Livre de sang (1)
(couv' de mon édition (1988) qui met en avant la nouvelle
Le train de l'abattoir -
Midnight meat train, pour le ciné)
Recueil de nouvelles où l'humain "moyen" se retrouve confronté à un monde fantastiquement horrifique.
Barker installe ses histoires, pose des situations vite fait, il parvient en deux coups de ligne de poser les bases psychologiques et sociologiques des personnages. C'est assez impressionnant comme en deux secondes, on est dedans.
En même temps, c'est sûr il ne va pas chercher très très loin, et fait appel à des images qu'on connaît, reconnaît facilement, mais ça ne sombre pas dans la caricature grossière.
Les scènes de fantastique et d'horreur, voir de gore, sont incroyablement bien menées, elles surgissent, en deux pages elles font un massacre, et pouf un coup de balai.
Comme si on était tranquillement installé chez soi, à lire son bouquin tranquille sur son canapé, puis surgissant de nulle part un flot de sang nous tombe dessus, suivit d'une souffrance ou d'un dégoût intense, et PifPaf on ouvre les yeux, et tout a disparu, sauf qu'on sait désormais que ce n'est pas sur des œufs qu'on marche mais sur des os.
Petits bouts de résumés des histoires :
Le train de l'abattoir : Un mec écœuré par New-York dont il espérait tant, erre dans les méandres de la ville. Il s'endort dans le métro, et lorsqu'il ouvre les yeux, il entend un bruit sourd dans l'autre wagon, il s'approche et flocfloc y'a une mare de sang sous ses pieds. Le boucher, dont les journaux parlent depuis quelques temps, est juste là, à sa besogne.
Intéressant l'entremêlement réflexif autour de la pourriture d'une ville et les massacres humains nécessaires pour sa survie (j'essaye de ne pas trop en dire).
Intéressant aussi d'imaginer l'origine d'une ville, quel peuple originel pourrait être aux racines d'un tel magma de souffrances, de solitudes, de colère... et d'amour.
- Citation :
- Il n'était pas préparé à cette ultime horreur. [...] Ils se balançaient là, devant lui, ces quartiers d'humanité rasés, saignés, dépecés, ouverts comme des poissons et prêts à être dévorés.
Kaufman faillit sourire devant la perfection de cette horreur. Il sentait une promesse de démence sourdre à la base de son crâne, la tentation de l'oubli, lui offrant sa morne indifférence au monde.
(L'adaptation ciné a pris beaucoup de libertés légèrement incompréhensibles parfois, si ce n'est nous rendre le héros plus sympathique, et plus paumé : lui donner une femme et un histoire d'amour inutiles - même en voyant le film sans avoir lu la nouvelle je me demandais ce qu'elle foutait là. Et des justifications à des actes qui n'étaient pas nécessaires : comme la recherche de la violence pour atteindre à quelque chose de vrai... )
Jack et le Cacophone.
Un démon, le cacophone, a pour mission de rendre cinglé Jack, un bon père de famille tranquille. Mais il n'y parvient pas. Jack semble hermétique à tous ses trucs et astuces démoniaques, le démon se demande même s'il n'est pas juste benêt.
Cette nouvelle est assez cocasse, de voir ce pauvre démon se démener comme un pauvre diable (!!), et de ne pas trop comprendre qui est ce Jack. Des moments vraiment très drôles, comme lorsque le cacophone tue chats après chats pour faire réagir Jack, et que celui-ci reste de marbre en sortant sa phrase habituelle : Que sera sera.
C'est une véritable lutte psychologique qui se met en place, et petit à petit lorsque les éléments se révèlent et lorsque la fin arrive, on sourit mais c'est à la fois de soulagement, de plaisir, et de peur aussi, plein d'ironie.
La truie (Deuxième proposition de couv' par Matthieu Blanchin, qui avait été refusée)
Un ancien flic devient prof de menuiserie dans une école pour jeunes en difficultés (voir en réinsertion). Dès son arrivée il sent que les choses ne sont pas tout à fait normales. Un gamin se fait tabasser, et les profs "laissent couler". Un autre a mystérieusement disparu... et certains disent qu'il est toujours là.
Et puis il y a cette truie magnifique planquée dans une petite ferme de l'école. Une truie énorme...
Cette nouvelle est extrêmement étrange et flippante. Parce qu'on ne sait jamais trop si c'est du lard ou du cochon (aha). La mort est omniprésente, la pression et la peur aussi dans cet univers très fermé de l'école. C'est étouffant et édifiant sur le pouvoir de l'imagination, de la mort.
Et c'est crade.
Les feux de la rampeDans un vieux théâtre, l'Elysium, Calloway monte
La nuit des rois. Il a une aventure avec Diana Duvall, l'actrice principale, et qui joue comme un pied (elle est là parce qu'elle est connue et ramènera du public).
Il se désespère de voir sa pièce d'aussi piètre qualité. Et puis un jour Lichfield surgit. c'est un homme raffiné, qui aime l'Elysium plus que tout. Il annonce à Calloway que ce lieu va fermer, que cette
Nuit des rois sera le dernier spectacle à y être joué.
Mais cette pièce ne peut pas être interprétée par une actrice aussi nulle que la Duvall...
Histoire de fantômes et d'art. C'est touchant, et ça rappelle pas mal les ambiances à la Tim Burton avec de "bons fantômes" qui veulent faire le bien, même si c'est de façon macabre.
C'est poétique et touchant.
Dans les collines, les cités(couv' de la récente édition chez J'ai lu, qui illustre cette nouvelle)
Un couple Mick et Judd sont en vacances en Yougoslavie. Ils s'engueulent sans arrêt, ne sont absolument pas sur la même longueur d'onde. Et un jour sur la route ils entendent des détonations, et Judd veut absolument aller voir (en tant que journaliste, il peut découvrir des manœuvres militaires illégales).
Ils vont découvrir le comble de l'incroyable horreur : la lutte entre deux cités. Lutte qui prend la forme de deux géants composés des corps de tous les habitants des deux villes. Un magma de chair, de sang.
Époustouflante idée métaphorique et psychologique. A se demander jusqu'où va aller ce corps de géant fait de corps humains imbriqués. D'imaginer l'horreur d'une telle vision, la fascination aussi.
J'adorerais voir ce truc en film ! C'est tellement bien imagé avec les mots de Barker, ça donne envie.
- Citation :
- Prepolac (le géant) était à deux pas de la maison. Ils pouvaient voir les complexités de sa structure avec toute la clarté nécessaire. Les visages de ses citoyens devenaient plus distincts : blancs, luisants de sueur, et satisfaits dans leur épuisement. Certains pendaient à leurs harnais, morts, les jambes oscillant comme celles d'un pendu. D'autres, les enfants en particulier, avaient cessé d'obéir à leurs instructions et avaient relâché leur position, si bien que la forme du corps était en train de dégénérer, commençait à bouillonner d'amas de cellules rebelles.
Mais elle marchait toujours, et chaque pas représentait un effort incalculable de force et de coordination. [...]
Mick vit la jambe se lever, aperçut les visages des citoyens placés dans le mollet, la cheville et le pied - ils étaient aussi gros que le sien à présent -, tous des hommes robustes choisis pour supporter tout le poids de cette grandiose création. Beaucoup étaient morts. La plante du pied, vit-il, était un puzzle de corps écrasés et sanglants, pressés à mort par la masse de leurs concitoyens.
Y'a souvent dans les nouvelles de ce recueil le thème d'une transcendance à laquelle on se soumet parce qu'on y trouve alors un sens à son existence. Une entité supérieure qui nous pousse à nous sacrifier d'une façon ou d'une autre, mais qui nous permet d'avoir une place.
Faudra que je continue cette découverte. (Par contre la traduction de mon édition est plus que moyenne... avec coquilles et vieilles expressions qu'on utilise jamais en France)