Laurent Mauvignier

Dans la foule

Ce livre m'a confronté à un drame dont je n'avais aucun souvenir. Si, si c'est vrai. Lorsque j'ai lu la quatrième de couverture qui parle d'après le désastre et du stade du Heysel je me suis même dit que c'était exagéré pour un match de foot - pensant qui'l parlait d'une défaite de l'équipe.
Alors je suis entré dans le livre, Dans la foule sans appréhension à la suite de Tana et Francesco, de Jeff et Tonino, de gabriel et Virginie et de Geoff, jeune supporter anglais, là pour suivre ses frères.
J'ai apprécié les hasards qui ont conduit Tana et Francesco dans ce stade - le cadeau pour leur mariage, mariage qu'ils ne comptaient pas célébrer, cadeau qu'ils ne voulaients pas. J'ai suivi Jeff et Tonino dans leur désir puissant de trouver des billets, se jouant de la gentillesse de Gabriel pour dérober leurs billets. J'ai suivi les anglais, grand amateur de bière dans les rues de Bruxelles. Et puis ça c'est précipité, la foule s'est bruyamment regroupée au pied du stade, les personnages sont entrés dans l'arène. ET là, Laurent Mauvignier nous dépeint le coeur du drame du Heysel avec des pages intenses, des mots d'une force incroyable qui m'ont touché et pris aux tripes. Car avec l'auteur, j'étais tour à tour Geoff, hooligan anglais, pas plus méchant qu'un autre mais qui suit le mouvement ; Gabriel qui reste hors du stade mais qui veut récupérer ses billets ; et Tana surtout qui, plus que tout autre, arrive à nous faire saisir l'horreur et l'indicible du drame qui s'est joué à ce moment-là.
Cette partie du roman est très réussie et m'a saisi de plein fouet. Puis, il faut faire face, oublier les griefs pour aider, aider les blessés, les choqués, les abandonnés et retrouver Tana.
Tonino, Jeff et Gabriel doivent retrouver Tana. Sauf que Tana n'est plus là ! Sans être morte, ils ne la retrouveront jamais tout à fait, retrouvant seulement son enveloppe charnelle, dénuée de désirs, dépouillée de son avenir. En nous faisant entendre les pensées de ses personnages, l'auteur nous fait saisir la multiplicité de l'horreur et du drame à travers les différents point de vue. Le livre m'a vraiment happé.

Et puis, il y a l'après. Trois ans après, le temps du procés, des colères. Sauf que Tana n'est plus là, n'a plus de volonté propre pour se mettre en colère. Elle dérive toujours. Cette dernière partie m'a moins emballé et ne vaut, à mes yeux, que par la figure de Tana, toute vouée à la perdition, aux nuits d'oubli et à l'alcool. A travers elle on perçoit la souffrance qui ne l'a pas quittée depuis le drame. Alors que les autres personnages ont l'air de rétrécir, de perdre de leur force. Je trouve que Geoff aurait eu sa place aussi dans cette partie-là. Mais l'auteur a choisit de ne pas juger les hooligans, où du moins pas directement ; parce que les états d'âme de Geoff à son retour à Liverpool suffisent largement comme jugement.

Un grand livre ! Et je me demande seulement si je l'aurait "mieux" abordé si j'avais su d'emblée ce qui allait se passer dans cette enceinte sportive... Comme quoi, je ferai peut-être mieux de lire les commentaires des parfumés avant de lire un livre - Là je n'avait lu que ceux sur Apprendre à finir".

Très beau commentaire Steven !
Je retrouve l'ambiance du livre et je suis entièrement d'accord avec toi à propos de la fin ...
La partie concernant 'l'après' et surtout la fin de l'histoire me semblait moins réaliste, plus décalée. J'avais été un peu déçue par les dernières pages et j'ai bien dit seulement les dernières pages !

Steven...j'espère que ton très beau commentaire (qui s'ajoute à celui de menine, celui de Marie et le mien) donnera aux Parfumés l'envie de se plonger dans ce roman tragique et magnifique...

coline a écrit:

Steven...j'espère que ton très beau commentaire (qui s'ajoute à celui de menine, celui de Marie et le mien) donnera aux Parfumés l'envie de se plonger dans ce roman tragique et magnifique...

C'est pas l'envie qui me manque, c'est le temps, et le bon moment. Mais j'y parviendrais un jour, je le sais!! (même sans Nain)

Queenie a écrit:

coline a écrit:

Steven...j'espère que ton très beau commentaire (qui s'ajoute à celui de menine, celui de Marie et le mien) donnera aux Parfumés l'envie de se plonger dans ce roman tragique et magnifique...

C'est pas l'envie qui me manque, c'est le temps, et le bon moment. Mais j'y parviendrais un jour, je le sais!! (même sans Nain)

On en est tous là Queenie...

J'ai retrouvé des notes de la conférence à laquelle j'avais assisté à Bordeaux, le 19 octobre 2006 (déjà deux ans et demi...)

Si vous voulez l'écouter, elle est toujours en podcast sur le site de la librairie : ici (bas de page)
Très intéressante.

Je partage beaucoup des commentaires ici, enfin de ceux qui aiment l'écriture de Mauvignier. Ses livres m'émeuvent, me bouleversent. Je le trouve tellement juste dans ses monologues intérieurs, il parvient à exprimer au plus juste le cheminement, les errances, les incertitudes, l'hébétude. J'attends avec grande impatience son prochain ouvrage!

Pour résumer un peu cette conférence (il venait bien sûr présenter "Dans la foule")

Les personnages

Le journaliste au départ constate qu’il y a une rupture avec ses livres précédents, « Dans la foule » est un « roman polyphonique » avec plus de personnages. Il demande à Mauvignier si ses personnages sont en lutte. L’auteur répond que tous ses personnages sont dans une traversée, un nœud noir, dans un état de tension par rapport à un désir, par rapport à un monde qui ne correspond pas à leurs rêves. Ses personnages sont des rêveurs, qui sont sur un fil permanent, dans l’incapacité à accepter une chose qui vient de se produire (un viol, un décès, une rupture…) Laurent Mauvignier précise que ce sont ces personnages étonnés par le réel qui lui permettent d’écrire leur monologue. Ses protagonistes ne sont donc pas « en lutte », car il y aurait l’idée d’une décision, or ce n’est pas le cas.
Le journaliste lui demande à un moment qui il choisit de faire parler ? Pourquoi Jeff et pas Tonino par exemple. Il répond que Jeff est celui qui est en retrait, qu’il est donc pas essence le narrateur, contrairement à Tonino, qui est dans la séduction, L. Mauvignier a alors ces mots « on ne peut pas faire du vélo et se regarder pédaler », ceux qu’il choisit comme narrateurs sont les observateurs de l’action, il établit une hiérarchie des personnages car ils n’ont pas tous le même intérêt narratif.


Le processus d’écriture

Mauvignier raconte qu’il a au départ une idée très nette de ce qu’il va écrire, mais que plus il avance, moins il a de certitudes. « Ecrire nous fait désapprendre ce que l’on pensait savoir ». Ses personnages, qui sont dans l’hébétude sont aussi le reflet de l’auteur qui est perdu, qui ne sait plus.
Il raconte qu’avec le personnage de Tana, il a eu une sensation de chute dans l’écriture, qu’il lui était difficile d’assumer jusqu’au bout même si « il connaissait cette histoire par cœur » Il avait vu un film de Pialat, et il pensait à Isabelle Huppert quand il décrivait Tana… Il aimait « souffler » avec les autres personnages, car Tana avait/était pour lui une présence insoutenable, elle « était là dans sa vie » contrairement à Jeff, qui avait une présence plus chaleureuse, type copain.

Une rupture annoncée avec « Dans la foule » ?
Pour Mauvignier, « Dans la foule » marque un tournant évident, plus un approfondissement qu’une rupture. Pour lui, l’idée de fond est de restituer l’expérience de la douleur, c’est ce qui lui paraît essentiel, et si les lecteurs le ressentent comme tel, alors ça lui paraît énorme.





(Le lendemain de sa venue à la librairie, il était dans un théâtre, a fait une lecture plus ou moins mise en scène de sa pièce "Le lien" (pas en entier toutefois) avec une comédienne, "Le lien" est son livre que j'aime le moins mais l'entendre dire son propre texte fut immensément émouvant.)

(J'aime beaucoup la dédicace, le fait qu'il ait ajouté "Jamais" devant "Seuls"...)

La librairie avait fait un portrait aussi :

Ici

Citation :

Le travail de la parole

Au moment de s’atteler à la tâche quasi journalière de l’écriture, Laurent Mauvignier dit avoir recours à l’imperméabilité sonore des boules Quiès, ce afin d’être plus réceptif à l’émergence des différents monologues qui sont en quelque façon le substrat, sinon l’architecture, de sa poétique singulière. Tout écrivain n’exhume-il pas ces petits riens sibyllins qui s’agrégent pour donner corps au texte et imprimer son seing au style ?
Véritable « lieu réceptacle » de l’autre de la parole vive, non seulement il se protège des bruits importuns, mais il se garde aussi de mettre sa personnalité en scène. Étrangère à la dimension pontifiante et exclusive de la narration omnisciente, la voix de Laurent Mauvignier s’absente volontiers, s’évide, pour qu’en son creux jaillisse une parole qui « se donne et se cherche… » Lors de la sortie de son dernier opus, le magistral Dans la foule, des critiques patentés se sont empressés d’enfermer l’œuvre dans la catégorie « roman choral ». Passablement irrité, l’écrivain récuse cette étiquette insigne. Fidèle au credo rimbaldien « Je est un autre », il n’est pas sans savoir que toute voix est un entrelacs vertigineux de voix interstitielles.
Dans l’ensemble de son œuvre, chaque personnage, appelé à « retourner au lieu de sa douleur » (Dans la foule), est comme rivé à l’impératif « de dire ce qui défie la parole » (Le Lien). Mauvignier avoue être sensible à « cette idée de Léonard de Vinci, qui veut qu’une fissure contient tout le possible de l’univers ». Ces innombrables « brèches » sont tout à la fois l’impossible à exprimer et le « point d’accroche d’où faire parler ». Chaque fois, soit dans le huis clos d’un drame familial (Loin d’eux ou Apprendre à finir), soit dans l’indifférencié d’une catastrophe (Dans la foule), un événement extérieur divise le sujet de la parole et déclenche l’hémorragie verbale. Confrontées à l’« étrangeté des autres » que l’on « aime, oui, pour ce qu’on voudrait aimer de soi qu’on ne comprend pas » (Ceux d’à côté), à la perte d’un être cher ou aux relents mortifères d’une horde fascisante, des voix solitaires et endeuillées s’affairent à reconstituer le puzzle d’une histoire toujours lacunaire, quelle qu’elle soit, intime ou collective. En outre, la faille irréversible et disruptive du réel renvoie chaque personnage à un traumatisme personnel, une perte bien antérieure, « un ravage plus grand » (Seuls).
Les romans de Laurent Mauvignier sont essentiellement composés de monologues juxtaposés ou enchâssés qui n’ont pas l’improbable vertu des vases communicants. Même Le Lien, ce dialogue concis et savoureux qui n’est pas sans évoquer le théâtre de Nathalie Sarraute, semble n’être qu’un double monologue. Lui et Elle n’ont-ils pas « patiemment, fabriqué cette déception qui est là, et contre laquelle », quand bien même la lutte, les mots, qui sont « comme des gamelles creuses dont le fer ne fait résonner que du vide » (Dans la foule), ne peuvent rien ? Selon Marthe, la mère de Luc, « les mots il ne faut pas les croire » car « ils ne poussent pas au bout, ne disent pas jusqu’au ventre les vérités qu’on éprouve » (Loin d’eux). Écrivain de l’incommunicable, Laurent Mauvignier met en scène une parole qui s’obstine à vouloir cerner le réel et achoppe sur l’indicible. Peut-être, comme le suggère le père de Tony, faut-il nous soumettre humblement à « cette vie qui nous est faite d’être condamnés au partage des ratages, des erreurs » (Seuls) ?
Au-delà de ces voix sondant inlassablement la part sombre de la vérité, sourdent d’autres voix, moins anonymes : celles d’auteurs chers. Si la prose de Laurent Mauvignier ne souffre d’aucune référence surnuméraire, maints clins d’œil sont néanmoins distillés dans l’oeuvre. Baudelaire ne se cache-t-il pas derrière le titre Loin d’eux ? Plus sale n’est-il pas un pastiche de L’homme assis dans le couloir de Duras ? De la littérature, Mauvignier dit, intarissable, qu’elle est « un seul grand arbre, avec toutes ces ramifications… ». Il aime l’« art de la miniature et de la dédramatisation » de Raymond Carver, l’« énergie destructrice » de Thomas Bernhard… Mais il avoue qu’il est « difficile de parler de livres, quand c’est d’abord la vision de l’auteur qui importe, qui est au cœur de tout, et dont les livres ne sont que des moments plus ou moins réussis de l’expérience. » En tant que lecteurs, nous pouvons simplement lui signifier que ses œuvres sont des moments très réussis de son expérience.

- Jérôme Goude

Ouhlala!...Tu as bien fait d'arriver jusqu'ici Li!...
Merci!...

Li a écrit:

Je partage beaucoup des commentaires ici, enfin de ceux qui aiment l'écriture de Mauvignier. Ses livres m'émeuvent, me bouleversent. Je le trouve tellement juste dans ses monologues intérieurs, il parvient à exprimer au plus juste le cheminement, les errances, les incertitudes, l'hébétude. J'attends avec grande impatience son prochain ouvrage!

Je pourrais dire la même chose, mot pour mot...

Le prochain livre de L. Mauvignier a pour titre "Des hommes"

Citation :

Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements », en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d"une journée d’anniversaire en hiver, d’un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.

Il sortira le 3 septembre.

Sur le site des Editions de Minuit, les premiers pages à lire

(je ne tiens plus sur mon siège là )

Li a écrit:

(je ne tiens plus sur mon siège là )

c'est bien de voir un tel enthousiasme..

et en ce qui concerne ce résumé.. je suis partante pour découvrir cet auteur.. très grande tentation

kenavo a écrit:

c'est bien de voir un tel enthousiasme..

Et encore, je me suis retenue niveau smileys. J'en mettrais des pleines pages, des qui bondissent, des qui sont contents, des qui sautent partout... si je pouvais!

kenavo a écrit:

et en ce qui concerne ce résumé.. je suis partante pour découvrir cet auteur.. très grande tentation

Li a écrit:

Et encore, je me suis retenue niveau smileys. J'en mettrais des pleines pages, des qui bondissent, des qui sont contents, des qui sautent partout... si je pouvais!

je viens de voir pour la date.. ohala.. tu devras encore dépenser beaucoup de smileys.. 3 septembre.. c'est encore une éternité

kenavo a écrit:

je viens de voir pour la date.. ohala.. tu devras encore dépenser beaucoup de smileys.. 3 septembre.. c'est encore une éternité

Je n'ai vu la date qu'après, toute focalisée que j'étais sur les premières pages... En effet, ça me semble trèèès loin mais ( )

Li a écrit:

Le prochain livre de L. Mauvignier a pour titre "Des hommes"

Citation :

Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements », en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d"une journée d’anniversaire en hiver, d’un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.

Il sortira le 3 septembre.

Sur le site des Editions de Minuit, les premiers pages à lire

Enfin!...Un nouvel ouvrage de Laurent Mauvinier!... ...Je patienterai avec délice...

coline a écrit:

Enfin!...Un nouvel ouvrage de Laurent Mauvinier!... ...Je patienterai avec délice...

Tu as lu les premières pages Coline?