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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Akira Mizubayashi [Langues] Mer 21 Sep 2011 - 23:25
Akira MIZUBAYASHI
( 1952 - )
Ecrivain et traducteur japonais, Akira Mizubayashi est né en 1952. Après des études à l’université nationale des langues et civilisations étrangères de Tokyo (Unalcet), il part pour la France en 1973 et suit à l’université Paul Valéry de Montpellier une formation pédagogique pour devenir professeur de français (langue étrangère). Il revient à Tokyo en 1976, fait une maîtrise de lettres modernes, puis, en 1979 revient en France comme élève de l’Ecole Normale Supérieure. Depuis 1983, il enseigne le français à Tokyo, successivement à l’université Meiji, à l’Unalcet et, depuis 2006, à l’université Sophia." (source : Babelio).
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Une Langue venue d'ailleurs (2011 ; L'un et l'autre, Gallimard). 269 pages. Préface de Daniel Pennac.
Il s'agit presque d'une autobiographie (écrite en français, s'il faut le préciser).
Citation :
"Ma mère mit un garçon au monde en août 1951 dans une petite ville de province du nord du Japon. L'enfant arriva aux aurores presque tout seul. C'était moi. Dix-neuf ans plus tard, je commençai à dire mes premeirs mots en français." (page 19).
Mizubayashi explique comment, étouffant dans la langue japonaise, il en est venu à apprendre le français (Mozart, Rousseau...), comment il s'est entraîné à la musicalité de la langue, en écoutant encore et encore des enregistrements de la radio.
Citation :
"En musique, il y a tous les niveaux, du niveau débutant au professionnel en passant par le niveau amateur. C'est pareil en langues. Le niveau professionnel ne s'acquiert pas en deux ou trois ans. Il faut des années de travail et toute une vie pour l'entretenir... Vous aimez le français. D'accord. Mais qu'est-ce que ça veut dire pour vous, « aimer le français » ? Êtes-vous prêts à faire du français comme pour devenir un vrai musicien ? Pourquoi ces questions ? Parce que je suis moi-même comme un musicien qui s'entraîne tous les jours. La différence entre un musicien et moi, c'est que je suis un instrumentiste sans public. Personne ne s'intéresse à mon jeu, je n'ai pas de répertoire, je n'ai aucun morceau célèbre à jouer devant un auditoire. Ma performance n'est pas une marchandise. Je joue pour moi seul et c'est bien ainsi." (pages 156-157).
A la fin du livre, il écrit :
Citation :
"Nancy Huston écrit : « L'acquisition d'une deuxième langue annule le caractère naturel de la langue d'origine - à partir de là, plus rien n'est donné d'office, ni dans l'une ni dans l'autre ; plus rien ne vous appartient d'origine, de droit et d'évidence. » Voilà une affirmation qui me va droit au coeur. Le jour où je me suis emparé de la langue française, j'ai en effet perdu le japonais pour toujours dans sa pureté originelle." (page 267)
Mais revenons en arrière. A Tokyo, il tombe sur un livre qui le touche particulièrement, "Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l'obstacle", de Jean Starobinski. Le livre est cher, mais il l'achète.
Citation :
"Pour les livres, je disposais d'un budget illimité, si j'ose dire. Mon père me disait : - Aucune marchandise n'est meilleur marché, à condition qu'on le lise. Tu achèteras autant de livres que tu voudras, si tu en as besoin et si tu les lis. Rien de plus cher, par contre, qu'un livre, si on ne le lit pas puisqu'on ne peut même pas s'en servir comme papier hygiénique." (page 180).
C'est très vrai !
Et puis c'est le grand saut :
Citation :
"Je n'avais jamais quitté ma famille, je n'étais jamais allé à l'étranger, je n'avais jamais voyagé en avion, je ne m'étais même jamais éloigné durablement de Tokyo. Aller à Montpellier, cela représentait pour moi un véritable exil, mais un exil voulu, nécessaire." (page 90).
On est en octobre 1973. Les voyages n'ont pas encore été banalisés comme maintenant.
Il raconte son arrivée à Montpellier, la fac, ses professeurs, ses boulettes en français, les étrangetés de chez nous. Il est frappé par un fait banal chez nous :
Citation :
"Dans les boulangeries, les bureaux de tabac ou dans d'autres petits commerces, je fus frappé par le fait que des hommes (et, moins souvent, des femmes) entraient dans la boutique en disant à la cantonade « Bonjour, messieurs-dames », ou tout simplement « bonjour », ou encore succinctement « Messieurs-dames ». Saluer des personnes inconnues ? Eh oui, cela est fréquent en France [...]. Tandis que dans mon pays, un tel geste, potentiellement créateur de liens, serait perçu comme une violence inacceptable ou tout au moins comme une incongruité suspecte. [...] Les inconnus sont par définition suspects." (page 169).
Il se marie avec une Française, et on voit comment il tente de résoudre le problème du bilinguisme pour l'éducation de leur fille : avec elle, chacun parle sa langue.
A un moment (page 230), il dit qu'il est double, et on pense à ce que le livre pourrait être : une longue interview de l'auteur par Bernard Pivot, dans la série Double Je.
On notera qu'il parle très gentiment de Daniel Pennac (page 237, page 250 "de Zola à Pennac en passant par Céline")... qui a écrit la préface. Je ne sais pas si Pennac apparaissait dans le livre avant que Pennac ne rédige la préface, cela dit. Le livre de Mizubayashi Akira parle donc de sa vie, de l'acquisition d'une langue, des différences culturelles profondes entre le Japon et la France, mais aussi de Rousseau, Mozart, Stendhal, Gérard Genette, Jean-Pierre Richard, Roland Barthes...
Et c'est franchement très intéressant.
Ecoutons-le :
Dernière édition par eXPie le Jeu 22 Sep 2011 - 21:47, édité 1 fois
merci pour ce fil je suis une adepte de la collection L'un et l'autre le sujet était fait pour me plaire, le livre se trouve sur ma LAL depuis sa sortie..
cecile Posteur en quête
Messages : 95 Inscription le : 01/02/2009 Age : 55 Localisation : Marseille
Sujet: Re: Akira Mizubayashi [Langues] Mer 9 Nov 2011 - 13:25
Je l'ai entendu par hasard un soir dans la voiture sur France Culture . J'ai mis un moment à comprendre qu'il n'était pas français . Je lis son livre en ce moment . Pour moi qui essaye également de m'approprier une certaine langue depuis de nombreuses années , ses mots me parlent très précisément . Je suis en admiration devant ce monsieur , que j'ai grand plaisir à lire , à écouter et ré-écouter encore.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Akira Mizubayashi [Langues] Mer 9 Nov 2011 - 19:20
cecile a écrit:
Je l'ai entendu par hasard un soir dans la voiture sur France Culture . J'ai mis un moment à comprendre qu'il n'était pas français .
C'est vrai qu'à l'écouter, c'est impressionnant : vraiment pas d'accent. Et en plus, il est intéressant, le bonhomme !
Je viens de découvrir ce fil, et grand merci pour les commentaires. Une bonne amie vient de m´offrir ce livre pour Noël. C´est, dit-elle, pour que je me calme avec mon impression de schizophrenie depuis que je suis devenue bilingue. Et aussi pour me réconcilier avec le fait de me sentir à jamais étrangère partout, décalée, ni française ni espagnole, condamnée à errer entre les deux langues, comme une écartelée bancale qui ne sait plus marcher sans trébucher. Ce bilinguisme dont les uns tirent parti pour briller dans la société, d´autres le vivent comme un véritable combat de deux langues qui se chevauchent et affleurent et se manifestent quand on s´y attend le moins, au dépend de l´orthographe et de la syntaxe...Impossible de les blinder chacune dans son coin, il y a osmose, tout au moins dans la pensée, d´où les carambolages au niveau de l´expresssion. Et je compte sur ce livre pour accepter cette " étrangéité" qui devrait m´accompagner au lieu de me harceler.
Sujet: UNE LANGUE VENUE D´AILLEURS. Sam 15 Fév 2014 - 17:05
Plus qu´un essai sur le bilinguisme, il s´agit du récit d´un Japonais amoureux-fou de la langue française, prêt à se soumettre à une discipline de fer pour habiter le français et parvenir à le parler sans accent. "Apprendre le français n’est pas l’affaire de quelques années universitaires, trouées çà et là, de courtes ou de longues vacances… C’est, au contraire, le projet invraisemblable, hallucinant et gigantesque qui engage toute une existence" Ascèse et libération car son idiome natal l´a deçu, tant la langue japonaise s´est appauvrie et formatée dans les années 70 " "paralysée par le conservatisme, avilie par l´injonction consumériste et tétanisée par l´hystérie mimétique des doxas soixante-huitardes" comme l´écrit Daniel Pennac pour la préface de " Une langue venue d´ailleurs". Akira Misubayashi fait bien part de cet entre-deux, de ce sentiment d´étrangeté que l´on éprouve soudain dans les 2 langues, comme le dit Nancy Houston qu´il cite aussi . " L´acquisition d´une deuxième langue annule le caractère naturel de la langue d´origine- à partir de là, plus rien n´est donné d´office, ni dans l´une ni dans l´autre" ( p.261) Ce à quoi répond Akira :"J´ai appris à parler comme un étranger dans ma propre langue" ( p. 261). L´auteur ne donne néanmoins pas l´impression d´être habité par 2 forces antagoniques, en présence au même moment, prêtes à rivaliser ou se manifester à la même minute, à l´insu de celui qui parle ou écrit, faisant de lui une victime d´embardées, pénétrations involontaires autres interférences souvent déconcertantes pour l´interlocuteur, parce qu´étranges ou incompréhensibles. Jorge Semprun ( qui était trilingue) se penche sur le sujet, dans son " Algarabia"( 1981) et le développe, insistant sur cette curieuse fusion ( le plus souvent mentale que verbale) et l´ impossibilité pour le sujet de s´en libérer. Akira semble ignorer cette osmose inévitable qui se produit entre les 2 langues. Pas de signes non plus de cette schizophrénie ou changement d´identité, dont se plaignent souvent les bilingues obligés à formuler leur pensée dans un moule ou dans un autre. Akira dans sa double appartenance linguistique donne l´impression de blinder chacune des 2 langues, au risque de les corseter presque, comme si leur cohabitation se faisait non plus depuis le croisement, la fortification et l´enrichissement d´une langue au travers de l´autre. Je vois chez lui comme un fossé infranchissable, creusé entre chacun des 2 systèmes, qui chez lui ne se mélangeront jamais. Différences peut-être dues à la disparité et désunion totale d´une langue asiatique avec toute autre européenne, contrairement à nos langues latines dans leurs intenses partages de racines, grammaires et écriture aussi.
C' est vrai, quand le Japon s' est ouvert sur l' Occident, certains écrivains japonais ont essayé d' apprivoiser leurs langues. - Pour d' autres, ce fut le traumatisme et le repli - Une véritable approche amoureuse !
Ariane SHOYUSKI Sage de la littérature
Messages : 2372 Inscription le : 17/04/2014
Sujet: Re: Akira Mizubayashi [Langues] Sam 14 Juin 2014 - 0:33
Ce que Swallow dit au-dessus est très intéressant pour moi.
Swallow a écrit:
Je vois chez lui comme un fossé infranchissable, creusé entre chacun des 2 systèmes, qui chez lui ne se mélangeront jamais.
Je pense que mon niveau de français est incomparable avec celui de m. Mizubayashi. Mais comme ce que tu dis, je n'ai jamais eu l'impression de schizophrénie car la différence entre japonais et français est très grande. Et Je n'ai jamais imaginer qu'il y aurait des problèmes de bilinguismes entre les langues proches comme français-espagnole-italien. Je suis très loin de bilingue. J'ai l'impression que mon niveau de français reste toujours à celui d'une enfant de 5 ans. En plus mon japonais affaiblit peu à peu. C'est vrai que mon mari, mon enfant et moi mélangeons parfois bizarrement deux langues - des mots japonais dans une phrase française ou contraire. Mais ce n'est pas un gros problème pour moi. A présent comme j'essaie d'apprendre le japonais à ma fille de 3 ans et demi, je parle tout le temps le japonais à la maison. Et au moment où je sors chez moi, je n'arrive pas facilement changer l'interrupteur du cerveau. Je m'inquiète aussi à ma fille pour la perturbation de son identité dans un avenir prochain etc.. Ce n'est pas simplement une question de langue tout ça.