Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
 
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 Laurent Mauvignier

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swallow
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 13 Aoû 2007 - 0:06

Comme je crois que vous êtes plusieurs en ce moment à lire Mauvignier et Roth, je continue sur ma lancée:
"Plus sale". MAUVIGNIER.
J´ai trouvé beaucoup d´analogies avec Philip Roth (“ La bête qui meurt”).

(1) l´idée que seuls sexe et la jouissance seront capables de faire un pied de nez au temps qui fuit et à la mort qui guette sournoisement au bout du chemin.

ROTH:
"Le sexe ne se borne pas à une friction, à un plaisir épidermique. C'est aussi une revanche sur la mort. Ne l'oublie pas, la mort. Ne l'oublie jamais. Non, le sexe n'a pas un pouvoir illimité, je connais très bien ses limites. Mais dis-moi, tu en connais, un pouvoir plus grand ?" (La bête qui meurt).
MAUVIGNIER:
"Mais ce n'est plus le temps de se dire qu'il est vain de chercher à résoudre dans un corps qu'on ne connaît pas ce qui tient dans la tête"
"Ni de se demander, qu'est-ce qu'il peut, mon corps, quand je vais le charrier dans les draps et sous les ponts, quand je vais le livrer avec l'illusion d'oubli et la peur de la mort si forte qu'aussi forte alors ma solution c'est de m'y jeter, "
"Considère que n'est bafoué que celui qui ne sait pas étendre ses désirs ni prendre sur la mort la revanche d'une courte ivresse – oui, ces désirs que sans mal parfois tu traces dans la nuit
"

(2) Une autre idée chère à Roth et reprise par Mauvignier:
La biologie ( vieillesse, maladie) aura toujours le dernier mot sur l´illusion de liberté sexuelle et autres fallacieux affranchissements du XX s.
Derrière la conquète de la liberté resultant de la révolution sexuelle se cachaient bien d´autres dépendances, jouissives certes, mais non moins tyrraniques.
MAUVIGNIER:
"Ils rient, ces deux corps, de la sexualité épanouie et de l'amour libre. Ils rient de tout, là, avec leurs os évidés qui battent et le sang dans les veines, blanc comme neige. Ils iraient rire de leurs mains floues, des membres flous et des contours des bras, des jambes, les contours qui tremblent autour des arêtes, des angles de la chambre, du lit, du parquet. Et rire aussi de la retenue qu'ils avaient encore et qu'ils méprisent et conjurent maintenant que les mots peuvent se coucher et les corps se prendre"
Les deux auteurs utilisent le soliloque comme technique litteraire. Tout semble commencer par une radiographie, mais peu à peu le lecteur ( qui n´etait jusque là qu´une sorte de voyeur ) se retrouve propulsé dans le cerveau des amants, obligé ( tout comme eux) à reflechir sur la société, la solitude et la vie, le tout en plein feu de l´action, et au lieu d´un froid diagnostique, on a un roman bouillant et profond.
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Marie
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 13 Aoû 2007 - 2:10

Il n'est plus temps, puisqu'ils sont là tous les deux, face à face, de se dire que le corps ne délivre pas du désir du corps. Ni de se demander, qu'est-ce qu'il peut, mon corps, quand je vais le charrier dans les draps et sous les ponts, quand je vais le livrer avec l'illusion d'oubli et la peur de la mort si forte qu'aussi forte alors ma solution c'est de m'y jeter, entre les cuisses de celles que leurs maris regardent s'épanouir sous les coups qu'on jette à tour de rôle, s'enfonçant là où d'autres avant ont jeté ce qui les tenait à cran. Ni le temps de se demander jusqu'où pour se trouver il faudrait chercher – jusqu'où, maintenant, entre ces draps, ces deux corps peuvent-ils espérer en finir avec ce qui les tient en otages, cette furie qui les a fait se lever dans la nuit, fumer des cigarettes quelques heures, chercher déjà en fouillant entre les jambes une accalmie qui n'est pas venue et trébucher sur les images

Citation :
La biologie ( vieillesse, maladie) aura toujours le dernier mot sur l´illusion de liberté sexuelle
Je n'ai pas encore lu La bête qui meurt.Mais c'est intéressant, ce que tu dis. Tu parles biologie en insistant sur vieillesse et maladie. Mais j'ai souligné, dans un petit fragment du texte de Mauvignier ( que sa façon d'écrire est intelligente!!) ce qui est biologie dans le désir physique simple,et qu'il décrit très bien...
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Aeriale
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyMar 21 Aoû 2007 - 14:03

Citation :

Le livre est admirable et bouleversant...tellement humain !
Les personnages ne sont pas décrits. On les connaît de l’intérieur, à travers ce qu’ils se disent, comment ils soliloquent…Certains d’entre eux existent par la parole des autres. Et l’écriture de Mauvignier fait des miracles.
Parce qu’elle a beau être répétitive, s’interrompant, se reprenant dans un apparent désordre, elle est le pur reflet du chaos des événements et des esprits…
Parce qu’à aucun moment on ne s’y perd …
Parce qu’on se prend très vite à les aimer vraiment ces jeunes gens!

Tout ce que dit Coline est vrai : c'est troublant, poignant par endroits, on est très vite impliqués avec eux... Et pourtant, je n'ai pas été emportée par la foule, ou du moins, Mauvignier m'a stoppée dans mon élan.
J'ai dévoré la première partie, le coeur palpitant, toute excitée de cette promesse de bonheur de lecture.
Lorsque tout est dans le mouvement, on est complètement avec eux. Tout cela est parfaitement rendu: l'excitation, l'ambiance, les émotions ...jusqu'à la tragédie: bouleversant !

Et puis, les monologues commencent...Pas de dialogues, juste des voix intérieurs qui s'interrogent, ruminent, ressassent...L'auteur va très loin, dissèque les blessures, couche sur le papier des ressentis difficilement transmissibles, et c'est indéniablement très fort. Mais j'ai assez vite étouffé dans ce chaos interne... répétitions, non-dits, pensées qui tournent en rond ( collées pourtant au réel )et qui ont fini par me lasser.
Et pourtant.. que de belles réflexions! ( j'ai corné plusieurs fois les pages n'ayant pas de stylo!) mais il m'a manqué le souffle de la vie. Désolée de n'avoir pas accroché et surtout déçue de ne pas partager les avis de Coline ( et il me semble Marie aussi.)
J'en attendais beaucoup, et vos commentaires disent vrai. Mais je ne suis simplement pas faite pour ce genre d'écrits ! Crying or Very sad
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 3 Sep 2007 - 0:06

aériale a écrit:
Désolée de n'avoir pas accroché et surtout déçue de ne pas partager les avis de Coline ( et il me semble Marie aussi.)
J'en attendais beaucoup, et vos commentaires disent vrai. Mais je ne suis simplement pas faite pour ce genre d'écrits ! Crying or Very sad

Il faut reconnaître que Laurent Mauvignier, c'est un univers un peu particulier...
Ses histoires sur fond de drames doivent en rebuter plus d'un.
Une autre amie lectrice avec laquelle je partage souvent des goûts communs en lecture m'a dit avoir terriblement peiné à lire Dans la foule...
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 2 Juin 2008 - 22:15

Première découverte de Laurent Mauvignier avec Apprendre à finir .
Et l'envie de ne pas finir mais plutôt d'en découvrir davantage...

Ce n'est pas un roman d'amour mais un roman qui parle d'amour.
Comment continuer à aimer lorsque l'amour n'est plus réciproque, quand on a été trahi ?
Peut-on vraiment se mentir et faire comme si tout allait bien ?
La narratrice 'profite' de l'accident de son mari pour repartir à zéro. Elle va l'aider dans cette renaissance avec comme seul espoir: conserver leur couple.
Malgré les douleurs passées, elle va se battre. Est-ce une faiblesse ? une force ?
C'est apprendre à finir d'aimer, d'espérer, d'oublier, de se taire, de pardonner ...

Un petit bouquin où tous les mots sonnent justes. On se retrouve vraiment dans la peau de ce personnage avec ses angoisses, ses souffrances, ses interrogations ...
Un petit bouquin qui m'a un peu remuée. J'avais parfois envie de lui dire : plaque-le, il n'en vaut pas la peine !
Est-ce le goût du sacrifice qui fait qu'elle reste, la peur de repartir à zéro ou tout simplement l'amour ?



Il n'y avait pas de place pour imaginer ce qui se passerait plus tard, quand il irait mieux et qu'il faudrait vivre à nouveau sans que tout tourne autour de la guérison, mais aussi autour de la vie normale, de la vie et de tout ce que l'on met dedans pour la remplir, pour faire que les jours ce ne soit pas attendre, attendre un lendemain encore pareil, toujours pareil ...


Comme si j'avais oublié quelque chose et qu'à le ressentir comme ça, même vaguement, même très légèrement, ça pouvait dire que ça n'avait jamais disparu, que c'était juste caché, un peu enfoui mais pas disparu, non, pas totalement - on ne sait pas ce que ça a de force, tout ce qui fait mal. Et on croit avoir vaincu tout ça parce que juste on n'entend plus le vacarme que ça faisait avant.

Embarassed
Un petit moment d'adaptation a été nécessaire car le style est complètement différent du Harry Potter que je venais d'achever !


Dernière édition par menine le Lun 1 Sep 2008 - 19:39, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 2 Juin 2008 - 22:33

menine a écrit:
Première découverte de Laurent Mauvignier avec Apprendre à finir .
Et l'envie de ne pas finir mais plutôt d'en découvrir davantage...


J'aime qu'on dise beaucoup de bien de Laurent Mauvignier... content

Je ne peux plus rien écrire sur ce fil, j'ai déjà lu et commenté tous ses livres... jypeurien
conciliabule Mais le 12 juin, je vais pour la première fois lire Le lien (lecture publique)
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Bédoulène
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyMar 3 Juin 2008 - 12:36

Je te sens déjà en émotion rien que d'en parler Coline.

Tu pourras ensuite nous raconter tes ressentis.
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyDim 6 Juil 2008 - 21:56

Une petite nouvelle...d'actualité... Wink

Un caillou dans la poche

Il fait chaud, ce qu’il fait chaud, qu’est-ce qu’il fait chaud dit la mère en agitant le haut de son corsage entre deux doigts, le petit relevé et puis quand même on n’était pas si mal assis avant, il y a quinze ans, sur ces chaises, bon dieu de chaises pliantes couleurs arc-en-ciel, couleurs plus rien du tout maintenant. Elle dit : regarde-moi ça, ça s’effiloche de partout le dossier, ils tiennent plus les dossiers, on va se retrouver la gueule à l’envers les quatre fers en l’air ce qu’il fait chaud oh mon dieu ce qu’il fait chaud, à se trouver mal, il faisait pas si chaud avant. Elle continue (elle cherche du regard quelqu’un qui serait d’accord), toute la journée elle continue et puis les deux frères cherchent les raquettes, pour une fois qu’on va pouvoir jouer aux raquettes, avec de vrais raquettes maintenant, achetées exprès, pas avec un, dix, quinze, vingt volants qui finissaient toujours hop un coup de vent loin dans les arbres alors cette fois non : on a acheté des vrais raquettes, des vraies balles ils vont pouvoir jouer aux raquettes sur la même plage que quand ils étaient gosses, il y a quinze ans, tout pareil sauf que non, va pas déranger la petite ! elle dort ! ah, si la petite dort. Alors bon, pas question d’aller chercher les raquettes là où elle dort, le frère aîné sent le coup d’œil de sa femme et dit, tant pis, les raquettes attendront, on attendra. Ça fait quinze ans qu’ils attendent, les deux frères, quinze ans ils peuvent bien attendre une heure de plus et pas me la réveiller – c’est vrai, il fait si chaud dans les toiles, un vrai four les toiles de tente que les gamins pour dormir forcément, c’est la croix et la bannière, ils n’aiment pas ça et tiens, tous ils arrivent, les gamins, les deux grandes en tête qui traînent les jambes, le dos voûté on n’a rien à faire qu’est-ce qu’on peut faire, et puis les moyennes juste derrière, les grandes elles veulent pas, elles disent allez vous faire voir allez vous faire, et puis les petites, les deux petites, six et sept ans, tout ça, ça galope, ça galope dans les jambes et la mère dit à ses deux filles : Nadine ! Sophie ! Vos gamines ! Oh non, ça non, nous, ça oui, on vous tenez mieux que ça, ça oui, papa il vous tenait mieux que ça, et les deux beaux-frères sur la table de camping, à tour de bras ils battent les cartes et battent et disent en battant les cartes tiens, on boirait bien un coup en attendant l’apéro – mais arrêtez donc de boire s’égosillent en chœur la mère les deux filles et des deux frères en attendant les raquettes, tiens, l’aîné se sert à boire, à la vôtre, et l’autre dit c’est ça, et l’autre alors tourne en rond – quelle idée il a eu de venir en vacances avec eux, quinze ans après, on ne se souvient pas, on embellit, la journée d’été on la revoit comme avant, pas dans un camping grand comme trois quatre cinq terrains de foot avec des places de quoi mettre des villes entières, donc pas de places, pas de places du tout, tout le monde entassés les uns sur les autres, tout le monde empilés les uns sur les autres, non, on revoit plutôt les champs loués par les vieux paysans les loups de mer on disait, les loups la peau craquée sous le soleil, les cheveux blanchis, ça, c’est le sel, le soleil, la mer, tout ça, c’était les champs tranquilles avec juste deux ou trois voisins, mais de loin, de quoi gueuler courir jouer aux boules tranquilles, sans se dire jamais, mort de trouille, les enfants, mes enfants, où sont mes enfants. Non. C’était les champs avec l’âne du paysan au fond, près du puits, là où le vieux avait son jardin, mais tu parles quinze ans après le jardin les radis sont cueillis depuis longtemps et lui raidi cueilli aussi sec, plus de jardin, plus de grand-père ni béret ni âne, ni champs, tout ça depuis longtemps transformés en jachère, en désert, en villa Mon Cœur, villa Mon Rêve, eh oui, Bienvenue vous êtes chez vous c’est ça, c’est ça, on est chez vous.
Oui, toujours il fait chaud. Alors il tourne en rond sous les arbres et tiens c’est fini aussi le temps où on faisait des trous recouverts de branches pour voir qui serait le premier à se planter, c’est fini alors il tourne en rond sous les arbres, les grands sapins, il va seul à la plage parce que ce n’est plus comme avant, il jouerait bien aux raquettes mais au lieu de ça il se dit que c’est mieux d’essayer de croiser des regards. Si on essayait de trouver un regard. Il regarde beaucoup il regarde les corps, et les filles et les garçons, ah, bizarre, il ne les trouvait pas si laids avant, bizarre, en quinze ans pas possible le poids qu’ils ont pris. Ils viennent à quinze, à vingt, et la mère elle ne bouge plus, et la mère elle ronchonne, et les beaux-frères disent bonne-femme-ma-grosse quand ils parlent de ses sœurs à lui, et dieu dis donc, ça ne les fait pas rire, elles n’écoutent pas, elles n’entendent pas, elles ne rigolent pas, depuis longtemps on ne rigole plus avec le linge, ce linge, des tonnes de linge, et puis tout ça, ça mange – ça mange les enfants, ça boit les hommes, et tout ce monde ça court partout, ça s’agite, ça trépigne, on est les champions on est les champions, les hauts parleurs qui hurlent : ce soir Soirée Machin, soirée Machin tout ça n’existait pas il y a quinze ans, c’était plus beau il y a quinze ans, il tourne en rond il se dit c’était plus beau il y a quinze ans, tu parles, c’était pareil, moi, aussi vieux et laid et bête à tout rêver plus beau sous prétexte que c’est fini. Parce que c’est fini, mort, enterré, au suivant, on descend, quelqu’un dit : il faut vivre avec son temps et toujours il y a quelqu’un pour lui dire, il faut vivre avec son temps et juste lui voudrait répondre oui, ça dépend du temps parce que maintenant quand on mange le soir il y a les hauts parleurs et les enfants et les beaux-frères et puis, non, il manque un frère une belle-sœur épouse de, ceux-là n’ont pas pu venir vu qu’on travaille même en été, dur de travailler en été, on est tous serrés quand même, tous serrés les uns contre les autres, tous broyés concassés et c’est bizarre, ça ne réchauffe pas, d’être si près les uns des autres, comme ça, tous obligés de parler plus fort, plus fort on est très nombreux taisez-vous je n’entends rien, quoi, ah oui, le sel, il faut crier, crier pour avoir du sel, hurler pour le beurre, la moutarde ? Laisse tomber et passe ton tour. Il faut hurler toujours et la mère, elle, elle reste muette, la mère ne mange pas. Elle n’a pas faim. Lui non plus il ne mange pas. Il a un livre dans sa poche, les autres, ils parlent, les hommes, plus fort, plus haut, à boire, et elles, contre les enfants, va te laver les mains ! Te laver les mains. La mère, elle se lève avant les autres. Elle dit : je vais voir mon feuilleton. Lui, il écorne son livre dans sa poche, du bout d’un ongle, toujours le même ongle depuis quinze ans, toujours des pages sous les doigts, du papier sous l’ongle, dans la poche. Son livre, comme il y a quinze ans. Ça, ça tient. Parce que sinon, il y a quinze ans, il n’y avait pas de hauts parleurs, il n’y avait pas de beaux-frères, pas de belles-sœurs et ses sœurs étaient belles encore, elles rêvaient encore, il n’y avait pas d’enfants des enfants, pas de télé en vacances, pas de places numérotées, pas de gens pousse-toi-de-là-entassés, pas de soleil si chaud, pas de chaises toutes cassées, pas de gens gros même les jeunes, gros, gros et puis pas de, stop !
Enfin, peut-être il y avait tout ça. Peut-être, il se dit que c’était presque pareil, pas tout à fait mais presque et soudain pour lui il se dit dedans ce presque il y a un livre écorné dans ma poche. Et puis il se dit qu’enfant il avait un caillou dans sa poche, qu’il le touchait avec la pulpe du doigt, ou avec l’ongle, c’était frais contre sa peau, froid, c’était beau, c’était à lui, dans sa poche. Et toujours au bout le même trajet. Avoir dans sa poche, serré contre sa paume, quelque chose de muet qui dit non.


Paru dans L’Humanité du samedi 7 et dimanche 8 août 1999.
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 8 Sep 2008 - 20:50

Un p'tit com rapide à propos du livre Dans la foule.

C'est pas très original, mais encore un livre conseillé sur le forum et que j'ai beaucoup aimé.
Le sujet me tentais, j'étais curieuse de savoir comment on pouvait écrire un roman intéressant à partir du drame du Heysel !
Et bien, ça marche. J'ai été happée par ces personnages, par leurs histoires ,leurs rencontres improbables. Leurs vies, chamboulées suite à cette fameuse journée.
Il y a de la finesse dans la description des sentiments. C'est la douleur, la honte d'être encore vivant . Il y a alors un avant et un après le drame.
L'écriture colle au réel. On se reconnaît dans les gestes, les pensées.
C'est dur, c'est poignant ... et c'est beau (et je ne suis pas maso !)
(conciliabule un petit truc négatif : je n'ai pas trop aimé la fin ...)

Citation :
On m' a demandé comment ça allait, ce qui s'était passé. moi, j'ai dit les choses en tremblant, comme si c'était un souvenir d'une autre vie. Comme si on me demandait de raconter ce que c'était de prendre un bain dans le baquet en fer dans la cour, quand ma mère nous arrosait avec le jet d'eau en été ou bien la colique d'avoir mangé trop de rhubarbe, ou de dire ce que c'est que la confiture qui dégouline du sandwich et colle sur le carrelage comme collaient les fausses cicatrices qu'on se faisait sur les poignets, avec une bande de colle liquide et la peau qu'on pliait des deux côtés, en tenant très fort, jusqu'à ce que ça tienne. C'est comme ça que j'ai parlé. Comme ça que j'ai pu. Un peu. Seulement un peu. Parce qu'alors en même temps que les mots venaient je m'efforçais de chasser les images, car les images sont plus méchantes que tout parce qu'elles volent votre imagination. Alors, j'ai parlé comme j'ai toujours parlé, comme
toujours on m'a laissé la parole, c'est -à- dire que c'est comme si on m'avait demandé comment se fait-il que tu sois toujours vivant ? Hein, mon Jeff, dis ? Comment as-tu fait ça ? Comment fais-tu pour parler encore et comment oses-tu, tu fais bien, ça oui, drôlement bien de cacher tes mains sous le gobelet tiédasse, et de regarder le fond de café au lait que tu touilles encore pour voir si le siphon au milieu ira jusqu'à t'engloutir, en écoutant ta petite voix cahoteuse qui raconte, qui suffoque et s'étouffe de trop d'efforts, comme si dire pour elle c'était se plier à revivre des cauchemars alors que non, vas-y, raconte-nous, toi, puisque c'est par ça que tu t'étonnes encore d'être vivant.
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyLun 8 Sep 2008 - 23:00

Je ne me souviens plus précisément de la fin...On ne la rappellera pas bien sûr...Si desfois ton commentaire amenait quelqu(s) Parfumé(s) à ce roman... Wink
Je suis contente qu'il t'ait plus Menine...Pour toi comme pour moi, une histoire dans le cadre du foot (et cette histoire-là qui plus est)ce n'était pas gagné...
Mais c'est du Mauvignier!...
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyVen 31 Oct 2008 - 9:42

Ceux d'à côté

Citation :
Parce que Claire, sa voisine, lui a raconté ce que c'est de revivre sa propre mort chaque nuit, d'entendre un souffle d'homme derrière soi et de sentir sur son corps son odeur à lui, des semaines après.
Et parce que s'approprier l'histoire des autres c'est au moins commencer à vivre un peu, alors Catherine attend, le jour, la nuit, cet homme-là. L'homme qui marche dans la ville et rôde vers la piscine, dans les rues, parfois jusqu'à chez elle.
(Quatrième de couverture)

Une fois encore, Laurent Mauvignier nous plonge dans ces moments de vie qui ne sont que souffrance et douleur.
Elle, l'amie de la victime.
Lui, l'agresseur.
Les pensées de ces deux personnages alternent au fil des chapitres.
Deux personnages qui, chacun de leur manière, essayent d'exister après le drame.

Citation :
Non. Tellement je suis fatiguée de tout ce bruit. Mais bientôt ce sera fini et moi aussi je déménagerai, bientôt, et cette fois ce ne sera pas pour faire comme elle, ce sera pour faire comme moi, peut-être, à trouver un endroit pour moi, comme toute la journée je vais chercher un endroit pour être bien , peut-être prendre le bus qui va jusqu'à la mer, jusqu'à la forêt, un endroit où je pourrai écouter Schubert, ou Bach, oui, je vais plutôt écouter Bach parce que ce n'est pas moi qui aimais vraiment Schubert. J'écouterai la musique dans les écouteurs, toute seule, avec le ciel et les arbres, et tout l'avenir n'aura qu'à céder à l'instant toutes ses promesses et laisser juste cet instant à vivre, sans passé, sans avenir, sans rien, juste la musique et la mer , ou les arbres, le ciel, et puis moi et la musique, avec un peu de tranquilité. Avec ce sentiment de paix parce que soudain plus rien n'est à attendre qu'à goûter ce moment, pour lui, par lui. Qu'il n'y ait plus à faire semblant et vivre comme un hasard heureux ce moment, en se disant qu'il n'y a rien de plus beau que ça, la musique, le ciel. Et non plus s'imaginer un corps au coin de la rue qui regarderait vers chez moi, et me verrait, moi, à ma fenêtre alors que non, il n'existe pas. J'ai honte aussi de cette histoire alors que moi, Claire, c'est son malheur et moi je me sers de ça, comme de tout, pour vivre un peu de ce qui manque.

Je me rends compte que le 'Mauvignier' est une lecture qui se déguste seule. Sans bruit parasite, sans une grosse fatigue ...
Il faut être disponible pour ce style particulier aux phrases longues et déboradantes d'émotion.
Ce n'est pas une lecture gaie mais j'apprécie cette atmosphère particulière.
Je suis à chaque fois sous le charme de cette capacité à décrire les sentiments et les 'petits riens' quotidiens d'une manière si réaliste.
Cette capacité à nous transporter dans la tête des protagonistes. Nous sommes tour à tour Catherine et Lui (je ne me souviens pas avoir lu son nom).
Bref, encore un petit coup de coeur ! aime
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyVen 31 Oct 2008 - 18:36

menine a écrit:
Ceux d'à côté

[Je me rends compte que le 'Mauvignier' est une lecture qui se déguste seule. Sans bruit parasite, sans une grosse fatigue ...
Il faut être disponible pour ce style particulier aux phrases longues et déboradantes d'émotion.
Ce n'est pas une lecture gaie mais j'apprécie cette atmosphère particulière.
Je suis à chaque fois sous le charme de cette capacité à décrire les sentiments et les 'petits riens' quotidiens d'une manière si réaliste.
Cette capacité à nous transporter dans la tête des protagonistes. Nous sommes tour à tour Catherine et Lui (je ne me souviens pas avoir lu son nom).
Bref, encore un petit coup de coeur ! aime

content
Lecture qui se déguste seule...Oui, je suis d'accord avec toi...
Et même...pour ceux qui aimeraient ça...à voix haute...car c'est une langue de l'oral...Précise, ressassant jusqu'à la justesse, dans la profondeur...J'adore! (je l'avais déjà dit?... Very Happy )
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyVen 31 Oct 2008 - 18:42

J'ai vu que la semaine prochaine, France 2 diffuse un téléfilm coécrit par Laurent Mauvignier, Seule (mercredi 5/11, 20h55)

Citation :
Eric et Brigitte Nardier forment un couple sans histoire depuis huit ans. Comme chaque matin, ils se rendent dans l'entreprise où ils sont employés tous deux. Mais, dans la journée, un terrible drame se produit. Brigitte apprend avec stupeur que son mari s'est défenestré. Peu après les obsèques, l'atmosphère devient extrêmement pesante au bureau. Les sous-entendus sèment le trouble. Et l'insistance de la direction, qui veut savoir si Eric a laissé une lettre d'explication, ne font qu'accroître la douleur de la jeune veuve. Au sein de l'entreprise, mais aussi dans sa belle-famille, on évoque ouvertement d'hypothétiques difficultés de couple. Révoltée, Brigitte décide de se battre pour faire la lumière sur ce drame...
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyVen 31 Oct 2008 - 18:47

Nezumi a écrit:
J'ai vu que la semaine prochaine, France 2 diffuse un téléfilm coécrit par Laurent Mauvignier, Seule (mercredi 5/11, 20h55)

Citation :
Eric et Brigitte Nardier forment un couple sans histoire depuis huit ans. Comme chaque matin, ils se rendent dans l'entreprise où ils sont employés tous deux. Mais, dans la journée, un terrible drame se produit. Brigitte apprend avec stupeur que son mari s'est défenestré. Peu après les obsèques, l'atmosphère devient extrêmement pesante au bureau. Les sous-entendus sèment le trouble. Et l'insistance de la direction, qui veut savoir si Eric a laissé une lettre d'explication, ne font qu'accroître la douleur de la jeune veuve. Au sein de l'entreprise, mais aussi dans sa belle-famille, on évoque ouvertement d'hypothétiques difficultés de couple. Révoltée, Brigitte décide de se battre pour faire la lumière sur ce drame...

Aïe aïe aïe...J'ai toujours peur des téléfilms...
Lisez plutôt le livre...
En plus, le roman n'est pas du tout écrit en dialogues...Et c'est si important c'est la langue chez Mauvignier...
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MessageSujet: Re: Laurent Mauvignier   laurent-mauvignier - Laurent Mauvignier - Page 4 EmptyVen 31 Oct 2008 - 18:51

coline a écrit:

Lisez plutôt le livre...
En plus, le roman n'est pas du tout écrit en dialogues...Et c'est si important c'est la langue chez Mauvignier...

C'est quel roman ?
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