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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
J'ai un livre de Brina Svit quelque part, je ne sais pas en quel langue il a été écrit.
seulement ses deux premiers sont écrits en slovène: Con brio et Mort d'une prima donna slovène, à partir de là, elle écrit en français mais ce n'est pas une auteure pour toi.. tu vas rester sur ta faim
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Deux prisonniers. L’un raconte. L’autre note. Le deuxième n’est qu’une ombre, une plume. Le premier est une légende, il s’appelle Keber. Un baroudeur, béret vert. Auteur d’un vol à mains armées. Mais surtout l’instigateur mythique du soulèvement de la prison de Livada, pendant lequel, les détenus avaient pris et gardé un bon moment le contrôle de toute la prison, encerclés par la police et l’armée. Nous suivons donc les événements de cette révolte, son histoire au jour le jour. Mais Keber raconte aussi d’autres événements de sa vie, tout ce qui l’a amené en prison, des bribes de son enfance, ses amours. Et son obsession depuis des années, la fameuse grande révolte des Juifs, et l’un de ses épisodes fameux, le siège et la prise de Massada. Un parallèle de plus en plus fort se dessine entre les événements de Livada et de Massada.
Quel livre. D’une grande richesse et complexité, plus que difficile à résumer, sans doute impossible. Plusieurs thèmes s’entrecroisent, plusieurs motifs et modes narratifs. Un côté suspens d’une grande efficacité, en ce qui concerne le déroulement de la prise de pouvoir par les détenus, et ensuite de leur encerclement, des négociations, de l’attente de l’assaut… Le fonctionnement du pouvoir, en prison comme un microcosme de la société en général. Terrifiant, sans doute parce que d’une justesse chirurgicale. Le goût du pouvoir, la façon dont il transforme les hommes faisant ressortir leurs aspects les plus sombres, la cruauté, la façon dont les forts dominent les plus faibles, l’incapacité de la masse silencieuse à s’organiser et de s’opposer à ses bourreaux. Mais en même temps tous les bruits dans la tête du narrateur, ses amours, ses élans, ses espoirs et rêves. Même si les rapports entre les hommes et les femmes sont plus que difficiles, à la limite de l’impossible. Et le très grand talent de l’auteur, est de faire de ce livre qui pourrait n’être que glaçant et implacable, quelque chose de poétique, et où l’espoir n’est pas absent. Une gageure, tenue de bout en bout, au plus grand plaisir du lecteur. A découvrir absolument.
silou Agilité postale
Messages : 601 Inscription le : 24/05/2012 Localisation : centre
En 1975, Keber, emprisonné à Maribor, en Slovénie, raconte la révolte de Livada (un pénitencier du Monténégro) dont il a été le meneur. Tout en réalisant le récit de cette révolte il la met en résonance avec le siège par les Romains au 1er siècle des Juifs de Massada, forteresse de Judée surplombant la mer Morte où Keber s'est rendu dans d'autres temps.
La présentation d'Arabella rend très bien compte de la richesse de ce livre, c'est vrai que le ton employé par Drago Jancar rend ce récit vivant, souvent ironique et jamais implacable. On a la chance de profiter certainement d'une très belle traduction, c'est sans aucun doute un auteur et un livre à découvrir.
ici un article publié à l’occasion de la remise du Prix Européen de Littérature à Drago Jančar.
Un autre livre de Dragor Jancar a été publié récemment : Éthiopiques et autres nouvelles (Éditions Arfuyen, 2012), il était en mai pour ce recueil l'un des invités (avec Boris Pahor pour l'Appel du navire) du Festival Etonnants-Voyageurs .
Voici la présentation faite par les Éditions Arfuyen :
" Traduit dans plus de vingt langues, Jančar est aussi réputé pour ses romans et ses nouvelles que pour son théâtre. Il a aussi publié des essais parmi lesquels L’âme de l’Europe (2006). Plusieurs de ses textes ont été traduits en français : L’Élève de Joyce, nouvelles (L’Esprit des Péninsules, 2003) ; Nouvelles slovènes (Autres Temps, 1996) ; La Grande valse brillante, théâtre (l’Espace d’un instant, 2007) ; Aurore boréale, roman, (L’Esprit des Péninsules, 2005) ; Katarina, le paon et le jésuite, roman (Passage du Nord-Ouest, 2009) ; Des bruits dans la tête, roman (Passage du Nord-Ouest, 2011). « Sismologue d’une histoire chaotique », il analyse avec la même lucidité les stigmates de la période communiste que les dérives de la société capitaliste. Dans son roman Désir moqueur, publié en 1996, il montre comment son personnage, Gregor Gradnik, un enseignant slovène qu’il accompagne en voyage d’études aux États-Unis, se révèle incapable, malgré tous ses efforts, de s’adapter à la culture américaine. Cet échec symbolise celui de la réunification du monde après la chute du Rideau de fer, qui s’est réalisée au niveau des institutions en laissant les peuples de côté. Partant d’une analyse très critique du monde contemporain, Jančar choisit le plus souvent pour personnages des êtres marginalisés et écrasés par la société et pour lieux des espaces clos tels que prisons, casernes ou hôpitaux psychiatriques. Face à ces situations dramatiques, Jančar se garde pourtant de verser dans une attitude de compassion ou de protestation. Bien au contraire, la distance et l’ironie constituent la marque de son style : « Jančar écrit des histoires puissantes et complexes avec une assurance dépourvue de toute ostentation. Il possède une sobriété qui, par comparaison, fait paraître vains les artifices d’écrivains prétendument modernes » (Times Literary Supplement, avril 2007). Le présent ouvrage rassemble six nouvelles inédites en français : Éthiopiques, la répétition – Prophétie – Mesures pour développer la puissance créatrice de l’homme – Les deux rêveurs – Son ange ne l’a pas abandonné – L’homme qui regardait dans le gouffre.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Merci de l'information de la parution d'un nouvel livre de Drago Jancar, silou. D'autant plus que j'avais énormément apprécié son précédent recueil de nouvelles publié, L'élève de Joyce.
Bizarrement, je me sens moins seule depuis que tu es sur le forum.
silou Agilité postale
Messages : 601 Inscription le : 24/05/2012 Localisation : centre
Bon, il va falloir que l'on se concocte quelques petites lectures communes
Je pense poursuivre la découverte de Drago Jancar avec Katarina, le paon et le jésuite, je l'emprunterai lors d'un prochain passage dans une bibli parisienne. Ton post sur ce livre donne vraiment envie d'aller plus loin.
Avant je vais retourner vers Boris Pahor avec Pélerin parmi les ombres.
Quelques autres auteurs slovènes ICI.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Deux prisonniers. L’un raconte. L’autre note. Le deuxième n’est qu’une ombre, une plume. Le premier est une légende, il s’appelle Keber. Un baroudeur, béret vert. Auteur d’un vol à mains armées. Mais surtout l’instigateur mythique du soulèvement de la prison de Livada, pendant lequel, les détenus avaient pris et gardé un bon moment le contrôle de toute la prison, encerclés par la police et l’armée. Nous suivons donc les événements de cette révolte, son histoire au jour le jour. Mais Keber raconte aussi d’autres événements de sa vie, tout ce qui l’a amené en prison, des bribes de son enfance, ses amours. Et son obsession depuis des années, la fameuse grande révolte des Juifs, et l’un de ses épisodes fameux, le siège et la prise de Massada. Un parallèle de plus en plus fort se dessine entre les événements de Livada et de Massada.
Quel livre. D’une grande richesse et complexité, plus que difficile à résumer, sans doute impossible. Plusieurs thèmes s’entrecroisent, plusieurs motifs et modes narratifs. Un côté suspens d’une grande efficacité, en ce qui concerne le déroulement de la prise de pouvoir par les détenus, et ensuite de leur encerclement, des négociations, de l’attente de l’assaut… Le fonctionnement du pouvoir, en prison comme un microcosme de la société en général. Terrifiant, sans doute parce que d’une justesse chirurgicale. Le goût du pouvoir, la façon dont il transforme les hommes faisant ressortir leurs aspects les plus sombres, la cruauté, la façon dont les forts dominent les plus faibles, l’incapacité de la masse silencieuse à s’organiser et de s’opposer à ses bourreaux. Mais en même temps tous les bruits dans la tête du narrateur, ses amours, ses élans, ses espoirs et rêves. Même si les rapports entre les hommes et les femmes sont plus que difficiles, à la limite de l’impossible. Et le très grand talent de l’auteur, est de faire de ce livre qui pourrait n’être que glaçant et implacable, quelque chose de poétique, et où l’espoir n’est pas absent. Une gageure, tenue de bout en bout, au plus grand plaisir du lecteur. A découvrir absolument.
silou a écrit:
Des bruits dans la tête
Spoiler:
En 1975, Keber, emprisonné à Maribor, en Slovénie, raconte la révolte de Livada (un pénitencier du Monténégro) dont il a été le meneur. Tout en réalisant le récit de cette révolte il la met en résonance avec le siège par les Romains au 1er siècle des Juifs de Massada, forteresse de Judée surplombant la mer Morte où Keber s'est rendu dans d'autres temps.
La présentation d'Arabella rend très bien compte de la richesse de ce livre, c'est vrai que le ton employé par Drago Jancar rend ce récit vivant, souvent ironique et jamais implacable. On a la chance de profiter certainement d'une très belle traduction, c'est sans aucun doute un auteur et un livre à découvrir.
Livre bâti en 240 pages environ comme un récit, sous la plume d'un détenu-scribe, d'un témoignage autobiographique d'une "personnalité" carcérale, Keber. Le style est parlé, monologuant. Avec des inévitables redites, retours en arrière, avec un curieux (mais, à mon humble avis, un rien tiré par les cheveux) parallèle avec La chute de Massada en l'an 66 narrée par Flavius Josèphe. J'ai même relevé quelques fautes d'orthographe (sans parler de syntaxe et de grammaire) dans la version française, ont-elles été laissées volontairement pour garder un cachet, celui de la brutalité de décoffrage, pour donner un cachet d'authenticité supplémentaire, une couleur ?
Pas besoin d'en ajouter des tonnes, toutefois, dans ce registre-là: Il y a de l'action, de la violence presque animale (bestiale, donc). De la testostérone -cet univers carcéral est exclusivement masculin. Le livre tient vraiment en haleine, le déroulé des péripéties, bien qu'entrecoupé des quelques brouillages et autres flashes-back volontaires, suit une chronologie qu'on peut qualifier d'ordonnée.
Alors, ce n'est pas tout à fait le style de littérature vers lequel je vais spontanément, celui que je prise; mais l'ouvrage "sonne" correctement. Et l'époque devrait, ou plutôt pourrait éventuellement, plébisciter ce type de livre.
L'auteur a été incarcéré suffisamment longtemps pour peindre à vif et à cru cet univers-là. Et les considérations sur le pouvoir -et, d'une certaine façon, sur l'avilissement et la servilité- donnent à réfléchir, l'angle d'attaque de ces problématiques-là, pourtant archi-rebattues, est inhabituel. Quant aux parts d'espoir et de poésie, repérées par Arabella, mettons qu'elles existent, mais elles restent si infimes, font-elles sens ici ?
Pour la curiosité des acouphènes dont il est question en titre, motus - c'est un des fils rouges du livre. Je recommande ce livre avec moins de chaleur que ne le font Arabella et Silou, mais n'allez surtout pas jusqu'à hésiter à vous y plonger, c'est à lire !
silou a écrit:
ici un article publié à l’occasion de la remise du Prix Européen de Littérature à Drago Jančar
Et ci-dessous une vidéo, interview impromptue de Drago Jančar en 2012 à l'occasion de la remise, à Paris, du prix de l'Inaperçu obtenu pour "Des bruits dans la tête":
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
J’ai tenté et j’ai gagné ! Fort, très fort, impressionnant.
C’est des années après, toujours emprisonné, que Keber, raconte à l’un de ses codétenus, pour la transmettre à la mémoire de tous, l’histoire de l'insurrection de la prison de Livada, dans un récit que l'oralité rend syncopé.
Donc, oui, c'est le récit de cette insurrection, de minute en minute, racontée comme un thriller, cette explosion de violence insensée pour une cause perdue d'avance. Les prisonniers sont d’abord portés par l'illusion de leur improbable puissance, d'une illusoire solidarité. Et puis, de petitesses en mégalomanie, de trahison en fascination du pouvoir, l'absurde apparaît peu à peu, l'impasse se dessine, dans une haletante course aux chimères. Et par des retours obsédants sur le siège de Massada, archétype de la résistance désespérée à l’enfermement, Keber donne à son récit une belle universalité.
Mais c'est aussi l’extraordinaire portrait de Keber, cet homme dont « on prononçait [ le nom ] avec respect », Keber, auréolé d’un passé qui le hante :
Citation :
Keber, son béret vert sur la tête, avait dormi au Vietnam parmi les cadavres, il avait traversé les océans en bateau, à Saint-Domingue il avait fait trembler des généraux en caleçon, en Russie des femmes avaient tenté de se suicider pour lui ».
Lui-même se voit tout autre, « esseulé et déglingué » :
Citation :
Bien sûr, je n'habite nulle part, c'est pourquoi je ne comprends pas tes bon Dieu et qu’ils ne me comprennent pas non plus
. Dans son récit halluciné de cette révolte qu'il a initiée et qui lui échappe, Keber intercale des réminiscences, des souvenirs, des rêves et des cauchemars, des fantasmes, des hallucinations obsessionnellement intriqués et répétés. Un interminable voyage dans des wagons à bestiaux dans son enfance, des missions répétées comme soldat ou mercenaire dans tous les coins du globe, la claustration d ‘une cabine de bateau, son amour impossible et dont il est captif pour la trop sage Leonca : sa vie entière n’a été qu’un enchaînement d’enfermements dont il garde ces « bruits dans la tête" comme autant de stigmates.
On croit lire un roman d’aventure, mais s’y camoufle une palpitante variation sur les thèmes de l’enferment, de la liberté, du pouvoir et du libre arbitre.
Le site de Massada
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Les grandes émotions sont muettes, dit-on. En tout cas, il y a des livres -et plein d' autres choses- qui me laissent sans voix. Sans mots pour les dire...
Bref, il m' arrive de penser qu' un grand livre se suffit à lui-meme. A quoi bon, essayer de le raconter, de le résumer ou de le commenter... De le réduire ou de le trahir, peut etre.
Mais par contre en moi, ça bouge, "ça tinte"... Pendant des jours et des nuits. En me promenant. Ou en me levant... Des bruits dans la tete... tout le temps...
Mais je suis content que vous l' ayez tenté. Peut etre, fianalement, dirai-je quelques mots tout à fait personnels. Pour l' instant, comme dirait Igor, ça mijote !
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Oui, on a toujours l'impression de trahir un livre qu'on a aimé, quand on le commente. Mais je me dis aussi que le commentaire d'un tel livre, je le lui dois. Qu'il faut en parler. Qui irait lire Jancar sinon? Surement pas moi sans vous deux, Bix et Arabella, donc, je dois poursuivre la chaine. (Ceci valant pour moi et je respecte ceux qui mijotent ou renoncent)
Et Arabella, des bruits dans la tête est tellement particulier que je me demande ce qu'il a écrit d'autre Jancar, j’attends donc ton commentaire avec impatience.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Celle qui a été vue, c’est Veronika, une jeune femme brillante qui fascine tous ceux qui l’approchent. Et cinq de ces personnes parlent d’elle, des souvenirs, de traces qu’elle leur a laissé avant de disparaître mystérieusement en 1944 en pleine guerre avec son mari…Petit à petit, par les souvenirs de ceux qui l’ont côtoyée, nous apprendrons un peu mieux qui elle était et quel fut son destin….En même temps, les personnes qui parlent se dévoilent, leurs choix, leurs vies, leurs fatalités se dessinent, ainsi que celle des époques pendant lesquelles leurs vies ont tracées leurs sillons.
Ce roman semble de prime abord simple, un tel ou un tel parle, se raconte et parle de Veronika, qui a été capitale, d’une façon ou d’une autre pour lui. Drago Jančar capte la personnalité et les particularités de chacun, avec son langage, ses points de vue, ses présupposés. Son déterminisme ou son destin. Mais à partir d’un moment, au-delà du portrait particulier de tel ou tel, c’est la nature humaine d’une façon beaucoup plus générale que l’auteur cherche à révéler. Et sa vision est d’une très grande noirceur. Et ce qui est peut être le plus terrifiant, c’est qu’en partant des portraits de personnages en somme sympathiques, dont on comprend les positions, il en arrive à évoquer les côtés les plus sombres et terribles des comportements humains. A quel point nous sommes tous déterminés par l’environnement, le groupe, un contexte. La bonne foi et la bonne volonté ne suffisent pas pour se dégager de ces engrenages.
C’est un livre très différent en apparence de son précédent roman « Des bruits dans la tête », ce dernier était métaphorique, presque abstrait dans son analyse de la violence, de la domination, des rapports de force, du fonctionnement de groupes. Là, nous sommes dans une histoire très concrète, avec des personnes sensibles, qu’on imagine très bien, dont la psychologie est parfaitement dessinée et crédible. Clairement situés dans le temps et dans l'espace. Mais au final, à travers ces histoires individuelles, c’est les mêmes mécanismes que l’auteur met en évidence. Et cela donne un livre bouleversant et difficile à oublier. Très beau et terrible. Qui m’a marquée pour très longtemps. Sans doute mon livre de l’année.