"Les cent frères de Manol"
Résumé (Quatrième de couverture) :
"Au XVIIé siècle, la paisible vallée bulgare d'Elindenya est soumise à une islamisation forcée. Un berger héroïque, Manol, entraîne tous ses compagnons dans une résistance aussi fière que désespérée. Deux témoins se font les récitants de cette geste violente et terrible."
D'emblée, l'atmosphère est à l'épique, au tragique, à l'héroïsme et on ne peut s'empêcher de penser à l'
Iliade d'
Homère. Comme le souligne si bien la quatrième de couverture, on est devant une geste digne de
« La chanson de Roland », on est face à une épopée digne des plus grands récits antiques.
Le lecteur écoute, lit, déguste, frémit, pleure, rit au fil des chroniques des deux spectateurs-acteurs de la tragédie bulgare: deux voix, deux regards qui s'opposent, se complètent, se mêlent, se côtoient. D'un côté,
Abdullah (« l'esclave de Dieu »), ancien seigneur de la haute et prestigieuse noblesse française, fait prisonnier au pied des remparts de Candie, ville assiégée qui succombera sous les coups turcs, par les armées turques, et devenu esclave dépossédé de son identité. De l'autre, un pope,
Aligorko, moine du mont Athos, berger d'une société pastorale laminée par le rouleau compresseur du vainqueur.
Sous leurs yeux, sous leur plume écrivant à la lueur de leur mémoire de vieils hommes, une période terrible de l'histoire des Balkans s'inscrit dans les larmes, le sang et la honte. Le récit à deux voix, puissant, coloré, met en scène des personnages inoubliables:
Manol, géant orthodoxe s'opposant jusqu'à la mort, à l'islamisation de son village.
Manol au charisme épique et aux faiblesses qui en feraient un héros antique. On ne peut oublier la figure de
Karaïbrahim, l'envoyé du sultan, celui qui doit convertir par la force s'il le faut les villages de la vallée d'Elindenya.
Karaïbrahim est un janissaire cruel, implacable et sanguinaire, mais une fêlure est en lui: c'est un enfant du pays qui a été donné à l'armée du sultan qui l'a transformé en bourreau rempli de haine envers ses anciens compatriotes. Il est le fils d'un notable du village qui préféra le donner aux turcs à la place de l'orphelin, Manol, qu'il avait recueilli: les blessures sont toujours difficiles à cicatriser et distillent amertume et haine.
Ce roman est impossible à relater simplement et brièvement: il est le chant d'un pays soumis aux invasions et aux divers actes de barabarie qui en découlent. Il est la mélopée d'une nation en devenir, d'une identité nationale qui lentement se construit sur la cohabitation de deux religions, l'islam et l'orthodoxie (la métaphore des champs partagés entre deux frères, l'un orthodoxe, l'autre musulman, et du pommier dont la récolte est distribuée à parts égales entre les deux branches familiales, est d'une grande intensité).
Au cours de la lecture, on a la sensation de vivre des moments bibliques, des épisodes de la Génèse: les accents lyriques des récitants, car on est comme auditeur d'une tragédie antique, transforment ces derniers en monuments à la gloire de Dieu ou d'Allah! Mais c'est aussi une ode à la vie, précieuse pépite, à tout prix: accéder à la liberté nécessite une longue marche, pavée de bonnes et de mauvaises intentions, périlleuse, glissante (sur le sang et les larmes) où les sentiments les plus contraires sont exaltés.
Anton Dontchev sait admirablement décrire son pays, les paysages bulgares, les montagnes, les torrents, les forêts, les lacs oubliés où les dieux anciens semblent s'être endormis, les façons différentes de vivre l'islam. Il sait également faire vibrer son lecteur au rythme des passions des personnages et de la passion de
Manol, rappelant celle du Christ.
On sort du roman épuisé par tant de déchaînements, par le souffle épique qui parcourt, inépuisable, chaque page et enchanté par cette écriture bouleversante et belle. On comprend alors pourquoi que l'histoire des Balkans ne fut, et ne sera, jamais simple!