Lucas Belvaux

Queenie a écrit:

shanidar a écrit:

38 témoins

quelle bonne idée de choisir la ville du Havre pour tourner ce film glauque, amer, à l'image de cette Normandie aux habitants taiseux, fermés, apeurés, tristes et gris...

Jconnais quelques normands... ils ne correspondent pas du tout à cette description.
Ou alors, ils cachent bien leur jeu.
Du coup, ça me donne envie de voir l'image du Havre à travers les yeux (et les stéréotypes) de ce film : ça pourrait être intéressant.

je suis normande et j'ai retrouvé dans le film les pires aspects de cette région : pas de sourire, pas de paroles, la peur de l'autre ; il faut voir les difficultés de N. Garcia, journaliste pour obtenir autre chose qu'une porte qui claque et un type qui lui hurle dessus... Le film est très lent, très lourd, à l'image du temps normand (voir l'image du train traversant la bruine) , ce ciel qui pèse, cette plage qui ressemble à une déchetterie, cette ville qui est bétonnée, statique, vide, effrayante de repli sur soi. C'est cette image-là que Belvaux choisit de montrer et de sur-démontrer dans son film.
évidemment il existe une autre normandie de pommes et de fromages mais ce n'est pas l'image d'épinal choisie par Belvaux, même les scènes en mer sont étouffantes, figées.

38 témoins

J'ai beaucoup d'estime pour le cinéma de Lucas Belvaux et sa lucidité dans son approche d'enjeux sociaux. 38 témoins se heurte certes à plusieurs pièges car le récit est trop déterministe dans l'évocation des personnages, forcé dans l'analyse d'un évènement qui semble alors presque fantomatique. J'ai cependant été beaucoup touché par la tristesse mortifère qui se dégage de la mise en scène, ainsi que par l'impossibilité de pouvoir libérer une parole. La perception d'une incompréhension et d'un blocage dans un rapport au monde sont décrites avec une rigueur étouffante, qui creuse par sa rigidité des failles intériorisées. La ville est le miroir d'une solitude et la fixité des plans saisit une détresse insondable, qui doit malgré tout offrir les perspectives d'un ailleurs.

Plutôt une bonne surprise là où je redoutais la nième variation caricaturale sur l'amour empêché par les antagonismes sociaux. Le film est plus subtil que ça même si les oppositions existent bel et bien entre ce jeune prof de philo parisien qui aime Kant ou Dusapin et cette coiffeuse d'Arras qui adore les karaokés, le carnaval et Anna Gavalada. Il y a une passerelle possible entre les deux au-delà du désir sexuel avec de vrais moments de complicité (notamment littéraires à travers Zola, Giono ou Proust).



Mais la générosité d'Emilie Dequenne va de pair avec les complexes qu'elle finit par éprouver. Réciproquement Loïc Corbery est autant touché par la vitalité et la sensibilité de cette fille qu'il reste enfermé dans une certaine froideur intellectuelle et une politesse de convenance.





Ils font des efforts pour apprivoiser l'univers de l'autre mais commettent aussi tous les deux des erreurs assez cruelles. Ce n'est pas à sens unique. Lucas Belvaux ne prend pas parti même si c'est Emilie Dequenne qui est le plus souvent sublimée et montrée de manière solaire avec quelques éclipses. Il a de la tendresse pour les deux personnages. Ce qui entrave leur amour est moins la différence de milieu social et d'éducation en elle-même que leurs appréhensions et complexes qui poussent l'une à se moquer de sa préciosité et de sa raideur et l'autre à avoir honte d'elle malgré lui en situation sociale...Donc une comédie dramatique sentimentale plutôt touchante et délicate.