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Messages : 10160 Inscription le : 03/06/2009 Age : 66 Localisation : Sous l'aile d'un ange
Sujet: Sergio Alvarez [Colombie] Sam 25 Aoû 2012 - 12:21
Sergio Alvarez est né en 1965 à Bogota. Après un premier roman, La lectora, il a consacré dix années à l'écriture de 35 morts, résultat de nombreux voyages et de recherches sur l'histoire et le milieu de la drogue en Colombie.
traversay Flâneur mélancolique
Messages : 10160 Inscription le : 03/06/2009 Age : 66 Localisation : Sous l'aile d'un ange
Depuis la naissance du protagoniste, en Colombie, jusqu au dernier rebondissement, à Madrid, nous le suivons dans des aventures toutes plus réelles les unes que les autres : combats politiques, enlèvements, répressions, massacres, coups de filets, trafics de drogue, discothèques troubles, luttes pour la survie...
Sergio Alvarez a eu besoin de dix ans pour achever son roman, 35 morts. Un livre total, une somme sur quatre décennies de violence et de survie en Colombie. Le personnage principal, loser patenté, y compris dans ses relations sentimentales tumultueuses et pathétiques, subit les turbulences de l'histoire de son pays. Il est tour à tour communiste, voyou, yogi, marionnettiste, paramilitaire, exilé, ... Adossé au récit central, Sergio Alvarez raconte, en alternance, des dizaines de petites histoires, reliées ou pas à l'intrigue, et qui, par leur caractère choral, expriment toutes les facettes du peuple colombien, laminé par la guerre civile et la corruption, mais toujours debout et vivant. Sexe, drogue et assassinats, le cocktail explose à toutes les pages de 35 morts. Mais en imposant un style picaresque, non dénué d'humour noir, cru, électrique, Sergio Alvarez se hisse bien au-dessus du documentaire et écrit une fiction palpitante qui cavale comme un cheval fou. Tous les chapitres s'ouvrent par un extrait d'une chanson populaire colombienne. C'est que l'on demeure sentimental, malgré tout, même si le sang coule à gros bouillons et si la mort rôde à chaque carrefour, détruisant les vies au hasard, d'un revers de faux. Ce livre dévastateur conte un voyage en enfer mais l'auteur s'attache avant tout à nous faire sentir l'intensité des relations humaines dans ce pandémonium et la moiteur tropicale des étreintes amoureuses. Un roman puissant, dense, sardonique, qui rend hommage au courage et à la capacité de résistance d'une population qui s'entête à ne pas craindre la mort et à vivre la tête haute.
Le héros de 35 morts ne demande pas grand-chose d'autre à la vie que de se partager entre l'amour et le sexe - dont il n'arrive pas à savoir lequel il aime le plus - , d'être d'autant plus sympa avec ses potes que ceux-ci se soucient de lui, et d'adoucir les difficultés avec les bières et la drogue.
Citation :
Je ne te crois pas, dis-je quand elle me raconta combien de gens elle avait tués. Moi, je te crois, dit-elle quand je lui racontai combien de femmes m'avaient plaqué. On rit beaucoup.
Un gars plutôt sympa, seulement voilà, il est né en Colombie, un pays où l'on peut dire :
Citation :
Tu es devenu vieux sans avoir compris comment fonctionne ce pays. Et comment il fonctionne, pour voir ? Grâce aux morts, vieux, dans ce pays, celui qui n'a pas tué ou fait tuer quelqu'un n'avance pas. Je le regardais, impressionné. Crois-moi, vieux, c'est la mort qui commande, et celui qui ne tue pas ou qui ne fait pas tuer, il n'est personne, il ne vaut rien.
La Colombie, où on n'a guère le choix que de flirter avec la révolution, les militaires, les narcotrafiquants, de pratiquer la violence, les arnaques et la corruption. Un pays où les poings et les armes sont les vrais outils de communication. Et où il ne reste donc pas beaucoup d'autres solutions que de jouir à fond de l'instant, pour mieux pleurer quand le bonheur vous est ravi – on pleure beaucoup dans ce livre, les filles, les copains, les puissants, les méchants, tous sont de gros sentimentaux fleur-bleus.
À côté, il y a plein d'autres petites histoires, d'autres trajectoires de vie, d'autres destins ballottés par la violence, qui alternent avec le principal, tous à la première personne du singulier, des personnes qu'on identifie ou qu'on n'identifie pas, qui interfèrent avec l’histoire principale ou pas, comme autant de nouvelles coup-de-poing enchâssées dans le récit.
Au sein de ces petites séquences à l'alternance rapide, toutes annoncées par une phrase d'une chanson populaire, le style trouve une singularité qui captive, en ne s'autorisant aucun paragraphe, aucun alinéa, aucun retour à la ligne, y compris dans les dialogues, tout s'enchaîne sans pause pour une impression de rapidité, de dévastation, de naturel haletant : le lecteur est emporté et submergé : la violence, le monde et la vie qui grouillent, l'impasse existentielle...
35 morts est le roman brillant et palpitant d'un personnage attachant, de son destin déterminé par un lieu de naissance aimé et honni tout à la fois, pris en otage par on ne sait qui, des politiques, des décideurs, des bandits, des riches, des filous qui ont réussi à annihiler les espoirs d'un peuple tout entier, à le faire renoncer au bonheur et à la sérénité, à le faire toujours courir, toujours cacher sa peur, toujours grappiller son plaisir au plus vite. Un peuple romantique et désespéré qui ne renonce pas à vivre mais n'en finit pas de pleurer.
Citation :
J'étais un vrai fumier, j'ai cogné, violé, tué. J'ai mis le feu aux fermes, me suis cru invincible en regardant les flammes éclairer les cadavres. J'ai dégommé comme on tire à la cible le corps de tous mes ennemis, j'ai bu leur sang, jonglé avec leur tête, et débité à la machette ou à la tronçonneuse. J'ai encaissé du fric, on m'a donné campo, et j'ai filé à la fête, j'ai dansé, salué les potes. Pris une bonne cuite. Je suis tombé amoureux. Elle m'ont donné plein de baisers leur chaleur et leurs corps. Cet amour m'a donné la force de continuer, de ne jamais faiblir, de bien faire le boulot.
Ton commentaire me rappelle fortement une expo photos de Miquel Dewever-Plana sur les gangs au Guatemala. Reportage que l'on peut retrouver dans les pages de la revue 6 mois (mais je ne sais pas quel n°). Une expo terrible, violente et pleine d'humanité qui raconte énormément d'histoires tragiques.
C'est tragique Et il y a en même temps un côté joyeux, chaque fois il se dit, ça y est, je suis pris en main par des potes sympas, j'ai trouvé l'amour, je me suis payé une bonne soirée; Et puis non, ça retombe, les copains étaient des mafieux, , l'ex de la fille veut le descendre... Il est désespéré, il pleure toutes les larmes de son corps... et puis la vie reprend le dessus. En même temps c'est très réaliste et c'est un conte plein d'humour.
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
La vie du protagoniste que suis le lecteur reflète l'histoire de la Colombie entre bas et hauts, entre la vie et la mort, la joie et les pleurs, l'amour et la haine sur fond de guerre et de musique. On danse et on chante souvent, autant qu'on pleure.
Le Gamin, comme l'appelle les amis, n' est pas de taille à affronter cette dure vie lui qui est l'objet d'abandons, celui de sa mère morte en couches, de son père qui se suicide et des nombreuses femmes aimées ; parce qu'on "baise" beaucoup en Colombie ; on boit et on se drogue pour supporter la vie, les trahisons, les tueries.
"Ne t'inquiète pas, il n'y aura pas de problème, j'ai déjà liquidé beaucoup de syndicalistes, ils sont faciles, les gardes du corps que leur attribue le gouvernement les trahissent, dit-elle en se déshabillant."
Le Gamin garde une trace de son adolescence avec des amis et protecteurs communistes, il espère et il attend le bonheur mais chaque fois qu'il le croit à sa portée il le perd.
Après donc une ligne de vie plus que chaotique, parce qu' encore une fois on peut, on doit le tuer, le Gamin suit le conseil d' un vieil ami et quitte la Colombie pour l'Espagne.
"Tes clients ne t'ont jamais demandé s'ils devaient tuer quelqu'un ? Si, répondu Marcos. Et tu leur as dit quoi ? Parfois, tuer quelqu'un c'est préférable. Je ne te crois pas. Comme te l'ad dit Quique, tu ne comprendras jamais rien à la vie en Colombie, voilà pourquoi tu t'en vas. Mais cette tuerie n'aura jamais de fin ? Je te l'ai dit, tuer est parfois nécessaire ; certains tuent et ça ne leur réussit pas, mais crois moi, ça réussit à la plupart des gens et ils s'en sortent."
Malheureusement dans l'exil aussi le bonheur lui sera refusé.
Et parce que la Colombie a aussi ses miracles, l'un des personnages est "immortel"
"Comme je te le dis, on a discuté et personne ici ne veut être ton associé, donc on va te verser ce que tu voudras pour que tu te barres. Mais pourquoi ? Parce que tu est immortel. Ce n'est pas un avantage ? Pour gagner la guerre, si mais pour les affaires, non. Pourquoi ? Les immortels ne sont pas faits pour le marché de la coke, pour que ce négoce fonctionne, on doit tuer et pourvoir être assassiné, un immortel romprait cet équilibre."
Les Colombiens semblent tous marcher, plus ou moins sur un fil.
Une très bonne lecture, édifiante (bien qu'un peu trop longue), toutes les facettes de la Colombie : la corruption, les trafics de drogue, les présidents (voleurs, tricheurs, ivrognes) l'armée, les guérilleros, les assassins, les victimes, les communistes, syndicalistes etc........ exposées dans des situations ou évènements suffisent amplement à sentir, à saisir la Colombie et le quotidien des Colombiens. Certaines confessions ou monologues croisent ceux du protagoniste et ajoutent à notre appréhension.
Le protagoniste n'est pas prénommé comme si l'auteur nous présentait à travers lui n'importe quel Colombien.
autres extraits
"J'écrivais en me disant que les noms que j' effaçais étaient ceux de gens qui avaient été déplacés ou assassinés et j'étais démoralisé, mais j'avais décidé de rester, j'étouffai donc le peu de conscience qui me restait et je poursuivis ma tâche."
"Les gardes du corps ont dégainé et on a dû se laisser emmener. Tu peux rester ou te barrer m'a dit Rocky sur le parking. J'ai regardé ma fiancée, j'ai vu la ville illuminée derrière elle et j'ai compris que le mieux était de m'en aller ; mais qu'elle ne me le pardonnerait jamais."
"Suivi par le regard furieux de la foule, seul et une fois de plus écoeuré, j'ai mis mon sac sur sur l'épaule et, planté devant l'église, voyant réapparaître la statue innocente du Divin Enfant, je lui ai lancé : tu verras, salopard, je ne serai pas ton prophète, et on ne va pas en rester là..."
Difficile d'imaginer une vie plus mouvementée que celle de notre narrateur colombien. Orphelin de mère à la naissance, son père se suicide après quelques épisodes alcooliques foireux et quelques compromissions pas plus réussies avec le pouvoir. Le petit garçon se retrouve donc emporté à Bogota par sa tante Cristina qui rencontre un groupe communiste révolutionnaire avec lequel ils vont vivre une grande aventure communautaire, laquelle finira en implosion programmée en raison d'histoires de fesses emboitées (!!). Oui, le livre regorge de scènes décomplexées qui à la longue finissent par toutes se ressembler. La tata dépressive se fait écraser par un bus et le gamin trafique de tout avec de mauvais garçons, jusqu'à ce qu'une fusillade éclate et qu'il doive se barrer. Il entre alors à la fac, devient proche d'un révolutionnaire qui détourne de l'argent pour se faire sa place dans le milieu des narco-trafiquants. Après une fusillade (oui) le jeune homme se clochardise et se fait sortir de la rue par un militaire qui l'encaserne. Là, entre histoire de filles et maquillages de corps torturés, le môme devient un homme. Il finit par se faire virer de l'armée et devient adepte d'un gourou dans un ashram. Oui. Une banale histoire de fesses (oui) l'expulse de cet endroit idyllique où pour la première fois il semblait avoir trouvé une sorte de 'mystique'. Etc. etc. De trahisons en résurrections successives, le jeune homme continue sa vie, entre sexe, drogue et salsa.
Il faut ajouter à ce foisonnement romanesque, un parti pris littéraire qui insère les dialogues à l'intérieur des paragraphes. Cela donne un rythme fou au récit et même si parfois on ne sait plus très bien qui parle à qui, on s'y retrouve assez facilement.
A cette typographie resserrée, l'auteur additionne des chapitres (enchainés les uns aux autres et seulement séparé par des paroles de chansons, ah Pablo Milanés, mon idole) racontant l'histoire de personnages annexes (qui peuvent revenir de manière tout à fait inattendue bien après leur apparition dans la vie du narrateur).
Pablo Milanes , El breve espacio en que no estas
Cela donne une lecture quelque peu compliquée. Et même si à chaque fois je me suis laissée piéger par l'inventivité totalement débridée d'Alvarez, je n'ai pas vraiment réussi à éprouver empathie ou réserve pour les hommes et les femmes croisées ici et là. Le livre déploie une telle profusion d'actions, de personnages, d'évènements politiques ou sociologiques (Révolution avortée, rébellion armée, sombres guérilleros, amours passagères, pleurs incompressibles, fuites, courses et assassinats), qu'on finit par ressentir une sorte de perplexité face à un tel déploiement.
Lecture éprouvante mais qui rend bien compte de l'effervescence intellectuelle, du foisonnement révolutionnaire et maffieux d'un pays branlant, attachant, chantant et incroyablement protéiforme.
Ne croyez pas que les héros colombiens qui habitent ce roman, qui incarnent leur pays sont des braves, non ils sont pour la plupart lâches, fielleux, colériques et fuyards ; ils pleurent beaucoup en écoutant les vallenatos romanticos, ils se battent puis se barrent, ils n'ont rien de héros, au fond, ils sont juste des êtres contraints à être des barbares dans un monde dévasté.
Au final, le lecteur épuisé échappe de justesse à devenir le 36ème mort du titre…
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Dans son commentaire, traversay, parle de l'humour (sardonique) d'Alvarez et je dois dire que je n'ai vu aucune trace d'humour dans ce roman, c'est d'ailleurs peut-être ce qui m'a manqué. J'ai, au tout début de cette lecture, fait un parallèle entre Alvarez et le livre d'Egolf, Le Seigneur des porcheries, à cause de l'histoire familiale désastreuse des deux protagonistes, mais là où Egolf parvenait à me faire sourire (et même rire), j'ai l'impression qu'Alvarez n'y parvient pas et qu'en misant à peu près tout son texte sur le sexe (les femmes comme les hommes ne pensent qu'à ça) je n'ai pas réussi à m'attacher vraiment à cette histoire...