Minetti - Thomas Bernhard

Minetti



Comme le contenu de la pièce a déjà été évoqué et commenté, je n’y reviendrai pas.
Je voudrais surtout souligner la performance du magnifique comédien qu’est Michel Piccoli.
Avec la fragilité de son âge, sur scène, dans le rôle du vieux Minetti qui soliloque et ressasse ses rancoeurs à n’en plus finir, il crée un personnage bouleversant d’humanité, de sensibilité et de vulnérabilité perceptibles.
Minetti est un vieil acteur acariâtre, en colère…contre les gens de son métier notamment : les directeurs de théâtre, les spectateurs, les auteurs... Un presque misanthrope. Mais Michel Piccoli lui apporte peu à peu, au fil de la pièce, une douceur qui atténue son propos, une sensibilité qui nous le rend pathétique et émouvant, donnant par là même une dimension mélancolique à la pièce.

Tout est dans le travail et le talent (immense !) de l’acteur que rien ne peut sauver sur la scène à partir du moment où il y est entré, au risque d’une défaillance du corps ou de la mémoire (Michel Piccoli a 83 ans) tandis qu’il porte pratiquement à lui seul le spectacle sur ses épaules...

Ce texte qui ressasse sans cesse est d’une extrême difficulté…Outre sa mémorisation, comment savoir toujours, et de façon certaine, avec ces phrases qui reviennent, presque à l’identique, où l’on en est dans le déroulement de la pièce ?

Le public de Lille a rappelé cinq fois, de ses applaudissements nourris (et non pour la forme) un vieil acteur au sommet de son art.

Quelques extraits qui me parlent :

« Le monde veut de la distraction
mais il faut le perturber
le perturber le perturber
où que nous regardions rien
qu’un mécanisme de distraction aujourd’hui
Dans la catastrophe de l’art Madame
C’est dans la plus incroyable de toutes les catastrophes
De l’art
Qu’il faut pousser toute chose
Pousser vous entendez
Pousser

Le jeune homme
Que j’ai été
Qui est entré dans cet art dramatique mortel
Et s’est blessé à mort
Personne aujourd’hui
Pour se blesser à mort
Nous n’existons que dans une société repoussante
Qui a renoncé à se blesser à mort. »

[…]

« Mettre à la stupidité
Le bonnet de l’esprit

Sous le bonnet de l’esprit
Etouffer la stupidité
La société
Tout
Tout étouffer sous le bonnet de l’esprit
Fomenter un spectacle
Et mettre à la stupidité le bonnet de l’esprit. »

« Quand l’acteur crée le malaise
et il doit le créer
le public est rebuté
Il faut que l’acteur le crée
Le malaise rien d’autre »

PS : J’ai apprécié aussi la prestation de Julie-Marie Parmentier dans le rôle d’une jeune fille qui attend son amoureux, un transistor entre les bras. La gracieuse Julie-Marie Parmentier qui joua déjà Cordelia, la fille de Piccoli dans Lear (de Engel)

Marko a écrit:

Le tableau final le laisse seul et désespéré. Avoir partagé ce moment avec les parfumés restera un bon souvenir.

Un très moment de théâtre et d'amitié...

Merci pour tes mots Coline, quelle belle évocation!

Je ne savais pas que ces deux acteurs avaient déjà joué ensemble le rôle de Lear et Cordélia, d'où sans doute leur complicité qui est perceptible...
Dans un rôle quasi-muet, Julie Parmentier est en effet douce et émouvante.

Nezumi a écrit:

Je ne savais pas que ces deux acteurs avaient déjà joué ensemble le rôle de Lear et Cordélia, d'où sans doute leur complicité qui est perceptible...
Dans un rôle quasi-muet, Julie Parmentier est en effet douce et émouvante.

Merci Nezumi...J'ai vu surtout l'acteur, c'est vrai...Il en est toujours ainsi pour moi, au cinéma aussi...C'est ma passion de regarder le jeu des acteurs...

Et voici Julie-Marie Parmentier et Michel Piccoli dans Lear:

coline a écrit:

Et voici Julie-Marie Parmentier et Michel Piccoli dans Lear:

Oh, j'aurais aimé voir ça!!


Autre petit souvenir de la pièce:

Bien sûr le texte répétitif, obsessionnel de Thomas Mann, bien sûr Le roi Lear, mais j’ai surtout le ressenti d’une infinie tristesse pour ce vieux Minetti. Combien sommes-nous à nous accrocher désespérément à nos rêves de jeunesse en laissant filer le présent et oublier de vivre ? Pour lui, personne pour le tirer de son obsession, pour adoucir ses exigences, une solitude infinie finalement, un projet qui tourne en boucle, une descente lente vers la folie douce… Terrible…

Ca m’a renvoyée aux personnes âgées qui persistent à raconter leurs souvenirs, leurs craintes tout en voyant bien dans notre regard qu’on n’est pas vraiment là. Et qui continuent de raconter parce que c’est un bout de leur vie et de leur gloire, un peu de reconnaissance collective qu’ils ont pu avoir à un moment lambda de leur vie : une sortie du lot, de la masse, exister en tant qu’individu…

Piccoli était l’acteur pour ce rôle, évident, avec son vécu d’artiste, avec sa personnalité et son âge. Au théâtre, le texte sans l’humain n’est rien. Moi, ce sont les faiblesses qui m’émeuvent, pas la réalisation d’une espèce de perfection. N’oublions pas qu’il y a une lecture (interprétation) par lecteur.

Un partage à fleur de cœurs et d’âmes avec les Parfumés !

Nathria a écrit:

Un partage à fleur de cœurs et d’âmes avec les Parfumés !

Nous avons eu beaucoup de chance de partager ce (grand) moment ...

J'aime beaucoup le commentaire de Nathria parce qu'en effet, il me rappelle certaines situations, et le remords que l'on peut éprouver de n'écouter que distraitement les "radotages" d'une personne âgée.