Harper Lee : Va et poste une sentinelle. - GrassetA paraitre en octobreLE MONDE DES LIVRES | Par Raphaëlle Leyris
"Le livre d'
Harper Lee en vente en Floride le 14 juillet 2015.
Plus d’un demi-siècle de silence, et soudain, quel raffut ! Annoncé depuis cinq mois, le deuxième roman d’
Harper Lee a été mis en vente le 14 juillet dans sa version originale, cinquante-cinq ans après Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, dont les admirateurs s’étaient résolus à admettre qu’il serait l’unique livre de l’auteure, aujourd’hui âgée de 89 ans. En février,
Harper Collins avait fait savoir qu’un inédit avait été retrouvé et qu’il serait publié avec l’accord d’
Harper Lee. Go Set a Watchman était présenté comme la matrice et comme la suite de Ne tirez pas… Ayant été écrit avant celui-ci, en 1957, il racontait des événements postérieurs ; son éditeur avait convaincu l’écrivaine de le réécrire en le centrant sur l’enfance de l’héroïne.
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Harper Lee publie son second roman
La publication de Go Set a Watchman a été orchestrée comme un événement planétaire, avec ses 2 millions d’exemplaires imprimés, disponibles dans 70 pays, ses préventes record sur Amazon, lesquelles n’ont pas empêché des scènes de frénésie et de communion aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Irlande. Des librairies ouvrant à minuit, le 14 juillet, envahies de clients voulant acquérir en premier leur exemplaire ; des marathons de lecture débutant sitôt l’ouvrage en vente…
Questions autour des conditions de la publication
C’est qu’ils sont rares, les auteurs entourés par une légende à la mesure de celle d’
Harper Lee. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, prix Pulitzer 1961, s’est vendu en anglais à quelque 30 millions d’exemplaires, et a été traduit en 40 langues (et adapté au cinéma par Robert Mulligan, avec Gregory Peck). Aux Etats-Unis, il est le roman le plus étudié dans les lycées, et le plus cité, avec la Bible, parmi les ouvrages susceptibles de changer une vie… Chaque année, 30 000 personnes se rendent à Monroeville (Alabama), où est née et vit
Harper Lee, pour voir le lieu qui lui a inspiré le village de Maycomb, rendu inoubliable par le récit de la jeune Scout Finch. Son père, Atticus, avocat humaniste dans le Sud raciste des années 1930, défend un homme noir accusé du viol d’une femme blanche ; il est le personnage central de Ne tirez pas…, qui explore la question des rapports de classes et de races, celle du courage, de la transmission, de l’éveil à l’injustice.
Dès le week-end, les journaux ont vendu la mèche : dans Go…, on découvre un Atticus Finch très différent du héros autrefois révéré par sa fille et par tant de lecteurs. Agée de 26 ans, la jeune femme, vivant désormais à New York, lui rend visite à Maycomb. Ce séjour est l’occasion d’un dessillement : Atticus, septuagénaire, tient des propos racistes et confie avoir assisté à une réunion du Klu Klux Klan. Une révélation dans laquelle le Daily Mail voit « ce qui peut se faire de pire en matière de scandale littéraire », et dont tous les critiques soulignent à quel point elle est « perturbante ». Mais si le Guardian, qui a consacré au livre un supplément de 16 pages, juge que cette lecture apporte une complexité bienvenue, le New York Times estime que « les personnages déversent des discours de haine » au fil d’une « narration pénible » – « sinueuse », dit le Los Angeles Times, selon lequel le texte montre bien « les promesses » de l’auteure, mais « s’écroule ».
Derrière ces critiques mitigées pointent les questions autour des conditions de la publication. En février, l’avocate d’
Harper Lee, Tonja B. Carter, affirmait avoir découvert le tapuscrit accroché à celui de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur durant l’été 2014. Le 11 juillet, elle a livré une autre version dans une tribune au Wall Street Journal, où elle explique avoir vu ces pages pour la première fois en 2011, quand un expert vint estimer le prix du manuscrit de Ne tirez pas…, et qu’il trouva au coffre un texte inconnu, dont il ne fut plus question avant que le souvenir n’en revienne à Mme Carter en 2014.
Le New York Times souligne les revirements de l’avocate et les contradictions apportées par d’autres témoins. Quant à son allusion à un éventuel autre inédit encore au coffre, elle est accueillie avec suspicion par toute la presse, qui note la concomitance entre le choix de publier Go… et le décès, en novembre 2014, d’Alice Lee, sœur et avocate de l’écrivaine veillant sur ses intérêts depuis toujours… Mais si
Harper Lee est âgée, sourde et vit recluse, des proches s’élèvent contre l’idée qu’elle aurait été abusée. Pour se faire une idée en français de la qualité du texte, il faudra attendre le 7 octobre, et sa parution chez Grasset, sous le titre Va et poste une sentinelle, dans une traduction de Pierre Demarty."