Ce pianiste et compositeur américain a assis sa renommée au milieu des années 1950. Influencé par le classique, il donne à compositions une facture originale. Ses pièces les plus marquantes ont imposé des idées complexes et des rythmiques atypiques. Avec le disque Time Out, qui comprend les classiques Take Five et Blue Rondo à la Turk, son quartette assure définitivement sa place dans l'histoire. Sa longévité légendaire lui a permis de rester actif et pertinent jusqu'à ses 80 printemps.
David Warren Brubeck naît à Concord, en Californie, le 6 décembre 1920. Encouragé par une mère professeure de piano, il entreprend des études musicales à l'Université du Pacifique, en Californie. Bien qu'il soit incapable de lire la musique, ce qui lui vaut presque d'être renvoyé, il obtient son diplôme en 1942.
Après avoir servi quatre ans dans l'armée, Brubeck retourne à l'école. Il étudie la composition avec le grand compositeur français Darius Milhaud, qui le persuade de suivre une double carrière en jazz et en composition. Il reçoit également les enseignements d'Arnold Schoenberg.
Les leçons reçues permettent à Brubeck de donner au jazz, idiome musical encore hautement spontanéiste et élémentaire à l'époque, des notions plus savantes de composition et d'organisation des sons.
Huit, quatre, trois
Avec le Dave Brubeck Octet, formé au milieu des années 1940, il endisque sur étiquette Fantasy des compositions originales d'une grande complexité. Le peu de succès remporté pousse Brubeck à changer son approche. Après avoir travaillé un temps en trio, il fonde le quartette, en 1951, qui assurera sa renommée. La première mouture compte Paul Desmond au saxophone, Bob Bates à la basse et Joe Dodge à la batterie - Bates cèdera sa place à Eugene Wright et Dodge, à Joe Morello.
Brubeck se distingue par son jeu pianistique unique. Il s'appuie sur des séquences d'accords en bloc, jouant principalement dans le registre des graves et des graves moyennes. Il utilise ce registre pour donner des effets de rythme intéressants à la base harmonique de son matériel.
Premiers succèsDes tournées à répétition, notamment dans les campus universitaires, font beaucoup pour la popularité de Brubeck. Son premier disque à paraître chez Columbia, Jazz Goes to College, en rend compte de brillante manière. La consécration vient lorsque le musicien se retrouve sur la couverture du magazine TIME en novembre 1954.
Quelques albums plus tard, Brubeck fait paraître son œuvre la plus célèbre. Time Out (1959) comprend des compositions dont l'audace rythmique fait d'abord sourciller la critique. L'accueil populaire est cependant enthousiaste : c'est la première fois qu'un disque instrumental s'écoule à un million d'exemplaires.
Deux des pièces de Time Out, Blue Rondo à la Turk et l'increvable Take Five, une composition du saxophoniste Desmond, font depuis longtemps partie du grand livre des standards du jazz. D'autres albums du même tonneau paraissent dans la foulée. Le quartette, au sommet de sa popularité, fait le tour du monde, jouant au Moyen-Orient et en Asie.
À partir de 1967, Brubeck, qui a dissous son quartette, collabore avec Gerry Mulligan, puis avec différents accompagnateurs ou solistes tels le batteur Randy Jones et le clarinettiste Bill Smith, un autre élève de Milhaud.
Dans les années 1970, il forme Two Generations of Brubeck avec ses trois fils musiciens : Darius aux claviers, Chris à la basse et au trombone, et Danny à la batterie.
Les années 1980
Le Festival International de Jazz de Montréal accueille Dave Brubeck pour la première en 1981. On rend hommage au pianiste qui, 30 ans auparavant, imposait un nouveau chapitre à la légende du jazz.
Le programme salue ce « compositeur infatigable et pianiste exceptionnel. Dave Brubeck est bien sûr tout cela, mais plus encore : il est l'un des rares musiciens qui, par la simple évidence de leur talent, ont su livrer l'essence du jazz au grand public. » Pour cette visite à Montréal, le pianiste est entouré des membres de son plus récent quatuor, dont son fils Chris.
À sa deuxième visite au Festival, en 1985, Brubeck voit son influence sur la scène jazz réévaluée à la hausse. Toujours selon le programme, « si un pianiste comme Cecil Taylor fracture le tempo avec frénésie, Brubeck est quand même le premier musicien de jazz à s'intéresser à une musique qui ne se limite pas aux pulsions binaires et ancrées dans le bop. »
Une grande partie de l'évolution du jazz-rock et du jazz fusion est tributaire à Brubeck, qui a été le premier créateur du jazz à y apporter des éléments de la pensée européenne classique contemporaine, comme l'atonalité, la fugue et le contrepoint, et certaines notions nouvelles d'harmonie.
« Je veux donner à ma musique la vigueur et la force du jazz simple, les complexités harmoniques de Bartok et de Milhaud, la forme et la dignité de Bach et parfois le romantisme lyrique de Rachmaninoff », a déjà expliqué Brubeck. À défaut de réaliser cette alchimie, le compositeur ne cessera jamais d'y aspirer.
Un Brubeck différent
En 1987, le Festival découvre l'oeuvre orchestrale de Dave Brubeck, en grande partie d'inspiration religieuse, qui reste méconnue bien que présente dans les rites de diverses églises depuis la création, en 1968, de The Light In The Wilderness par l'Orchestre Symphonique de Cincinnati.
Une autre pièce des années 1960, The Gates Of Justice, avait été choisie en 1986 pour célébrer le premier anniversaire national de Martin Luther King Jr. au Colorado. La Fiesta De La Posada, une oeuvre chorale inspirée par des chants populaires sud-américains, a aussi figuré au répertoire du choeur du Fifth Avenue Presbyterian Church à New York, en plus d'être endisquée par le St Paul Chamber Orchestra et les Dale Warland Singers.
Des extraits de ces oeuvres se retrouvent au programme des performances symphoniques de Brubeck, de même que des orchestrations de ses succès et des pièces comme Elementals, pour ensemble de jazz et orchestre, ou They All Sang Yankee Doodle, qui reflète les différentes origines ethniques des américains.
Cette prestation haute en couleur de Dave Brubeck et son quartette est rehaussée par l'apport des 55 musiciens de l'Orchestre Symphonique de Montréal.
En rappel
En 1991, le musicien qui a célébré ses 70 printemps se lance dans une tournée qui s'arrête au Festival. Pour la soirée d'ouverture, Brubeck fait coup double. Dans un premier temps, l'artiste se produit au sein de son quartette, une formule qu'il privilégie depuis 40 ans. Puis, en deuxième partie de ce grand concert, le Festival lui offre, en guise de présent, le plaisir suprême de présenter son oeuvre To Hope : A Celebration en compagnie d'un orchestre de 25 musiciens et du choeur Tudor, large de 50 voix.
L'une des figures emblématiques du Festival avec Pat Metheny et Charlie Haden, Dave Brubeck rappelle fréquemment son bon souvenir aux jazzophiles montréalais. Il est de l'édition 1993, alors que vient de sortir un coffret CD historique retraçant sa carrière des années 1940 à aujourd'hui, ainsi que l'album Trio Brubeck, qui réunit ses fils Chris et Dan.
En 2002, il se produit avec ses Jim Hall, Toots Thielemans et Angèle Dubeau. Quatre ans plus tard, nouveau passage. C'est à se demander si le grand pianiste et compositeur n'a pas dit : « Time Out ! » à la marche du temps. À 80 ans bien comptés, Dave Brubeck enchaîne avec pertinence enregistrements et tournées sans discontinuer, avec toujours ce même regard pétillant.
En 2008, il tient l'affiche du Festival deux soirs, dans la série Invitation. On peut l'apprécier en trio, en quartette et en octette. L'année suivante, Brubeck revient faire la fête : pour les 30 ans du Festival, il en profite pour souligner le cinquantenaire du classique Time Out. En 2010, le musicien se voit remettre un Prix Miles-Davis « hors série » pour l'ensemble de son oeuvre.
source : Montrealjazzfest.com