Le cours du jeu est bouleversé
Une très belle lecture après une première impression mitigée. Les voeux formés par quatre amis israéliens lors de la coupe du monde 1998 sont un prétexte pour mesurer le décalage entre des ambitions et la réalité du passage du temps, subissant les remous d'une existence à travers des espoirs déçus et des rebonds inattendus. Ce fil conducteur peut d'abord apparaitre un peu verrouillé, d'autant plus que l'ouverture du roman permet immédiatement de saisir la construction de celui-ci : le narrateur Youval, narrateur à la fois omniscient et absent par son caractère solitaire, dévoile la personnalité de ses amis Amihaï, Ofir et Yoav (surnommé Churchill) pour scruter leurs liens à la fois au présent et au passé, s'attachant à définir la fragilité et l'intensité d'une relation partagée.
Eshkol Nevo sait assez vite s'affranchir des repères du point de départ : des illusions s'effacent peu à peu et il n'hésite pas à multiplier les digressions, les sorties de piste pour donner au roman une tonalité extrêmement libre et fluide. Youval semble en retrait, davantage marqué par des déceptions personnelles et la sensation d'un échec, mais cette posture par le biais de l'écriture permet aussi de comprendre qu'il est un point d'ancrage pour le quatuor, une présence presque invisible apportant une stabilité. Le monde extérieur (Israël à travers les villes de Tel-Aviv et Haïfa) est lointain même si son influence a marqué chaque protagoniste, tant la recherche d'une intimité et d'un point d'équilibre reste l'ambition d'Eshkol Nevo. Il crée une bulle extrêmement séduisante dans la sincérité d'une démarche, qui adoucit les états d'âme et les regrets.