David Mitchell

Arabella a écrit:

Ce qui m'avait un peu arrêté à la lecture de ce livre, c'est la discussion que vous avez eu sur les référances culturelles. Parce que je ne les aurai sans doute pas et je risque donc de décrocher.

Oh, il n'y a pas que ça, il ne se borne pas à un catalogue de références 80s tout de même . En plus d'un vrai sens de la formule et de la métaphore "prosaico-poétique", c'est la justesse de l'évocation du ressenti adolescent qui fait la vraie valeur de ce roman, et là tout le monde peut se retrouver. Il a d'ailleurs souvent été comparé à L'Attrape-Coeur (mais il est mieux, à mon avis)

Nezumi a écrit:

Il a d'ailleurs souvent été comparé à L'Attrape-Coeur (mais il est mieux, à mon avis)

tout à fait d'accord avec toi!

Cela devient une habitude sur ce forum de comparer un roman à L'accroche coeur, la dernière fois il me semble, c'était pour parler de Peter Cameron et de Un jour cette douleur te servira.

Enfin je note Le fond des forêt, mais ce ne sera pas tout de suite, il faut le temps pour atténuer la mauvaise impression de Cartographie des nuages. Et il faut qu'il soit en biblio, je n'acheterai pas.

Oui, digère ton traumatisme avant de t'attaquer à celui-ci, c'est plus prudent.

Arabella a écrit:

Cela devient une habitude sur ce forum de comparer un roman à L'accroche coeur, la dernière fois il me semble, c'était pour parler de Peter Cameron et de Un jour cette douleur te servira.

Ho, ce n'est pas propre au forum et ce n'est d'ailleurs pas une comparaison originale. Quand un roman a un narrateur adolescent, qu'il y a emploi d'un style familier et humoristique, et qu'il y est question d'apprentissage de la vie, il est bien souvent comparé au livre de Salinger.

Le fond des forêts ( Black Swan Green)
traduit de l'anglais par Manuel Berri
Editions de l'Olivier

Citation :

Les enfants qu'on embête se font tout petits pour éviter qu'on les remarque et qu'on les embête. Les enfants bègues se font tout petits pour éviter qu'on leur fasse dire un truc impossible. Les enfants dont les parents se disputent se font tout petits pour éviter une nouvelle dispute. Jason Taylor, le garçon triplement petit.

.
Et bien voilà, lu un peu en retard par rapport à la lecture commune, un joli roman sur l'adolescence. Qui n'a souvent jamais rien d'une période heureuse, surtout quand, comme Jason, on n'arrive pas à cracher les mots. Et qu'on lutte à l'extérieur contre des abrutis- souvent bien malheureux aussi, mais c'est difficile à comprendre à cet âge là- qui n'ont rien d'exceptionnel mais sont plutôt légions à cet âge et sont tellement à la fois attirants ( être comme eux serait tellement sécurisant) , terrorisants et mystérieux ( l'histoire du porte feuille est merveilleuse..).
Et à l'intérieur de soi contre deux épouvantails, le Pendu qui fait buter sur les mots et s'exposer aux moqueries de tous, et le Minable qui pousse à se fondre dans la masse des imbéciles.. Mais qu'on est aidé, quand même,par son jumeau fantôme, qui ne supporte pas le Minable, et avec lequel bien des discussions intérieurs ont lieu.
Dans un des chapitres, ce jeune et sympathique Jason rencontre une femme assez mystérieuse ,belge, qui lui ordonne de traduire en anglais le premier chapitre du Grand Meaulnes:

Citation :

Alain-Fournier sera ton premier maître. Il est nostalgique, tragique, ensorcelant, et il souffre, et tu souffriras aussi. Mais, le meilleur dans tout cela, c'est qu'il est vrai.

David Mitchell a lui-aussi écrit un roman "vrai". parce qu'aussi largement autobiographique.

Dans un entretien paru dans Le Monde, il dit:

Citation :

« C'est un fertilisant. C'est en cultivant la part autobiographique que la fiction croît et se développe. »

Le petit village anglais où Jason dissimule une passion pour la littérature et la poésie, c'est son village. Le décor, c'est son enfance.

Ce qui donne aussi de l'intérêt à ce texte, c'est la construction. C'est en fait une succession de nouvelles, avec chacune un thème bien particulier, mais les mêmes personnages. Avec pour chacune un début, un développement et une chute. Il les a réorganisées ensuite pour en faire un roman dans lequel on peut les considérer comme des chapitres ,
mais

Citation :

quand on écrit des nouvelles, il y a cet avant et cet après que l'on dit pas mais que l'on suppose. Ce n'est pas écrit, et pourtant cela compte : c'est la matière noire de la nouvelle. Son anti-matière. Sa narration invisible. Dans mon livre, je voulais que l'enchaînement des chapitres rende visibles cet avant et cet après.

.
Cela donne un rythme très particulier à ce roman, qui suit l'évolution de Jason au fil de l'année..

Un petit extrait :

Citation :

Mais il y a des trucs que même les orthophonistes ne peuvent pas comprendre. Assez souvent, même dans les pires périodes, il arrive que le Pendu me laisse dire ce que je veux, même s'il y a des mots qui commencent par des lettres dangereuses. Parce que 1) ça me laisse penser que je suis guéri et le Pendu se fait alors un plaisir de détruire cet espoir,et, 2) ça permet de laisser croire aux autres gars que je suis normal tout en me maintenant dans la peur qu'ils finissent par découvrir mon secret.
Il y autre chose, encore. Une fois, j'ai écrit les Quatre Commandements du Pendu.

1er commandement
tu te cacheras des orthophonistes
2eme commandement
tu étrangleras Taylor quand il aura peur de bégayer
3ème commandement
tu piègeras Taylor quand il n'aura pas peur de bégayer
4ème commandement
Une fois que Taylor sera devenu "le Bègue" aux yeux du monde entier, il t'appartiendra

On ne se remet jamais de ces véritables terreurs. Et David Mitchell en parle tellement bien qu'on comprend qu'il n'en est jamais sorti. Personne n'en sort. Mais lui a su les transformer en mots.

Marie a écrit:

On ne se remet jamais de ces véritables terreurs. Et David Mitchell en parle tellement bien qu'on comprend qu'il n'en est jamais sorti. Personne n'en sort. Mais lui a su les transformer en mots.

Merci Marie pour ton très beau commentaire..
en tout cas pour moi une lecture qui va me rester en très bonne mémoire - aussi à cause de la lecture en commun
Malheureusement toujours pas trouvé le bon moment pour tenter son Cloud Atlas

j'ai fini la lecture de Cartographie des nuages, que j'ai trouvé brillant, osé et très intéressant. Réussir à faire tenir autant d'histoires, de styles (du journal intime à la SF) et de personnages dans un même roman, m'a semblé réussi et audacieux. Je conçois les critiques que j'ai lues plus haut, mais du coup ça m'a encore plus donné envie de défendre ce livre (qui est difficile mais stimulant) et aussi d'aller lire le reste de sa biblio !

shanidar a écrit:

mais du coup ça m'a encore plus donné envie de défendre ce livre (qui est difficile mais stimulant)

des avis divers sont souvent stimultants pour d'autres d'aller à la découverte
trop d'unanimité est parfois suspect..

shanidar a écrit:

d'aller lire le reste de sa biblio !

on était plutôt unanime en ce qui concerne son livre Le fond des forêts, dont on a eu une belle lecture en commun

ici

Le 13 mai est sorti aux Etats-Unis, le nouveau roman de David Mitchell : The Thousand Autumns of Jacob de Zoet.
Des critiques (en anglais) sont lisibles ici.

Il a également écrit le livret d'un opéra, Wake, créé ce mois-ci, sur une musique de Klaas de Vries.
Bande-annonce de cet opéra, à voir/écouter ici.

eXPie a écrit:

Le 13 mai est sorti aux Etats-Unis, le nouveau roman de David Mitchell : The Thousand Autumns of Jacob de Zoet.
Des critiques (en anglais) sont lisibles ici.

merci pour cette information.. les critiques sont pour la plupart assez négatives.. et je viens de rechercher le résumé.. je le note mais je ne me précipite pas dessus

Moi encore moins

Si j'ai bien compris (lu très vite en diagonale), beaucoup de critiques reprochent à ce roman son classicisme et sa linéarité. Or Mitchell s'est fait une spécialité de l'éclatement de l'intrigue et de la chronologie.
Faut voir, je dirais, car les structures éclatées ça commence aussi à être banal.

Nezumi a écrit:

Faut voir, je dirais, car les structures éclatées ça commence aussi à être banal.

Ca, c'est bien vrai. Le nombre d'écrivains ou de réalisateurs qui se croient originaux en éclatant des récits sans que cela se justifie... (enfin, ça apporte généralement du mystère et de l'intérêt à une histoire qui, sinon, n'en aurait pas).

Un régal ce livre, qui retrace une tranche de vie d'un jeune garçon de 13 ans, issu d'un milieu modeste (sans être démuni toutefois), dans une petite ville britannique du Worcestershire, année 82, année Thatcher qui signifie : guerre des Malouines, crise économique et coupe sombre dans le personnel des entreprises (sans état d'âme), musique new wave à gogo, Doc Martens, et un tas d'autres références étiquetées années 80, pour le meilleur et pour le pire.

L'auteur a un don pour nous faire partager les peurs, les angoisses et les quelques moments magiques de Jason, qui souffre de bégaiement et d'une dispopularité (il est également poète caché derrière un pseudo car ça fait tapette dans la bande à Grant Burch) qui va le faire souffrir et endurer le pire, notamment au sein de sa classe.

Il n'y a que Stefen King qui a réussi à si merveilleusement à décrire ces peurs de l'enfance, celles qui nouent les intestins, je retrouve un peu de l'atmosphère de "ça" (tome 1).
Attention nous ne sommes pas dans l'horreur ou le fantastique, mais la notion d'appartenance au groupe, à une bande pour se sentir intégré y est aussi bien décrite.

Et puis il y a toutes ces petites touches années 80 (avec plein de groupes cités, Traversay serait aux anges: Duran Duran, The Specials, Madness, Adam Ant, Fun Boy Three, Joy Division, Elvis Costello et tous les bonbons, friandises qu'on avalait à l'époque, les nouveaux gadgets électroniques, les émissionde de TV , la série "Happy days" etc.....)
Cela dit même ceux qui n'ont pas vécu les années 80 peuvent aimer ce livre si attachant, mais j'avoue que j'étais en terrain connu et....aimé.

C'est en plus très bien écrit, il y a des astuces, des tournures, des descriptions très inventives.

C'est inoubliable comme lecture, à la fois rafraîchissant et terriblement émouvant par moments.
Me tarde d'en lire un autre.

darkanny a écrit:

Me tarde d'en lire un autre.

Aïe, c'est là que le bât blesse...
Moi aussi j'ai adoré ce livre et je me retrouve tout à fait dans ton commentaire. Mais ses autres romans sont très différents, des sortes de romans polyphoniques qui mêlent les époques, les lieux...Ce n'est pas si mal mais j'ai été assez déçue, il y en a même un que je n'ai pas compris, trop alambiqué (number9dream)