.ch

Citation :
Oui, et c'est l'adieu à ma propre poésie, telle qu'elle était. Cela va même plus loin qu'un adieu à la civilisation paysanne. C'est l'adieu à ma propre poésie. J'ai cru en somme à une gratuité possible à l'intérieur d'un certain monde harmonieux, et ma poésie s'est branchée sur une gratuité qui devenait toujours plus difficile à vivre personnellement. C'est un adieu, et c'est pour ça qu'à la fin du livre, il y a ce qui pouvait être amer…j'avais conscience d'une réussite poétique, d'avoir créé une teinte, et en même temps d'un échec social, du point de vue très direct, disons de situation. J'avais pu, avec l'enfance que j'avais eue, l'amour que j'avais reçu, avec Corinna, des enfants qui étaient nés, j'avais pu en somme avoir le paradis au bout des doigts et puis ça s'était volatilisé et il fallait rentrer à l'usine. Pour presque faire son devoir d'homme, il fallait devenir un esclave industriel. J'avais un ami qui me parlait toujours de la Dixence, André Guex, journaliste. Je me suis dit après "Allons, essayons, on verra bien". Et alors évidemment j'ai eu une chance immense parce que j'ai admiré à tous points de vue ce que j'ai vu, et puis mes patrons sont devenus tout naturellement mes meilleurs amis et là passionnés par l'écriture, sans écrire. C'était des géomètres italiens. C'est comme si on disait "Vous allez être en prison" et puis on vous conduit au contraire dans un magnifique parc.
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyDim 1 Juin 2014 - 21:51

extrait du Chant de la Grande Dixence :

Citation :
   Nous désirons tous un peu de force. En la désirant, on broie. Ma pire vision peut-être est, en marge du travail, celle des vieux des cantines aux têtes de suicidés, lugubres, édentés, éreintés par la combativité, les invalides devant leurs tranches de gâteaux et leurs tasses de café car ils ne peuvent plus boire de vin. Or le vin c'est la marihuana, l'opium, la coca la plus saine.
   Personne n'est méprisable. Je voudrais aller au fond des choses, gratter le mur visible, les barrages sous toutes leurs formes. S'il s'agit d'une épreuve, la sagesse et la bonté sortent aussi de nous, les tâcherons. Chacun succombe, chacun résiste mystérieusement, différemment à la Grande Dixence, ce poème de la force. Un corps est en train d'enfanter, une foule se rassemble derrière les quelques pionniers aux lampes. Je la sens derrière leurs épaules quand ils remontent vers les trous de montagnes s'encourageant, se moquant et flairant ce qui leur manque. Les forceurs de rivières ! Notre société leur réserve plus d'abîmes que les chantiers ou les glaciers.
   N'ayons pas peur de la juger. Elle tente tout le monde avec ses lumières, ses ambitions, ses fausses promesses. Elle entraîne chacun dans une extraordinaire course vers le progrès avec l'idée que les pierres se changeront en pains et que les hommes seront des patrons, seront des rois de quelque chose. Nous rétablissons, nous affermissons une prédestination sociale, il s'agit de s'y plier, d'être un rouage, d'être obéissant jusqu'à la mort. Quelle passion ! J'ai découvert l'amitié entre tous, de chacun pour chacun. Mais pour cela il faut aussi être contre les œuvres. Croyez-vous que la vie intérieure du plus faible manœuvre compte plus que les énormes barrages ?
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyLun 2 Juin 2014 - 9:28

Je note dans un coin...
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyLun 2 Juin 2014 - 22:50

et un court extrait du Valais au gosier de grive, ce n'est qu'une partie d'un des poèmes/chants ? :

Citation :
Beauté de des bassins de Babel :
algèbre pure,
digestion des étoiles comme un kilo de cerises
ou une cuillerée de beurre dans nos viscères.

Cruauté de Babel :
au chaos vont tous les objets
qui n'ont pas en eux du verre ou de l'acier ;
et à chacun, cette énigme
de l'utile et du forçat.
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyJeu 5 Juin 2014 - 9:20

Décidément ça me plaît ! Very Happy
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyDim 3 Aoû 2014 - 22:23

je ne sais pas trop si ce qui me passe par la tête tient la route mais je partage. le rapprochement entre le Chant de la Grande Dixence de Chappaz, le duo en fait avec le Valais au gosier de grive, avec le prédécesseur le Chant de notre Rhône de Ramuz, figure incontournable du paysage littéraire local (et plus si affinités). Quarante années entre les textes.

Ramuz suit le fleuve depuis sa source pour revendiquer une culture et s'attache au travail de la vigne.

La Grande Dixence capte avant de les lui restituer des eaux destinées au Rhône et le travail est autre, et les travailleurs ne sont pas tant les locaux que les voisins invités et souvent de plus loin que la Savoie, travailleurs immigrés pour travail difficile, ou locaux sans le sous.

La partie de Chappaz est plus sombre, d'une autre époque aussi, d'un avènement de la modernité qui implique peut-être de poser à nouveau la question. Dans le fond la réponse est peut-être identique : le travail, l'humanité, une part de rêve et d'accomplissement malgré la perte de (pays d'origine, une forme de vie simple aux contraintes différentes, plus simples justement ?) comme fondation avec le passage du travail de la terre, de façon différente avec le chantier mais quand même, et puis une lumière au bout du tunnel. 

Un peu de la même façon il s'agit aussi d'une histoire, d'une voix qui se démarque du mythe plus officiel qui voisine (la vigne d'un côté doit être un mythe, la réussite technique et une certaine imperméabilité de la neutralité de l'autre). On est pourtant loin du mime littéraire, comme en empruntant la pelle du voisin un autre trou peut être creuser.

Je ne sais pas si d'avoir lu Ramuz en premier aurait orienter mon approche, peut-être que le barrage de La Grande Dixence, difficile d'accès pour moi, m'aurait lavé la tête...

Les deux sont puissants, les deux sont intéressants et les différences ne font que renforcer l'intérêt.
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MessageSujet: Re: Maurice Chappaz [Suisse]   Maurice Chappaz [Suisse] EmptyMer 16 Nov 2016 - 22:10

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Testament du Haut-Rhône suivi de Les Maquereaux des cimes blanches

Et quelques citations de la presse datant de la sortie des Maquereaux...

Cette fois aussi j'ai apprécié l'association de deux textes de formes différentes. Le Testament est plus développé et est en prose poétique alors que Les Maquereaux est une suite de poèmes en vers libres.

Mais il n'y a pas que la forme qui change. Le Testament lourd en référence et allusions tant bibliques que valaisannes se révèle comme un puissante nostalgie prophétique. Une tonalité biographique assez sombre qui évite les repères temporels pour mieux faire appel à la nature, aux végétaux, aux oiseaux, à la terre. Il s'agit aussi de retours insistants, d'enfance, de gestes atemporels oubliés et d'une présence érémitique qui vient pourtant recouper le cours du monde, de la ville, de la société. Avec une préférence pour les marges tout de même. Extrêmement écrit, précis, immédiat, riche en symboles qui se passent d'explications, c'est un texte fort. Stupéfiant même. Son ton particulier pourrait susciter des réticences mais pour ma part j'ai très rapidement l'impression, qui s'est répétée, que ça faisait partie de ce que j'ai lu de mieux écrit en français. Enfin, de mieux ce n'est pas la manière de le dire. L'évidence que ça ne peut pas être autrement ? Et pourtant c'est sacrément dense.

Et donc ça fonctionne, c'est beaucoup de sensations et d'interrogations qui vous reviennent en pleine poire, avec ce plaisir d'une écriture sublime.

En pleine poire qui s'applique bien aussi à ces "maquereaux des cimes blanches". Rien d'abstrait là-dedans, la poésie est pamphlet. Rage, désespoir, appel, et visions de fin et de renaissance pour dénoncer la construction de la montagne, l'industrialisation, la perte de croyance et de nature. A souligner tout de suite que ce conservatisme, si on veut, chez Chappaz est très ouvert aux influences extérieures, aux gens. Mais pas aux magouilles, à la spéculation et à des valeurs dont il hurle le mensonge.

Une approche de la poésie qui n'oublie pas les petites fleurs mais ne sent pas le renfermé ou la douceur du salon. L'oiseau de malheur (compliment) ne manque pourtant pas d'amour. Avoir publié les deux dans le même livre permet de mieux sentir la motivation, l'enracinement de la conviction de Chappaz mais aussi la pluralité de son travail. Et là encore ça pose son pesant de questions. Effet dévastateur qui lui a valu injures et menaces, pas que mais la violence des extraits de presse laisse songeur (une pensée aussi pour Chessex).

Dévastateur.


XXVII

Capitale du désert

Les oiseaux de proie se partagent
le champ de bataille en hommes d'affaires
ayant traversé le désert
où discutent les nouveaux brins d'herbes.
Si j'étais là, j'écouterais le silence.
Et il y a des millions d’œufs
ainsi que de petits ciels
dans les cavernes fraîches.
Pourquoi suis-je heureux ?
Je suis aussi une bête,
je suis aussi un paradis.
Les files d'hommes entrant à l'usine
comme au lasso
tentaient de prendre les derniers jeunes gens - eux les hirsutes.
Et les ouvriers s'appuyaient aux guichets
tels des faucons apprivoisés
avec un capuchon qui tombait sur l’œil.
C'est alors qu'il y eut la grande crise
que je souhaitais :
ces catastrophes, ces famines,
abondances et errances.
Promoteur décidé du ciel bleu,
un des rapaces très chevalier du moyen âge
sur une borne fontaine
dit à un chat
qui flânait dans la ville empoisonnée
par le travail :
"Ils ont tous crevé sans religion."
Les montagnes à midi
sont comme de la boue bleue, de l'air pétri.
Moi j'entends les âmes qui tintent.
Évangile du désert
où pérorent les coquelicots.
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