Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Yoji Sakate

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Marko
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Marko


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MessageSujet: Yoji Sakate   Yoji Sakate EmptyJeu 11 Mar 2010 - 22:11

Yôji Sakate
Yoji Sakate P10


Citation :
Yôji Sakate est né à Okayama (Japon) en 1962. Diplômé en littérature de l’université Keiô de Tokyo, il fonde la compagnie théâtrale Rinkôgun en 1983. Depuis, il a écrit et dirigé la plupart des pièces jouées par sa compagnie. Encensé par la critique pour son regard affûté et journalistique sur la Japon actuel ainsi que pour la richesse de sa technique théâtrale, Yôji Sakate est un auteur prolifique dont les pièces explorent principalement les problèmes sociaux contemporains de son pays. Plusieurs de ses pièces ont déjà été jouées hors du Japon, aux Etats-Unis, en Australie et en Allemagne. Yôji Sakate est également vice-président de l’Association Japonaise des Metteurs en scène de Théâtre.

Son travail de metteur en scène et de dramaturge a été récompensé par de nombreux prix, notamment :
- Prix d’art dramatique Kunio Kishida pour Breathless, les sacs poubelles de Tokyo en 1991
- Prix Yomiuri du meilleur dramaturge pour L’Empereur et le baiser en 2000
- Prix d’art dramatique Kinokuniya pour Abe Sada et Mutsuo en 2002
- Prix de dramaturgie Namboku Tsuruya pour La chute de Boddhidharma
- Prix Asahi des arts de la scène
- Prix spécial du jury du grand prix de dramaturgie Yomiuri.

Pour Le grenier, il obtient lors de sa parution en 2002 le Prix Yomiuri du meilleur dramaturge.


Le grenier
Yoji Sakate F-341-11

Comme je vais bientôt voir cette pièce de théâtre à Paris, j'en ai profité pour lire le texte de Yôji Sakate qui évoque la société japonaise contemporaine à travers le thème des hikikomoris. L'idée est originale: un jeune homme s'est suicidé après s'être enfermé pendant quelques temps dans un "grenier" en kit commandé sur internet. Son frère veut retrouver les constructeurs inconnus et on rencontre tout au long de ces 24 courtes scènes une galerie de personnages très divers qui représentent le monde japonais contemporain. Chacun à ses raisons de venir s'isoler du monde extérieur. Le ton est tour à tour humoristique, poétique, onirique, dramatique... On y croise des sans abris, un pervers et sa victime, une mère castratrice, des samouraïs qui semblent surgir du passé... Cet espace minuscule peut devenir un refuge de montagne, une chambre de passe, un cercueil...

Yoji Sakate Rinkog10

Tous fuient un monde oppressant, anxiogène, de plus en plus absurde. C'est le Japon mais c'est aussi un microcosme plus universel où le grenier devient l'interface entre le conscient et l'inconscient, le corps et le fantasme, une matrice protectrice ou une prison, un lieu d'apaisement ou d'affrontements... L'écriture est incisive, souvent drôle et touchante. Une belle parabole qu'il me tarde de voir sur scène.

Yoji Sakate F-a39-11
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Marko
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MessageSujet: Re: Yoji Sakate   Yoji Sakate EmptyDim 21 Mar 2010 - 19:09

J'ai donc vu la pièce jeudi soir et, même si j'ai passé un bon moment, il y avait quelques longueurs sur 1h45 (certains spectateurs quittent d'ailleurs la salle). Tous les "épisodes" n'ayant pas le même intérêt. C'est surtout que l'auteur souhaite montrer la société japonaise sous tous ses aspects et il y a forcément des moments plus anecdotiques entre les scènes burlesques et les dérives métaphysiques ou poétiques. La scénographie est en tout cas réussie et ce décor unique très bien exploité. Les acteurs étaient bons. La fin est très mystérieuse, comme dans le texte évidemment, avec ce grenier qui peut devenir ascenseur et ouvrir au dernier étage sur une sorte de néant qui devient grotte, comme celle de Lascaux, avec ses inscriptions murales. Il est d'ailleurs question à plusieurs reprises d'un énigmatique symbole dessiné sur le plafond du grenier qui crée une dimension mythologique ou religieuse en en faisant une divinité potentielle dont tout le monde interroge la signification.

Je conseille la lecture de cette pièce à défaut de la voir même si c'est quand même sa finalité première.
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MessageSujet: Re: Yoji Sakate   Yoji Sakate EmptyMar 22 Mar 2011 - 23:17

Le Grenier (Yane-ura, 2002 ; 182 pages, Les Solitaires Intempestifs, traduit du Japonais par Corinne Atlan en 2009).

Le Grenier, comme l'a déjà explique Marko, c'est une sorte de pièce dans la pièce, en kit. Cela permet de créer des sous-pièces dans un dortoir, de donner un peu d'intimité. C'est un peu comme une tente, mais en un peu plus "dur".

Ce grenier est décrit ainsi au début de la pièce :
Citation :
"Un petit espace mansardé de moins de 3 m2.
Le plafond, tellement bas qu'on ne peut pas tenir debout, est asymétrique."
Une jeune femme, Hasegawa, entre dans un dortoir, dans lequel se trouve la fameuse mansarde. Un autre personnage se trouve là, "Frère Aîné".
Citation :
FRÈRE AÎNÉ - Ca s'achète sur Internet, alors ?
HASEGAWA - Il paraît que ce n'est pas facile de s'en procurer. Les prix ont drôlement augmenté ces derniers temps.
FRÈRE AÎNÉ - Comment ça se fait ?
HASEGAWA - (...)
FRÈRE AÎNÉ -(...) Ce n'est jamais qu'une simple boîte, non ?
HASEGAWA - (Il y a des gens qui dorment très bien dans des hôtels-capsules. C'est le même genre de clients. Même moi, ça ne me déplairait pas d'en avoir un plutôt qu'un lit.
FRÈRE AÎNÉ -(...) On pourrait les utiliser comme cellules pour les prisonniers, ça rationaliserait le système carcéral.
HASEGAWA - Et si on mettait un tas de ces greniers en kit côte à côte et qu'on y faisait dormir des étudiants, au lieu de les mettre en dortoirs, je suis sûr qu'ils travailleraient bien mieux. (...) Mais c'est le genre de suggestion que personne n'écoute.
[...]

HASEGAWA - Ces greniers sont parfaitement hermétiques, pas une goutte de sang n'a coulé à l'extérieur. Il ne voulait pas salir la pièce, j'imagine. Votre frère était très soigneux vous savez. Ça peut sembler paradoxal, mais j'en suis persuadé, oui, d'un certain côté, votre frère était extrêmement soigneux.
FRÈRE AÎNÉ -C'est ici qu'on l'a trouvé (...)
HASEGAWA -(...) C'est moi qui ai découvert le corps. Je m'en souviendrai toute ma vie.
FRÈRE AÎNÉ -(...) Désolé." (pages 15-17)

Dans la scène suivante, Hasegawa vent le grenier. Puis on voit une adolescente allongée dans unsac de couchage, dans le grenier. Puis il sert de planque à des inspecteurs.
Des Samouraïs surviennent.
Ca devient sur-réaliste, mais en fond le Frère Aîné chercher à comprendre ce qui s'est passé, qui a fabriqué ce grenier, il remonte la piste... et cherche à comprendre ce qui est arrivé à son frère, un hikikomori.

Mais, me demanderez-vous peut-être, qu'est-ce qu'un hikikomori ? Et hop, longue parenthèse sur le sujet.

Moi aussi, je peux déstructurer mon texte.

Citation :
"Hikikomori : du verbe hikikomoru qui signifie s'enfermer chez soi, désigne une pathologie psychosociale qui se manifeste par le refus de tout contact avec l'extérieur. Les plus atteints passent leurs journées dans leur chambre à dormir ou à surfer sur Internet. Est considéré comme hikikomori par le ministère de la Santé de l'Emploi et de la Protection sociale, quelqu'un qui s'est enfermé chez lui durant six mois ou davantage. Parfois assimilé à une forme d'autisme ou d'agoraphobie, cette phobie sociale peut se mettre en place après une période de phobie scolaire (tôkô kyohi ou futôkô). Les fils aînés seraient les plus touchés, en raison des attentes qui portent sur eux. Au-delà de trente ans, on considère que les hikikomori n'ont quasiment aucune chance de réintégrer la société. (Muriel Jolivet, Japon, la crise des modèles, Philippe Picquier, 2010, page 286)

Il s'agit d'un terme inventé par le psychiatre Saitô Tamaki à la fin des années 1990.

Citation :
"Combien sont-ils ? Le chiffre d'un million est généralement avancé pour les hikikomori, dont il est difficile de connaître le nombre exact, d'une part parce qu'ils vivent en reclus, mais aussi parce que les parents et les écoles font tout ce qui est en leur pouvoir pour les camoufler. Il semble que l'épidémie soit nationale, et non limitée aux grandes métropoles." (page 101).
Que est l'élément déclencheur ? Tracasseries entre petits camarades, peur du regard d'autrui, indulgence des parents qui gardent leurs enfants à la maison en les autorisant à se réfugier dans leurs chambres.
"Le fait que les mères continuent à nourrir leur fils en leur apportant des plateaux-repas à leur porte intrigue en général les Occidentaux." (page 105).
"Un peu comme l'ivrogne du Petit Prince qui boit parce qu'il a honte de boire, 81% des hikikomori vivent à l'envers, dormant le jour et s'occupant la nuit, tellement ils ont honte de ne pas fonctionner. Ce modus vivendi leur permet d'éviter le regard des voisins et de ne pas croiser leurs parents dans la cuisine." (page 107).
Muriel Jolivet cite le cas d'un hikikomori "[…] retrouvé mort de faim, après que ses parents l'eurent installé ailleurs parce qu'il les avait tabassés et qu'il avait saccagé leur domicile." (page 107).

C'est le sujet d'un roman autobiographique (écrit par le frère, pas par le mort, bien sûr) : Konsento (La prise de courant, 2001 ; nominé au prix Naoki ; film de Nakahara Shun avec Ichikawa Miwako), de Taguchi Randy. "L'histoire tourne autour des interrogations de l'auteur : pourquoi son frère, obsédé par les prises de courant, en est-il arrivé là ?" (page 106).
Continuons à déstructurer un peu la critique, et parlons deux secondes du film de Nakahara Shun. Juste pour dire qu'il n'est franchement pas terrible, la réalisation souvent limite consternante tire plutôt vers le téléfilm avec des effets à deux yens, et l'interprétation, notamment du psy, est très moyenne
La voici, Ichikawa Miwako, qui promène pendant tout le film un air de poisson sorti de l'eau.
Yoji Sakate Sakate10

La encore, le "phénomène" hikkikomori n'est pas vraiment creusé, on s'oriente vers une histoire de gens qui se déconnectent, parce que les gens normaux ne perçoivent que 20% de ce qu'ils voient, entendent, etc., alors que d'autres voient tout, mémorisent tout, et ne peuvent finalement avoir du repos qu'en se déconnectant. Cela n'a donc rien pas grand chose à voir avec les hikkikomori. Sans doute le bouquin est-il meilleur (pire serait difficile).

Fin de cette parenthèse.

Muriel Jolivet poursuit :
Citation :
"Il leur manque d'avoir manqué de quelque chose… Tout comme l'anorexie est impensable dans les pays pauvres, le psychiatre Saitô Satoru considère qu'il s'agit d'une maladie de pays nantis, car ceux qui s'enferment chez eux n'ont pas besoin de lutter pour vivre." Peur de devenir indépendant, fuite des responsabilités… "[Saito explique :] « Ils veulent un travail qui leur permette ds s'accomplir (jitsugen dekiru shigoto), ce qui en soi est un mal d'enfants gâtés (zeitaku byô) » Qui parle en effet de trouver sa voie dans les pays pauvres ?' (page 108)


Revenons à la pièce. Il y a des passages rigolo.
Citation :
"FILS - Les Russes, si on les laissait faire, pas un seul ne travaillerait, c'est pour ça que le parti communiste a inventé le système du travail forcé.
MÈRE - C'est vrai ?
FILS - Le premier hikikomori, c'était un Russe, un anarchiste du XIX° siècle du nom de Oblomov". (page 130).
Ha ha.

Et puis aussi :
Citation :
"FILS. - Rien de spécial n'a changé dans le monde, si ?
MÈRE - Takeshi Kitano vient d'être nommé Premier ministre.
FILS - C'est pas vrai ?
MÈRE - Le plus incroyable, c'est que ça paraît vraisemblable.
FILS - Il y a une guerre quelque part ?
MÈRE - Ça oui.
FILS - J'aimerais bien qu'il y en ait une chez nous aussi.
MÈRE - Pourquoi ?
FILS - Tout brûlerait, et après ce serait bien propre." (page 133)


Personnages "vrais", personnages rêvés (ou bien ?), scènes quasiment absurdes, certaines réussies, d'autres un peu longues... Il y a une trame de fond, mais très lâche. La pièce est finalement plus une juxtaposition de scènes qu'une histoire qui tiendrait par une histoire forte, de vrais personnages. Ce n'est pas une pièce qui traite vraiment d'un phénomène social. On croise toutes sortes de personnages, représentatifs (ou pas) de la société japonaise, mais sans vraiment creuser quoi que ce soit.
Il y a un certain talent, une certaine vivacité, quelques bons moments, mais finalement, cela ne débouche pas sur grand chose.

Pas inintéressant, on va dire.
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MessageSujet: Re: Yoji Sakate   Yoji Sakate EmptyMar 22 Mar 2011 - 23:59

eXPie a écrit:

Il y a un certain talent, une certaine vivacité, quelques bons moments, mais finalement, cela ne débouche pas sur grand chose.

Pas inintéressant, on va dire.

Le théâtre reste surtout fait pour être vu sur une scène avec des acteurs. Le texte en tant que tel n'est pas forcément passionnant c'est vrai (comme Minetti de Thomas Bernhard ne devenait captivant qu'à travers son incarnation sur scène). Ce qui est plutôt réussi dans cette pièce c'est l'effet d'accumulation de scènes anecdotiques empruntées au quotidien qui finissent pas déboucher sur quelque chose de plus abstrait par leur accumulation même et par l'intrusion ponctuelle d'éléments plus étranges. De la banalité du quotidien surgit quelque chose de presque absurde puis un sentiment quasi religieux ou métaphysique, un mystère en tout cas. ça manque peut-être de puissance mais c'est pas mal.
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MessageSujet: Re: Yoji Sakate   Yoji Sakate EmptyMer 23 Mar 2011 - 7:30

Marko a écrit:
eXPie a écrit:

Il y a un certain talent, une certaine vivacité, quelques bons moments, mais finalement, cela ne débouche pas sur grand chose.

Pas inintéressant, on va dire.

Le théâtre reste surtout fait pour être vu sur une scène avec des acteurs. Le texte en tant que tel n'est pas forcément passionnant c'est vrai (comme Minetti de Thomas Bernhard ne devenait captivant qu'à travers son incarnation sur scène). Ce qui est plutôt réussi dans cette pièce c'est l'effet d'accumulation de scènes anecdotiques empruntées au quotidien qui finissent pas déboucher sur quelque chose de plus abstrait par leur accumulation même et par l'intrusion ponctuelle d'éléments plus étranges. De la banalité du quotidien surgit quelque chose de presque absurde puis un sentiment quasi religieux ou métaphysique, un mystère en tout cas. ça manque peut-être de puissance mais c'est pas mal.

Oui, effectivement... c'est ce qui justifie d'aller au théâtre, heureusement ! Il y a certains textes qui ne peuvent vraiment s'exprimer que représentés...
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