Kelly Reichardt

La dernière piste

Citation :

1845, Oregon. Une caravane composée de trois familles engage le trappeur Stephen Meek pour les guider à travers les montagnes des Cascades. Parce qu'il prétend connaître un raccourci, Meek conduit le groupe sur une piste non tracée à travers les hauts plateaux désertiques. Ils se retrouvent perdus dans un désert de pierre.

Le cinquième film de Kelly Reichardt, le second consécutif avec la toujours remarquable Michelle Williams, est un western. Choix surprenant, pour une réalisatrice qui aime à évoquer des destins individuels davantage qu'à intégrer la notion de groupe, en l'occurrence des "pionniers" en route vers l'ouest ? Oui, mais finalement, non. Le western est un genre majeur qui, au-delà de ses codes, permet à un metteur en scène de le modeler à son propre univers et de lui donner un style, comme une marque de fabrique. La dernière piste n'est pas autre chose pour la cinéaste, une occasion de peaufiner sa manière, si particulière, et, tout en restant fidèle aux fondamentaux du western, de lui fabriquer une forme, rarement, si ce n'est jamais vue. Un film lent et contemplatif, diront ses détracteurs. Certes, c'est exact, mais cette austérité et cette exigence nous offrent un film organique, proche de la nature, plus dans une veine mystique que mythique, avec un refus catégorique du spectaculaire. Kelly Reichardt a choisi les paysages plats de l'Oregon, plutôt que ceux, plus évidents, de l'Arizona ou du Nouveau-Mexique. Leur nudité et leur sécheresse contribuent à accentuer l'impression d'isolement et de perdition de cette petite troupe, d'où émergent peu à peu des figures fortes de femmes (encore un aspect peu traité dans les westerns classiques, hormis dans l'excellent Convoi de femmes de Wellman). Une communauté perdue en plein désert et un étranger auquel elle doit confier son destin. La fin du film est ouverte, elle n'en est que plus belle.

J'espère pouvoir retourner dans les salles de ciné bientôt, pour pouvoir savourer ce genre de film.

La dernière piste

J'ai été très touché par ce nouveau film de Kelly Reichardt. Le choix de l'austérité et de l'épure permet de recréer les conditions d'une mythologie du western, et la réalisatrice s'empare de ces symboles (les pionniers, la frontière...) pour en chercher la racine. Si La dernière piste trouve son rythme dans l'expression d'un bloc de sensations, le récit semble toujours rester en suspension, à la fois remarquable dans son ampleur et poignant dans sa discrétion. Kelly Reichardt interroge des perceptions de l'altérité, bousculant les protagonistes en les confrontant au doute. Dans sa rudesse, le quotidien devient le motif d'un aveuglement, lié à l'incertitude et aux angoisses de l'instant.
Contre l'immensité d'un décor et une désorientation, les personnages ne sont d'abord que des points indistincts....puis des gestes, des paroles, soutiennent une tension et définissent l'individu face au groupe. Reichardt maintient jusqu'au bout un voile, un trouble, qui obscurcissent les actes de chacun. Elle reste fidèle à sa démarche, incarnée par le regard de Michelle Williams, qui dessine à la fois une obstination et une ouverture.
Il faut également souligner la richesse picturale du film, à travers l'éclatante beauté des lumières et des cadres. Le format 1:33, loin de l'exercice de style, devient un instrument de composition âpre et fascinant.

Une sorte de réécriture de western en manière de film de pionniers. Comprenez : les states se ne sont pas des cow-boys avec des flingues ce sont d'abord des gens simples qui cherchent une vie normale. Le milieu est beau mais hostile, surtout déshydratant. Trois petites familles de pionniers sont perdues au beau milieu de nulle part avec leur dur à cuir plein d'histoires de guide... un peu inutile. A la foi qui les aide vient s'ajouter un indien. Peu explicite dans les propos le film évite l'adoration brutale du bon sauvage qui garde beaucoup de mystère et un semblant de menace et surtout l'humanité qui va vers lui se fait royalement plus humaine que dogmatique. On se pose encore la question de la direction et du ou des guides à suivre, mais des choix sont faits.

Beau film et homogène, pas non plus parfait, il reste quelque chose de... carton pâte qui décale d'avec la rude réalité exprimée, et la même chose dans certains choix ou postures ? Je suis tout de même bien intéressé par ses autres films...

Ils ne l'ont pas sélectionné à Lille cette semaine... Bizarre

La dernière piste.

C'est tout de même superbe cette idée de ce tout petit écran carré pour filmer des grands espaces désertiques et dangereux : d'un coup, immédiatement, on colle à la vie des personnages, on sent l'enfermement au cœur de l'immensité (ça m'a pas mal fait penser à l'ambiance de Gerry de Gus Van Sant), et puis, ça nous cache le danger qui semble être partout possible.

Une rugosité, de la poussière, de la sécheresse : Reichardt arrive très bien à faire ressortir l'hostilité de ce territoire que les gens doivent traverser pour trouver la vallée.

Et vraiment, j'ai été complètement bluffé par la dérive de l'histoire : quelle surprise de voir le pouvoir passer des hommes aux femmes, et à l'étranger. Et ces regards de méfiance, de peur, ce côté animal, fragile, les acteurs sont vraiment très forts pour montrer la peur en quelques cillements. Une tension nerveuse dont on peut avoir du mal à se débarrasser.

J'ai aimé retrouver ce truc de la déambulation d'un être (ou de plusieurs) dans un lieu où il se sent perdu, déstabilisé, fragile, et où il dépasse quelque chose et se trouve lui. Où sa place se creuse.
Toujours ces conflits qui glissent vers une nouvelle hiérarchie où chacun essaye de trouver le bon équilibre. Quitte à déplacer les codes, les règlements.

Cela dit, je comprends l'impression de non-perfection d'Animal, et peut-être un aspect "carton-pâte", j'ai un peu sentie ça aussi, mais comme dans ses autres films. Je crois que Kelly Reichardt filme d'une façon où on ne peut pas oublier que c'est une histoire de cinéma. Il y a toujours des plans, des astuces rythmiques, des images, des dialogues qui font cinéma. Mais ça me plaît.

(Je ne comprends pas pourquoi on appelle ça un Western... et je comprends, du coup, les gens qui peuvent être déçus par rapport à cette attente).

Quelle réussite! Kelly Reichardt a pratiquement inventé le western archaïque, quelque part entre l'univers d'un Beckett et l'épure presque abstraite d'un Bresson ou d'un Antonioni (Ok également pour le lien à Gerry de Gus Van Sant, Queenie...) . Le film démarre par une prière qui inscrit le film dans une démarche métaphysique quasi biblique. Il sera question de paradis perdu, de la traversée d'un purgatoire, d'un arbre de vie (encore un), d'une quête existentielle qui pourrait devenir mystique avec l'apparition d'un messie dont on se méfie mais que l'on suit avec espoir. Ce microcosme d'humanité affronte ces épreuves différemment en fonction de ses peurs, de sa méfiance, de son humanité. Le personnage de Meek qui donne son titre au film (Meek's cutoff) est le guide spirituel engagé par ces couples pour traverser le désert, mais il est celui qui a la fausseté du jugement et les certitudes du paranoïaque qui refuse l'altérité et la confiance en l'étranger, qui génère la superstition et les fausses croyances, qui mène vers une impasse néfaste (un "raccourci" qui pourrait les mener tous à la mort).



Le personnage joué par Michelle Williams l'affronte et le remet en cause en observant l'inconnu, en lui accordant peu à peu sa confiance puis sa foi. Cet indien qui connait les signes de la nature, qui chante une incantation magique pour protéger l'homme agonisant, qui les guide vers un ailleurs inconnu.

La force du film est de transmettre cette parabole sous une forme simple et épurée, presque minimaliste, qui n'exclut pas pour autant la beauté du cadre et un superbe travail graphique et photographique. La bande son de Jeff Grace est hypnotique et intemporelle à souhait. Le contraste entre musique et image renforce ce sentiment de voyage abstrait. Il y a des plans émouvants sur les visages qui font écho à toute la mythologie du western. Je pense à cette magnifique séquence de chant de l'indien où on voit l'épouse de l'homme déshydraté pleurer à distance.

Evitez seulement l'heure de la sieste car la langueur hypnotique du film peut générer une certaine torpeur. Mais l'ensemble est formidable.

Question: la bande annonce montrait des images en format étroit presque carré (comme dans Fish Tank d'Andréa Arnold) alors que le film en salle est dans un format habituel... C'était le cas pour vous aussi? ou le film a-t-il été diffusé en format normal pour ne pas dérouter les spectateurs?

Marko a écrit:

Question: la bande annonce montrait des images en format étroit presque carré (comme dans Fish Tank d'Andréa Arnold) alors que le film en salle est dans un format habituel... C'était le cas pour vous aussi? ou le film a-t-il été diffusé en format normal pour ne pas dérouter les spectateurs?

Première superbe impression de ce film, et première ligne de mon avis : dans ma salle, c'était en format 4:3. Et Kelly Reichardt y tient (je copie-collerais une phrase d'itw où elle en parle). Très étrange que dans ta salle il était en 16.9... Tu devrais leur demander la raison.

Ça m'a presque frustre au début parce que j'aimais bien ce format d'image 4:3 de la bande annonce.  Je vais leur poser la question. C'est quand même un cinéclub (le Majestic) et c'est un peu une trahison par rapport au projet esthétique du film qui faisait sens. 

A priori, toutes les salles ne diffusant pas le film en numérique l'ont recadré...le Majestic est loin d'être un cas à part, et en effet, c'est vraiment dommage sur le plan esthétique.
Pour le reste, cela me fait plaisir de voir que tu as pu partager mon enthousiasme : tu as raison d'insister sur les plans de visage, qui révèlent beaucoup d'émotions contradictoires.

Old Joy passe sur arte mercredi 20 juillet 22h40

Old Joy

le départ posé dans un décor d'un peu avant (une naissance) et d'un peu après, après... la jeunesse et ces tâtonnements ? notre futur père de famille a l'air tranquille et qui respire dans son jardin reçoit un coup de téléphone d'un ami commun, de passage ? la tente, le chien, le break volvo (ex voiture de standing, nouvelle voiture de post-toxico-light ?) et c'est parti. le copain barbu a l'air un peu égaré. et surtout bavard, et encore plus quand il a fumé...

léger décalage, léger malaise, l'un a l'air de s'imaginer ailleurs et l'autre court après le fait que lui-même n'est pas tout à fait là et d'autant plus qu'il s'acharne à essayer de se trouver là. évocations d'expérimentations et élucubrations qui sonnent un peu fausses...

ils partent dans les bois, boivent des bières et s'amusent avec un pistolet à plomb, sans vraiment s'amuser. mélange d'accoutumance de l'un à l'autre et de faux semblant. Plus tard et parfois de rares moments de silences où ça a l'air d'aller.

Reste que si la rareté de ces moments est un bel objet du film et que le reste témoigne simplement mais pas mochement d'un profond malêtre ou malaise existentiel (et social)... il y a des choses autour dans les discussion ou dans les fonds qui font qu'on se demande s'il n'y a pas un peu plus mais quoi ? qui préciserait cet entre deux (suffisant en fin de compte).

Pas un moche film, pas un très beau film, un film un peu pénible avec son type qui parle tout le temps... je ne sais pas non plus trop ce qui va m'en rester ?

Night Moves

Malheureusement celui-là à part le sauna qui rappelle Old Joy je ne sais pas ce qu'il va m'en rester non plus... Je ne suis pas sûr non plus de m'être intéressé à quelque chose avec ces jeunes militants écolos un peu caricaturaux ou de leur action qui dérape... et pas plus de l'après entre engrenage et culpabilité. Pas convaincu par certains enchainements d'actions, il y avait certainement beaucoup d'idées derrière tout ça mais je me suis perdu au milieu du film trop mou et pas transcendant pour deux sous.

flop. ou pétard mouillé. et je partais avec un a priori positif...

Night Moves

Mon avis sera plus encourageant. J'ai aimé le malaise et l'opacité entourant les actions des trois protagonistes, et la culpabilité me semble en retrait tant les motivations et certitudes restent floues. Il y a l'illusion de pouvoir effectuer une révolte d'envergure sans laisser de traces, puis de repartir vers l'avant comme si rien ne s'était produit.
Le jeu très froid des acteurs accentue cette impression de détachement, d'inconscience et d'incompréhension. Night Moves est un film qui prend des risques, jusqu'à presque survoler son sujet apparent (l'engagement écologique) pour mieux comprendre la raideur d'une solitude en forme d'exclusion. Et cet isolement devient destructeur lorsque l'angoisse du passé et des conséquences s'impose à eux.
Certains détails du scénario sont un peu gratuits pour enrichir le suspense mais j'ai surtout retenu une fébrilité constante et une détresse amère.