La fosse aux serpents [Anatole Litvak]

La fosse aux serpents (1948)


Une jeune femme confuse et désorganisée se retrouve sans savoir pourquoi dans un hôpital psychiatrique. Elle découvre progressivement cet univers anxiogène en même temps que son thérapeute tente de l'aider à recouvrer la raison.

Je poursuis mon cycle de films sur le monde de la folie et de l'institution psychiatrique. Et cette "Fosse aux serpents", film adapté du roman de Mary Ann Ward (plus ou moins autobiographique), est une nouvelle bonne surprise même s'il n'échappe pas au travers de ces fictions des années 40/50 qui s'inspiraient de la psychanalyse pour faire de véritables thrillers psychologiques. Mais l'ensemble est d'une qualité étonnante qui compense ses propres maladresses.

Martin Winckler (qui a été médecin dans un hôpital psychiatrique à ses débuts) expose en 45' dans une excellent supplément du DVD toute la richesse de ce film qui est très dense et montre énormément de choses sur la folie, la médecine de l'époque, les débuts de la psychothérapie, les questionnements philosophiques sur les limites de la raison. Je suis moins séduit que lui par la manière dont le film résout l'énigme du déséquilibre de cette femme qui tourne évidemment autour d'un complexe oedipien mal résolu... ça reste grossier et schématique. Mais on est très au-dessus de bien des films abordant le même sujet (notamment les films d'Hitchcock "La maison du Dr Edwards" ou même "Pas de printemps pour Marnie" qui sont très caricaturaux). Et surtout il suggère que les causes sont multifactorielles. Les médecins essayant de s'adapter à chaque patiente plutôt que d'uniformiser le mode de prise en charge (ce vers quoi les organismes de santé tentent d'ailleurs malheureusement de nous pousser progressivement de façon rétrograde...).

Il y a un contraste de genres très différents qui contribue à créer une atmosphère prenante et inquiétante. Mélange de réalisme quasi documentaire, de drame psychologique plus convenu (et en flashbacks) et de film à la limite du fantastique (la fameuse scène de la fosse aux serpents ou celle de la "baignoire").



On y voit les pratiques traditionnelles (électrochocs notamment) et l'approche d'inspiration plus analytique du psychiatre bienveillant. Il faut se souvenir qu'à l'époque du film les traitements psychotropes n'existaient pas encore et qu'il n'y avait donc pratiquement aucun moyen médicamenteux d'apaiser les patients. Les électrochocs aidaient heureusement beaucoup comme ils rendent encore service aujourd'hui. Le film montre que l'héroïne peut commencer à progresser à partir du moment où les électrochocs rendent le contact et l'echange avec le medecin possibles.



On anticipe certains personnages d'infirmières rigides bien avant "Vol au-dessus d'un nid de coucou". On se sent vraiment à la jonction d'une psychiatrie asilaire archaïque (avec ces 33 niveaux comme autant de cercles de l'Enfer) et d'une humanisation du soin qui respecte le patient et cherche à le réinsérer dans la société. D'autant plus que l' hôpital ne cesse d'avoir de nouveaux patients et qu'il n'a plus assez de place pour les accueillir.



La mise en scène est inventive et souvent pertinente même si elle n'évite pas le travers de quelques caricatures dans le jeu des actrices (c'est l'unité pour femme de l'hôpital). Martin Winckler dit qu'il les trouve très réalistes mais il est un peu indulgent... Reste que certaines illustrations de catatonie, d'hystérie, de schizophasie ou d'hallucinations sont impressionnantes.



Il y a une progression dramatique bien menée et un final autour d'un bal entre patients hommes et femmes absolument bouleversant (la chanson "Going Home" d'après Dvorak!!!).

Je le recommande vivement malgré ces quelques réserves de naïveté psychanalytique. Il est très supérieur à bien des films ultérieurs sur le sujet. La vision de l'institution et de la pathologie mentale y apparaît bien plus intéressante que dans les fictions des années 60/70 sous l'influence du mouvement anti-psychiatrique qui a fait finalement un tort considérable au regard porté sur la maladie mentale sous couvert d'humanisme et de condamnation d'un système social jugé aliénant.
On commence à peine à se rattraper depuis.

Marko, je crois que je vais te suivre dans ton "cycle sur le monde de la folie". Tu nous déniches des films qui me font toujours très envie !

colimasson a écrit:

Marko, je crois que je vais te suivre dans ton "cycle sur le monde de la folie". Tu nous déniches des films qui me font toujours très envie !

J'ai vu énormément de films sur ces thèmes mais je suis toujours content d'en découvrir de nouveaux surtout quand ils sont aussi bons. Lilith étant vraiment à part et une réussite hors norme. De ces films qui comme La nuit du chasseur ont une magie bien à eux. Snake Pit (La fosse aux serpents) a de son côté plus de facilités hollywoodiennes mais il m'a emporté par son intensité et sa richesse.

Expie: merci pour la vidéo. Cette scène est évidemment d'autant plus émouvante qu'on a auparavant suivi la destinée des quelques femmes qui apparaissent sur ces images.

Je ne classerais pas "La nuit du chasseur" parmi ces films traitant de la psychiatrie, Marko.

En revanche, connais-tu le film "Shock Corridor" réalisé par Samuel Fuller, qui nous plonge dans la terreur hallucinée de l'univers psychiatrique ?
Ce film d'une noirceur morbide m'a marquée à tout jamais.

Tu m'as mal compris Constance. Je faisais allusion à la magie du film La nuit du chasseur, à sa poésie. Un film à part comme Lilith a sa propre magie. Je ne les comparais pas sur le registre de la folie ...

Shock Corridor (que j'evoque dans mon post sur La fosse aux serpents juste au-dessus) est très bien mis en scène mais je ne l'aime pas parce qu'il donne une vision très caricaturale de la folie et du milieu psychiatrique. Très racoleur et cherchant le sensationnel. Mais je ne l'ai pas revu depuis quelques années. Je n'aime pas ces fictions qui se veulent quasi documentaires et manquent en réalité terriblement de nuance. Ou alors il faut jouer à fond la carte du cauchemar et de l'effroi. Shock Corridor et Vol au-dessus d'un nid de coucou illustrent les excès de cette appoche antipsychiatrique qui a fait plus de mal que de bien pour le regard porté sur le monde de la maladie mentale. Ils alimentent et attisent des peurs irrationnelles au lieu d'informer.

Ok , Marko, pour "La nuit du chasseur", je n'avais pas compris le sens de ton propos.

Quant à "Schocks Corridor", si je l'ai aimé et qu'il m'a marqué, c'est qu'il décrit avec pertinence et lucidité la manière dont un être soi-disant psychiquement normal, peut sombrer dans la psychose, enfermé nuit et jour dans un environnement pathogène.

Ce film se déroule dans les années 60 et, à titre d'exemple, à cette époque, l'hôpital parisien de Ste Anne ne différenciait pas les malades atteints d'une pathologie, des êtres en souffrance passagère, et les faisait cohabiter dans les mêmes conditions que dans "Shock corridor". C'est pourquoi je n'y ai pas vu ce côté caricatural que tu dénonces.
Détachée de ses repères, médicalisée à outrance, une personne mentalement saine (enfin, seulement névrosée comme nous le sommes tous, donc non-dangereuse pour elle-même ni pour la société) pouvait alors sombrer dans la folie.

Cette idée que la folie serait contagieuse ou qu'un enfermement dans un univers psychiatrique concentrationnaire pourrait rendre quelqu'un malade me semble complètement absurde. Sauf si le personnage qui s'immerge est déjà un malade mental qui s'ignore et décompense dans cet environnement stressant a priori. Entre parenthèse en milieu psychiatrique on ne compartimente pas les gens en fonction de leur pathologie... Heureusement ! Et je pense qu'au contraire la solidarité qui se crée entre personnalités très différentes est un enrichissement plus qu'une menace! Il y a de l'entraide et les moins malades relativisent souvent leurs propres problèmes par contraste. Cette image d'un monde asilaire diabolique et menaçant est un fantasme. Par contre on y côtoie la souffrance et la tristesse c'est évident.

Jamais je n'ai écrit et encore moins pensé que la folie pouvait être contagieuse, en revanche, bien que mon propos ait été outrancier, je demeure convaincue que des êtres psychiquement fragiles car en souffrance passagère, pouvaient vivre un réel choc traumatique et en conserver des séquelles, en contact de pathologies lourdes.
Le milieu psy a heureusement évolué, mais il fut un temps pas si lointain où les électrochocs étaient appliqués sans discernement, où l'on pratiquait la lobotomie, et les neuroleptiques étaient communément prescrits par méconnaissance approfondie des pathologies.
Ceci dit, j'aurais tendance à penser que les neurosciences représentent un réel avenir dans le traitement de la maladie mentale.

Heureusement que ce que tu évoques remonte à plus de 50 ans en arrière. Les neurosciences ne sont pas seulement un avenir mais une pratique quotidienne depuis longtemps, couplée à d'autres approches.

Bien sur qu'une immersion dans un monde concentrationnaire archaïque comme il en existait par le passé pouvait être une expérience traumatique mais elle ne pouvait pas rendre psychotique comme ce genre de film le suggère. Le terme "contagion" est excessif (je ne pensais pas à ton commentaire d'ailleurs mais au film évoqué) mais beaucoup de gens pensent encore malheureusement que l'institution psychiatrique est un lieu menaçant et dangereux. Les patients souffrent de ce regard stigmatisant de la part de leurs propres familles quelques fois. Alors qu'ils se sentent souvent bien plus protégés dans l'hôpital que dans le monde extérieur plus intolérant et rejetant à l'égard des différences.

Ce que je regrette c'est que des films comme Shock Corridor ou Vol au-dessus d'un nid de coucou aient alimenté cette vision diabolisante. La folie y est caricaturale, le personnel volontiers sadique et les patients pris dans un piège susceptible de broyer même les plus sains d'esprit. C'est agaçant. Par contre certains films montrent que l'environnement est perçu comme hostile par des psychotiques dont la paranoïa altère la réalité. C'est déjà plus intéressant même si un film comme Shutter Island ne tient pas la route sur le plan psychiatrique. Dans La fosse aux serpents par contre l'univers apparaît constamment ambigu en fonction de l'ambivalence et de la confusion de l'héroïne.

P.S. C'était intéressant de voir le documentaire qui accompagnait une des récentes rediffusions de Vol au-desus d'un nid de coucou que Bix avait signalée. On y voyait le véritable service de psychiatrie qui avait servi au tournage avec des interviews du médecin responsable. On se rendait compte du grand écart entre ce que le film montrait et la réalité quotidienne des patients de l'établissement. Mais il faut dire que le roman dont s'inspire le film était raconté du point de vue de l'indien schizophrène qui fantasmait et hallucinait l'univers qu'il décrivait. Milos Forman en a fait un film dénonçant l'oppression et la dictature au sein d'un univers clos. C'était très ancré dans le discours contestataire de l'époque.