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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Jeu 3 Fév 2011 - 0:56
Parsifal
Tu vois mon fils, ici le temps devient espace. Gurnemanz à Parsifal
Pour résumer ce spectacle hors norme je dirais que je n'ai probablement presque jamais rien entendu d'aussi beau et que chef d'orchestre et metteur en scène nous ont offert un moment d'anthologie inoubliable. J'en suis encore sonné et ce Parsifal entre immédiatement dans mon panthéon de souvenirs opératiques. Si vous avez la possibilité d'aller à Bruxelles, il faut absolument voir ça (il y avait d'ailleurs des spectateurs anglais, américains, japonais et allemands bien sûr). On peut parler d'événement.
Si je veux essayer de bien faire les choses, il faut d'abord évoquer l'opéra lui-même (chose ardue tellement on peut avoir d'approches contradictoires de Parsifal), l'intensité tétanisante de la direction de Hartmut Haenchen qui est un grand spécialiste de l'oeuvre de Wagner, et l'incroyable beauté et la profondeur de la mise en scène de Romeo Castellucci qui a débarrassé l'opéra de son imagerie symbolique encombrante, considérant que texte et musique les illustrent déjà suffisamment. L'opéra:
Parsifal est le dernier opéra de Wagner qu'il considère plutôt comme un "festival scénique sacré". Il y fusionne l'ensemble de ses préoccupations philosophiques et esthétiques en une oeuvre poétique et symbolique qui revisite la légende du Perceval de Chrétien de Troyes et son équivalent allemand le Parzival de Wolfram von Eschenbach en même temps qu'il la nourrit de l'influence de Schopenhauer et même de la sagesse bouddhiste qui laisse une empreinte très forte. Comme la tétralogie revisitait la mythologie scandinave, Parsifal s'approprie cette tradition mystico-médiévale pour proposer une sorte de quête initiatique qui vise à transfigurer les souffrances de l'humanité en opérant d'abord un retour sur les origines traumatiques de chacun (un peu à la façon de la psychanalyse qu'il anticipe en quelque sorte) puis en s'élevant vers un état d'extase cosmique qui tient plus de la compassion et de la communion humaines que d'un rapport à une sorte de transcendance chrétienne même s'il y est en apparence question de renoncement aux sens et à la tentation de la chair. Nietzsche s'est peut-être trompé en dénonçant cette "conversion chrétienne" supposée de Wagner à la fin de sa vie. Quand on voit cet opéra on ne peut pas le réduire à cette vision même si beaucoup de mises en scène littérales l'encombrent de cette imagerie religieuse un peu lourde (La lance, le calice, le cercle, l'onction...).
De la même façon certains ont eu vite fait de voir dans ces thèmes du Graal et de régénération du sang impur le terreau des thèses racistes et nazies (encore une vision littérale et réductrice même si Wagner s'est malencontreusement commis à une époque dans un pamphlet antisémite, "Le Judaïsme dans la musique"). D'autres l'ont perçu comme un opéra maçonnique (ce qu'il n'est pas) à l'instar de "La flûte enchantée" de Mozart qui l'était ouvertement. J'ai le sentiment qu'on doit plutôt envisager cette symbolique comme une tentative de représenter l'union des contraires, d'unifier les forces antagonistes de la vie et de la mort, du bien et du mal, des principes masculins (la lance) et féminin (le calice)... Donc loin de l'image qu'on pourrait trop vite avoir d'un texte faisant l'apologie de la chasteté et du sang pur. C'est plus proche finalement d'une vison orientale, bouddhiste notamment, de l'univers. Mais ça n'engage que moi. Et même si on ne voit dans le livret que le bric à brac inepte d'un mysticisme douteux et décadent (comme Nietzsche avant d'être interné) il reste toujours la musique...
Je ne reviens pas sur la trame de l'histoire qu'on peut lire facilement ailleurs. Juste dire qu'il y a 3 actes de longueurs différentes (en moyenne 1h45 pour le 1er, 1h10 pour le 2nd et 1h25 pour le 3e). Suivant le chef d'orchestre il peut y avoir en tout une heure d'écart entre les versions les plus contemplatives et les plus "dramatiques". On se rend compte assez rapidement que les personnages sont en miroir et le seul personnage féminin (à l'exception des femmes/fleurs de Klingsor), Kundry, est lui-même double et changeant. L'histoire tend progressivement à l'affrontement de ces forces antagonistes pour tendre vers leur fusion libératrice. L'effondrement du royaume de Klingsor, sorte de mirage mental ou de traversée des enfers, autorisant l'accès à une forme de spiritualité ou d'apaisement intérieur suivant qu'on se situe d'un point de vue religieux ou métaphysique.
Le chef d'ochestre
Hartmut Haenchen a dirigé le flux de cette musique organique, protoplasmique et hypnotique, avec une force qui vous cloue au fauteuil avant de vous faire décoller. J'ai toujours trouvé que la musique de Wagner, avec ces segments récurrents (les fameux leitmotive qui ont tant influencé la musique de film notamment) qui s'enchevêtrent, se démultiplient et créent une masse sonore vivante, pulsatile, et constamment en mutation bien qu'incroyablement maîtrisée, m'évoque un océan dont les flux et reflux ensorcelant peuvent enfler jusqu'à l'explosion puis s'apaiser pour revenir à une mer d'huile où un lever de soleil peut raviver un espoir. C'est d'une richesse infinie et toutes les passions humaines s'y retrouvent des plus exaltées aux plus sereines. Nietzsche avait probablement encore tort lorsqu'il reprochait à Wagner de chercher la beauté dans cette apparente démesure hystérique au lieu de la chercher dans le raffinement et le calme. Les deux co-existent et c'est de leur affrontement que nait la beauté irréelle de sa musique.
En tout cas que ce soit dans les derniers segments du 1e et du 3e actes, Haenchen a monté la musique à un niveau de puissance inouï. Je n'ai rien entendu d'équivalent au disque! Et toute sa direction m'a semblé toucher à la perfection. Les sortilèges du château de Klingsor au 2e acte prenaient toute leur dimension envoûtante et vénéneuse. La salle comble était clairement en lévitation et personne n'a quitté son siège malgré la durée.
La mise en scène
Romeo Castellucci est d'ores et déjà un grand nom de la mise en scène de théâtre et son travail sur Parsifal fera date. C'est un plasticien qui offre des visions extrêmement originales, singulières et personnelles qui, loin de surligner l'oeuvre, permettent de restituer tout le mystère et la magie d'un symbolisme souvent trop voyant en le faisant pratiquement disparaître (la cérémonie du Graal sera masquée par un écran totalement blanc). Ou plutôt en lui substituant d'autres repères qui enrichissent et éclairent les aspects les plus importants de l'oeuvre. C'est à la fois sensoriel et magique. Le mieux est de lire ce qu'il en dit formidablement. J'ai ajouté les photos du spectacle qui illustrent ses visions:
Citation :
Face à Parsifal, j’ai cherché à oublier tout ce que je savais. Je me suis mis dans la situation de celui qui ne sait rien. J’ai fermé les yeux et j’ai écouté une fois, vingt fois et puis cent fois cette musique, cette chose. Encore et encore. Puis j’ai dormi. J’ai refait tout le Parsifal dans un état d’amnésie, du début à la fin. Un titre comme celui-ci requiert une vision venue du plus profond, à laquelle on se rattache tout entier, et non une stratégie illustrative. En un certain sens, je peux dire que pour être fidèles, il nous faut d’abord oublier Parsifal, le perdre, et puis enfin le retrouver. Neuf.
À travers cette écoute répétée, je suis arrivé à la dilatation de la matière, à la multiplication des facettes du prisme, à la tension maximale de la peau, au jeu des articulations du livret. La musique, comme le courant d’un fleuve, transportait en moi les images universelles et anonymes de l’esprit. J’ai vu des choses. J’ai vu le visage, la face immense du Philosophe qui, plus que les autres, a considéré la Musique comme une partie essentielle de la vie et qui, mieux que les autres, a su aimer/ haïr le Musicien.
J’ai vu la danse d’un serpent albinos, comme la métaphore de Sa musique (celle de Wagner) et j’ai vu que son venin pouvait devenir médecine.
J’ai vu un grand bois, une forêt qui fondait comme neige au soleil. J’ai vu des hommes cachés dans le bois, non parce qu’ils sont chasseurs, mais parce qu’ils tremblent de peur. J’ai vu deux êtres humains qui d’abord se cherchent, puis se repoussent, puis se retrouvent de nouveau parce qu’ils ont vraiment besoin l’un de l’autre : Kundry et Parsifal. J’ai vu l’appétit de Parsifal pour la vie se transformer en peur ontologique de l’être – l’être né –, et l’erreur de tout cela. L’erreur qui devient errance.
J’ai vu une chambre blanche, propre, et un magicien maléfique qui dirigeait la musique des émotions ; j’ai vu le nom terrible des poisons qui tuent l’homme. J’ai vu des femmes liées et suspendues en l’air comme des objets de pure contemplation spirituelle.
J’ai vu briller le sexe féminin de la mère comme le centre glacé et immobile du drame.
J’ai vu une ville renversée. Et lui cheminait encore, et le chemin était sa prière.
J’ai vu des pigeons de ville mais aucune colombe blanche. Je n’ai vu aucun calice, aucune lance sacrée, aucun faux Moyen Âge. Je n’ai pas vu le sang d’une race. Je n’ai vu aucun homme nouveau. Je n’ai vu ni peuple, ni communauté, mais une foule anonyme qui avançait, au milieu de laquelle je me trouvais aussi. Je n’ai pu voir aucune croix gammée, même dans les profondeurs ; pas plus qu’une croix chrétienne, d’ailleurs. J’ai vu beaucoup de douleur, et à la fin – seulement à la fin – j’ai vu se montrer l’Ouvert.
Ce Parsifal commence dans la forêt montagneuse et s’achève en ville. La ville est depuis toujours la scène tragique de l’expérience humaine. Elle représente à la fois la communauté au niveau le plus élevé et la laideur de la vie commune qui atteint l’homme au coeur même de la foule, quand il se rend compte qu’il ne peut communiquer vraiment : il s’agit d’une solitude plus dense et plus profonde qui vous envahit au coeur d’une société à laquelle vous appartenez, mais dont vous vous sentez intimement et définitivement séparé. Le regard tragique sur la laideur de la ville peut transformer l’horreur en épiphanie d’une beauté toute nouvelle. Le tragique se nourrit depuis toujours de la laideur de la vie.
Parsifal n’est pas une catégorie. Ce n’est pas une chose. Ce n’est pas un nom. Cela semble être un verbe, un processus d’évolution, une fonction intégrale de l’univers. Ses pas sont des coups sans ego. Il représente la puissance anonyme de l’homme ; un homme qui, lui, est le sans nom, le pur innocent. Impur dans le pur, pur dans l’impur.
Je ne peux que me contenter d'ajouter quelques impressions face à spectacle de toute beauté...
Premier choc durant l'ouverture avec l'apparition de cet énorme python albinos (bien réel) suspendu à un petit trapèze et ondulant devant la photo géante de Nietzsche. Mélange de fascination et d'effroi. On sait déjà que le spectacle sera hypnotique et puissant. Inutile de s'appesantir sur la signification de la présence de l'un et de l'autre.
Le premier tableau avec cette forêt luxuriante qui semble ne faire qu'un avec ses habitants, les cacher et les révéler, faisant apparaître un berger allemand qui trône tel un chien loup sur une peuplade primitive. Mélange d'imagerie archaïque et un peu militaire (tenue de camouflage et armes à feu). Castellucci déplace clairement le récit mystique médiéval du côté de la fable humaine intemporelle. Le moment où cette forêt semble fondre et se métamorphoser en une multitudes de scintillements pulsatiles est magnifique.
Un jeu d'éclipses avec des cercles noirs et un fil rouge qui finissent par dessiner un tableau abstrait évoquant Malevitch. Toute dimension sacrée est rendu invisible pour Parsifal qui est d'abord chassé pour ne pas avoir contemplé la cérémonie du Graal. L'élu capable de guider l'humanité serait-il l'homme innocent qui est étranger au dogme religieux?
Cet immense écran blanc avec une virgule noire (et un trait rouge encore dans mon souvenir) pour masquer la cérémonie du Graal.
Tout le 2e acte est plongé dans un espace blanc phosphorescent d'où émergent un univers magique de spirite: un lustre ancien penché comme flottant dans l'espace, des femmes recouvertes de peinture blanche, suspendues à des cordes après avoir été ligotées par le double de Klingsor comme dans les rituels de bondage japonais. Impression à la fois érotique et macabre malgré la blancheur. On est dans une zone mentale infernale. Les femmes fleurs invisibles sont comme des sirènes qui tentent de perdre Parsifal. Kundry arrive avec le serpent à son bras comme la Pythie. Elle tend un bouclier à Parsifal. Bouclier dont les reflets de cuivre semblent se dissoudre dans cet espace lactescent. Quel envoûtement!
Puis le 3e acte où le noir remplace le blanc. Une seule branche végétale demeure de la forêt du début. Les hommes et femmes vont suivre le sauveur dans une marche déterminée en avant (un tapis roulant leur permet de donner l'illusion du mouvement tout en restant sur place). Le cadre noir se fait cosmos avec ses étoiles puis un dernier panneau descend en laissant apparaître l'image d'une ville moderne inversée. Tous ont quitté la scène sauf Parsifal qui est invité par Kundry et contemple le monde moderne qui l'absorbe.
Arabella parlait de la difficulté de réunir tous les ingrédients nécessaires à l'accomplissement de l'opéra idéal en tant qu'art total. Ce soir tout était là au complet. Et je ne parle pas des chanteurs, des choeurs, tous somptueux (même si les puristes auront certainement entendu mieux ailleurs ou plus proche de leur sensibilité).
Parsifal l'un des plus beaux monuments que l'on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique. Debussy (qui entretenait également des liens ambivalents à ce génie à la fois admirable et écrasant, parfois détestable).
Dernière édition par Marko le Ven 4 Fév 2011 - 16:56, édité 1 fois
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Jeu 3 Fév 2011 - 14:09
Marko a écrit:
Parsifal
Tu vois mon fils, ici le temps devient espace. Gurnemanz à Parsifal
Pour résumer ce spectacle hors norme je dirais que je n'ai probablement presque jamais rien entendu d'aussi beau et que chef d'orchestre et metteur en scène nous ont offert un moment d'anthologie inoubliable. J'en suis encore sonné et ce Parsifal entre immédiatement dans mon panthéon de souvenirs opératiques. Si vous avez la possibilité d'aller à Bruxelles, il faut absolument voir ça (il y avait d'ailleurs des spectateurs anglais, américains, japonais et allemands bien sûr). On peut parler d'événement.
Le chef d'ochestre
Hartmut Haenchen a dirigé le flux de cette musique organique, protoplasmique et hypnotique, avec une force qui vous cloue au fauteuil avant de vous faire décoller. J'ai toujours trouvé que la musique de Wagner, avec ces segments récurrents (les fameux leitmotive qui ont tant influencé la musique de film notamment) qui s'enchevêtrent, se démultiplient et créent une masse sonore vivante, pulsatile, et constamment en mutation bien qu'incroyablement maîtrisée, m'évoque un océan dont les flux et reflux ensorcelant peuvent enfler jusqu'à l'explosion puis s'apaiser pour revenir à une mer d'huile où un lever de soleil peut raviver un espoir. C'est d'une richesse infinie et toutes les passions humaines s'y retrouvent des plus exaltées aux plus sereines. Nietzsche avait probablement encore tort lorsqu'il reprochait à Wagner de chercher la beauté dans cette apparente démesure hystérique au lieu de la chercher dans le raffinement et le calme. Les deux co-existent et c'est de leur affrontement que nait la beauté irréelle de sa musique.
En tout cas que ce soit dans les derniers segments du 1e et du 3e actes, Haenchen a monté la musique à un niveau de puissance inouï. Je n'ai rien entendu d'équivalent au disque! Et toute sa direction m'a semblé toucher à la perfection. Les sortilèges du château de Klingsor au 2e acte prenaient toute leur dimension envoûtante et vénéneuse. La salle comble était clairement en lévitation et personne n'a quitté son siège malgré la durée.
La mise en scène
Romeo Castelletti est d'ores et déjà un grand nom de la mise en scène de théâtre et son travail sur Parsifal fera date. C'est un plasticien qui offre des visions extrêmement originales, singulières et personnelles qui, loin de surligner l'oeuvre, permettent de restituer tout le mystère et la magie d'un symbolisme souvent trop voyant en le faisant pratiquement disparaître (la cérémonie du Graal sera masquée par un écran totalement blanc). Ou plutôt en lui substituant d'autres repères qui enrichissent et éclairent les aspects les plus importants de l'oeuvre. C'est à la fois sensoriel et magique. Le mieux est de lire ce qu'il en dit formidablement. J'ai ajouté les photos du spectacle qui illustrent ses visions:
Arabella parlait de la difficulté de réunir tous les ingrédients nécessaires à l'accomplissement de l'opéra idéal en tant qu'art total. Ce soir tout était là au complet. Et je ne parle pas des chanteurs, des choeurs, tous somptueux (même si les puristes auront certainement entendu mieux ailleurs ou plus proche de leur sensibilité).
Parsifal l'un des plus beaux monuments que l'on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique. Debussy (qui entretenait également des liens ambivalents à ce génie à la fois admirable et écrasant, parfois détestable).
Marko, dans ses émotions et ses enthousiasmes, toujours plus "haut"...
Igor Zen littéraire
Messages : 3524 Inscription le : 24/07/2010 Age : 71
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Jeu 3 Fév 2011 - 14:30
Un commentaire qui donne vraiment envie de se plonger dans l'œuvre, même si rejoindre Bruxelles me parait impossible. Merci pour ce joli partage. Penses tu que cette mise en scène sera visible sur un écran ?
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 16:52
coline a écrit:
toujours plus "haut"...
Pour le coup c'était vraiment très très haut! J'ai encore la musique dans la tête et je comprends pourquoi Castellucci a choisi la figure de ce serpent albinos pour l'illustrer. C'est à la fois maléfique et fascinant, monstrueux et régénérateur, une musique ondulatoire qui s'insinue progressivement dans le subconscient pour faire partager une expérience quasi spirituelle. Beaucoup de gens vont voir Parsifal comme s'ils assistaient à un cérémonial sacré et il y a un peu de ça. C'est une expérience très particulière.
Igor a écrit:
Penses tu que cette mise en scène sera visible sur un écran ?
Je l'espère même si il me parait impossible de vivre cette expérience en dehors de la salle d'opéra tellement il se passe quelque chose de magique dans l'immersion et la durée. En tout cas si Castellucci monte le Ring avec Haenchen quelque part je suis prêt à traverser la planète!
En attendant je me suis commandé son travail théâtral d'après Dante montré à Avignon:
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 17:13
Andrew Richards, l'excellent ténor qui chantait le rôle de Parsifal, tient un blog qui vaut le coup d'oeil sur sa carrière et ses expériences. Il évoque évidemment Parsifal et on voit une petite vidéo du spectacle (vers le bas de la page): Andrew Richards/Blog
Et le meilleur article à mon avis sur le spectacle de la Monnaie et la mis en scène de Castellucci:
Citation :
Un serpent chez Wagner Parsifal, de Romeo Castellucci
date de publication : 02/02/2011 // 9250 signes
La Monnaie de Bruxelles présente jusqu'au 20 février une interprétation du Parsifal de Wagner, signée par Romeo Castellucci. Le metteur en scène italien parvient à faire voler en éclat les représentations traditionnelles de l'œuvre.
L’ouverture du Parsifal mis en scène par Romeo Castellucci à la Monnaie à Bruxelles, dans une très précise direction musicale de Hartmut Haenchen, se donne devant un rideau de scène occupé par le visage géant de Nietzsche. Pas celui de Wagner, celui de Nieztsche. La lumière nimbe légèrement la photographie. Depuis un moment déjà, l’œil du philosophe est tourné à jardin, méditatif, lorsqu’un cadre vide, laqué noir, est hissé à hauteur de son oreille. Un puissant serpent blanc se tord sur les armatures du cadre. Après Wagner et Nietzsche, Romeo Castellucci manifeste ainsi son entrée en scène, ajoutant un nouvel élément à son bestiaire, en même temps qu’il jette un signe aux gueules avides de polysémie – au public. En leitmotiv visuel, chaque fois lui-même et toujours un autre, l’animal va traverser les trois actes et démontrer ses capacités de mue, tantôt entre les mains de Kundry (Anna Larsson) Eve-Lilith-Marie-Madeleine à l’acte II ; tantôt brandi au-dessus de la foule (chorégraphiée par Cindy Van Acker) à l’acte III. Extrait d’une jungle ou d’une fosse, où sont censés s’ébattre et les reptiles et les orchestres, l’animal entre et sort du livret de Wagner, en circonvolutions de matière blanche, presque cérébrale, qui met en branle les mécanismes d’association-dissociation d’un autre Parsifal.
Ce serpent – qui est également au centre de l’affiche, comme un graphe –, paraphe un grand Romeo Castellucci, qui intègre Parsifal à son œuvre comme un autre épisode ou un autre faisceau d’épisodes au cycle tragique qu’il explore depuis trente ans, à l’égal d’Inferno, présenté dans la cour d’honneur d’Avignon en 2008. Et si Nieztsche est un éclaireur, un compagnon de route peut-être, c’est précisément au moment où il se sépare, non sans invectives, de Wagner : « J’ai fait le wagnérisme, écrit-il alors, je dois donc le défaire. » Sans doute, Romeo Castellucci ne l’invoque-t-il que pour s’autoriser, à son tour, à défaire le wagnérisme, mais sans rien défaire, ni de la musique, ni du poème de Wagner. Rien de comparable sur ce plan avec ses interventions sur Il Combattimento, d’après Monteverdi (2000), infiltré, jusque dans la musique, par les accords de Scott Gibbons.
Mais si la partition est intouchable et le poème intact, c’est qu’il n’est plus rien qu’une surface glacée, tant Romeo Castellucci a creusé ses galeries en dessous, ramenant par un travail « philologique » nous dira sa dramaturge, Piersandra di Matteo (1), le matériau qui justifie ses troublants tableaux scéniques. Un exemple, comme un jeu qu’il s’accorde et un apaisement aux amants impossibles : lors du très chaste baiser entre Kundry et Parsifal (Acte II), le film de leur accouplement brutal est projeté simultanément sur les deux acteurs figés, comme un sous-texte devenu surtitre. Le désir n’est pas seulement un mot, il est image et il est corps. L’un ne dévoile pas les autres, mais révèle leur existence simultanée et Romeo Castellucci entend bien nous les donner à voir, à entendre et à penser ensemble. Tout au long de l’opéra, il multipliera les dédoublements, les déclinaisons d’acteurs, de personnages, d’objets. A rebours d’un livret péremptoire, il présente un montage par faisceaux, jouant avec la narration comme avec le fil rouge qu’il viendra agiter sous nos yeux, tantôt barrière délimitant les lieux sacrés-souillés du Graal (acte I), tantôt descendant des cintres et serpentant parmi la foule (acte III) avant d’être repris d’une main ferme, comme par un dresseur-metteur en scène – pour repartir en coulisses.
« Normalement, quand je travaille au théâtre, mon point de départ, c’est le vide. Il n’y a rien sur le plateau et tout reste donc à inventer. Même le langage. Parce qu’il s’agit finalement d’un autre monde, dit Romeo Castellucci dans un entretien à La Monnaie. Dans le cas de Wagner et de l’opéra en général, on est face à un univers qui est déjà organisé. Il faut y voyager pour découvrir des choses inconnues et essayer de briser certains stéréotypes, de libérer des formes très profondes, sans être écrasé par tout le poids de la tradition. » Ainsi, devant le « plein » wagnérien, la première opération du metteur en scène est de chercher le repère à partir duquel il peut commencer son travail : le vide. La « philologie » le lui désigne dans le texte : c’est le Graal. Qu’est-ce que le Graal : du vide. L’itinéraire du héros, du chevalier, du rédempteur conduit au vide. L’absolu est dans le vide, un trou noir susceptible d’avaler l’histoire, toute histoire, mais aussi de l’initier. Romeo Castellucci l’inscrit en une image saisissante à la fin du premier acte, lorsque la forêt se décompose littéralement pour se recomposer en ciel nocturne, les feuilles des arbres muées en autant d’étoiles scintillantes qui dessinent au firmament un cercle vide, obscur, analogon du Graal.
La figure du cercle – figure centrale du très méconnu Voyage au bout de la nuit (1999) – hante la représentation. Légèrement hébété, Parsifal (Andrew Richards) s’y mire à l’envi. Tantôt bouclier doré, poli comme une sculpture d’Anish Kapoor, tantôt énorme soleil gris qui se pose et pèse à faire ployer les épaules des mercenaires du Christ entonnant leur chant de guerre. Le sang n’est plus qu’un mot chez Romeo Castellucci. Pas de coupe sacrée. La lance guérisseuse demeurera invisible, là encore, du vide tenu dans un poing, et son pendant, cette plaie purulente, s’ajustera à un sexe de femme tourné vers le public, sur le piédestal qui sied aux statues. Quant à la croix, elle n’apparaitra plus que sous la baguette de Klingsor, chef d’orchestre du Mal, dessinée d’un geste mécanique, répétitif. Parsifal ou « fal parsi », le « pur innocent » peut chanter la pureté, c’est dans le vide ou face au vide. Romeo Castellucci, lui, s’attache à l’impur, au composite, au complexe. Le pur ordonne qu’on le suive, sur une voie unique, l’impur invite à la circulation dans un espace ouvert. Face au ciel démesuré, Parsifal se retrouve comme Wagner se retrouverait devant l’œuvre de Romeo Castellucci : sans autre certitude qu’un faisceau de conjectures.
Le complexe engendre des figures qui relient aux œuvres précédentes du metteur en scène italien. Le chef d’orchestre à demi-chauve a déjà été repéré dans nombre d’épisodes de la Tragedia endogonidia, où apparaissait ce cercle translucide descendu des cintres. Le white cube de Klingsor a été balayé dans BR#04, le quatrième épisode de la Tragedia, où ses néons ont longuement cliqueté. Quant à la forêt de l’acte I, assurément primitive, celle de l’innocence et de sa fin, siège du merveilleux en même temps que du crime, elle est la forêt même où errait l’enfant du Purgatorio, celle où sévissait déjà l’ogre de C#11. La forêt n’est pas seulement ce cloaque où s’opère la reproduction, elle est le lieu où Romeo Castellucci, peut montrer comment naissent ses images, comment à partir d’une forme extérieure unique, momentanée, elles en viennent à se différencier, comment du végétal sort l’animal et s’affirme l’humain, et comment ces formes restent porteuses de l’immense patrimoine de leurs parcours, et pas seulement une symbolique à déchiffrer.
Les référents ne portent pas que vers le passé. La foule – bouleversante invention du metteur en scène, qui rompt là encore totalement avec le wagnérisme –, dont chacun des membres revêt, un moment donné un sac noir qui l’aveugle, devrait trouver un écho dans Le Voile noir du pasteur, qui doit être créé à Rennes en mars. Dans la salle de La Monnaie éclairée a giorno, figurants et spectateurs sont au miroir, chacun voyant et aveugle à l’autre, semblables inversés, tandis que la musique creuse, comme un grand fleuve imperturbable, son lit entre eux. C’est Baudelaire – à propos de Tannhäuser–, qui écrivait : « Aucun musicien n’excelle, comme Wagner, à peindre l’espace et la profondeur, matériels et spirituels. » La « peinture » de Wagner fait fond pour Romeo Castellucci. Il y trouve assez de force et d’inspiration pour y être lui-même, l’inscrire dans ses propres espaces et profondeurs, spirituels et matériels. La « consécration scénique » voulue par Wagner n’est plus celle d’un nouveau Christ, mais un mystère ouvert sur l’infini d’une œuvre en renouvellement constant.
>Parsifal, jusqu’au 20 février à La Monnaie, Bruxelles.
(1) Lire sa contribution, ainsi que l’ensemble des textes, remarquables, dans le programme de La Monnaie, accompagné par le livret de Wagner et d’une œuvre originale en trois volets de Romeo Castellucci. Parallèlement, un entretien avec le metteur en scène est accessible dans la revue de La Monnaie.
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 18:10
Marko a écrit:
Andrew Richards, l'excellent ténor qui chantait le rôle de Parsifal, tient un blog qui vaut le coup d'oeil sur sa carrière et ses expériences. Il évoque évidemment Parsifal et on voit une petite vidéo du spectacle (vers le bas de la page): Andrew Richards/Blog
Merci du lien...(Et j'espère que tu en trouveras d'autres...J'adorerais voir la forêt... )
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 18:17
coline a écrit:
Marko a écrit:
Andrew Richards, l'excellent ténor qui chantait le rôle de Parsifal, tient un blog qui vaut le coup d'oeil sur sa carrière et ses expériences. Il évoque évidemment Parsifal et on voit une petite vidéo du spectacle (vers le bas de la page): Andrew Richards/Blog
Merci du lien...(Et j'espère que tu en trouveras d'autres...J'adorerais voir la forêt... )
La seule qui reste disponible...
Je ne trouve pas d'images avec la forêt qui se métamorphose comme si elle devenait cosmique! C'était magique. On voyait aussi un arbre tomber de temps en temps en travers de la forêt.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 19:00
Les images donnent plus qu'envie. Et si le reste est à la hauteur comme tu le dis Marko, quelle chance d'assister à un tel spectacle. Et en plus Wagner....
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 4 Fév 2011 - 19:07
Arabella a écrit:
Les images donnent plus qu'envie. Et si le reste est à la hauteur comme tu le dis Marko, quelle chance d'assister à un tel spectacle. Et en plus Wagner....
Vocalement on doit pouvoir trouver encore mieux certainement mais la direction de Haenchen était pour moi idéale. J'ai écouté les spectateurs allemands qui étaient dans la salle à l'entracte et ils étaient conquis (ils parlaient en français avec leurs voisins) . Et même concernant la mise en scène! J'aurai maintenant du mal à voir Parsifal dans une mise en scène plus classique. Castellucci l'emmène tellement plus loin encore par ses visions non littérales. Chapeau!
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Mar 15 Fév 2011 - 18:55
Quelques nouvelles photos disponibles du spectacle:
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Mer 23 Fév 2011 - 19:55
Il y a des versions de référence mais pour ceux qui auraient envie d'entendre un enregistrement récent de Parsifal avec une prise de son impeccable et un résultat plus que convainquant, je recommande ce coffret avec l'orchestre du théâtre Mariinsky dirigé par Gergiev. Je l'aime beaucoup pour son côté sombre et vénéneux, avec des textures profondes et enveloppantes. C'est très beau et parfois épuré (un final très sobre là où on attend souvent une dernière ascension très intense) mais il sait faire décoller l'orchestre dans les moments les plus fulgurants. Les voix sont très bonnes à part celle de Parsifal qui n'est pas idéale. Je l'écoute un peu en boucle en ce moment. L'idéal pour ceux qui ne connaissent pas du tout est de démarrer par le 2e CD qui correspond à la deuxième partie du 1e acte avec l'arrivée de Parsifal au château d'Amfortas et avec le déroulement de toute la cérémonie du Graal. 45 minutes de musique en apesanteur! C'est fabuleux. La dernière plage notamment qui dure 12' reprend tous les thèmes de l'opéra. Ensuite on peut écouter tout le 3e acte qui comporte des airs et des choeurs à frissonner et un final cosmique. Et puis tout le 2e acte avec les chants de sirènes des femmes fleurs, le très beau duo Kundry/Parsifal. Et enfin écouter le 1er CD pour réécouter tout l'opéra. Un mode d'emploi qui n'engage que moi! Je suggère ça pour être immédiatement emporté et ne pas être rebuté par toute la mise en place (même si l'ouverture et tout ce premier CD sont également très beaux).
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Sam 19 Mar 2011 - 12:46
J'ai trouvé ce documentaire sur le travail d'Hartmut Haenchen pour Parsifal enregistré à l'opéra de Paris en 2008 dans une autre mise en scène:
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 24 Juin 2011 - 16:10
Kazushi Ono dirigera Parsifal à Lyon en mars 2012. Places déjà en vente et en train de disparaitre à grande vitesse... C'est une co-production avec le Metropolitan de New York. Ils font fort à Lyon!
coline Parfum livresque
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 24 Juin 2011 - 16:16
Marko a écrit:
Kazushi Ono dirigera Parsifal à Lyon en mars 2012. Places déjà en vente et en train de disparaitre à grande vitesse... C'est une co-production avec le Metropolitan de New York. Ils font fort à Lyon!
Ah ah...C'est beaucoup plus proche de chez moi...Je vais étudier la question avec intérêt...
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Parsifal (Wagner/Haenchen/Castellucci) Ven 24 Juin 2011 - 16:24
coline a écrit:
Marko a écrit:
Kazushi Ono dirigera Parsifal à Lyon en mars 2012. Places déjà en vente et en train de disparaitre à grande vitesse... C'est une co-production avec le Metropolitan de New York. Ils font fort à Lyon!
Ah ah...C'est beaucoup plus proche de chez moi...Je vais étudier la question avec intérêt...
De mon côté j'y vais mais j'ai du mal à trouver encore des bonnes places pendant le week end.