L'Inde, d'un millénaire à l'autre 1947-2007Si je ne suis pas forcément séduite par le discours un brin orgueilleux de l'auteur, qui a réussi beaucoup de choses dans sa vie et a été un brillant universitaire, ce livre est tout de même une somme particulièrement éclairante sur la politique indienne d'après Nehru. Et surtout, il compte pour les questions essentielles qu'il pose :
la démocratie est-elle un bon régime dans un pays en voie de développement ? à cette question, Tharoor répond mille fois oui, mais en apportant toujours des nuances éclairantes. L'Inde est la plus grande démocratie du monde, mais cette démocratie a ses limites : la corruption des élites gouvernantes en premier chef (d'ailleurs l'auteur a démissionné en 2010 pour cette raison de son poste de député) qui rend tout acte extrêmement compliqué et couteux ; la sclérose des marchés (l'Inde a observé une politique hyper protectionniste jusque dans les années 80-90, quand l'arrivée de capitaux étrangers a permis de renflouer les caisses d'un Etat trop dépensier ; mais ça on connait) ; la démocratie n'a pas su endiguer l'extrême pauvreté des indiens des basses castes, malgré la discrimination positive, malgré des lois sur les dots des femmes (etc...) l'Inde reste un pays qui manque d'école, d'hôpitaux, d'assainissement...
pourtant, il existe des Etats en Inde qui sortent du lot comme celui du Kerala (d'où l'auteur est issu) ; premier Etat à être gouverné par des communistes, il affiche un taux de 97% d'alphabétisation, d'une croissance économique efficace avec l'ouverture des capitaux étrangers, et aussi un fait unique en Inde et sans doute dans tout pays oriental : il y a au Kerala une plus grande proportion de femmes que d'hommes : 1040 femmes pour 987 hommes, alors que l'avortement étant autorisé en Inde beaucoup de familles préférant élever un garçon ont recours à l'IVG... De la même manière l'Etat du Bihar (également dirigé par des communistes) affiche un taux de croissance stupéfiant et une redistribution des richesses qui a permis d'endiguer en partie les problèmes de famine.
etc... etc...
j'ai appris beaucoup de choses dans ce livre, qui regorge de chiffres et qui présente une longue étude sur la politique indienne et en particulier une critique assez virulente des deux années d'état d'urgence sous l'ère d'Indira Gandhi. Je ne suis pas toujours d'accord avec l'auteur (en particulier sur la nécessaire libéralisation des marchés...) mais je n'ai pas assez de connaissances en matière économique et politique pour juger réellement de ses conseils.
en revanche, j'ai apprécié tout particulièrement son insistance sur deux réalités indiennes : la pluralité de sa population et sa tolérance. Malgré les émeutes religieuses, les assassinats, les maffias, la corruption, malgré la pauvreté décrite, l'Inde est un pays unique par sa diversité et par sa capacité d'absorption des différences. Diffcile de construire un pays qui reconnait 18 langues officielles et des centaines de dialectes (dont certains sont parlés par des populations aussi grande que celle de la Suède...), un pays qui s'étend sur des milliers de kilomètres et qui comprend des montagnards, des côtiers, des plaineux, des végétariens, des castes, des hindous, des centaines d'école de philosophie, des paysans pauvres, sans terre, exploités, des industriels richissimes et Bollywood.
bref un livre à peu près aussi foisonnant que l'Inde actuelle. Long à lire parce que riche de bien des dimensions et parfois un peu dépassé (publié en 2007, il garde tout de même un certain intérêt et permet de voir le sens de l'évolution). Une étude très approfondie donc, parfois même un peu trop pour une novice comme moi, mais qui a le mérite de poser des questions brûlantes sur l'orientation de la politique indienne.