Tous au Larzac [Christian Rouaud]

Pour la génération des années 90 à laquelle j’appartiens, le Larzac représente seulement une terre réduite à ses caractéristiques géographiques les plus formelles (un plateau du massif central) à laquelle s’ajoutent quelques détails particuliers (des paysages naturels encore bien préservés, des chèvres, des fermes). Une image d’Epinal à laquelle je ne me doutais pas devoir un jour ajouter une nouvelle dimension, politique et sociale cette fois-ci.

Et c’est ainsi qu’à travers ce documentaire, je me confronte à la lutte menée au Larzac entre les années 70 et 80. Première constatation inévitable : Christian Rouaud s’adresse aussi bien à ceux qui ont suivi de près cet épisode au moment où il s’est produit qu’à ceux qui n’en avaient jamais eu la moindre connaissance.
Tout commence avec la décision du gouvernement d’étendre le camp militaire du Larzac, construit en 1902 dans la commune de La Cavalerie. Celui-ci empièterait alors sur douze communes environnantes. Les paysans refusent de se soumettre et de céder leurs terres. Ils doivent trouver un moyen d’exprimer leur désaccord, mais ne voient pas comment faire entendre leur voix. Alors ils se réunissent et mettent leurs idées en commun. Ces paysans, éparpillés, méfiants, qui avaient lancé un regard désapprobateur sur le mouvement de mai 68, devront alors se rapprocher les uns des autres et échanger leurs idées dans l’élaboration d’un projet commun de résistance.
Peu à peu, une véritable milice s’élabore, à laquelle viendra s’ajouter des sympathisants par centaines. Les moyens de lutte font l’objet d’une réflexion approfondie. Jamais la violence ne devra prendre le dessus, et les méthodes de protestation originale se succèdent : libération des troupeaux sous la Tour Eiffel, grève de la faim, manifestation silencieuse, barrages humains… La vie en communauté, loin des règles et de la hiérarchie civile, s’élabore et trouve son point culminant à deux reprises, en 1973 et en 1974, lors de grands rassemblements sur le plateau du Larzac.
Malgré toute l’intelligence déployée dans ces actions, le gouvernement ne cède pas et maintient son projet d’agrandissement du camp militaire. Même si on connaît le vainqueur de cette lutte, la tension s’accentue au cours du film. Surtout, il y a cette question qui laisse pantelant : comment le gouvernement a-t-il pu rester sourd aussi longtemps aux revendications d’un si grand nombre de personnes ? L’absurdité de la situation est terrassante. Il faudra attendre l’élection de Mitterrand en 1981 pour que le projet soit abandonné.

Pour présenter toutes les étapes de cette lutte, Christian Rouaud ne cherche pas particulièrement l’originalité. Son documentaire est de facture plutôt classique et alterne les témoignages d’acteurs de la lutte, documents d’archives et vues panoramiques sur le plateau du Larzac. Pourtant, il arrive à imposer un rythme à ce document, n’hésitant pas à s’attarder sur les sentiments des protagonistes qu’il filme dans toute leur humilité, avant de repartir au cœur de la lutte et de progresser dans l’histoire du mouvement, évoquant ses étapes les plus décisives.
Autre point fort de ce documentaire : il n’est pas racoleur, à l’image d’un Stéphane Hessel qui pousserait à la lutte aveugle contre le premier sujet d’indignation venue. Les protagonistes du mouvement de Larzac sont des êtres humains, et jamais Christian Rouaud ne cherche à faire d’eux des visionnaires ou des surhommes qui savent mettre de côté leur individualité au profit de grandes causes humanitaires. Leur lutte a pris base sur des revendications purement personnelles. Là où ils ont su faire preuve d’intelligence, c’est dans la largesse d’esprit qu’ils ont montré lorsque d’autres sympathisants ont rejoint le mouvement et apporté des idées neuves dont ils ont su tirer le meilleur parti. La lutte est digne lorsqu’elle est honnête. Ici, pas de fierté individuelle à « s’indigner » contre le gouvernement, mais une véritable volonté de ne pas se laisser écraser.
Autre grand moment du film, qui aborde une question inévitable : que faire une fois que la lutte est remportée ? La victoire est heureuse, évidement, mais déstabilise. Que va-t-il advenir du sentiment collectif qui avait animé chacun pendant dix ans ? Comment retrouver une vie normale et apaisée après avoir mené une guerre pacifique contre le gouvernement ? Christian Rouauld n’occulte pas cette transition difficile et revient sur les doutes qui ont pu traverser les protagonistes de la lutte à ce moment précis. Après s’être ouverts au monde à travers ce mouvement collectif du Larzac, il est moins difficile de regarder autour de soi et de déceler des failles sur lesquelles il est possible d’intervenir. Et c’est ainsi que depuis, l’esprit du mouvement continue de flotter sur les lieux avec la création de la Confédération paysanne, un sommet altermondialiste en 2003 et la lutte contre les OGM. Le documentaire s’achève en nous présentant toute une gamme de possibles…

Le blog Tous au Larzac comporte pas mal d'articles intéressants...
On trouve des articles de journaux des années 70/80 et des commentaires d'affiches.

Les gens étaient inventifs à cette époque !

Je me laisse peut-être emporter par mes aperçus. Excepté le petit manifeste Indignez-vous d'Hessel, c'est vrai que je n'ai jamais rien lu de lui. Grand mal m'a pris d'aborder sa pensée avec ce dépliant de trente pages, qui m'avait donné l'impression d'accéder à un prêt-à-penser dont la brièveté et le manque d'arguments me semblait en curieuse contradiction avec la volonté d'un homme de devenir la figure de proue du contestateur. Je crois que je n'aime pas cette image de sauveur qu'il essaie de se donner. J'ai l'impression qu'il cherche seulement à s'attribuer une gloire personnelle derrière la revendication d'un combat social. Ma réaction tient peut-être du réflexe pavlovien, parce qu'il me rappelle d'autres figures qui auraient pu essayer d'exploiter la veine humanitaire pour leur propre gloriole. C'est vrai que c'est idiot.

c'est paradoxal, il faudrait ne pas avaler tout le prêt à penser et accepter dans le même temps et sans réserves un objet (faute de mieux prenons un terme générique qui associe la forme au reste) qui présente des similitudes avec un prêt à penser.

je pensais par exemple à : puisque les citoyens sont matraqués de messages aussi contradictoires que flous (entre autres, inéluctable mondialisation contre laquelle des solutions seraient trouvées par le Made in France ) .

après c'est vrai que c'est un raccourci mais... il ne m'a pas l'air dramatique ?

je trouve le paradoxe plus amusant (c'est la répétition qui m'a fait de l'effet sur le coup je crois bien) que de tourner la discussion à... la pique ? ce qui est une incompréhension, ici.

Merci Animal de tes interventions, elles résument assez bien ce que je pense moi-même.

Sauf que je n'ai pas du tout envie de rire quand je lis :

Constance a écrit:

S
Peut-être appartiens-tu à une classe de privilégiés, mais c'est ne pas le cas pour des millions de français qui souffrent de ne pouvoir accéder aux soins, faute de pouvoir adhérer à une mutuelle, dont les enfants sont promis au chômage, et dont les fins de mois commencent vers le 10 ou 15 quinzième jour.

Parce que lorsque dans un débat, comme argument on disqualifie son opposant en lui accolant une catégorie d'appartenance, vraie ou supposée, moi cela me fait froid dans le dos.

Les polémiques de forum réveillant l'esprit clanique, très peu pour moi, surtout lorsqu'elles virent au procès stalinien.
Pour ma part, sachant que j'ai appris à reconnaître les vrais humanistes, et ceux ou celles qui ne le sont que de façade, j'en reste là, d'ailleurs j'ai effacé mes interventions.

Dommage que tu aies édité tes messages...

Pour ce qui est de la disqualification par catégorisation, je ne me sens pas très touchée à l'idée qu'on puisse penser que j'appartiens à une classe de privilégiés. Privilégiée, j'en suis une, relativement à ceux qui le sont moins que moi. Bref, ça ne veut pas dire grand-chose.
Mais c'est vrai que j'ai un toit, de la nourriture et de l'eau à disposition, et que je peux disposer de soins médicaux en temps voulu. Donc je n'exclus pas l'idée d'être coupée de certaines réalités.

Arabella a écrit:

Merci Animal de tes interventions, elles résument assez bien ce que je pense moi-même.

Sauf que je n'ai pas du tout envie de rire quand je lis :

Constance a écrit:

S
Peut-être appartiens-tu à une classe de privilégiés, mais c'est ne pas le cas pour des millions de français qui souffrent de ne pouvoir accéder aux soins, faute de pouvoir adhérer à une mutuelle, dont les enfants sont promis au chômage, et dont les fins de mois commencent vers le 10 ou 15 quinzième jour.

Parce que lorsque dans un débat, comme argument on disqualifie son opposant en lui accolant une catégorie d'appartenance, vraie ou supposée, moi cela me fait froid dans le dos.

Insinuer que l' intention de Constance était de discréditer et que c' était le fond de sa pensée ne me semble pas innocent non plus...

moi je me range dans les privilégiés mais j'ai peur d'avoir trop chaud avec un kilt, et je ne sais pas si ça serait raccord avec la chemise à fleurs ?

moi aussi je trouve ça bête l'édition de message qui étoffe celui mal reçu de ce "petit bouquin que je n'ai toujours pas lu et dont ce n'est pas le fil".

toujours est il que pour un film qui concerne un film qui apportait un peu d'ouverture d'esprit et de capacité d'évolution nous avons une belle réussite.

Pas envie de polémiquer, puisque j'ai de toute façon la sensation que tout échange est impossible.